Le projet didactique de Rossellini

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jack Griffin
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Le projet didactique de Rossellini

Message par Jack Griffin »

La rétrospective intégrale Rossellini a commencé depuis mi janvier à la cinémathèque mais ses films pour la télévision vont commencer à être projeté cette semaine.

La télévision sera au centre de la dernière vie en cinéma de Rossellini. Pendant treize ans, de 1964 (où il entreprend pour la RAI son monumental Age du fer en cinq épisodes d’une cinquantaine de minutes chacun) à sa mort, il va élaborer et commencer à mener à bien, patiemment, film par film, le projet le plus ambitieux jamais pensé pour la télévision. Il a été sans aucun doute le cinéaste qui a pris le plus tôt la mesure de la puissance de ce medium : il renonce alors sans le moindre remords à son passé de cinéaste, renie son statut antérieur d’artiste, pour se consacrer à une mission qu’il s’est donné à lui-même en conscience et qu’il considère de la plus haute importance pour le salut de son époque. Il travaille avec acharnement et enthousiasme, dans cette deuxième moitié du siècle où les savoirs s’atomisent, à devenir en quelque sorte le dernier homme « universel », capable de penser l’histoire de l’humanité dans tous ses aspects, et entend consacrer ce qui lui reste de vie à essayer de tout comprendre et tout transmettre de cette histoire, pour résister à une barbarie dont il entrevoit déjà les prémisses : « Notre civilisation, écrit-il, est en train de se perdre dans un gouffre, comme il en fut de la Rome antique et des autres grandes civilisations ». Il dessine le plan monumental d’une encyclopédie historique de l’humanité et s’attelle aussitôt à la tâche de produire et de réaliser (il n’y a plus de distinction pour lui entre l’une et l’autre de ces activités dans son grand projet de télévision didactique, tout ego de réalisateur dépassé depuis longtemps) les épisodes qui lui tiennent le plus à cœur, entreprise dans laquelle il embarque un de ses fils, Renzo, comme collaborateur et complice privilégié, lui déléguant souvent jusqu’au tournage. Ce sera le portrait « en paroles » et en actes quotidiens des hommes qui ont changé la façon de penser l’homme et le monde : Le Christ et les Apôtres, Socrate, Blaise Pascal, Augustin d’Hippone, Descartes… La grande fresque planifiée ne sera jamais achevée, mais les épisodes réalisés suffisent amplement à comprendre la nature de ce grand projet « d’éducation libre, facile, agréable et intégrale » qui aurait pu être la vocation d’une télévision au service de l’intelligence et de l’éveil des consciences. Une forme nouvelle, qui ne doit plus grand chose au cinéma, et à laquelle la télévision n’a pas donné, hélas pour elle, de véritable postérité, s’élabore sous nos yeux au cours de ces années-petit écran du cinéaste.

Alain Bergala

Je renvoie également à l'analyse de Max sur La prise de pouvoir par Louis XIV

http://www.dvdclassik.com/Critiques/pri ... iv_dvd.htm

Films:

L'âge de fer - 1965 (267' - 5 épisodes)
La prise de pouvoir par Louis XIV - 1966 (100'
La lutte de l'homme pour la survie - 1967, 1971 (629' - 12 épisodes)
Les actes des apôtres - 1968 (341' - 5 épisodes)
Socrate - 1970 (120')
L'âge de cosme de médicis - 1972 (255 - 3 épisodes)
Augustin d'Hippone - 1972 (120 ')
Blaise pascal - 1972 (135')
Descartes - 1974 (154')
Le messie - 1975 (144' )
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Marcus
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Message par Marcus »

Et pour compléter tout ça, à noter la sortie en France de l'imposante biographie (plus de 1000 pages) consacrée au cinéaste par Tag Gallagher aux éditions Leo Scheer.
Dernière info, La Prise du Pouvoir par Louis XIV est actuellement à 14.99 euros un peu partout. Plus de raison de passer à côté.
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

marcusbabel a écrit :Et pour compléter tout ça, à noter la sortie en France de l'imposante biographie (plus de 1000 pages) consacrée au cinéaste par Tag Gallagher aux éditions Leo Scheer.
yep :) Ouvrage parait-il passionant et essentiel.

Image

Une rencontre entre Tag Gallagher et Alain Bergala aura lieu le samedi 11 février à 15h (entrée libre). J'y serai.
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Marcus
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Message par Marcus »

J'ai d'ailleurs craqué hier. 50 euros le bouquin quand même (jusqu'au 30/04, après ce sera 70 euros). La version anglaise est 2x moins chère, mais la traduction française a été updatée par l'auteur lui même.
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Re: Le projet didactique de Rossellini

Message par Max Schreck »

