Martin Ritt (1914-1990)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Rick Blaine
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :Le troisième film de Martin Ritt est une adaptation de Faulkner : Les feux de l'été en DVD et Br chez Opening
Je suis tout à fait en accord avec ton texte, un film d'acteur, porté par un Orson Welles survolté que l'on pourra juger excessif mais que je trouve réjouissant, un Paul Newman charismatique, une Joanne Woodward convaincante et une Lee Remick particulièrement belle (mais trop peu présente à l'écran :oops: ). Dommage que le scénario soit bancal, la film semble chercher son ton sans jamais réellement le trouver, offrant une succession de scènes tantôt réussies, tantôt franchement ratées. Un bon travail de Martin Ritt, cinéaste qui mérite mieux que sa réputation je pense, et une photo remarquable font de ce Long, Hot Summer un vrai plaisir visuel, dont on ne ressort toutefois pas complétement satisfait. Plaisant, mais pas totalement abouti.
Wagner
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Wagner »

Les feux de l'été: un peu raté, l'écrin visuel souvent sompteux (même si certaines scènes d'extérieurs ressemblent à une scène de théâtre) du film ne colle pas avec des personnages dont les évolutions sont invraisemblables. La grande scène d'explications entre Newman et l'instit est mal amenée. Orson Welles bronzé me fait presque penser à Bud Spencer lorsqu'il brise la table en verre à la force de son poing, et la rupture de ton finale est si grotesque que les acteurs sont incapables de l'interpréter à peu près correctement.
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Jeremy Fox
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Jeremy Fox »

Wagner a écrit : et la rupture de ton finale est si grotesque que les acteurs sont incapables de l'interpréter à peu près correctement.
Là je ne peux qu'abonder dans ton sens. Sinon, plutôt apprécié
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Profondo Rosso
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Profondo Rosso »

Hombre (1967)

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Une diligence est attaquée par des bandits. Parmi ses occupants, un garçon taciturne et mystérieux, John Russell, élevé par les Apaches et connu sous le nom d’Hombre. Les agresseurs tentent de s'emparer d'une somme importante que transporte avec lui Favor, agent indien de la réserve de San Carlos et qui a détourné l'argent à son profit. L'attaque est sur le point de réussir lorsque John intervient et abat deux gangsters...

Etonnant western que ce Hombre, ni dans la veine pacifiste des westerns pro indien des années 50, ni dans celle plus politisée de ceux à venir dans les années 70. Toute la singularité du projet est inscrite dans l'intrigue surprenante (adaptée d'Elmore Leonard) et de son personnage principal déroutant. Des indiens, on en verra surtout durant le générique mélancolique où leur sort cruel défile en photo. C'est surtout à travers le détachement et la haine de John Russell (Paul Newman), métisse élevé parmi les indiens, que s'exprime le message du film. Bien qu'ayant conservé un nom blanc, il a préféré continuer à vivre parmi les indiens où il a accumulé une rage contre l'injustice et le racisme ordinaire qui se dévoile dès l'ouverture où il malmène sévèrement un blanc insultant dans un bar. Russell semble avoir perdu toute foi, toute confiance en l'homme blanc si ce n'est envers l'homme en général.

L'épreuve à laquelle il va être confronté va d'ailleurs confirmer au départ ce peu d'estime envers autrui. La longue première partie le montre effectuer un voyage en diligence avec diverses personnalité : un ancien délégué aux affaires indiennes et son épouse (Fredrich March et Barbara Rush), un jeune couple chamailleur, l'inquiétant Grimes (Richard Boone) ou encore Jessie une femme qu'il a exclue de l'auberge dont il a hérité. On ressent durant ce moment la profonde indifférence de Russell envers ses voisins, d'abord lors d'une scène où il laisse Boone intimider et s'approprier le billet d'un des voyageur puis lorsqu'il est confronté à une réaction qu'il connaît bien en étant exclu de la diligence après avoir dévoilé ses origines lors d'un échange tendu. Les voyageurs vont pourtant devoir se reposer sur cet indien lorsqu'il s'avéra le seul rempart face à des malfrats les attaquants loin de toute civilisation. L'atmosphère du film prend alors un tour déroutant. Peu de vrais affrontements et coups de feu mais une tension palpable où se joue une dangereuse partie d'échec entre Russell et Boone. Ritt filme superbement ces paysages montagneux où le danger peut surgir hors champs, du haut d'une colline dans un coin du cadre où de l'intérieur même avec des protagonistes aux desseins contrariés à l'image du personnage traître de Fredrich March. Russell reste pourtant le maître du jeu, car misant toujours sur les bassesses et la traitrise de chacun.

