Baby Cart

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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gnome
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Franchement, je ne vois pas trop l'intérêt. Si ta fille ne sait pas lire les sous-titres, c'est qu'elle n'a pas l'âge pour voir ces films là....

Au passage, je poste les critiques que j'avais faites pour Chambara.net :

Baby Cart - Le sabre de la vengeance
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Victime d'un complot ourdi par le clan Yagyu briguant sa place convoitée d'exécuteur du Shogun, Ogami Itto voit sa femme assassinée et est accusé de trahison. Plutôt que d'accepter son sort et une mort "honorable" qui va avec, il décide de fuir avec Daigoro son fils, se condamnant à vivre une existence de hors-la-loi tout en offrant ses services comme mercenaire.

Dès le début des années soixante, le cinéma japonais connaît de profonds changements du fait de l'apparition et de l'essor de la télévision et entre autres de l'influence et de la concurrence du cinéma étranger (Hong-Kong en tête). Sous l'impulsion de jeunes réalisateurs indépendants et avant-gardistes, un cinéma plus expérimental commence à y détrôner les productions plus classiques des grands studios. Le chambara n'échappe pas à ces changements. Paradoxalement, c'est Akira Kurosawa, réalisateur ayant finalement peu officié dans le genre, qui va être à l'origine du mouvement. En injectant, en 1961-62 dans "Yojimbo" d'abord, puis dans "Sanjuro", plus de cruauté et de violence dans les scénarios, plus de souplesse dans les combats, il va modifier durablement la face du chambara et le mener vers les excès gore et décadents des années septante. Tous ces bouleversements dans les codes cinématographiques sont bien perceptibles dans la saga initiée par Kenji Misumi. L'originalité de la série tient autant à l'origine du matériau (manga) qu'à ces évolutions. On retrouve dans la mise en scène de nombreux éléments expérimentaux (surimpressions d'images, travail recherché sur le son…) ainsi qu'un découpage directement influencé du média bande dessinée.

Naissance d'une saga culte

"Le sabre de la vengeance", directement adapté d'un manga célèbre dessiné par Goseki Kojima et scénarisé par Kazuo Koike (déjà auteur du manga), inaugure une des sagas les plus populaires du Chambara. Décrivant, à l'instar des Zatoichi (initiés également par Misumi), les vagabondages d'un homme, ici avec son fils, survivant au jour le jour au gré des contrats et des rencontres, les Baby Cart font partie du sous-genre des matatabi. Ce premier film est plus une introduction qu'un film réellement abouti. Kenji Misumi présente ses personnages, y développe les enjeux, notamment avec une série de flash-back superbement orchestrés où on découvre les raisons de l'errance d'Ogami Itto. Il pose les bases de la série et les ingrédients qui, décuplés, feront le succès des suites, mais nous offre un film "ouvert", comme inachevé qui peut donc laisser un peu sur sa faim le spectateur peu averti. On sent clairement là l'origine "dessinée" du film avec un manga faisant allègrement ses 9000 pages et plus de 100 épisodes… "L'enfant massacre" se pose d'ailleurs directement comme une suite et s'ouvre sans autre forme d'explication sur une attaque du clan Yagyu contre Ogami Itto. A ce titre, il pourrait être intéressant de les comparer avec "Shogun assassin", remontage américain des deux premiers épisodes de la saga… Cette petite réserve émise, sans pour autant que cela soit vraiment un handicap, le film est un pur plaisir.

Au-delà des limites morales

Produit pour la Toho par Shintaro Katsu et interprété magnifiquement par Tomisaburo Wakayama, propre frère de celui-ci, "Le sabre de la vengeance" impose d'emblée un personnage sans limites morales (si ce n'est vis-à-vis de Daigoro, cfr le regard qu'il lui porte pour bien vérifier qu'il dort avant d'aller avec la prostituée)… Ogami Itto n'a plus rien à perdre, même pas son fils (!!), celui-ci ayant choisi la voie du sang dans une superbe scène chargée de poésie glaciale. Le loup solitaire n'est plus motivé que par l'argent que peut lui rapporter les contrats qu'il exécute froidement et par la vengeance qu'il prépare contre le clan Yagyu. Il y a peu de place pour les sentiments; un exécuteur ne doit pas faire de sentiments comme le démontre de manière implacable la scène d'ouverture, mais sa détermination se radicalise dès lors que son épouse est morte. Tomisaburo incarne loup est impassible ne s'essayant que rarement au sourire avec son fils; même la relation avec la prostituée est relativement dénuée d'émotions.

