Kurosawa et le monde contemporain

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Et L'idiot par Kurosawa, ça donne quoi ?

K-chan si tu veux lire ce Dosto, prends l'édtion Babel en deux volumes.
Strum
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Message par Strum »

D'abord, il faut savoir que L'Idiot faisait initialement quatre heures et qu'il a été réduit sur ordre de la Toho contre l'avis d'un Kurosawa effondré. 1h30 du film ont ainsi non seulement été supprimées, mais ont disparu (probablement détruites) et n'ont jamais été retrouvées. C'est surtout la fin qui a souffert de la réduction.

A part cela, c'est un film profondément attachant et qui réussit la gageure d'être fidèle à l'esprit du roman dans un contexte entièrement différent (Japon de l'après-guerre (Mychkine et Rogojine y sont d'anciens combattants traumatisés par la guerre), paysages de neige, etc...). Un peu différent du Kurosawa ordinaire, avec peu de mouvements de caméra, beaucoup de plans fixes, une certaine lenteur, mais toujours ce génie particulier à Kurosawa dans la composition des plans. Le film contient de vrais morceaux de bravoure (la déambulation de l'Idiot dans la ville suivi par Rogojine, sa crise d'épilepsie dans la neige, le feu d'artifice sur la glace, etc...). La présence permanente de la neige plonge le film dans une symphonie de blancs et noirs (nombreuses scènes de nuit), probable reflet métaphorique du duo Mychkine / Rogojine.

Bref, c'est un des films de Kurosawa les plus étonnants, que j'aime beaucoup, malgré l'avis contraire de certains critiques qui soulignent à juste titre les chutes de rythme et certaines incohérences narratives inhérentes à la réduction forcée. Mifune est absolument exceptionnel en Rogojine. Masayuki Mori très bon en Idiot, mais je le préfère chez Mizoguchi. Indispensable pour tout amateur de Dosto (et de Kuro, cela va de soit). C'est un des films les plus sensibles de Kurosawa. Certainement l'un de ceux dans lesquels il s'est le plus investi, connaissant son amour immodéré pour Dostoïevski.
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Merci Strum, ça donne envie ! Les quelques morceaux de bravoure que tu cites sont déjà ceux du roman et jai hâte de voir comment ce grand cinéaste a pu les traduire en image.
Entre parenthèse, il existe une autre adaptation de L'idiot faite par Mann pour son film Les furies. Le problème est que j'ai eu du mal à y reconnaitre les éléments du bouquin.
Strum
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Message par Strum »

De rien, Jack ! L'Idiot a aussi été adapté par Georges Lampin avec Gérard Philippe en Mychkine. Bon, c'est très inférieur à l'adaptation de Kuro et on ne retrouve pas l'atmosphère fiévreuse propre à Dosto, mais Philippe est bon en Idiot.
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k-chan
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Message par k-chan »

Jack Griffin a écrit :Merci Strum
Pareil ! :D

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L'idiot est un des films de Kurosawa que je préfère (et donc un de mes films préférés tout court, cela va de soit), un de ceux qui me touchent le plus. Je crois en fait que Kameda/Mychkine est, dans l'oeuvre de Kurosawa, le personnage dont je me sens le plus proche. Personnellement, je trouve que c'est le plus beau rôle de Masayuki Mori (de ce que j'ai vu, sachant que je n'ai pas encore vu Nuage flottant de Naruse). Mifune est admirable, comme d'habitude, mais aussi et surtout la sublime Setsuko Hara (Taeko/Nastassia) dans un rôle complètement à l'opposé de l'image qui est renvoyé d'elle chez Ozu, sans oublié la non moins superbe Yoshiko Kuga.

