Gunsight Ridge ( 1957 )
Réalisation : Francis D. Lyon
Production : Robert Bassler (Libra Productions) - Distribution : United Artists
Scénario : Talbot et Elisabeth Jennings
Photographie : Ernest Laszlo - Musique : David Raksin
Avec : Joel McCrea (Mike Ryan), Mark Stevens (Velvet Clark), Joan Weldon (Molly Jones), Addison Richards (Le shérif Tom Jones), Darlene Fields (Rosa), Carolyn Craig (la jeune fille de la ferme)
Un étranger descend du train à Soldier Springs dans le Colorado et monte dans la diligence à destination de Bancroft à bord de laquelle prennent également place Molly, la fille du shérif, et le rédacteur du journal local. En chemin, ils sont attaqués par deux bandits masqués dont un dévoile involontairement son visage et est reconnu immédiatement par le cocher. Les deux hommes dévalisent les passagers et emportent le coffre, puis, au moment du partage du butin, par crainte d'être à son tour démasqué, l'instigateur de l'attaque abat son complice. Juste après son arrivée dans la petite ville de Bancroft, l'inconnu vient en aide au shérif local débordé par le désordre régnant en ville, notamment provoqué par la bande de cow-boys travaillant au Lazy Heart Ranch, réputés voleurs de bétail et fauteurs de trouble notoires...
Ce western commence plutôt pas mal traitant avec humour des scènes conventionnelles. L'arrivée d'un inconnu débarquant du train et questionné par les habitants du cru donne des dialogues assez amusants. L'inconnu interprété par Joel McCrea ne répond à aucune interrogation, répond aux questions qu'on lui pose par d'autres questions ou parle par énigmes et joue avec les mots. Ce qui fait dire au journaliste :
Plus on vous pose de questions, moins on en sait sur vous. Bref, on comprend d'emblée qu'il souhaite rester anonyme. L'attaque de la diligence et ses prémisses sont aussi traités sur un mode comique, Alex, le complice de Velvet (Mark Stevens) faisant semblant de se montrer plein d'assurance alors que c'est la première fois qu'il se retrouve dans cette situation puis se montrant d'une maladresse insigne quand à la suite de la découverte par Velvet des billets de banque dissimulés habilement dans son chapeau par McCrea, le novice va éclater de rire, ceci faisant tomber son foulard au bas de son visage. C'est d'autant plus dommage qu'en tant qu'employé de la compagnie, il est aussitôt reconnu par le conducteur de la diligence (interprété par Slim Pickens). La première rupture brutale de ton intervient très vite avec l'assassinat d'Alex par son complice qui ne veut pas risquer d'être démasqué en raison de sa maladresse et c'est tout le film qui va osciller ainsi entre scènes sérieuses et même dramatiques (et souvent complètement ratés voir absurdes) et scènes assez drôles et plutôt bien fichues.
Cela donne un western presque aussi bizarre que
Caravane vers le soleil que j'avais évoqué récemment. Sur une trame assez classique : un mystérieux inconnu arrive dans une petite ville ou le vieux shérif local a bien du mal à faire régner l'ordre, la ville étant en proie aux troubles provoqués par les cow-boys travaillant dans les ranchs alentours et surtout autour de laquelle les attaques de banques et de trains se multiplient. Même si Joel McCrea dévoile assez tard sa véritable identité et la raison de sa venue, contraint de le faire seulement lorsque le shérif sera mis sur la sellette par les notables de la ville, on devine très vite qu'il s'agit d'un enquêteur (il travaille pour la Wells Fargo) venu pour endiguer la vague de criminalité qui s'est abattu sur la région. Aussitôt après son arrivée, Il se range derrière le shérif lorsque celui ci est provoqué par des cow-boys puis il trouve très vite un prétexte pour être engagé comme assistant. C'est également le jour même de son arrivée qu'il rencontre pour la première fois Velvet Clark, un homme qui exploite une mine en dehors de la ville et qui est hébergé dans la même pension de famille que lui…et en qui on reconnait surtout le tueur de la diligence.