Réalisateur et scénariste mêlent pour notre plus grand bonheur action, drame, humour et érotisme sans autre prétention que divertir. Ils nous offrent un film à la fois nerveux dans ses passages de pure action et apaisé dans les différents épisodes d'exposition de l'intrigue. Misumi entretient une tension de tous moments, avec de nombreux plans chargés d'une menace sourde et impalpable… Les différents gadgets utilisés par Ogami se révèlent aussi surprenants que redoutables tandis que l'immoralité qui baigne le métrage rend imprévisible les différents rebondissements de l'intrigue participant au plaisir quelque peu pervers que l'on peut éprouver. Kenji Misumi nous offre un produit de divertissement de qualité comme il excelle à les réaliser. Un indispensable pour tout amateur de Chambara!

Je dois oublier ma dignité de samouraï et devenir un démon dans cet enfer. Désormais ma route sera jonchée de cadavres baignant dans le sang. Ma vie de tueur sera dépourvue de sentiments. Elle me permettra d'effacer les outrages du clan Yagyu subis par notre famille.
Daigoro, tu dois choisir ta voie. Tu choisis Dotanuki le sabre, c'est une vie de tueur. Si tu choisis la balle, tu dois rejoindre la mère.
Baby Cart - L'enfant massacre
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Après sa victoire au duel contre le représentant du clan Yagyu d'Edo. Yagyu Retsudo s'étant engagé à le laisser en paix mandate les membres du clan d'autres régions pour traquer Ogami. Ainsi, les femmes ninjas Yagyu de la région d'Akashi se lancent-elles à la suite du loup solitaire avec pour mission de le tuer. De son côté, engagé par le clan Awa pour éliminer Makuya, un de leurs ouvriers, avant qu'il ne dévoile leurs secrets de fabrication de l'indigo au Shogun, Ogami devra affronter les redoutables frères Ben, Ten et Rai, connus pour leur sauvagerie au combat.

"La famille des Yagyu est implantée dans tout le Japon. Où que vous alliez, vous ne pouvez leur échapper."

Ayant posé les bases de la saga dans "Le sabre de la vengeance", Kenji Misumi et Kazuo Koike ne s'embarrassent pas de présentations et entrent directement dans le vif du sujet avec une attaque aussi audacieuse que violente du clan Yagyu contre Ogami Itto. Les ingrédients qui avaient fait le succès du "Sabre de la vengeance" sont resservis ici très généreusement pour notre grand plaisir. D'emblée, dès cette introduction, la violence graphique et le gore se trouvent décuplés et poussés jusqu'à un certain paroxysme par rapport au premier opus finalement relativement sage. Les combats se font plus nombreux et plus sauvages, mais aussi plus débridés, Ogami étant attaqué à coups de chapeaux volants ou de carottes meurtrières… Paradoxalement, cette accumulation de combats et d'attaques contre Ogami, aussi originaux et rythmés soient-ils, nuit un peu à la tension dramatique et à l'équilibre du métrage. Elle engendrerait même une certaine lassitude vers le premier tiers du film de par le côté répétitif de ceux-ci et de par l'absence d'éléments vraiment narratifs qui auraient donné un peu de souffle et de respiration entre les combats. Heureusement, Kenji Misumi, maintient l'intérêt de par la constante inventivité de sa mise en scène. Poussant toujours plus loin les expérimentations et l'exploration des procédés techniques à sa disposition, Misumi surprend et émerveille, parfois avec bonheur (voir le superbe et hallucinant combat avec les guerriers dans la forêt et ses effets de persistance du mouvement), parfois moins (comme dans l'attaque des amazones déguisées en saltimbanques avec ses zooms et ses effets de couleur douteux). Tant les différents passages où les images se superposent avec une belle fluidité que la recherche permanente d'angles de prise de vue ou d'effets de lumière (sur- ou sous-exposition, contre-jour…) contribuent à faire du film une sorte de poème visuel sauvage. Si Misumi expérimente, il emprunte aussi (au western spaghetti notamment et à Sergio Leone en particulier pour ses gros plans sur des visages patibulaires et impassibles) sans plagier pour autant. Ces références au western seront d'ailleurs encore plus manifestes dans "Dans la terre de l'ombre". Cette recherche constante sur la forme se manifeste aussi, comme dans le premier opus dans l'utilisation particulière du son et de la musique; voir à ce titre la scène autour du feu ou la superbe scène du bain où ce travail contribue à plonger le spectateur dans un malaise quasi paranoïaque chargé de menace lourde et invisible.

