Henri Verneuil (1920-2002)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Rick Blaine
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Rick Blaine »

J'ai eu les mêmes doutes, la même angoisse, en le revoyant il y a deux ou trois ans longtemps après l'avoir découvert. Et j'ai été également cueilli par ce merveilleux équilibre entre rire et émotion. C'est un film unique je trouve, un vrai sommet du cinéma.
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Watkinssien
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Watkinssien »

Rick Blaine a écrit :J'ai eu les mêmes doutes, la même angoisse, en le revoyant il y a deux ou trois ans longtemps après l'avoir découvert. Et j'ai été également cueilli par ce merveilleux équilibre entre rire et émotion. C'est un film unique je trouve, un vrai sommet du cinéma.
Pour moi, le chef-d'oeuvre de Verneuil! 8)
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Kevin95
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Kevin95 »

PEUR SUR LA VILLE - Henri Verneuil (1975) révision

Je t'aurai Minos. Conscients que le post Jean-Pierre Melville a fait son temps, que quelque chose d'infiniment plus vivant et contemporain se joue dans les polars américains ou italiens, Jean-Paul Belmondo et Henri Verneuil tentent le thriller musclé dans l’hexagone. A froid, on peut toujours pinailler sur l'aspect bis du film, regretter le temps de l'épure, fantasmer un polar purement français ou reconnaitre en Peur sur la ville le début d'une Bebelsploitation tuant sans avertissement l'icône godardienne qu'il se trainait encore, devant... c'est une autre paire de manches. Sur la musique vénère d'Ennio Morricone, les vues des immeubles et la paranoïa flottante introduisent une bande d'une efficacité redoutable. Pas de temps mort, faut que ça bouge, que ça court, que ça se prenne des murs à la recherche de cette enflure de Minos, bad guy instantanément culte. Ce qui m'a toujours le plus bluffé dans Peur sur la ville, outre son rythme, ses séquences mythiques, son Belmondo rentre dans le lard, son méchant très méchant, son Charles Denner calmos ou ses répliques mémorables, c'est qu'il met en scène un super flic qui se fout de l'affaire en cours. Le commissaire Jean Letellier a beau être au cul de Minos, il a constamment l'air de doucement se faire chier, de se focaliser sur un autre méchant au point de laisser une poursuite en plan pour enterrer un vieux trauma (et laisser le spectateur la queue entre les jambes) ou de constamment demander à ce qu'on lui retire l'affaire. Même l'assaut final relève de la contrainte, comme si Letellier voulait liquider l'affaire en deux coups de tatane et ainsi moucher ses supérieurs. Je trouve le double jeu osé et pas si fréquent dans le genre (qui en général simplifie la chose en opposant un bon et un mauvais, point barre). Monsieur 1Kult parle de Peur sur la ville comme le Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars) du film policier français des années 80, le film qui pose les règles de ce qui fera le sel du french polar à l'américaine (en gros à partir de 1979). Pas faux Paulo, même si le film de Verneuil est très ancré dans son époque (l'érotisme au cœur des débats, l'ombre de mai 68 etc.) il annonce par son ton décontracté et ses muscles apparents, les flics miterrandiens tout en baskets et blouson de cuir. Iconique et punchy, il est grand temps que Peur sur la ville sorte de son ghetto de film du samedi soir au même titre que ses cousins américains ou italiens.
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Demi-Lune
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Demi-Lune »

S'il y a bien quelque chose qui me plaira toujours dans ce film qui ne m'intéresse plus vraiment (outre sa grande course-poursuite et l'ouverture avec Léa Massari), c'est l'exceptionnelle B.O. d'Ennio Morricone. Rarement (jamais?) dans le Cinéma français on aura entendu des sonorités pareilles, glaçantes, machiavéliques, hyper stressantes mais obsédantes. Morricone rassemble toute son expérimentation musicale des années Leone (la mélodie sifflée, l'harmonica) et giallo (le dum-dum pré-The thing, cordes stridentes) et y ajoute une forme de French Touch qui est puissamment évocatrice sur le Paris grisâtre des années 70, et qui me fait considérer Peur sur la ville comme une forme de synthèse de toutes ses recherches sur les textures de cette époque. Très impressionnant. Certains morceaux sont presque à la limite de l'écoutable tellement c'est stressant.
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odelay
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par odelay »

Tavernier et Frémaux faisaient honneur à Henri Verneuil en 2001 où chaque soir il présentait un de ses films.