Le film semble être la mise à l'épreuve de Russell envers l'homme blanc forcément adepte de la duplicité et du calcul, opinion confirmée par les attitudes lâches de chacun et qui lui donne toujours une longueur d'avance. Paul Newman est absolument parfait, stoïque, taciturne et glacial, il semble constamment extérieur aux évènements et ne secoure ses compagnons que par nécessité. Le conflit moral final semble pourtant bouleverser les forces en présences. Newman découvre ou provoque la solidarité chez ces blancs qu'il déteste tant et la conclusion humanise autant les autres aux yeux de Russell que lui-même sortant de sa pure logique pragmatique. Le final en ferait presque une figure christique servant de révélateur et prête à se sacrifier une assurée que ses compagnons le mérite. Ritt fait passer tous ces questionnements avec limpidité et toujours dans l'action, le film malgré le ton quelque peu austère étant toujours prenant tout en laissant exploser quelques éclats de violence bien senti (Russell qui fait passer un mauvais moment à Boone venu le tester) où on ressent les écarts désormais permis par le western spaghetti. 4,5/6
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par blaisdell »

Très très beau western avec une fin tendue et magnifique.
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Commissaire Juve
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Commissaire Juve »

A tout hasard (désolé si ça a déjà été dit)...

Je viens de recevoir cette édition Paramount US de Back Roads (1981), avec Sally Field et Tommy Lee Jones... C'est un DVD zone 1 pur & dur. Par ailleurs : il n'y a "que" des sous-titres anglais (pas trop gros pour du Paramount, cool !).

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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Alphonse Tram »

Commissaire Juve a écrit :A tout hasard (désolé si ça a déjà été dit)...

Je viens de recevoir cette édition Paramount US de Back Roads (1981), avec Sally Field et Tommy Lee Jones... C'est un DVD zone 1 pur & dur. Par ailleurs : il n'y a "que" des sous-titres anglais (pas trop gros pour du Paramount, cool !).

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De Sally Field + Martin Ritt je ne connaissais que Norma Rae que j'ai beaucoup aimé. Le duo d'acteurs et le pitch me tentent bien.
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par manuma »

Je n'en garde pas un très bon souvenir, de ce Back roads. Un road movie tragi-comique assez quelconque avec une Sally Field qui en fait des caisses. Pourtant, ayant été conquis par Norma Rae, je partais vraiment avec l'envie d'aimer le film...
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Commissaire Juve
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Commissaire Juve »

manuma a écrit :Je n'en garde pas un très bon souvenir, de ce Back roads. Un road movie tragi-comique assez quelconque avec une Sally Field qui en fait des caisses. Pourtant, ayant été conquis par Norma Rae, je partais vraiment avec l'envie d'aimer le film...
Je le visionnerai ce soir. Le peu que j'aie vu jusqu'ici m'a semblé sympa (mais je suis très bon public). Sinon, techniquement parlant, le transfert vidéo m'a semblé très bien.
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Commissaire Juve
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Commissaire Juve »

UP ! remarque ultra passionnante concernant Back roads...

A plusieurs reprises, pendant le visionnage, je me suis dit que Sally Field avait de drôles "d'appas". Et puis, après recherche, mes soupçons se sont confirmés : il s'agissait très certainement d'implants mammaires.

Cette pratique était donc plus ancienne que je ne l'imaginais.
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Sybille »

Eh bien, je vais compléter avec une remarque du même acabit, mais dans "Avanti !" de Wilder - qui date de 1972 donc - le personnage de Lemmon fait une remarque à propos d'injections mammaires...
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par AtCloseRange »

Le Prête-Nom - The Front (1976)
Déception... Je voulais voir ce film depuis si longtemps et malheureusement il ne me semble pas mériter sa réputation. Voir Woody jouer un grand rôle ailleurs que dans ses films, c'était attirant mais le film s'en trouve phagocyté. Woody y est grossièrement le personnage allenien qu'on connait avec ses tics de jeu, de langage sauf que les dialogues de Walter Bernstein sont très en-dessous de ce qu'il joue habituellement (remettons néanmoins les choses dans l'ordre - le film précède la mue de Woody avec Annie Hall).
Le film a donc un problème de ton, ne sachant jamais vraiment sur quel pied danser. La première partie est sensée être légère mais elle n'est pas très drôle (j'avoue que le numéro de Josh Mostel m'a un peu saoulé). Le passage progressif à quelque chose de plus dramatique fonctionne un peu mieux mais je me demande cependant si un réalisateur aussi "sérieux" que Martin Ritt était vraiment le bon choix pour un tel sujet. Il aurait sans doute fallu l'ironie mordante qu'on trouve chez pas mal de cinéastes des pays de l'Est. Un Forman par exemple aurait sans doute mieux fait l'affaire.
Dernière modification par AtCloseRange le 9 sept. 14, 12:01, modifié 1 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Jeremy Fox »