Pour ce qui des avis des critiques, il me semble justement qu'ils sont souvent d'accord pour désigner le film comme un des chefs-d'oeuvre de Kurosawa, souvent décrit, d'ailleurs, comme la meilleure adaptation d'un des romans de l'écrivain russe, cela malgré les coupes qu'il a dû subir. Et comme le dit Kurosawa lui même, c'est le film qui lui a valu le plus de lettres d'admirateurs. :D
La seule critique vraiment négatives que j'ai pu lire proviens des cahiers (oct 98.), dans un textes de Charles Tesson : "a fort mal vieillie, rendue supportable par la présence de Setsuko Hara et de Masayuki Mori".
Et qui retrouve t-on dans les suppléments du dvd Mk2 de L'idiot ?... Charles Tesson qui retourne sa veste.

C'est en tout cas un film à voir absolument.

Quant au roman, je l'achèterai :wink: (édition Babel en 2 vol, donc :) )

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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Charles Tesson est aveugle de toute manière. Le degré zéro du critique ampoulé et faussement retors qui cache en fait un monstre d'incompétence.
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Strum
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Message par Strum »

De rien, k-chan. :)

Je ne dirai pas ici ce que je pense de Charles Tesson ("rendu supportable par" ; c'est justement insupportable ce genre de critique).
Je crois en fait que Kameda/Mychkine est, dans l'oeuvre de Kurosawa, le personnage dont je me sens le plus proche.
Alors, il faut absolument que tu lises l'Idiot, et je dis bien absolument ! :mrgreen:
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Message par Ouf Je Respire »

Roy Neary a écrit :Charles Tesson est aveugle de toute manière. Le degré zéro du critique ampoulé et faussement retors qui cache en fait un monstre d'incompétence.
Ouais. Il faudrait l'émasculer avec son nom.
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Message par k-chan »

Strum a écrit :Alors, il faut absolument que tu lises l'Idiot, et je dis bien absolument ! :mrgreen:
C'est promis ! :D


Je me suis donc permis d'élargir le sujet du topic, et replace ici un petit texte que j'avais écris sur un des films (contemporains donc) les plus méconnus et sousestimés de l'auteur : Duel Silencieux. :wink:
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Message par Strum »

Où est ton texte ?
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Message par k-chan »

Strum a écrit :Où est ton texte ?
Ca vient, désolé (j'étais occupé à autre chose :lol: ). :wink:
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Message par k-chan »

Duel Silencieux - 1949

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Il s'agit peut-être d'un des films les moins admirés de la filmographie de Kurosawa. A tort ou à raison ? Je ne saurais pas répondre vraiment. Certains tout de même y voient un chef-d'oeuvre, mais ils sont rares, alors que parmis les avis négatifs, celui de Sacha Ezratty est particulièrement sévère : "nous n'aurions point à regretter l'absence de ce film de la filmographie de Kurosawa".
Je trouve cela injuste pour ma part, même si le cinéaste lui même trouvait son film non réussi (comme souvent).
Il faut savoir cependant que ce film fut tourné dans l'urgence, que Kurosawa venait de changer temporairement de studio, mais surtout que les censeurs et les occupants américains ont exigés beaucoup de modifications au scénario.

Le film raconte l'histoire d'un jeune médecin, Fujisaki (Toshiro Mifune), qui lors d'une opération en plein camps de guerre (1944), sous une pluie battante, se coupe au doigt avec un scalpel mais continue son travail en laissant ses mains dans une plaie d'un malade atteint de la syphilis. Il est donc contaminé, et lors de son retour chez lui, et ayant appris qu'il était malade, il rejette par conscience morale la femme qu'il devait épouser.