Misumi et Koike nous offrent des scènes d'une rare sauvagerie peu avares en hémoglobine et en plans gore à l'instar de la scène où les kunoichi (femmes ninjas) démontrent leur savoir faire en découpant littéralement un guerrier Kuroguwa ou celle de l'attaque du clan Awa contre les trois frères sur le bateau pour ne citer que celles-là. Mais, entre ces moments de tension et de pure barbarie, ils savent aussi aménager des intermèdes poétiques et tendres comme cette séquence, vers le milieu du métrage où Daigoro tente d'apporter de l'eau à son père blessé en la transportant dans ses petites mains… Ces plans montrant Daigoro se débrouiller pour nourrir son père (notamment en échangeant sa veste et une humble prière contre une offrande) comptent certainement parmi les plus beaux et plus touchants du film…

500 Ryos

Le "Loup à l'enfant" ne fait pas de sentiment pas plus qu'il ne se pose des questions comme l'atteste l'exécution de son contrat dans le désert. On ne sait jamais exactement ce que pense Ogami. Koike entretient l'ambiguïté du personnage comme dans la scène où il arrache les vêtements de Sayaka (Kayo Matsuo) après le naufrage; il le peaufine en nous expliquant son mode de fonctionnement en tant que mercenaire ("Ceux qui veulent louer les services du mercenaire Itto l'affichent en code dans les temples et les autels. Quand Itto en prend connaissance, il laisse un message indiquant où il se trouve. Comme le grand Ota Dokan, il utilise le code militaire. On parvient à Itto en suivant ces points de repères.") et nous fait donner par Ogami, lui-même, les dernières clés de sa philosophie nihiliste ("Mon fils et moi, nous ne sommes pas comme les autres. Rien ne peut nous étonner. Nous sommes prêts au pire. Prêts à tout perdre. Si c'est notre destinée!").

Pour "L'enfant massacre", Kenji Misumi fait progressivement quitter à Ogami, les sentiers du Japon rural et médiéval qu'il avait jusque là arpentés. Ainsi, le Loup prend-t-il le bateau pour un épisode maritime mouvementé ou s'aventure dans le désert pour y affronter les trois frères sanguinaires, personnages à la brutalité exacerbée dont John Carpenter s'inspirera plus tard pour faire ses Seigneurs de la mort dans son jubilatoire "Big trouble in Little China (Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin)". Avec ce film, la mythologie du "Loup solitaire" est en place et ne connaîtra plus de grands développements dans les films ultérieurs. Peut-être plus abouti que son prédécesseur, "L'enfant massacre" est un excellent film d'aventure servi par la mise en scène toujours inspirée de Kenji Misumi et le scénario de chargé de rebondissements Kazuo Koike.

"Il y a un bruit qu'on entend dit-on, lorsqu'on coupe le cou d'un homme. On entend alors un son semblable au mugissement du vent d'hiver."
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Baby Cart - Dans la terre de l'ombre
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Au hasard de ses errances, Ogami Itto croise le chemin de Magomura Kanbei, un samouraï aigri par sa nouvelle condition de rônin, auquel il rendra toute sa noblesse. Voulant sauver une jeune femme des mains du clan des Huit Oublis, une bande de yakuzas à la tête d'un réseau de prostitution, le "Loup" prendra sur lui les châtiments qui lui étaient réservés. C'est afin d'épurer complètement la dette de la jeune femme, qu'il va accepter contre les traditionnels 500 ryos, un contrat commandé par le père de Torizo (Yuko Hamada), ancien commis qui rappellera d'étranges souvenir au tueur à gages.


Sorti en 1972 avec toujours Kenji Misumi à la caméra et Kazuo Koike au scénario, ce troisième épisode des aventures du "Loup solitaire à l'enfant" se veut plus sombre et désespéré que les précédents; plus apaisé aussi. Loin de la brutalité gore et de la frénésie qui saisissait le précédent épisode dès les premières images, "Dans l'enfer de l'ombre" est à l'image du fleuve tranquille qu'Ogami descend dans le prologue. Misumi et son scénariste déroulent le film sur un tempo lent voire contemplatif qui permet au spectateur de mieux ressentir le vécu et les tourments des personnages, ce qui confère au film une profondeur indéniable et favorise l'empathie que l'on peut avoir pour ces mêmes personnages. Un rythme nonchalant et posé qui permet aussi de bien s'imprégner d'une atmosphère, celle de cette société féodale dont les chemins de campagne sont sillonnés de rônins amoraux et paillards livrés au mercenariat depuis la chute de leurs seigneurs. Une atmosphère qui nous est livrée au travers d'une série de petits tableaux dépeignant par petites touches, au détour de quelques lignes de dialogues apparemment anodines, la misère morale et physique de ce Japon déliquescent. La réalisation se fait plus sobre. Mettant un peu de côté les extravagances visuelles et expérimentales des épisodes précédents, Kenji Misumi continue néanmoins son exploration des différentes techniques cinématographiques comme le démontre notamment la judicieuse utilisation de la monochromie pour les flash-back évitant ainsi une redite formelle par rapport au premier épisode. Si la violence se fait moins graphique, rejoignant là un style visuel plus proche du chambara traditionnel (1) (les éléments gore sont quasiment absents), le film comporte malgré tout quelques scènes éprouvantes comme ce viol particulièrement cru commis par les comparses de Kanbei.

