Production : Collier Young (United Artists)
Scénario : George W. George et George F. Slavin
Photographie : Ray Rennahan - Musique : Stanley Wilson
Avec : Joseph Cotten (Daniel Halliday), Viveca Lindfors (Aleta), Betsy Blair (Martha Halliday), Ward Bond (Big Dan), Bill Williams (Clay Halliday)
Le vieux Big Dan est en train de mourir. Alors le pionnier qui avait jadis repoussé les indiens et pacifié la région ; l'un des fondateurs de sa ville et qui en est toujours le shérif ; qui avait crée de toute pièce son immense ranch, le Halliday Brand et qui a toujours régné en maitre absolu sur sa famille, attend le retour de son fils ainé Daniel qui s'est éloigné de la famille, banni pour une raison inconnue alors qu'il avait été le fils préféré et celui en qui Big Dan voyait son successeur, comme shérif et comme chef de famille. Cloué sur son lit, veillé par Martha, sa fille, entouré aussi par Aleta, la jeune femme métisse dont son fils cadet Clay est épris, il envoie ce dernier à la recherche de son frère. Il le retrouve enfin et parvient à le convaincre de rentrer malgré son refus initial, surpris et semblant rassuré que son père ai accepté le prochain mariage de Clay et Aleta. Parvenu devant la porte de la chambre de son père, Daniel se rappelle les évènements qui avait conduit à la division de la famille…
Western presque sans action ; western psychologique ; tragédie familiale dont on trouve l'origine sans doute chez Cellophane ou un autre tragédien grec, ce film est sans doute handicapé par un budget dérisoire et quelques interprètes mal distribués mais il reste passionnant de bout en bout même si j'avoue mon agacement pour les défauts de ces projets ultra ambitieux, peut-être démesurés par rapport soit au talent des participants (ça peut concerner le projet à tous ses stades. Ici, le seul étage vraiment problématique est selon moi l'interprétation) soit handicapé dès le départ par des budgets insuffisants. Issu moitié du bâtiment, moitié de la terre et ayant encore les pieds dedans, j'ai plus d'admiration pour les petits artisans qui rendent un travail soigné que pour les prétentieux pas tout à fait à la hauteur de leurs ambitions (Ohhhhhh). Le film est centré sur la personnalité du patriarche et sur la relation entre ce père tyrannique et le successeur tout désigné qui l'a rejeté. Ward Bond est parfait dans ce rôle semblant écrit sur mesure pour lui et il a rarement été à pareille fête. Gueulard, hargneux, tyrannique, ultra-conservateur, raciste, il devait se rendre de bonne humeur sur le plateau. Il a construit la ville et trouve légitime de faire régner l'ordre comme il l'entend, obtenant des aveux en maltraitant des suspects et justifiant les erreurs judiciaires éventuelles en estimant qu'elles sont le prix à payer pour maintenir l'ordre. Les méthodes employées par son père sont désapprouvées par Daniel mais la rupture viendra de l'attitude de Big Dan vis à vis de sa fille lorsqu'elle voudra épouser le "mauvais" homme, un métis indien.
Les indiens de la région ayant été soumis jadis par les pionniers comme Big Dan, certains vivent encore au voisinage des blancs. Le patriarche en compte même parmi ses voisins et employés. L'un d'eux, Chad Burris (Jay C. Flippen) a eu deux enfants avec une indienne : Aleta, qui sera la petite amie de Daniel et qui deviendra plus tard celle de Clay après l'exil de l'ainé des deux frères et Jivaro qui va provoquer l'explosion de la famille quand Big Dan va découvrir sa liaison secrète avec sa fille Martha que Jivaro à l'intention d'épouser malgré la certitude des deux amants que le patriarche s'opposera à cet alliance…Et de fait, furieux, Big Dan décrète qu'il n'y aura pas de sang mêlé chez lui. Il va même plus loin. Prenant pour prétexte un vol de bétail que Jivaro avait tenté d'empêcher, il fait semblant de croire que Jivaro faisait en réalité partie des voleurs, l'arrête puis, prenant pour prétexte de devoir partir à la recherche des complices, il abandonne la surveillance de la prison alors que la colère de la population laisse augurer le pire, laissant les habitants de la ville lyncher Jivaro à sa place.