En fait, une des critiques qui revient le plus souvent concerne ce médecin qui est sans doute trop parfait, dans sa lutte et son sens du sacrifice, pour être crédible. C'est peut-être la critique la plus juste en effet. Mais celle que je trouve la plus absurde, dans ce que j'ai put lire, et que l'on doit à Mr François Debreczeni , c'est celle qui parle d'un film daté, en soulignant le fait que la syphilis se soigne de nos jours (elle est devenue rare également). Ne faut-il pas savoir replacer les choses dans leur contextes (c'était une maladie très sérieuse à l'époque) et faire des points de comparaison ? Aujourd'hui il y a le sida, et de ce fait, le film me semble plutôt fort.
Peut-être ni avait-il pas de mst très grave en 64, époque de la critique de Debreczeni, mais dans ce cas c'est sa critique que l'on pourrait jugée de datée.
Ce qui est le plus passionnant dans ce film, et qui me semble admirablement décrit, c'est le combat contre la maladie, ainsi que les conflits intérieurs et les questions de sens morale auxquels elle confronte l'homme. La plupart des critiques négatives de ce film sont assez anciennes, alors que celles qui désignent ce film comme grand sont assez récentes.
Un film en passe d'être réabilité ?? Je ne sais pas, mais ça me semblerait juste.

En tout cas, je trouve que le récit est admirablement bien mené, d'ailleurs ouvert par la stupéfiante séquence de l'opération, qui elle fait l'unanimité. Comme le dit avec humour Ezratty, Mifune manie le bistouri ou autres instruments de chirurgie avec autant d'aisance que le katana. La mise en scène est à mon sens parfaite, et les acteurs sont fabuleux. Toshiro Mifune, qui demeure vraiment un de mes acteurs préférés, est génial. Idem pour Takashi Shimura, toutefois un peu en retrait.
Ce film se situe dans la filmographie de Kurosawa entre les 2 chefs-d'oeuvre que sont L'ange Ivre (1948) et Chien enragé (1949). Je vois pour ma part ces 3 films comme une sorte de magnifique trilogie "néo-réaliste" sur le japon d'après-guerre*, même s'il est vrai que je ne considère pas Duel silencieux comme un chef-d'oeuvre, à l'instar de ces 2 films qui l'entourent. Disons que j'ai le sentiment qu'il manque quelque chose pour être totalement conquis. Mais c'est un film beau, cruel, bouleversant, dont le sujet me touche beaucoup. J'adore !
Mineur ou non dans la filmographie de Kurosawa, il n'en est pas moins merveilleux. A redécouvrir d'urgence ! (Vivement une sortie dvd chez nous)



Une toute petite critique, très juste :
"Ce somptueux mélodrame frappe par sa modernité : parabole visionnaire sur l'importance de la maladie au sein de notre société." (asiexpo.com)


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* Je n'ai toutefois pas vu les 2 films antérieurs, Je ne regrette pas ma jeunesse (1946) et Un merveilleux dimanche (1947) (ça sera bientôt réparé), auxquels ils sont peut être lié sur ce point.
Strum
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Message par Strum »

Bon, à mon tour.

Duel Silencieux est un Kurosawa mineur. Mifune est parfait, tout en retenu, et Shimura est égal à lui-même. Le noir est blanc est superbe et la composition des plans portent la sophistication habituelle de Kurosawa. Techniquement, c'est parfait. Pourtant, le film manque de souffle (malgré une belle scène où Mifune fend enfin l'armure) et demeure assez illustratif, assez superficiel. Pourquoi cette faiblesse ?

Parce que Kurosawa est un cinéaste de l'action, dans le sens philosophique du terme. Ses personnages agissent en vertu d'un commandement qui est le suivant : le monde peut être changé parce qu'il est en permanence en mouvement. Il faut donc aller au devant de ce changement plutôt que l'attendre car sinon gare aux désillusions. Il n'y a pas d'acceptation du monde des hommes tel qu'il est chez Kurosawa, contrairement à Mizoguchi où la contemplation est reine, mais une colère sourde, une volonté de redresser la balance de la justice. Alors, les personnages de Kurosawa agissent, pour donner sens au monde avant que ce sens ne leur échappe. Le dynamisme de leurs actions trouve à l'écran un reflet dans le dynamisme des plans (Kurosawa possè-de une maitrise totale de l'espace cinématographique), et un rythme grâce au montage souvent tendu des films. C'est par ces formes, que le cinéma de Kurosawa atteint la profondeur.