Un vrai samouraï…

Mis à part la désormais coutumière attaque du clan Yagyu (? - rien n'est sûr, plus rien n'est dit à ce propos ici) contre Ogami dans le prologue et quelques allusions disparates à son passé, on ne s'étend plus sur les raisons de son errance, pire, on s'éloigne de plus en plus de la vengeance et du contentieux qu'il a avec le clan Yagyu. Cela n'est plus qu'effleuré au profit d'aventures plus indépendantes en connexion ou non avec son passé. Les bases de la mythologie de la saga ayant été exposées dans les précédents épisodes, Misumi peut s'attarder sur des intrigues secondaires et développer plus profondément d'autres personnages comme celui de ce samouraï mélancolique, Magomura Kanbei, joué avec beaucoup d'intensité par Go Kato qu'on avait déjà pu voir dans "Kedamono no ken (Sword of the beast)" d'Hideo Gosha en 1965. Contée en de superbes séquences dont le ton élégiaque n'est pas sans rappeler le cinéma de Masaki Kobayashi (2), l'histoire de ce samouraï déchu (dont Ogami dira " Vous semblez être un vrai samouraï, pas un mercenaire. Pourquoi un homme de votre valeur est-il devenu mercenaire?"), nous offre des moments d'une rare puissance émotionnelle. Rarement la mélancolie et le désespoir n'ont été montrés avec tant de véracité et de profondeur, n'ont été aussi lisibles sur le visage d'un acteur (voir le terrible "Une fois de plus, je viens de rater ma mort…" murmuré au terme de sa première rencontre avec Ogami…). Ce rônin en quête de réponses est l'occasion pour Misumi et Koike d'interroger sur le code d'honneur du samouraï. Le bushido n'aurait-il que le sens que chacun voudrait lui donner? Faut-il en suivre les préceptes au mépris de toute raison (on rejoint là toute la thématique de "Seppuku (Hara-kiri)")?
"Le seigneur que j'avais sauvé, en qui j'avais confiance avait décidé de m'expulser! Aurai-je dû rester pour le protéger, sachant pertinemment que nous allions mourir?
Est-ce la voie du samouraï? La voie du samouraï serait-elle de savoir mourir plutôt que de savoir vivre?" Magomura Kanbei
La réponse du Loup ne semble guère équivoque: " La véritable voie du samouraï est de vivre avec la mort. Moi aussi à votre place, j'aurais tenté cette percée…".

Chambara spaghetti

Kenji Misumi avait déjà puisé dans les références du western spaghetti dans "L'enfant massacre", précédent épisode de la série. "Dans l'Enfer de l'Ombre" va plus loin encore de par l'ambiance typique de certaines séquences, l'omniprésence des armes à feu dans la deuxième partie (même Ogami en fait usage (cette mitrailleuse cachée dans le landau!!!)), ou de par ses personnages typés… Comment ne pas voir dans les deux hommes de main de l'administrateur Sawatari Gemba, les "gueules crasseuses" des pistoleros des films de Leone ou Corbucci? Cette filiation est encore renforcée par la partition de Hiroshi Kamayatsu et Hideaki Sakurai qui n'est pas sans rappeler celles d'Ennio Morricone pour ces mêmes films. Le combat final dans ces décors désertiques où le Loup, seul contre tous, fait face à une véritable armée peut être vu comme le pendant d'un Jack Beauregard face à la "Horde sauvage" dans "Il mio nome è nessuno (Mon nom est Personne)" de Tonino Valerii (1973)… Un mythe face à son destin. "Mon fils et moi sommes déterminés à coexister avec les créatures infernales de la Terre de l'Ombre." Tel est le destin du "Loup à l'enfant". La fin du voyage semble atteinte pour le bourreau déchu. "Daigoro. Voilà la Terre de l'Ombre…" constate-t-il avec résignation. La légende peut commencer… Tout comme "Mon nom est personne" signera en beauté, un an plus tard, le glas d'un certain western, la saga "Baby cart" signe en quelque sorte celui d'un certain chambara en opérant un mélange des genres aussi réussi que rafraîchissant.

Le personnage d'Ogami s'humanise un peu pour cet épisode. On le découvre détendu jouant avec Daigoro dans la rivière pendant générique. Il est un peu moins ambigu et nihiliste que dans les précédents épisodes, plus proche du samouraï qu'il était que du rônin tueur à gages. Il se sacrifie pour affranchir la jeune femme et son attitude vis-à-vis de Kanbei est très noble. Kenji Misumi nous offre avec "Dans l'Enfer de l'Ombre" certainement un des meilleurs si pas le meilleur film de la saga. Un chambara de grande qualité, intelligemment écrit, plus ambitieux, qui s'écarte un temps des canons du cinéma d'exploitation pur (peu d'érotisme ou de gore) pour offrir un spectacle beaucoup plus équilibré que le précédent épisode, pouvant se révéler aussi efficace qu'émouvant et qui doit beaucoup à la prestation sensible de Go Kato.