La chronique du prête-nom à l'occasion de sa sortie en DVD dans la collection les introuvables de Wild Side
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Jeremy Fox
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Jeremy Fox »

Norma Rae (1979) de Martin Ritt


Dans une petite ville de Caroline du Nord à la fin des années 70. Tout comme la plupart de ses concitoyens, la jeune Norma Rae (Sally Fields) travaille dans l’usine de textile qui a fourni en emplois plusieurs générations successives dans ce comté. Veuve, elle élève seule ses deux enfants. Lorsque sa mère commence à souffrir de surdité due au bruit infernal qui règne au sein de l’établissement, Norma commence à se révolter. Afin de neutraliser ce début d’agitation, la direction lui propose un poste à responsabilité qui augmentera son salaire. Seulement, ayant pour mission de chronométrer chacun dans le but d’augmenter la productivité, ses collègues commencent à s’en détacher et à lui tourner le dos. Elle fait alors la connaissance de Reuben (Ron Leibman), un délégué syndical new-yorkais qui arrive dans la région pour tenter de recruter des militants dans le but de former une cellule au sein de l’usine. Reuben est un homme plein de bonne volonté qui se bat sincèrement pour les ouvriers. Malgré une hostilité quasi générale à son encontre, Norma décide de s’engager à ses côtés au risque également de se faire discréditer par la direction. Son combat sera long mais sa persévérance s'avèrera payante…


Trois ans après la magistrale réussite que constituait Le Prête nom (The Front) avec Woody Allen, comédie dramatique d’une belle sensibilité sur le maccarthysme et œuvre d’une formidable dignité, Martin Ritt réalisait Norma Rae et confirmait que, contrairement à la médiocre réputation qui lui avait été faite par la majorité de la critique française, il se sera au contraire révélé l’un des meilleurs cinéastes américains des années 60 et 70. Quoiqu'il en soit et quoique l’on pense de sa carrière cinématographique, on ne pourra pas reprocher au réalisateur sa personnalité : cinéaste connu pour son engagement, sa gentillesse et sa discrétion, il demeurera toute sa vie fidèle à ses idéaux de gauche, aussi bien dans sa vie privée que professionnelle. Il en paiera d’ailleurs au début les pots cassés puisqu'il fera partie de la tristement fameuse ‘Liste noire’. Il était alors tout à fait logique qu’il s’attaque un jour au monde du travail et au syndicalisme, sujets très peu abordés au sein du cinéma américain si ce n’est qu’à de très rares reprises et notamment l’année précédente dans le meilleur film de Paul Schrader, l’excellent Blue Collar, ainsi que dans F.I.S.T. de Norman Jewison, l’un des rôles les plus intéressants de Sylvester Stallone. Norma Rae s’inscrit donc sans contredit dans la continuité de la filmographie parfaitement cohérente d’un cinéaste aux convictions militantes jamais démenties et aucunement opportunistes, ayant par ailleurs toujours refusé le manichéisme.


Norma Rae narre l'éveil au syndicalisme d'une jeune ouvrière dans une petite ville du fin fond des États-Unis. L’on suit donc d’une part le long processus et le parcours menant à la syndicalisation à travers la progression d’une conscience sociale déjà préexistante chez cette jeune veuve ‘coachée’ par un délégué syndical new-yorkais affable, intelligent, loyal et cultivé ; de l’autre le film dépeint un touchant et juste portrait de femme ainsi que celui d’une étonnante acuité d’une communauté de la Caroline du Nord avec ses mentalités encore ancrées dans un traditionalisme qui voit d’un mauvais œil l’évolution des mœurs, sexisme, racisme et antisémitisme étant encore également bien imprégnés ; des hommes et des femmes résignés et épuisés par des conditions de travail harassantes mais qui vont eux aussi acquérir une conscience collective en rupture avec ce système qui broie leur santé et leur dignité en sacrifiant tout à la productivité. On pourrait faire des analogies avec le cinéma de Ken Loach sauf que le style et le ton des deux réalisateurs sont assez différents. Alors que Loach recherche toujours à un moment ou un autre la catharsis afin de plus facilement nous faire nous indigner –ce qui n’est d’ailleurs pas répréhensible, la puissance de son cinéma découlant parfois de ces séquences presque émotionnellement insoutenables-, Martin Ritt évite la plupart du temps d’y avoir recours, refuse toute surenchère et grandiloquence. D’ailleurs, la scène la plus mémorable de son film devient paradoxalement de plus en plus silencieuse au fur et à mesure de son avancée, Norma Rae montant sur une table avec dans ses bras levés une pancarte sur laquelle est inscrite le mot ‘Union’, les ouvriers arrêtant chacun leur tour leurs machines jusqu’à ce que le bruit assourdissant s’arrête peu à peu, le silence s’imposant alors de lui-même, pour la première fois les bâtiments de l’usine devenant enfin ‘vivables’ ; un bel exemple d’escalade d’une tension émotionnelle formidablement bien maitrisée, rythmée et tenue ; à l’image du film, tout dans la sobriété.