Ce personnage interprété par Mark Stevens est l'un des plus déments que j'ai vu dans un western. Le coup du bandit…qui rêve d'être concertiste il fallait le trouver. C'est un peu comme si on avait appris que Jacques Mesrine avait rêvé d'être Richard Clayderman ou si, plus près du sujet, on apprenait que Calamity James avait eu pour idole Sarah Bernhardt. On découvre son attraction fatale pour les pianos le premier matin après l'attaque de la diligence. On le voit passer devant le salon de la pension de famille, s'arrêter hésitant et commencer à tourner autour du piano appartenant à la logeuse et on sent bien qu'il éprouve pour la chose un mélange d'attirance et de répulsion. Il commence à jouer et s'interrompt brutalement lorsqu'il sent Mike Ryan dans son dos. Alors qu'il joue superbement, on sent qu'il s'agace d'avoir été surpris en train de jouer, gêné comme s'il avait été chopé avec un numéro de Playboy ou comme quand gamin je piquais un phare quand on me surprenait en train de répéter
La maladie d'amour de Sardou sur mon orgue Bontempi (Rrrooo la honte).
Assez vite, la piano phobie le reprend. Velvet va se mettre carrément en colère quand sa petite amie hôtesse du saloon ou il joue aux cartes chaque soir va faire allusion au fait qu'il est un très bon pianiste, surtout comparé à celui qui anime le dit saloon sur un piano désaccordé (à moins que ce ne soit le pianiste). Plus tard, on va avoir la fameuse révélation de son rêve secret. S'il s'est lancé dans les vols et les meurtres, c'est pour réunir suffisamment d'argent pour reprendre des cours de piano avec un vrai professeur…Et enfin, au cours du final, c'est un
de piano qui va le perdre. Mark Stevens avec à ses trousses Joel McCrea tombe sur une ferme isolée dont les occupants sont absents à l'exception d'une jeune fille qui comprend que Velvet est un hors-la-loi et qui est aussitôt attirée par lui mais pour son malheur, il ne va pas pouvoir échapper à son attraction maudite pour les pianos. Il va se mettre à jouer permettant ainsi au policier de revenir sur ses pas. Au delà du coté "original" du personnage, il est caractérisé avec des gros sabots car dès ses premières apparitions, si le réalisateur avait fait porter une grosse pancarte dans le dos à Stevens avec la mention "Attention psychopathe", ça n'aurait pas été moins fin. Il faut voir comment Velvet s'énerve après le cheval de Mike Ryan, le battant inexplicablement devant lui lors de leur seconde rencontre.
Jusque dans l'épilogue, on retrouve des scènes démentes, mal réalisées et/ou écrites avec maladresse. Le duel quasi final entre Joel McCrea et Mark Stevens sur un piton rocheux est réalisé avec les pieds puis l'épilogue au cours duquel le personnage interprété par McCrea retrouve Molly, la fille du shérif dont il s'est rapproché au cours de l'histoire est dialogué en dépit du bon sens. 30 secondes après la fin de l'enterrement de son père qui avait été abattu par Velvet, il faut voir Molly afficher un large sourire quand Ryan lui annonce son intention de rester à Bancroft. Tout ceci est d'autant plus dommage que certaines séquences sont plutôt amusantes. La façon dont Mike Ryan parvient par ruse à faire admettre au propriétaire du Lazy Heart ranch, réputé voleur, qu'il a bien volé du bétail appartenant à ses voisins et à lui faire payer la valeur de ses vols sous la forme de prétendues taxes, est assez amusante (ses trois employés sont par ailleurs complètement ahuris). Plus tard, une scène de mariage interrompue entre un jeune homme interprété par Jody McCrea (le fils de Joel) et sa fiancée exaspérée est plutôt réussie, tous les protagonistes ou presque abandonnant la cérémonie quand ils apprennent qu'il y a de l'argent à gagner en se lançant à la poursuite du hors-la-loi. Enfin, la rencontre entre Mark Stevens puis Joel McCrea avec une jeune fille interprétée par Carolyn Craig qui ne rêve que d'une chose, que quelqu'un la sorte de la ferme isolée dans laquelle elle crève d'ennui donnent deux scènes assez amusantes (en dehors du fâcheux épisode pianistique déjà évoqué). Je garde le pire, ou le plus paradoxal, pour la fin : la musique de David Raksin est absolument superbe. Les thèmes pour piano qu'il avait composé étaient réellement très réussis, il est juste dommage qu'ils aient été utilisés de cette façon. Je signale aussi la très belle photographie en noir et blanc de Ernest Laszlo...Le film avait été distribué en Belgique sous le titre :
La sanglante embuscade. vu en vost.