"Ce combat n'a pas de vainqueur. Je veux épargner la vie d'un véritable samouraï" Ogami Itto

1 Par "chambara traditionnel", j'entends le chambara tels qu'on pouvait le voir dans les productions des années 20 à 50. La fin des années 50 ayant vu l'émergence avec "Yojimbo", "Sanjuro" et les suiveurs d'un chambara plus brutal et graphique intégrant plus d'éléments gore tels que démembrements, décapitations, geysers de sang...

2 A noter que "Dans l'Enfer de l'Ombre" aborde un sujet similaire à celui traité dans "Seppuku (Hara-kiri)" et le premier sketch de "Kaidan (Kwaidan)" à savoir la souffrance et la misère des samouraïs privés de maîtres par les caprices du Shogun. Autre correspondance entre les deux œuvre, le questionnement sur le sens de "La voie du samouraï" cfr le corps du texte.

Baby Cart - L'âme d'un père le coeur d'un fils
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Ogami est engagé pour assassiner une mystérieuse tueuse tatouée. Fasciné par des saltimbanques en représentation dans la ville où ils ont fait halte, Daigoro les suit et se perd. Il est repéré par un étrange samouraï issu tout droit du passé de son père.
Après avoir une fois de plus été confronté aux ombres de son ancienne vie qu'il devra affronter, Ogami se lance à la recherche de la meurtrière, Oyuki, dont il découvrira le douloureux secret.


Oyuki - "Je suis heureuse de mourir… sans avoir à montrer mon corps."

Contrairement aux frères Ben, Ten et Rai de "Baby Cart - L'enfant massacre", par exemple, Oyuki, à l'instar de Magomura Kanbei dans "Baby Cart - Dans la terre de l'ombre", fait partie de ces quelques personnages à l'histoire chargée et à la personnalité riche et complexe qui traversent les aventures du Loup; certainement un des plus intéressants et plus émouvants de la saga. Passée l'introduction nous présentant brièvement mais efficacement ses talents martiaux, Saito et Koike vont dispenser au gré des rencontres d'Ogami avec le tatoueur, avec Jindayu Ohmune, et finalement avec Oyuki elle-même, les différentes informations permettant de cerner celle-ci. Le spectateur que nous sommes découvre ainsi, en même temps que le Loup, des parcelles de la vie de cette dernière qui, à la manière des pièces d'un puzzle que l'on assemble pour découvrir l'image qu'elles composent, vont progressivement nous dévoiler le drame et la quête de la jeune femme. Ce procédé narratif fragmenté nous permet d'entrer progressivement dans l'histoire d'un personnage que l'on va apprendre à respecter, tout comme Ogami. Pour la première fois dans la série, il semble chercher à comprendre son adversaire, plus pour appréhender les raisons de son comportement meurtrier, qu'uniquement pour pouvoir mieux l'affronter alors que, jusqu'à présent, il s'était contenté d'accomplir ses contrats sans états d'âme. Ogami va dès lors développer un rapport particulier avec sa victime, et ce pour différentes raisons. Tout d'abord, (une scène de flash-back le montre bien), ce contrat lui rappelle douloureusement le meurtre de sa femme. De plus, tout meurtrier qu'il soit (il le fera bien comprendre à Jindayu), et même s'il a accepté le contrat sans broncher, on voit à mesure qu'il découvre sa proie que sa détermination s'effrite quelque peu. Non qu'il ne soit pas décidé à aller jusqu'au bout de son œuvre, mais le respect qu'il éprouve pour la jeune femme après avoir compris sa souffrance lui cause une amertume certaine et nous donne quelques séquences parmi les plus émouvantes de la saga; celles où l'on voit Ogami s'occuper du corps d'Oyuki. "Personne ne verra plus ton corps." dit-il devant le bûcher funéraire, sachant combien la jeune femme souffrait de devoir l'utiliser tel qu'elle le faisait. La façon dont il parle d'elle à son père en lui ramenant les cendres montre combien la jeune femme l'a marqué.
- "Merci d'avoir ramené ses cendres… J'espère qu'elle n'a pas eu une fin trop ignoble…"
- "Elle a eu une fin splendide!"

Jindayu - " Nous louons l'honneur et la courtoisie."