Norma Rae débute par de très beaux plans d'ouvriers à leurs postes de travail, des fils immenses s’étirant des métiers à tisser, le tout sur une magnifique mélodie chantée par Jennifer Warnes, It Goes Like It Goes. Puis, toujours sur le même genre d’images documentaires, la musique s’arrête brusquement pour faire place au bruit assourdissant que produisent ces dizaines de machines réunies. L’on comprend alors d’emblée qu’il ne s’agira pas d’une description doucereuse du monde du travail comme le laissait présager la superbe chanson de David Shire mais d'une vision plus âpre et réaliste. Derrière une vitre viennent prendre leurs pauses quelques femmes et l’on se rend immédiatement compte que l’usine emploie des familles entières sur plusieurs générations, la jeune Norma Rae se retrouvant aux côtés de sa mère qui ne semble ne plus entendre ce qu’elle lui dit, être atteinte subrepticement de surdité. Immédiatement la fille emmène sa mère à l’infirmerie de l’usine ; comme elle le crie haut et fort, les médecins semblent ne guère plus se soucier de leur santé que les patrons qui ne jurent que par la l’efficience et le rendement. La séquence suivante se déroule dans la maison familiale où l’on constate que Norma vit avec ses parents et ses deux enfants, veuve puis délaissée par ses différents amants. Dans cette petite cité, tout le monde à son emploi à l’usine de textiles mais tous ploient la tête sous la difficulté de la tâche puisqu'ils n'ont pas le choix. En à peine dix minutes, l’on aura appréhendé ce que sera le film de Martin Ritt, à la fois une œuvre civique et politique abordant les thématiques des difficiles conditions du travail ouvrier et du syndicalisme montant ainsi qu’une chronique s’appesantissant avant tout sur un touchant portrait de femme.


Cette femme c’est bien évidemment la Norma Rae du titre, une jeune veuve battante, indépendante et déterminée, assez mal considérée au sein de cette société puritaine pour être passée de bras en bras, de lit en lit, s’occupant pourtant parfaitement bien de ses deux enfants ; une forte tête sachant pousser sa gueulante quant il le faut, cependant -comme tout le monde- dans le besoin financièrement parlant et acceptant une promotion que la direction lui a proposé afin d’éteindre le feu de sa révolte montante. La voici dans une position délicate au sein de l’entreprise, plus proche du patronat par le fait de devoir s’occuper de la ‘qualité’ du travail, autant dire de la productivité puisque son job consistera à chronométrer ses ex-collègues. Il va sans dire que tout le monde va petit à petit lui tourner le dos. Ne voulant pas se couper des employés 'de base', elle va néanmoins décider de retourner aux machines, poussée aussi par sa rencontre avec un jeune syndicaliste new-yorkais venu sur place pour monter une cellule, le syndicalisme ne s’étant encore pas ‘implanté’ dans le domaine du textile. Étonnement, ce fait était tout à fait vrai en cette fin des années 70 et cette histoire est tirée de faits réels s’inspirant d’un livre du journaliste du New York Times narrant la vie de la militante Crystal Lee Sutton, une ouvrière qui était parvenue à instaurer une section syndicale dans son usine après dix années de combat et de dur labeur.