Mille Milliards de dollars :



Le Clan des Siciliens :



Un Singe en hiver :



Des Gens sans importance :




Mélodie en sous sol :



Ils ne sont pas avares, ces présentations oscillent entre 30 min et 1h
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Jerome
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Jerome »

Incroyable. je ne connaissais pas. Merci
"Sa place est dans un Blu-Ray"
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Kevin95
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Kevin95 »

Je me les mets de coté pour une prochaine soirée d'hiver. Merci odelay.
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par villag »

Rick Blaine a écrit :J'ai eu les mêmes doutes, la même angoisse, en le revoyant il y a deux ou trois ans longtemps après l'avoir découvert. Et j'ai été également cueilli par ce merveilleux équilibre entre rire et émotion. C'est un film unique je trouve, un vrai sommet du cinéma.
Très beau film en effet,que je n'arrive plus à le regarder tant cette fin, poignante,cette solitude qui va vers la mort, qui est déjà dans la mort, me sert le cœur....;J’éprouve le même sentiment à la vision d'un film totalement différent, mais à la conclusion aussi bouleversante, je veux parler des VESTIGES DU JOUR de James Ivory...!!
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Kevin95
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Kevin95 »

I... COMME ICARE - Henri Verneuil (1979) découverte

Retranscription non-officielle de l'assassinat de J.F.K. par un Henri Verneuil qui tente là de redorer son blason entre deux autres films « sérieux », Le Corps de mon ennemi et Mille milliards de dollars. Les trois films forment d'ailleurs une sorte de trilogie politico-économique et traduisent une envie par le cinéaste de sortir de la case "cinéma pour tous" sans pour autant tromper son monde et se travestir en artiste hautain qui daigne s'adresser au plus grand nombre. Verneuil n'est pas (et ne sera jamais) de ce genre là et I... comme Icare est autant la peinture glaçante d'une manipulation politique à grande échelle qu’un thriller aussi simple qu'efficace. Les quelques défauts du film (très minces) se trouve justement dans la sécurité prise par le réalisateur pour ne pas perdre le spectateur, des éléments sont explicités alors qu'on les devine aisément (jusqu'à la définition d'Icare), des infos sont répétées pour être sûr d'avoir tout le monde dans le coup, des personnages en disent plus que la normale. Mais les maladresses de Verneuil font aussi le charme du film, pas de dossier complexe façon J.F.K. d'Oliver Stone, mais une enquête simplifiée et un suspense tenace. Car I... comme Icare se regarde la bouche ouverte, un stress naissant devant les obstacles rencontrés par un Yves Montand droit dans ses bottes, une fascination s'accroit devant la fameuse séquence du teste de soumission (officiellement adaptée d'un bouquin, officieusement l'envie du réalisateur de copiner avec A Clockwork Orange de Stanley Kubrick) et une mélancolie diffuse lors de la scène finale au son d'une partition (oh surprise) divine d'Ennio Morricone. Une réussite évidente, un film important, I... comme Icare donne un nouveau profil à Henri Verneuil, rendant sa filmographie un peu plus passionnante (déjà que !)
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par xave44 »

Kevin95 a écrit :Arrrr, j'ai oublié Un singe en hiver. :shock: :oops:

Je rembobine et ajoute que cette sensibilité, Verneuil l'a retrouve dans ce Belmondo/Gabin qui (à mes yeux) est son chef d’œuvre (Des gens sans importance ne doit pas être loin derrière). Verneuil est aussi génial quand il sert le cinéma de genre, une autre forme de talent (ses polars sont du pain tout aussi bénit). Bref, Verneuil c'est extra.
J'adore ce film, et nous sommes visiblement nombreux dans ce cas.
Mais le léger avantage que je donnerais à DGSI, c'est que dans USEI, les dialogues tirent un peu trop la couverture à eux selon moi; ce sont même eux la vedette du film. Et tout est un peu plus "plus", comme si on avait mis un moteur de Porsche dans une VW; on a l'impression de voir sur écran un rêve, une fantasmagorie; c'est pas très sérieux.
Dans DGSI, on est dans le réel, ça ne rigole pas; il y a un coté presque documentaire, d'à la fois très terre à terre et profond; et puis il y a un équilibre assez miraculeux entre le travail de la caméra, la direction d 'acteurs, le scénario, les dialogues etc.
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Jeremy Fox
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Jeremy Fox »

Mille milliards de dollars - 1981

Grand reporter au journal La Tribune, Paul Kerjean (Patrick Dewaere) reçoit un appel téléphonique d'un informateur anonyme (Jean-Pierre Kalfon) qui lui donne rendez-vous dans un parking désert. Ce dernier lui révèle que l'industriel et politicien Jacques Benoît-Lambert aurait des dettes colossales. Sans en savoir plus mais néanmoins intrigué, Kerjean commence à investiguer en allant d’abord rencontrer la femme de l’homme d’affaires (Jeanne Moreau) ainsi qu’un détective (Charles Denner) l’ayant pris en filature pour le compte de son épouse afin d’avoir des preuves de son infidélité. Après son enquête le journaliste conclu à une affaire de pots-de-vin et publie un article assez virulent. Le lendemain on retrouve l’industriel dans sa voiture avec une balle dans la tête. Le suicide est invoqué, l’affaire est classée. Kerjean se sentant un peu coupable de cette tragédie mais ayant du mal à croire que JBL ait pu mettre fin à ses jours, va continuer sur sa lancée et comprendre qu’il a été manipulé ; ce qui va l’amener à découvrir les potentiels dangers que représentent les multinationales après avoir appris que le suicidé avait approché le Big Boss de la société GTI (Mel Ferrer), un businessman sans scrupules. La vérité sur l’ensemble de ce dossier sera détonante…

"Je m'appelle Paul Kerjean. Profession : grand reporter. Un titre pompeux que l'on nous donne parce que nous sommes là où le monde bouge, là où les hommes se battent et meurent. Ce soir je suis un rescapé de la plus impitoyable des guerres, la guerre économique où les généraux sont en costumes rayés de bonne coupe et leurs armes un attaché-case de bon goût. Derrière trois initiales discrètes se cache la plus gigantesque machine à broyer les frontières, les états, les intérêts collectifs dans le seul but de produire plus, créer sans cesse des marchés et vendre. Je me suis cogné la tête contre ce défi lancé au monde. Si le dynamisme et la mondialisation des affaires est dans la nature des choses, il est difficilement supportable qu'il s'exerce au profit de seulement 30 firmes dans le monde. C'est aux États et à leurs gouvernements qu'il appartient de les contrôler, les prévoir, les définir et les dominer. Devant l'absence de cette politique ou le manque de volonté, ces empires économiques nous regardent dans la légalité et du haut de leur gigantisme, ils nous regardent avec nos petits drapeaux, nos frontières, nos grosses bombes, notre patriotisme, nos idéologies, nos querelles et notre folklore. Tandis qu’apparaît en bas de leur bilan annuel, 1000 milliards de dollars." Tel est un extrait aussi glaçant qu’éloquent de l’article que l'intègre journaliste de cette histoire envoie à son journal à la fin du film et qui résume assez bien les arcanes à travers lesquelles Verneuil a voulu nous conduire.