"Le domaine de votre seigneur est grand et il a 4 000 vassaux. Mais mon peuple s'élève à 200 000 âmes et est partout. Ce n'est pas le nombre qui compte. Nous respectons la courtoisie entre les êtres humains. Nous sommes tous des êtres humains. Nous mangeons et buvons. Nous louons l'honneur et la courtoisie."
Avec le personnage droit de Jindayu Ohmune, Saito oppose deux conceptions. D'un côté, Yoshinao Takugawa, seigneur Owari imbu de sa personne et de son pouvoir, n'hésitant pas à commanditer des assassinats au nom d'un honneur illusoire (qui est plus une façade qu'un réel honneur pour paraphraser Hanshiro Tsugumo dans "Seppuku (Hara-kiri)"), ainsi que Retsudo, prêt à condamner son fils pour "l'honneur du clan", mais prompt à tuer et comploter pour se saisir de ce même pouvoir. De l'autre, Jindayu, sage refusant de livrer Ogami au nom de la courtoisie (et le payant de sa vie), poussant la loyauté jusqu'à sacrifier sa fille pour l'honneur (le vrai, sans commune mesure avec la simple fierté égoïste de ses adversaires) parce qu'elle s'est déshonorée en désertant. Oyuki demandera à Ogami : "Mon père espère me voir… mourir?", ce à quoi répondra Itto : "Un enfant a de la chance si ses parents veulent le voir mourir. Parfois c'est ce que je pense…"; une réponse qui n'est pas sans expliquer ses rapports avec Daigoro.

Daigoro

Esseulé, livré à lui-même, Daigoro fait preuve d'un beau sang froid et de la débrouillardise qu'il avait déjà manifestée dans "L'enfant massacre" lorsqu'il avait dû soigner son père. Cependant, il n'a pas encore cette détermination, cette résignation à suivre le chemin vers la terre de l'ombre dont il fera une étonnante démonstration dans l'épisode suivant : "Baby Cart - Le territoire des démons". C'est un épisode charnière pour Daigoro qui commence à affirmer sa personnalité comme dans cette scène où il met mal à l'aise les hommes de Jindayu Ohmune. Gunbei ne se trompera pas lorsqu'il dira de lui : "Ces yeux… Ceux d'un sabreur entre la vie et la mort. Des yeux qui ont vu le feu, l'eau et le carnage." Ou bien : "Ses yeux sont ceux de celui qui a tué des centaines d'hommes et ont été recouverts de sang!". Cet épisode est certainement celui qui affirme le plus, jusque dans son titre, le lien très fort entre le père et le fils. Non pas qu'ils ne puissent vivre séparément; ils sont autonomes, mais leur existence n'a pas de sens l'un sans l'autre; ils sont condamnés à marcher côte à côte. "J'entre en enfer. Si je disparais… Tu meurs!" (Itto Ogami)

Gunbei - "Tu es mort une fois… On ne tue pas les morts…" (Ogami Itto)

C'est en recherchant son père dans les temples que Daigoro fera la connaissance de Gunbei Yagyu, l'homme à l'origine de leur fuite en avant; celui qui est persuadé que "Tuer le chien errant va tout régler.". L'introduction de ce personnage par Saito et Koike est l'occasion pour le scénariste d'expliciter les raisons de la haine des Yagyu pour Ogami en le présentant comme un imposteur et de développer le personnage de Retsudo tout en lui offrant sa première véritable confrontation avec le Loup avant celle de l'ultime épisode. Personnage en demi-teinte, Gunbei est presque aussi victime qu'Itto. "Suicidé" par son père dans une atroce mascarade pour sauver l'honneur du clan, Gunbei est, tout comme celui à qui il voue une haine aussi compréhensible que redoutable, condamné à errer, mais à la différence de celui-ci, il a perdu jusqu'à son identité. Aussi compréhensible que puisse être sa haine pour l'homme qui a pris la place qui lui revenait, à cause duquel on lui a tout pris, elle n'en est peut-être pas pour autant totalement justifiée; en effet, rien n'indique qu'Ogami se soit mis délibérément devant le Shogun, c'est juste un concours de circonstances qui coûtera cher à Gunbei ainsi qu'à son clan.