Tel n'est pas le cas dans Duel Silencieux, où le combat de Mifune est intérieur. Le fond du film n'a plus la béquille du magicien formel pour s'exprimer avec sa plénitude habituelle. Du coup, la magie kurosawaienne n'opére plus car elle est cantonnée dans un lieu clos alors qu'elle a besoin d'espace pour s'exprimer, de figures géométriques liant les hommes pour ensorceler, et, souvent, d'une fusion entre l'homme et son environnement pour atteindre cette dimension physique et presque palpable qui rend le cinéma de Kurosawa si inoubliable.
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Message par Max Schreck »

Je comprends pas qu'est-ce qui a fait que je sois passé à côté mais j'ai vraiment pas apprécié L'Idiot. Le bouquin est absolument sublime et je savais bien que je n'allais pas retrouver son caractère touffu dans le film, mais je ne crois pas que ce soit une question d'adaptation. C'est juste que l'histoire m'a semblé moins convaincante sur pellicule.

Je ne nie pas que quelques scènes sont magnifiques, tant du point de vue de la photographie que de la mise en scène. L'utilisation de la neige, l'éclairage en clair-obscur de la scène finale (pour moi la plus belle du film), tout ça m'a comblé. Mais au final, j'ai suivi ça avec peu d'intérêt ce qui fait que je suis contraint de le considérer comme le Kurosawa que j'aime le moins, et de loin.

Ce qui, bien sûr, ne sous-entend pas que je ne suis pas prêt à lui redonner un chance en espérant une réévaluation à la hausse.
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k-chan
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Message par k-chan »

Strum, je vois que ton avis sur Duel silencieux est assez différent du mien. En tout cas, j'aime beaucoup ta façon de parler de Kurosawa (même si c'est parfois un peu complexe :uhuh: ), je suis toujours très impressionné (sans rire).

Il n'empêche que si je ne considère pas Duel silencieux comme un grand Kurosawa, je le considère comme un grand film. J'étais un peu resté sur ma faim la première fois que je l'ai vu, même si j'avais beaucoup aimé, mais la seconde vision a été pour moi très impressionnante. J'ai été très touché (une raison personnelle explique en grande partie cela...). Je ne peux que conseiller à tous de voir ce film, et je prie pour qu'un éditeur nous le sorte en dvd (wild side par exemple).


Sinon pour L'idiot Max, je ne sais trop quoi dire, si ce n'est en effet : peut-être qu'une seconde vision du film...

Il me semble que c'est le Kurosawa préféré de Vic Vega, je me permets de citer un commentaire de lui ici
(dans son contexte :arrow: ici)
Vic Vega a écrit : Pas le temps de développer mon adoration pour le film alors je vais faire bref:
1) Dostoievski est avec Céline un de mes écrivains de chevet et il est ici adapté par un de mes cinéastes favoris qui transpose habilement le récit dans un contexte local.
2) L'humanisme du Russe se marie parfaitement avec celui du géant du cinéma japonais.
3) Le film ne conserve du roman que les moments d'intensité dramatique maximale, moments magnifiés par les nuances dans les regards d'un casting cinq étoiles -Mifune, Setsuko Hara, Masayuki Mori-, ce qui en fait une oeuvre poignante d'un bout à l'autre.

Qu'est ce que ça raconte? Il y a des résumés pour ça. Qu'est ce qui me touche? Mifune incarnant à la perfection la figure du débauché dostoievskien homme d'action pure, Mori jouant un etre naif, fou aux yeux de la société mais capable de voir la noblesse d'ame d'une femme (Hara) que tout le monde méprise et considère comme débauchée, toute la tension dramatique amenée par ce trio amoureux donnant au film toute sa puissance. Ce sera tout pour ce soir...
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