1000 milliards de dollars générés par seulement 30 entreprises dans le monde : c’est avant tout contre cet état de fait qu’en 1981 dans le film qui nous concerne ici le réalisateur et scénariste Henri Verneuil s’indigne après s’être révolté deux ans auparavant dans I comme Icare contre les complots ourdis par les Services secrets pour faire tomber des hommes politiques gênants ainsi que contre la bêtise humaine quand il s’agit d’obéir aux ordres de sa hiérarchie sans réfléchir aux conséquences ou pire en n’en tenant strictement pas compte. Et dans ces deux cas le plus populaire des cinéastes français des années 60 et 70, en se forçant à sortir de son carcan de réalisateur de divertissements pour se lancer dans des films plus adultes - en l’occurrence des thrillers paranoïaques et kafkaïens comme savaient si bien les mettre en boite des Sidney Lumet, John Frankenheimer, Sidney Pollack ou Alan Pakula de l’autre côté de l’Atlantique ; cinéma américain sur lequel Verneuil ne cessait d'ailleurs de tarir d’éloges -, entre autre dans le but de se prouver qu’il était capable de le faire, n’obtiendra malheureusement encore pas le soutien de la critique à la différence de ses pairs et amis qu’il souhaitait rejoindre dans ce giron des cinéastes appréciés aussi bien par le public que par les journalistes, Claude Sautet ou Costa-Gavras… dixit à peu de choses près Verneuil fils au sein d’un des bonus du Blu-ray. Cette situation pourra certes paraitre injuste car ces deux films sont loin d’être négligeables ni inintéressants (ils ont d’ailleurs été réhabilités depuis) mais Verneuil était également sévère envers lui-même puisque si l’on revient en arrière sur sa filmographie, on constate aisément que des films ambitieux, il y en avait déjà une bonne poignée au sein de son cursus à commencer par le mémorable Des Gens sans importances en passant par Le Président ou encore plus 'proche' de nous, Le Corps de mon ennemi.

Tout comme I comme Icare, variation autour de l’enquête qui a eu lieu sur l’assassinat de Kennedy, Mille milliards de dollars est une sorte de film-dossier à l’américaine dans sa recherche de la lisibilité et de l’efficacité de l’écriture, didactique et ainsi parfois un peu trop sur-explicatif mais constamment captivant malgré aussi pour chipoter quelques idées et (ou) aspects de la mise en scène qui nous paraitront aujourd’hui un peu datées - qui l'étaient d'ailleurs déjà même à l’époque de sa sortie - comme par exemple l’utilisation insistante de ces Matte-Painting très voyants derrière les fenêtres à la fin des deux films. Mais ne nous focalisons pas plus longuement sur des choses aussi insignifiantes dans l'ensemble. Dans un film comme dans l’autre et comme aime à le rappeler à nouveau Verneuil-fils, il s’agit d’une espèce de combat entre David et Goliath, Montand et Dewaere interprétant bien évidemment les Davids, les Goliaths étant représentés par des organisations toutes puissantes, services secrets ici, multinationales là. Kerjean est donc un journaliste d’investigation d'une grande probité qui une fois lancé sur une piste ne peut plus s’arrêter malgré le fait d’être cette fois tombé sur un scandale politico-financier qui non seulement le dépasse mais le stupéfie, et malgré les dangers qu’il prend pour fouiner au plus profond de ce panier de crabes afin de comprendre les enjeux de cette affaire et d’en faire éclater la vérité au grand jour ; enquêtant à priori sur une banale histoire de pots de vin et de trafics d’influences, il va se rendre compte être tombé sur un bien plus gros morceau, sur les comportements sauvages d’une multinationale prête à tuer pour sauver la face et ne pas que soit dévoilée son ancienne et douteuse collaboration avec le régime Nazi, ayant contribué à son effort de guerre. Ceci étant dit, même si le passé de la firme n’est guère glorieux, les dangers qu’elle fait peser sur l’avenir sont encore bien plus inquiétants ; et Verneuil de nous disséquer le fonctionnement de ces redoutables entreprises plus fortes et plus riches que bien des pays.