Dès les premières images de ce sein tatoué en gros plan et la débauche violente qui lui fait suite, on sait que l'on est revenu dans un pur film d'exploitation et cela, même si la suite du métrage se révèle plus sensible qu'attendu; l'actrice qui joue Oyuki, Michi Azuma (déjà aperçue dans "L'enfant massacre") étant pour beaucoup dans la réussite du film, soulignant magnifiquement pas son jeu tout en nuances et par moments mélancolique, le drame de son personnage. Sur une musique jazzy de Hideaki Sakurai fortement influencée par celles de Lalo Schifrin, le générique rappelle les événements marquants des précédents épisodes tout en évitant étrangement le troisième, "Dans la terre de l'ombre", décidément à part dans la série. Quatrième film de la saga et premier épisode a ne pas être réalisé par Kenji Misumi, qui laissait pour l'occasion les rennes à Buichi Saito, "L'âme d'un père, le cœur d'un fils" garde une continuité visuelle certaine avec les autres épisodes; Saito s'appropriant les audaces de Misumi pour mieux les réutiliser et les réinventer (voir la longue et très belle séquence chez le maître tatoueur qui suit l'acceptation par Ogami du contrat concernant la jeune femme). Il montre une grande maîtrise dans la composition des plans, nous offrant de nombreux passages empreints de poésie (celui dans les vapeurs des sources chaudes de Tsuta-no-Yu, par exemple, ou celui où Ogami s'occupe de Daigoro). Buichi Saito et Kazuo Koike nous livrent ici un épisode clé de la saga puisque l'on sait maintenant avec précision l'origine de la haine que voue le clan Yagyu à Ogami. Ils prennent le temps d'approfondir les personnages sans que cela ne se fasse aux dépends de l'action ou du rythme, et sans pour autant négliger la violence, l'érotisme et le gore inhérents au genre. Les scènes d'action sont nombreuses et sanglantes; après un épisode plus sage, les membres volent et le sang gicle à nouveau en geysers écarlates pour notre plus grand plaisir (le massacre du petit temple en est un bel exemple)... Saito filme le corps tatoué de la belle Michi Azuma avec une sensualité et une tendresse toute respectueuse faisant naître l'érotisme moins dans les scènes "frontales" où il nous dévoile brutalement son corps décoré (comme pour nous suggérer le choc que cela engendre chez ses adversaires), que dans celles où la caméra glisse sur une courbe, une chute de rein, un dos ou une épaule dénudée; les scènes de tatouage ou la scène des bains de Tsuta-no-Yu sont en ce sens des modèles d'érotisme soft. Loin de déshonorer la saga, Saito nous offre avec cet épisode une des plus grandes réussites de la saga avec l'opus précédent ("Dans la terre de l'ombre"); un épisode sans répit ni concession, comme en témoigne le final dantesque où même Ogami laisse quelques plumes...
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Baby Cart - Le territoire des démons
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Passant près d'une cascade, Ogami et Daigoro, aperçoivent un homme portant un masque sur lequel est dessiné le symbole du Loup : Un bœuf et un étalon. Défié et testé par celui-ci, Ogami apprend que quatre autres hommes du clan Kuroda, affublés du même masque, le testeront et lui remettront comme lui 100 Ryos ainsi que des informations concernant un contrat.

Loin de s'essouffler, la saga tient le cap voire bonifie. Après deux volets de très haute tenue faisant la part belle aux personnages ("Dans la terre de l'ombre" et "L'âme d'un père, le cœur d'un fils"), Kenji Misumi, de retour à la réalisation pour sa dernière contribution à la série, cisèle avec son complice Koike un nouvel épisode de grande qualité. Tirant un maximum parti des caractéristiques de cette société médiévale sur le déclin sur lesquelles a été bâtie toute la série, ils privilégient ici une intrigue riche et éminemment politique.
Baby Cart, plus qu'aucune autre série tire ses intrigues d'un contexte politique particulier, une société féodale où la rivalité entre les clans est monnaie courante; notion présente dans presque tous les épisodes (c'est sur la rivalité entre le clan d'Itto et le clan Yagyu avide de pouvoir et sur les conséquences de celle-ci que repose la série). Mais surtout, c'est une société où la loyauté envers le Shogun et un certain honneur sont d'une importance vitale. Le Shogun est encore, à l'époque où prend place la saga, une autorité à laquelle les différents seigneurs sont inféodés et doivent, selon les codes du Bushido, une loyauté sans bornes. Il a le pouvoir de vie et de mort et le destin des différents domaines est entre ses mains. Si un seigneur est convaincu de trahison, ce n'est pas seulement sa tête qui tombe, c'est la vie de souvent plusieurs milliers de vassaux qui s'effondre, d'où l'intérêt pour ces derniers de sauver l'honneur du clan. Ce n'est pas de rivalité qu'il est question ici, mais plutôt d'honneur et de trahison. C'est pour sauver l'honneur du clan que les vassaux Kuroda vont faire appel au Loup.

"Quatre hommes l'un après l'autre vous testeront."


Quoi qu'un peu tirée par les cheveux (pourquoi voudrait-on tester un sabreur à la réputation aussi installée que ne l'est celle d'Itto? Ukon Ayabe, le premier vassal ne l'interpelle-t-il pas par ces paroles : "Sabreur sans égal, Ogami Itto, le décapiteur…"?), l'idée de ces différents vassaux défiant Itto et lui remettant chacun 1/5ème de sa paye ainsi qu'un élément concernant le travail à effectuer permet à Misumi d'exposer son intrigue sur un tiers du film alors qu'un rencontre classique entre Ogami et un de ses commanditaires aurait pris au plus dix minutes. Chaque rencontre avec un vassal Kuroda est l'occasion d'un affrontement entre celui-ci et Ogami, chacun de ces duel bénéficiant d'un décors et d'une ambiance propre très réussis (voir la fin apocalyptique de Hachiro Mawatara, le duel aquatique et plein de respect de Yamon Kikuchi qui veut voir le style "tranche-vague" avant de mourir ou l'agression rusée de Kanbei Sazare).

