Kurosawa et le monde contemporain

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Joe Wilson
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Re: Kurosawa et le monde contemporain.

Message par Joe Wilson »

Je ne regrette pas ma jeunesse/Un merveilleux dimanche

Deux oeuvres des années 1946/47, avec leurs maladresses, mais qui contiennent déjà en elles toutes les préoccupations de Kurosawa cinéaste, qu'il ne cessera de développer par la suite.

Un merveilleux dimanche est une chronique intimiste, suivant la vie d'un jeune couple pendant une journée : le dimanche est "leur" moment et ils ne cherchent qu'à le sublimer.
Mais Kurosawa introduit immédiatement une amertume...à travers le manque d'argent, le constat d'un isolement social, ce sont toutes les blessures du Japon d'après-guerre qui remontent à la surface. Le récit manque un peu d'ampleur mais à travers ces vignettes, on ressent déjà une rare finesse d'observation. Kurosawa montre des hommes et des femmes en lutte, confrontés à leurs doutes, au manque de confiance, à la recherche d'une fierté.
Le couple est heurté par ses contradictions : cette perception de subir une déchéance (pour l'homme), et une volonté de se ressaisir par le rêve, par l'accomplissement de quelque chose d'irréel (l'enthousiasme démesuré de l'homme, touché par la ténacité et la dignité de sa femme). Kurosawa veut retenir l'idée d'un mouvement, d'un accomplissement. La mise en scène est toujours proche de ses personnages et exprime une générosité déjà intense.

Je ne regrette pas ma jeunesse, bien que légèrement antérieur, est un film plus ambitieux. D'un point de vue historique, il s'ouvre sur l'invasion par le Japon de la Mandchourie (consacrant le triomphe d'une doctrine militariste) et s'achève sur la défaite de 1945. Kurosawa s'attache à suivre le destin d'une jeune femme bousculée par les ravages de la guerre, qui vont bouleverser sa vie personnelle...de l'idéalisme, d'une certaine innocence, vers le constat d'une souffrance et d'un échec. Mais là-encore, la mise en scène ne tombe pas dans le misérabilisme ou dans une rhétorique sacrificielle. Même si les chapitres sont parfois décousus, Kurosawa cerne les tourments d'une famille dans l'écart des générations...la difficulté d'être fidèle à ses valeurs lorsque un équilibre semble s'écrouler. Chaque protagoniste vit par ses ambiguités et ses zones d'ombres, ce qui donne au film une cohérence remarquable dans son analyse.
L'interprétation de Setsuko Hara, vibrante et fragile, offre aussi une belle rigueur émotionnelle. Son parcours sonne juste...de l'exaltation d'une jeune fille à la méditation apaisée d'une femme...sans jamais faire de concessions : surtout refuser les regrets.
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Sybille
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Re: Kurosawa et le monde contemporain.

Message par Sybille »

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Nora inu / Chien enragé
Akira Kurosawa (1949) :

Un climat fait d'une moiteur étouffante, des habitants vêtus de blanc qui transpirent à grosses gouttes, telle est l'atmosphère de ce beau film de Kurosawa. Si "Chien enragé" prend d'abord l'aspect d'un film policier sophistiqué aux méandres d'ailleurs assez complexes, c'est en même temps une déambulation incroyable dans le Japon de l'après-guerre. On se mêle à la population, on suit les habitudes quotidiennes des gens que l'on découvre, fait amusant, en partie très 'américanisées' (la partie de base-ball, le jazz...) Le récit ménage le suspens avec brio, joue sur l'attente, mais instaure aussi de nombreux moments en creux où la tension se relâche, cède la place à la poésie pure, et nous fait mieux découvrir la personnalité et le vécu des personnages. Car si le jeune policier Murakami a une idée fixe, celle de retrouver son arme, c'est au contact de son collègue plus âgé qu'il apprendra à grandir, à comprendre. Les deux acteurs principaux sont parfaits, vifs et touchants. J'ai beaucoup aimé la musique, belle, variée et très efficace, indéniablement un des meilleurs atouts de cet excellent film. 7/10
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Rick Blaine
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Re: Kurosawa et le monde contemporain.

Message par Rick Blaine »

Chien Enragé, au milieu d'une filmographie riche et passionnante, est probablement mon Kurosawa préféré. Surement pour cette gestion du rythme, cette tension formidable créée par l'attente.
Je me souviens d'ailleurs que c'est le premier Kurosawa que j'ai découvert, et peut-être même le premier film japonais, et bien c'était une formidable manière d'ouvrir une porte vers ce cinéma.
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Sybille
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Re: Kurosawa et le monde contemporain.