Se rapprochant un peu des films noirs ‘à charge’ de Richard Brooks ou Samuel Fuller dans les années 50 dans lesquels des journalistes dénonçaient par l’intermédiaire de la presse des scandales mêlant le crime et l’argent, 1000 milliards de dollars est une œuvre très bien documentée et assez prémonitoire mais qui s'avère être encore bien en dessous de la réalité qui nous concerne aujourd’hui, la mondialisation ayant fait de ces multinationales des monstres aux pouvoirs encore bien plus puissants. Le personnage du patron de la firme - interprété par un Mel Ferrer qui semble s'être régalé à le camper - qui souhaite faire graver sur sa tombe la cote de l’action de son entreprise le jour de sa mort, représente certes de manière un peu schématique mais oh combien efficace ces multinationales 'ogres tentaculaires'. Dans son entreprise, où que soit située la filiale dans le monde, les employés et cadres de chacune d’entre elles doivent vivre à l’heure de la maison-mère, les réunions pouvant ainsi avoir lieu à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ; d’où la réplique assez savoureuse de Kerjean venant assister à un séminaire de la firme, à la question de savoir ce qu’il voudrait boire répond à peu de choses près "un whisky ou alors un chocolat chaud avec des croissants". Lors de l'incroyable séquence de la réunion des directeurs de filiales qui se déroule au sein d’une salle imposante reconstituée en studio - et qui nous fait penser un peu à celles créées par Ken Adam pour le SPECTRE dans les films de James Bond -, le patron n’hésite pas à humilier ses collaborateurs qui n’ont pas atteint leurs objectifs ou qui n’ont pas su trouver les bons arguments pour se défendre. A cette occasion on assiste à des leçons de cynisme commercial qui sont toujours d’actualité : comment l'on n’hésite pas à licencier des milliers d’employés pour s’être mis en grève ; comment on décide de délocaliser sans aucun cas de conscience en profitant des ouvriers frontaliers moins coûteux ; comment on parvient à réaliser de l’optimisation fiscale en utilisant les relations croisées entre les différentes filiale du groupe...

Bien en a pris à Henri Verneuil d’insister pour imposer Patrick Dewaere comme acteur principal de son film - malgré le boycott dans la presse que le comédien subissait à l’époque suite à sa fameuse affaire de "cassage de gueule" d’un journaliste de France Dimanche ayant dévoilé dans son journal des propos qui devaient rester secrets - puisque se retrouvant ici dans un rôle totalement inhabituel d’un homme calme et maître de lui, un chevalier blanc lanceur d’alertes, le comédien nous dévoilait d’autres répertoires dramatiques que ceux qu'on lui connaissait (chien fou, violent déprimé...) et nous prouvait ainsi savoir tout jouer, sobriété tout aussi bien que flamboyance baroque. "Je m'étais laissé enfermer dans les rôles de paumés" disait-il, et fût ainsi très heureux de pouvoir changer de registre le temps d’un film, première fois qu’il se voyait attribuer un protagoniste non seulement entièrement positif mais qui aussi parviendra à ses fins lors d’un happy end souvent condamné pour n’avoir pas été au diapason ni de ce qui avait précédé ni du ton d’ensemble du film beaucoup plus noir. Ça fait néanmoins parfois du bien au cinéma de voir triompher le bien d’autant que l’atmosphère n’est pas non plus étouffante, Verneuil injectant parfois un peu d'humour notamment au sein de ses dialogues et n’hésitant pas à nous montrer Kerjean dans sa vie privée, ce qui laisse de courts mais beaux moments d’aération avec entre autres Caroline Cellier dans le rôle de l’épouse divorcée. Sinon parmi les quelques rares fautes de goût du film, ils viennent de ces salutaires moments de respiration puisqu’ils concernent principalement l’acteur-enfant qui joue le fils de Dewaere alors à cet âge absolument pas doué pour jouer la comédie.