Jack Griffin a écrit :L'âge de fer - 1965 (267' - 5 épisodes)
La prise de pouvoir par Louis XIV - 1966 (100'
La lutte de l'homme pour la survie - 1967, 1971 (629' - 12 épisodes)
Les actes des apôtres - 1968 (341' - 5 épisodes)
Socrate - 1970 (120')
L'âge de cosme de médicis - 1972 (255 - 3 épisodes)
Augustin d'Hippone - 1972 (120 ')
Blaise pascal - 1972 (135')
Descartes - 1974 (154')
Le messie - 1975 (144' )
Ah oui, faut pas que je les rate. J'aimerai surtout voir son Socrate, Cosme et ne serait-ce que quelques épisodes de Actes des apôtres. C'est vraiment exceptionnel d'avoir la possibilité de voir ces films forcément rares.
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Vu hier les deux premiers épisodes des Actes des apôtres. Comme sur la prise pouvoir par Louis XIV, mais de manière encore plus appuyée ici, on se retrouve devant un film à but essentiellement pédagogique, ne suivant donc pas une structure traditionnelle. Aucun personnage ne sert de fil conducteur et Rossellini illustre simplement les saintes écritures. Le film décrit les mois qui ont suivis la crucifixon de Jésus et la façon dont la religion chrétienne s'est propagée grâce à la parole de ses disciples.
La reconstitution fait un peu penser à ce qu'on voit dans L'évangile selon saint matthieu de Pasolini, c'est à dire réaliste et réduite au plus simple quand aux décors et au nombre de figurants. Seuls quelques effets visuels comme une représentation de Jérusalem en décor-peint sont parfois utilisés. Les acteurs sont tous non-professionel et les dialogues ont l'air d'être issus directement des textes originaux.
Le film s'évertue avec force détails à expliciter le contexte politique et social complexe du Jérusalem de l'époque. En guise d'introduction nous suivons ainsi à travers la ville, un guide romain nous présentant les moeurs des juifs et les différents groupes religieux les représentant. C'est de la docu-ficion mais réalisé avec un certain talent que ce soit dans la composition des cadres ou l'utilisation de la musique. Ce côté didactique n'empêche pas ainsi le cinéaste de réaliser de belles choses et de se laisser parfois à la contemplation.
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Message par Max Schreck »

Merci pour ton résumé, Jack.



Socrate, 1970
Produit par la RAI, ce téléfilm pêche un peu par son manque de moyen qui a amené Rossellini a utiliser un pauvre village aux maisons de pierres bien anachronique pour figurer l'antique Athène. Il y a bien une place avec des temples à colonnes et une maquette du Parthenon, mais dès que les personnages s'éloignent un peu, le paysage ne dupe personne (détail amusant, certaines maisons ont été repeintes pour donner l'illusion d'un autre lieu). Les quelques scènes de foules sont elles aussi bien rigolotes quand on s'attarde sur le manque de conviction des figurants aux arrières-plans (mais là il faut être un spectateur un peu pervers).

Mais l'essentiel est bien plus dans le texte et les dialogues. Aidé de son fidèle historien Jean-Dominique de La Rochefoucauld, Rossellini choisit de raconter les derniers jours de Socrate, faisant ainsi le point sur son enseignement, et reconstituant scrupuleusement son procès et sa mort, entouré de ses disciples aimants. J'ai bien aimé la caractérisation du personnage, qui correspond bien à l'idée que je m'en fais : un type qui finit toujours par mener ses interlocuteurs face à leurs contradictions, quittant ces conversations bien agacés. La situation politique de l'époque est abordée mais ça reste assez complexe et il faut rester bien concentré pour espérer tout suivre. Il s'agit néanmoins d'une oeuvre rare et au final tout à fait convaincante, d'autant plus qu'il n'existe à ma connaissance aucune fiction spécifiquement consacrée au vénérable philosophe.


Projeté dans une copie vidéo assez immonde.
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

J'irai voir ce Socrate car j'ai eu d'autres bons échos !

Sinon j'ai pu voir les deux premiers épisodes de L'âge de fer projeté dans une assez bonne copie 35 mm noir et blanc. Les deux premières parties balayent une période allant de 250 av. JC à nos jours. On débute par les étrusques extrayant le minerai de fer et le troquant avec les marchand grecs puis on saute à la fabrication des armures et des premières armes à feux. Le point de vue de Rossellini, au-delà de la reconstitution et de la description de moeurs, se montre à de nombreuses reprises ironique sur la nature humaine en soulignant sa vanité, l'absurdité et le ridicule de quelques situations. Un combat entre deux chevaliers se transforme ainsi en une chorégraphie pathétique tant les armures qu'ils portent sont lourdes et peu pratiques. Jamais le cinéaste ne montrera les dégats que peuvent produire les armes à feu mais choisira plutôt de porter un regard moqueur sur le travail pour les réaliser. Par exemple il est dit que le refroidissement d'un metal s'il était fait avec l'urine d'un garçon donnait à l'armure une meilleure qualité.
A côté de ça le film montre que le fer a été un élément essentiel pour l'avancée de la science et la deuxième partie finit par un montage d'image d'archives décrivant l'essor de l'industrie au début du siècle (partie un peu fastidieuse). C'est donc avec un oeil critique et assez désabusé que le cinéaste regarde cette évolution au cours de laquelle l'homme a fini par dépendre des machines.
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