Truffaut Chocolat a écrit :J'suis d'accord : ses personnages tombent amoureux / sont séduits par des images ou des représentations. Femmes ou hommes.
Mais le cinéma, ce n'est que ça : des images et des représentations. Ce n'est pas propre à Hitchcock et surtout tu ne réponds pas au fond de mon argument : il a créé de grandes héroïnes de cinéma, qui s'imposent à nous par leur présence, ce qui est loin d'être le cas de tous les grands cinéastes.
Un réalisateur ou un créateur est avant tout quelqu'un de chair et de sang, avec sa vision des choses (parfois morale) qui a des qualités et des défauts.
Etre un grand créateur ne signifie pas être intelligent pour moi, ce sont deux choses différentes.
Quand il crée, il le fait avec toute sa subjectivité et moi je reçois ça avec la mienne.
Les films d'Hitchcock, je les trouve creux et superficiels, et pour reprendre un mot que les améwicains aiment bien, pas insightful.
Etre un grand créateur, c'est être très intelligent. Arriver à produire du sens comme le fait Hitchcock uniquement grâce à des images, faire que les images construisent un récit et en indiquent le sens, tout en jouant avec la censure et les spectateurs, c'est très fort, cela nécessite énormément d'intelligence et d'invention - tout le parcours d'Hitchcock témoigne de ce don d'invention. Il y a plusieurs formes d'intelligences, et je place l'intelligence des grands artistes parmi les plus hautes.
Moi je vois l'histoire d'un type qui tombe amoureux d'une image.
Et ça, c'est un fantasme de petit garçon, digne d'une cour d'école.
A l'âge adulte, ça se transforme par un type qui poursuit une fille jusque devant chez elle – et ça arrive tous les jours.
Je peux pas trouver ça beau, pertinent ou même mignon.
Parce que je suis très pragmatique sur ces choses-là.
Mais justement, Vertigo critique le fantasme de Scottie.
Il dit que ce qu'il fait n'est ni beau, ni pertinent et que cela le mène à sa perte. Qu'il devrait épouser sa copine sympathique plutôt que de se laisser séduire par une morte, et donc effectivement par une image vénéneuse. Je m'étonne que tu ne perçoives pas le sens et la morale du film. Quand je vois Vertigo, je crie intérieurement "ne fais pas cela" à Scottie, et c'est le film qui me conduit à le dire, c'est le film qui montre Scottie comme quelqu'un de morbide et de déraisonnable qui se laisse séduire par une belle image vénéneuse (pour que le film soit crédible, il faut montrer l'image comme belle). Quand tu parles du "romantisme" de Vertigo, il me semble que tu te méprends sur le sens du mot romantique (quand tu écris "fabuleux" cela me semble impropre) tel qu'il a pu être appliqué à Vertigo par certains : dans le mouvement romantique du XIXè siècle, il y a un romantisme gothique qui peut être très noir, très morbide, celui de Melmoth, celui qui conduit à la mort ; le terme "romantique" est donc bien différent du terme "romance". Encore une fois, Vertigo renverse le sens du mythe grec de Pygmalion. Quand tu parles de Vertigo, c'est comme si tu t'arrêtais à l'image, à l'apparence, qui est précisément ce qu'Hitchcock critique. Vertigo est un film extrêmement riche, beaucoup plus que ce que tu en indiques, et tu sembles n'en percevoir que ce qui correspond à ton image du "petit garçon" et à ton affirmation qu'Hitchcock n'est pas intelligent.
le poids du passé dans Rebecca, c'est tellement, radicalement, opposé à ma façon de voir les choses...)
A nouveau, tu ne me parais retenir que l'apparence des choses, que le point de départ du film, sans tenir compte de l'endroit où Hitchcock nous emmène : Rebecca est précisément l'histoire d'un couple qui parvient à se libérer du poids du passé. Quand Manderlay brûle, le passé brûle métaphoriquement.
Plus généralement, un des attraits du cinéma réside dans sa capacité à nous montrer plusieurs points de vue sur l'existence, points de vue qui sont portés par des artistes et non par des sages et des philosophes (d'ailleurs, certains philosophes ont écrit beaucoup de bétises). N'aimer que les réalisateurs qui partagent mon point de vue sur l'existence me paraitrait réducteur, dans la mesure où c'est au contact des autres, et de leurs points de vue divergents, que je peux mieux les comprendre et élargir l'assise de mon point de vue.