En revanche le reste du casting est assez impressionnant ; outre les comédiens et comédiennes déjà cités, retenons encore malgré leurs faibles temps de présence néanmoins assez marquants, Charles Denner endossant le rôle d’un détective, Jeanne Moreau dans celui de la femme 'potiche' de l’homme d’affaires assassiné, Anny Duperey dans celui de sa maîtresse, Michel Auclair incarnant l’un des collaborateurs de Mel Ferrer ayant pour volonté de déstabiliser ce dangereux édifice, Fernand Ledoux en patron altruiste d'un petit journal de province qui jouera un rôle primordial dans l'épilogue, Jean-Pierre Kalfon très inquiétant derrière ses lunettes noires de tueur à gages ou encore Jean Mercure, l’homme qui va dévoiler le fin fond de l’affaire à Patrick Dewaere et qui prononce la phrase la plus porteuse d’espoir du film quant à l’intégrité qui peut (doit) triompher de tout le reste et qui démontre l’optimisme 'à la Capra' de Verneuil malgré son histoire complotiste qui fait froid dans le dos : "Voyez-vous, de très grandes choses ont souvent été réalisées parce que deux hommes, face à face, se sont regardés et ont su saisir cette seconde indéfinissable qui est la confiance, sans raison et sans logique."

Un thriller économico-politique assez ambitieux et solidement réalisé qui n’atteint peut-être pas les sommets dans le même domaine que certains classiques de réalisateurs américains précités mais qui se révèle cependant d’une extrême efficacité, d’une belle fluidité malgré une intrigue qui aurait pu s’avérer très complexe, le tout carré, sans trop de fioritures et avec des flash-backs très bien intégrés à l’ensemble. C’est formidablement bien joué et accompagné d’une superbe partition très dépouillée de Philippe Sarde quasiment jouée qu’au seul piano. Avec son solide métier, Verneuil nous livre en plus d’un très bon divertissement au tempo très maîtrisé, une digne dénonciation du capitalisme sauvage, un réquisitoire très crédible contre la domination des institutions politiques par ces immenses conglomérats à la puissance démesurée qui s’affranchissent des lois et de la morale sans prendre grands risques pour autant, un sincère plaidoyer pour les vertus des petites entreprises où patrons et salariés entretiennent de saines et cordiales relations, un virulent pamphlet contre la mondialisation et ses dérives dangereuses pour les démocraties, une vision lucide de ce cancer financier qui allait dans les années suivantes prendre encore bien plus d’ampleur. "Une puissance aussi colossale concentrée dans aussi peu de mains, ça fait peur" dira Kerjean. Ces messages pourront paraître naïfs vus d’aujourd’hui ; ils n’en demeurent pas moins dignes et nécessaires. Reposant sur des faits réels (rapport à IBM notamment), le film fut fraîchement accueilli à sa sortie et n’eut pas vraiment de succès ; redonnons-lui sa chance !
The Eye Of Doom
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par The Eye Of Doom »

100 000 dollars au soleil 1964

En Afrique saharienne, Bebel s'empare d'un camion tout neuf au changement de valeur. Il vas etre poursuivi sur les pistes par Lino, son collègue et ami cakmionneur, à la demande du patron de la société de transport. Ambiance virile à la française garantie....

Je n'avais pas revu ce classique du petit écran de ma jeunesse depuis au moins 30 ans.
C'était donc une redécouverte et une bonne.
Le film bénéficie de nombreux atouts qui se conjuguent plutôt que se concurrencer.

D'abord le cadre et l'histoire : film d'aventure dans un milieu finalement peu exploité, celui du transport routier, avec en sup un exotisme bien réel ( je prétend pas que c'est réaliste.)

Le savoir faire de Verneuil: professionnelle, carrée, sans effet de manche malvenu, au service de son histoire et ses acteurs. Verneuil donne le meilleur dans le dernier quart entre l'épisode policier, la confrontation autour de là carabine de Bebel, le dialogue final entre Lino et Steiner, la bagarre. La tension nait.
Le surprenant et très élégant plan aérien de l'arrivée du camion de Lino à Mousorrah et de la disparition de Steiner, rappelle que Verneuil sait faire des vrai choix de mise en scène.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Comme indiqué par Lino, le personnage n'est plus rien et s'éloigne insignifiant.
Verneuil exploite aussi bien les magnifiques décors et paysages et s'avère sans problème à l'aise dans les scènes d'action.

Les acteurs : mention spéciale à Gert Frobe très bon dans le rôle du patron de la société de transport dit la betterave. C'est Bebel qui cabotine le plus. Lino et Blier sont impec

Les dialogues d'Audiard mais qui sonnent malheureusement souvent comme trop écrits.