A partir de là, Daniel, le fils préféré, révolté par ces méthodes barbares et dépassées, va rejeter la succession de ce père tyrannique, quitter le domicile familial et passer dans la clandestinité. Puisqu'en raison de la popularité et du pouvoir de son père, justice ne peut être rendue, il va l'affronter en multipliant les provocations et les exactions pour briser sa réputation. Cela fonctionnera car Big Dan, incapable d'arrêter son fils, va voir finalement son autorité contestée et sa position au sein de la communauté compromise. Durant toute cette période, la haine réciproque entre le "progressiste" jeune Dan et son père va grandir, le fils devenant pour ainsi dire aussi buté que le père. Je ne suis pas suffisamment compétent pour évoquer la dimension oedipienne du duel mais il est évident que les scénaristes devait avoir lu un peu Sigmund (alors que moi, même pas la psychanalyse pour les nuls, je m'abstiens donc de développer cet aspect). L'obsession de Daniel, la haine qu'il voue à son père vont le faire passer à coté d'une histoire d'amour car c'est durant cette période qu'il va se rapprocher de Aleta, la soeur de Jivaro mais il va finir par s'éloigner d'elle tant il est obsédé par sa vengeance.
J'en arrive maintenant aux points faibles. Le fils cadet Clay (Bill Williams) est un personnage sacrifié car il n'est pratiquement pas exploité. Daniel était le fils adoré et le successeur désigné alors les scénaristes auraient pu exploiter cet aspect, montrer un positionnement, même éventuellement sa passivité et sa soumission face à son père ou son frère, ce qui aurait de toute façon limité l'intérêt du personnage…mais de ce coté là on ne voit presque rien. Il n'y a pas non plus de rivalité amoureuse ou elle est tout juste esquissée. Je peux la résumer schématiquement ainsi : Aleta aime Daniel ; Clay aime Aleta ; Daniel est trop occupé à combattre son père. Mais entre les deux frères, il y a tout de même (un peu) Aleta (Viveca Lindfors). Une suédoise pour interpréter une métisse, pourquoi pas mais je ne comprend pas son interprétation qui est pour moi le gros point noir de ce film. Son jeu est très souvent totalement en décalage par rapport aux situations et encore plus par rapport à l'interprétation très grave de Joseph Cotten, celui avec lequel elle a, et de très loin, le plus de scènes. Le parti pris de la montrer très sereine, très calme, pleine de dignité face à son fébrile et soucieux compagnon pouvait se tenir mais en dehors d'une posture fière, menton saillant relevé qui lui donne un air de noblesse, de dignité voir de mépris (face à Big Dan), elle affiche toutes les 30 secondes de petits sourires sereins mais résignés ou carrément de larges sourires toutes dents dehors malgré les mauvaises nouvelles qui s'accumulent. Avec Aleta, on est au comble du fatalisme. Elle doit porter en elle tout le destin du peuple indien...mais ça m'a paru démesuré. J'ai même trouvé cette interprétation par moments agaçante, voir grotesque mais il est possible qu'on puisse la trouver sublime. Il est possible que cet posture ai été voulu par le metteur en scène car la seconde indienne est sur la même ligne. C'est la mère d'Aleta qui est interprétée par une Jeanette Nolan méconnaissable…à tous les sens du terme.
Joseph Cotten est lui en revanche excellent mais il était tout de même un peu trop vieux et marqué pour interpréter le fils de Ward Bond (52 ans…face à son père de 55 ans). C'est pour le coup du pinaillage car le face à face entre les deux acteurs tient toutes ses promesses. Joseph Lewis se montre réellement inspiré pour montrer par sa mise en scène la nature des personnages et leurs relations. Lorsque le jeune Daniel va tenter de persuader le vieux Dan de laisser sa soeur épouser Jivaro, Joseph Cotten fait face à son père, adossé contre un poteau, argumentant calmement face à un père arpentant le couloir, incapable de se poser, de penser autrement qu'en mouvement et incapable de reconsidérer sa position. La dernière interprète remarquable est Betsy Blair qui est excellente dans le rôle de la vieille fille au physique un peu ingrat qui trouve enfin le grand amour. La seule mais longue scène entre Martha et Jivaro est très belle et touchante et elle est beaucoup plus réussie que n'importe quelle séquence impliquant Aleta. Après le lynchage de son fiancé, elle va continuer à servir son père malgré la haine qui couve en elle mais derrière son dévouement apparent, on perçoit la multiplicité des sentiments qu'elle éprouve pour son père. Le jeu et les regards de Betsy Blair font passer le désespoir, la soumission, la lassitude, le sentiment de révolte réprimé, la haine et peut-être quand même l'admiration.