Message par Sybille »

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Yoidore tenshi / L'ange ivre
Akira Kurosawa (1948) :

Alliant humour et tragique à part presque égale, "L'ange ivre" est le récit d'un médecin vieillissant porté sur la boisson et d'un jeune tuberculeux au pouvoir manifeste mais fragile. Ce dernier a en effet pris la direction d'un des quartiers de la ville, ce qui lui offre d'emblée considération et services de la part des femmes et commerçants. C'est sur la relation mouvementée entre les deux personnages que s'appuie en premier le film. Shimura et Mifune n'ont rien à se reprocher, mais le traitement qui en est fait paraît manquer d'un supplément de rigueur, ne pas trouver entièrement sa tonalité. Le film démontre la hiérarchie du pouvoir et de l'influence, tandis que la nécessité du rachat n'est qu'une valeur obsolète mais pourtant essentielle. Les autres personnages qui peuplent l'histoire sont intéressants et bien joués, mais demeurent trop souvent à la périphérie, presque à la limite de la distraction. J'ai été un peu désappointée par le scénario, mais le film offre bien sûr de nombreux points d'intérêt (de nombreuses scènes très réussies) et reste globalement bon. 6,5/10
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Rick Blaine
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Re: Kurosawa et le monde contemporain.

Message par Rick Blaine »

Sybille a écrit :mais le traitement qui en est fait paraît manquer d'un supplément de rigueur, ne pas trouver entièrement sa tonalité.
Je trouve que cette forme de flottement fait la réussite du film, où Mifune trouve peut-être son plus beau rôle (et c'est peu de dire que c'est un acteur extraordinaire). Il faut lui redonner une chance! :D
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Sybille
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Re: Kurosawa et le monde contemporain.

Message par Sybille »

Oui, je le reverrais probablement un jour ou l'autre. :wink:
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-Kaonashi-
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Message par -Kaonashi- »

Je viens de voir L'Idiot. En trois fois. Impossible de rester éveillé devant, même la troisième fois je me suis fait violence pour ne pas arrêter à nouveau.
Autant j'ai trouvé le roman compliqué à suivre mais passionnant, autant je trouve que le film de Kurosawa est une purge.
L'adaptation est plutôt bonne, assez fidèle concernant les personnages principaux et le déroulement, mais en film, ça ne passe pas. Les motivations des personnages sont proprement incompréhensibles, ils en deviennent vite agaçants. L'interprétation de Setsuko Hara n'aide pas : elle se retrouve à faire des grimaces hallucinantes pour exprimer la folie (ou la bêtise) de son personnage, c'est risible, et ça m'a sorti du film à plusieurs reprises (en plus de la fatigue). Mifune & Mori assurent de leur côté, mais c'est pareil, difficile de suivre le comportement de leur personnage respectif.
Visuellement c'est impressionnant, superbe photo, montage impeccable sur plusieurs passages : l'intro jusqu'à la séparation de Kameda/Mychkine & Ayama/Rogojine, le dénouement, mais le passage le plus fort et surtout le plus surprenant et signifiant dans le film, c'est le début de la déambulation de Kameda dans Sapporo : plans très rapides puis long fondu enchaîné sur le regard terrifiant d'Ayama sur Kameda.

Ce film rejoint donc Les Bas-fonds (autre adaptation de roman russe par le maître japonais) dans les films de Kurosawa que je n'aime pas.

En parcourant ce topic, je suis un peu rassuré de ne pas être le seul à être déçu par ce film, et je me retrouve parfaitement dans l'avis de Max Schreck :
Max Schreck a écrit :Je comprends pas qu'est-ce qui a fait que je sois passé à côté mais j'ai vraiment pas apprécié L'Idiot. Le bouquin est absolument sublime et je savais bien que je n'allais pas retrouver son caractère touffu dans le film, mais je ne crois pas que ce soit une question d'adaptation. C'est juste que l'histoire m'a semblé moins convaincante sur pellicule.

Je ne nie pas que quelques scènes sont magnifiques, tant du point de vue de la photographie que de la mise en scène. L'utilisation de la neige, l'éclairage en clair-obscur de la scène finale (pour moi la plus belle du film), tout ça m'a comblé. Mais au final, j'ai suivi ça avec peu d'intérêt ce qui fait que je suis contraint de le considérer comme le Kurosawa que j'aime le moins, et de loin.

Ce qui, bien sûr, ne sous-entend pas que je ne suis pas prêt à lui redonner un chance en espérant une réévaluation à la hausse.
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