La revoyure aujourd'hui interroge bien sûr sur la représentation des autochtones . A l'exception du personnage d'Ali qui sert de souffre douleur au début et est écarté ensuite sans ménagement, j'ai trouvé cela plutôt juste dans le sens ou ce n'est jamais caricatural ou méprisant.

Par contre, par pudeur, je n'évoquerais pas le traitement de la gente féminine, qui peut à raison faire tousser... c'est un film d'hommes.

Sans être un chef d'œuvre , qu'il n à pas la prétention d'être, c'est un film très recommandable, tout à fait à la hauteur dès productions hollywoodiennes de la décennie précédente.
Je dis précédente car le film de genre à Hollywood avait déjà attaqué sa mutation à la sortie du film il me semble.
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Jeremy Fox
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Jeremy Fox »

Le Casse chroniqué par Ronny Chester à l'occasion de la sortie du film en Blu-ray à l'atelier d'images et The Corporation.
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Roy Neary
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Roy Neary »

Aujourd'hui, Week-end à Zuydcoote est chroniqué par Justin Kwedi.
Le test du Blu-ray StudioCanal associé.
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Thaddeus
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Re: Henri Verneuil (1920-2002)

Message par Thaddeus »

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Un singe en hiver
La rencontre de Gabin et Belmondo, dans un village normand plein de figures pittoresques, a donné l’un de ces petits classiques du patrimoine populaire vaguement méprisés par la cinéphilie officielle sous prétexte qu’ils tombent avec complaisance dans la vieille ornière dorée du cinéma français. Le film est techniquement très correct, du drap soigné, bien coupé, bien repassé, bodygraph emballé par un chef de rayon à gros bagout (Audiard) qui se taille à coups de mots d’auteur la part du lion. Son savoir-faire éprouvé confère à la soulographie de ces roturiers de la muflée verve et cocasserie, malgré le conservatisme rance qui se devine derrière le discours de l’ex-fusilier marin, nostalgique du service effectué aux colonies et de ses sonneries, envois de couleurs, termes d’attaques et souvenirs de bordels. 4/6

Mélodie en sous-sol
Évidemment on la connaît cette histoire rebattue de rififi, de truand ronchonnard tout juste sorti de prison qui veut organiser un dernier coup juteux avant de vivre en grand bourgeois, et qui pour cela doit s’associer à un jeunot. Bien sûr on pourrait considérer d’un œil hautain ce cinéma de papa relevant de l’âge de bronze amélioré qui est celui de l’ère industrielle, de l’efficacité solide, sachant s’effacer devant des vedettes éprouvées pour qui les films sont taillés sur mesure. Il est aussi loisible de prendre un grand plaisir à ce polar melvillien, impeccablement exécuté, mitonné aux petits oignons, honorant les vertus premières de la série noire (précision, suspense, rigueur) et s’abreuvant à la source de certains grands maîtres américains – jusqu’à la pirouette finale dont l’ironie n’est pas sans évoquer Huston. 4/6

Cent mille dollars au soleil
Les paysages désolés du Sahara, une poignée de camionneurs traînant leur passé de bourlingue, quelques poids lourds engagés dans une éprouvante course-poursuite, et voici définies les données éprouvées d’un divertissement dans la pure tradition du cinoche français du samedi soir. Schéma carré, efficace : le premier baroudeur fuit avec le magot, le second cherche à le rattraper, le troisième ferme pépère la marche en sauvant toujours la mise du précédent. Mieux vaut ne pas trop penser à l’âpreté existentielle du Salaire du Peur afin d’apprécier ce divertissement viriliste pour ce qu’il est : un film d’aventures fertile en péripéties et en bons mots, une odyssée pétaradante à forte odeur de gaz, d’essence et de sable chaud, où amitié et filouterie flirtent pour s’assortir finalement en un éclat de rire dérisoire. 4/6