Le délégué syndical -excellent Ron Leibman-, malgré sa facilité à manier le discours et sa persévérance inébranlable, va avoir beaucoup de mal ne serait-ce qu’à aborder les habitants de la ville ; en effet ces derniers s’en défient, ne voulant même pas lui adresser la parole de peur de se faire taper sur les doigts par la direction mais aussi par le fait qu’il soit juif ; car les idées réactionnaires et moralisatrices sont encore bien ancrées dans les mœurs, la religion tient une place toujours aussi importante –même Norma Rae se rend à la messe tous les dimanches- et les préjugés machistes et racistes vont bon train. Pourtant, avec une grande intelligence de regard, les auteurs –dont le duo habituel qui a quasiment signé tous les scénarios des films de Ritt, Irving Ravetch et Harriet Frank- ne sont jamais condescendants, ne se moquent nullement de leurs personnages et les filment au plus près, nous les rendant ainsi tous plus ou moins attachants malgré leurs gros défauts dont Norma n’est d’ailleurs pas exempte. Une galerie de personnages peints avec finesse, remarquablement crédible et humaine avec entre autres un inoubliable Pat Hingle dans la peau du père de Norma qui se tuera à la tâche pour avoir trop courbé l’échine, un Beau Bridges touchant et surtout un duo aussi inédit qu’original, celui composé par la mère ouvrière et le syndicaliste intello, les scénaristes ayant eu la géniale idée de ne pas construire une romance autour de ce 'couple' même si une espèce d’amitié amoureuse nait entre les deux qui culminera dans une séquence d’un doux et génial lyrisme, celle de la baignade dans la rivière. Il va sans dire que Ron Leibman et Sally Field sont parfaits, cette dernière ayant trouvé ici le rôle de sa vie, celui d’une mère de famille combative, énergique et pourtant vulnérable.


Cette chronique sociale a failli ne pas voir le jour, la plupart des Majors ayant été réticentes à mettre le moindre denier dans un projet qu’ils estimaient voué à l’échec. Même des actrices célèbres et engagées comme Faye Dunaway, Jane Fonda ou Jill Clayburgh n'y ont pas cru et ont décliné l’offre d’incarner l’ouvrière syndicaliste. Martin Ritt a néanmoins réussi à convaincre la 20th Century Fox de produire son film ; bien leur en a pris puisque non seulement le film s’est avéré une belle réussite artistique et financière, reconnu par la critique et par le public, le succès ayant été au rendez-vous, Sally Field raflant par la même occasion l’Oscar de la meilleure actrice ainsi que la Palme d’interprétation féminine au festival de Cannes. Même si les auteurs restent assez sobres dans leur description et qu’ils ne brossent rien d’autre qu’une situation bien réelle, le patronat n’a pas dû spécialement apprécier le fait de se voir exercer des pressions pour ‘bâillonner’ leurs ouvriers les plus revendicateurs ou faire se tuer –au sens propre- à la tâche quelques-uns de leurs travailleurs. Ceci étant dit, aucun manichéisme, certains membres de la direction n’étant pas antipathiques alors que certains tisserands se battent uniquement par opportunisme. Ritt a eu l’intelligence de ne pas faire de son film un tract militant au discours simpliste, soignant d’ailleurs également aussi bien la forme que le fond, utilisant à merveille son montage et le format scope pour mieux faire ressentir l’enfermement, l’isolement et l’aliénation, sa bande son pour faire nous rendre compte de la cacophonie assourdissante que les ouvriers doivent subir quotidiennement, véritable agression auditive répétitive.


Film remarquable sur le syndicalisme en Amérique, sans angélisme, sans moralisme, sans mièvrerie, sans manichéisme, Norma Rae est également une chronique sociale, la peinture juste d'une petite ville du Sud des États-Unis -son ambiance, ses mœurs- et le portrait de ses habitants. Les intentions étaient louables et le résultat s’avère à la hauteur des espérances grâce non seulement à l'interprétation mais aussi à la beauté du scénario de l'habituel duo Ravetch/Frank sans oublier la mise en scène digne d'éloges puisque sachant se faire discrète et jamais tape à l’œil, parfaitement adaptée à son sujet, néanmoins capable de virtuosité de temps à autre. Un film sincère et d’une grande acuité dans sa vision de la société de l’époque, à la fois âpre et débordant de tendresse et de sensibilité, non dénué d’humour et de chaleur humaine. Un vent de rébellion sociale énergique et salutaire qui pourrait encore faire naitre quelques vocations.
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Re: Martin Ritt (1914-1990)

Message par Rick Blaine »

J'ai vu aussi un Martin Ritt ce soir, The Brotherhood. Film de gangster évoquant un changement de valeurs, de monde, un passage de témoin entre hommes d'honneurs et businessman. Ritt propose un film au ton mélancolique, qui évoque un peu celui de The Don is Dead de Fleischer. Nous sommes un petit cran en dessous des meilleurs Ritt, avec quelques longueurs, mais s'avère toutefois plaisant, avec notamment de très belles images dans la partie sicilienne du film. Pas un chef d'œuvre mais une belle réussite pour moi.

Et sinon je vais me procurer Norma Rae je pense.
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