Je ne dit rien des évènements qui se produisent à partir du moment ou Daniel va rentrer dans l'antre du vieux lion mourrant, à la suite du très long flashback racontant les évènements qui avaient conduit à la division de la famille. Un mot sur la mise en scène de Joseph H. Lewis qui est constamment inventive, avec au moins deux séquences anthologiques. D'abord le lynchage de Jivaro. C'est du grand art, Lewis parvenant à nous faire ressentir la violence de l'instant, la fureur de la foule en ne nous montrant presque rien. Abandonné par Big Dan et ses hommes, le bureau du shérif est laissé sous la seule surveillance des deux frères Halliday. Pour la 1ère fois (et la seule), l'opposition entre les deux frères est manifeste, le cadet Clay étant sur la même ligne que son père, tandis que Daniel est déjà dans l'opposition face à son autorité. Les bruits du dehors, la foule qui murmure et qui menace de rentrer dans la prison convainc Clay qu'il doit désobéir à son père et fuir avec le prisonnier. Mais trop tard. Il se décide alors que la foule force la porte. On n'avait d'abord perçu que les lueurs des torches qui éclairaient la rue devant la prison puis le brouhaha de la foule. La porte du RDC s'ouvre, projetant un très court instant les ombres de quelques hommes sur le mur de la cage d'escalier en même temps que le brouhaha devient vacarme. Puis la porte est forcée. Des hommes se précipitent dans l'escalier. On ne voit que des dizaines de jambes anonymes défiler. Daniel et Clay sont attrapés avec une corde par des hommes invisibles et sont écartés de la cellule puis Lewis cadre cette cellule ou est enfermé Jivaro, les ombres des hommes qui assombrissent les murs avant que l'ombre d'une corde ne se dessine sur le mur du fond. Fin. ça dure 1m30 et c'est génial. La scène suivante nous montre la marche de Martha vers un arbre isolé. Puis la caméra se tourne légèrement vers la droite et cadre les jambes du pendu. La seconde scène mémorable est une bagarre d'une intensité rare mais je n'en dit pas plus.
A l'initiative du film, il y avait semble t'il le clan Collier Young. S'il fut bien le producteur du film, la distribution prévue jusqu'en 1956 a bien changé par la suite car Ida Lupino devait tenir le rôle attribué finalement à Betsy Blair et aucun des autres comédiens envisagés n'ont été finalement retenus : Howard Duff (Joseph Cotten), Charles Bickford (Ward Bond) et Debra Paget (Viveca Lindfors).
A priori, on peut penser que les concepteurs du projet avaient un message politique à faire passer, ce film venant à la fin d'une période sombre pour le pays...et pour le milieu du cinéma dont on avait tenté d'extraire la racaille rouge qui s'était infiltrée. Le choix de prendre Betsy Blair, une actrice blacklistée et Ward Bond, l'un des grands réacs d'Hollywood, était délibéré de la part de Joseph Lewis. Dans son autobiographie The memory of All That, l'actrice raconte que Lew(is) lui avait dit avoir sciemment choisi Ward Bond pour jouer face à elle car cela contribuerait à la réhabiliter aux yeux de l'industrie et qu'elle pourrait espérer voir son nom retirer de la liste noire . Elle raconte aussi qu'elle s'attendait au pire avant de rencontrer Ward Bond mais que ce dernier bien que connaissant ses sympathies politiques, avait été un partenaire idéal et un type plutôt charmant tout au long du tournage. Vu en vost.