Week-end à Zuydcoote
Vue de près et circonscrite à la seule poche de Dunkerque, en ce mois de juin 1940, la drôle de guerre n’est plus qu’un mélange d’absurdités, de bonnes sœurs qui se rasent dans les églises en ruines, de corps qui brûlent dans l’eau, de cadavres ramenés péniblement à la nage, de réflexes de défense qui deviennent héroïques s’ils font s’abattre un avion ennemi. Pour les hommes plongés dans cet enfer, la communication s’avère chaque jour plus difficile, le croyant peine à se justifier face à l’athée, et il ne reste au protagoniste qu’à se rendre au dernier rendez-vous d’un impossible amour où l’attend la mort. De telles images, nées de la rencontre de l’inspiration et des moyens matériels, adjoignent à la tradition française une forme de lyrisme sec que l’on croyait réservé aux cinémas hollywoodien et soviétique. 4/6

Le clan des Siciliens
Intrigue de polar mille fois racontée, parfois mieux, souvent pire : celle du patriarche, gardien des vertus ancestrales, qui s’allie avec un jeune truand pour organiser un gros coup (le plus audacieux hold-up du monde, comme toujours). L’ensemble des éléments est disposé selon une habitude et un métier parfaitement éprouvés, dans une stricte recherche d’efficacité et de respect de conventions. Peu de texte mais beaucoup d’action (et un détournement d’avion comme clou assez réussi du spectacle), aucune subtilité mais suffisamment de suspense et de péripéties pour que les deux heures baignent dans l’huile et chassent tout ennui. En bref, le genre d’entreprise solide et carrée qui sait dérouler une mécanique sans accroc, et où l’application tient lieu de style : professionnelle, comme ses personnages. 4/6

Le serpent
Leçon n°1 : pour semer quelqu’un, commander un G7 au pont de Bir-Hakeim... Parce qu’il envie les méthodes hollywoodiennes, Verneuil signe un "gros" film d’espionnage avec trahisons, meurtres, poursuites et distribution fastueuse alignant des stars de tous pays. Que cet embrouillamini alambiqué de manipulations, de désinformations et de manœuvres d’intoxications, orchestré par les armées de l’ombre des services du renseignement mondial, soit complètement réaliste ou assez fort de café importe peu : dramatiquement parlant tout baigne dans l’huile, et la minutie avec laquelle il dépeint les arcanes de la guerre froide assure un très agréable bain de jouvence. Car le film est un peu aux aventures de James Bond ce que la DS est à l’Aston Martin : moins clinquant, mais mieux suspendu. 4/6

I… comme Icare
Volney-Garrison enquête sur le meurtre du président Jarry-Kennedy, snipé de trois balles, dans sa décapotable, par un certain Daslow-Oswald, depuis la terrasse d’un immeuble. C’est du moins ce que conclut le rapport officiel Heininger-Warren. Refusant cette thèse et se basant sur des pièces et indices troublants (dont un film amateur réalisé par un certain Sanio-Zapruder), le procureur met à jour un complot impliquant jusqu’aux plus hautes sphères de l’état. Malgré les découvertes téléguidées d’une séquence à l’autre, malgré une facture verrouillée qui singe maladroitement les films-dossiers américains de cette période, l’enquête se laisse regarder sans ennui. En son centre, une scène captivante inspirée de la fameuse expérience de Milgram, mais dont le potentiel reste curieusement inexploité. 4/6


Mon top :

1. Mélodie en sous-sol (1963)
2. Week-end à Zuydcoote (1964)
3. Le serpent (1973)
4. Le clan des Siciliens (1969)
5. I… comme Icare (1979)

Chéri du public autant qu’il est honni d’une grande partie de la critique française pour sa conception "commerciale" du cinéma, pour son professionnalisme d’exécutant sans personnalité ou pour sa collaboration avec la bête noire de l’intelligentsia (Michel Audiard), le réalisateur de certains des plus gros succès de son époque se (re)découvre aujourd’hui dans l’efficacité indéniable de son savoir-faire.
Dernière modification par Thaddeus le 4 août 23, 15:54, modifié 1 fois.
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