"L'enfant n'a pas peur! Il ne tremble pas!"


L'intermède avec Oyo la voleuse permet à Koike d'asseoir la personnalité de Daigoro déjà esquissée dans les épisodes précédents. On l'a vu débrouillard à plusieurs reprises (pour soigner son père dans "L'enfant massacre", après s'être perdu dans "L'âme d'un père, le cœur d'un fils"). On l'a vu décidé, maniant sans hésitation et sans pitié les armes du chariot dans certains combats. Il a déjà fait preuve de nombreuses qualités s'affirmant notamment face aux guerriers Ohmune ou face à Gunbei Yagyu dans l'épisode précédent. Celui qui, dans "Le sabre de la vengeance", avait pris avec son père la voie du sang en choisissant Dotanuki le sabre, va faire preuve ici d'une remarquable détermination dans sa volonté à cheminer "à la frontière entre la trahison et la loyauté" et d'une impressionnante résignation face à la souffrance. Un geste qui n'est pas dénué de sens notamment pour Ogami. En se laissant convaincre par le prêtre Jikei ("En me tuant, tu pècherais contre Bouddha!"), celui-ci failli pour la première fois à sa tâche et à son credo: "Je dois oublier ma dignité de samouraï et devenir un démon dans cet enfer. Désormais ma route sera jonchée de cadavres baignant dans le sang. Ma vie de tueur sera dépourvue de sentiments" (Ogami Itto dans "Le sabre de la vengeance"). C'est justement au moment où son père connaît sa première faiblesse en n'exécutant pas l'imposteur Jikei que Daigoro va démontrer sa force de caractère. Ce parallèle n'est certainement pas fortuit dans le chef du scénariste. En voyant son fils honorer la promesse qu'il avait faite de se taire, en voyant Daigoro accepter le châtiment pour ne pas faillir, pour aller jusqu'au bout de son engagement (même si cet engagement n'a rien de moral!), Ogami ne peut que se remettre en cause, lui dont la main a hésité. Pourquoi avoir baissé sa garde et s'être retiré? Celui qui a fait le choix d'errer comme un démon en enfer ne peut être damné. Itto est déjà damné. Qu'a-t-il craint, dès lors? Le courage de Daigoro met en quelque sorte Ogami face à son échec. Lorsque Daigoro retrouve son père après cet épisode, le "papa" qu'il lui lance sonne autant comme une quête de reconnaissance que comme une affirmation de ce qu'il est, fils d'Ogami Itto, suivant le chemin vers le royaume de l'ombre. Et c'est ainsi que, main dans la main, père et fils continuent leur chemin, chacun étant en quelque sorte le renfort de l'autre.

"Votre honorable famille respecte le Bushido. Respectez votre nom!"


- "Tuer un enfant de 5 ans, son père et sa mère. Le père d'un fils sans mère… Ogami. Peut-on vous le demander?"
-"Mon fils et moi, avons choisi le chemin du carnage. Nous croisons l'enfer, la brutalité, l'azur et le paradis. Nous cheminons avec le mal."
Après son échec avec le prêtre, Ogami s'est remis en question comme en témoigne la réponse qu'il fait à Shiranui, la gouvernante des Kuroda. Il décide ainsi, moyennant 500 ryos supplémentaires de reprendre l'affaire pour le compte de celle-ci. Après s'être enquis une fois de plus des intrigues du château Kuroda, il entreprend de récupérer la missive auprès du prêtre Jikei (acoquiné avec les Yagyu) et par là de sauver l'honneur d'un clan qui sait que tout a été trop loin pour que cela se termine sans de douloureuses morts. Ogami se fait là le défenseur du Bushido et d'un Honneur auquel il tient mais dont la vie l'a éloigné. Le dernier quart d'heure du film, avec la visite du Loup, samouraï honorable mais déshonoré, à ce seigneur souillant et méprisant l'honneur de son clan est chargé de signification. Dans cette société féodale, l'honneur est une des plus grandes valeurs que l'on se doit de respecter, le clan doit passer avant l'individu, l'honneur avant la vie selon le Bushido. En agissant comme il l'a fait pour privilégier son enfant illégitime, Lord Naritaka a bafoué toutes les règles de la société et mis en péril son clan. C'est ainsi que l'intendant lui demandera le seppuku et laissera Ogami œuvrer devant son refus. Le "suicide" du seigneur étant le seul moyen pour le clan de garder la tête haute. Cette mort est un sacrifice aussi nécessaire que douloureux pour les vassaux comme en témoigne le respect avec lequel l'intendant dispose les corps du seigneur, de sa fille et de sa maîtresse après leur exécution ou la scène finale avec le suicide de Shiranui.

Koike et Misumi nous offrent ainsi un film par moments très dur aux yeux des occidentaux que nous sommes, mais justifié à la lumière de ces valeurs qui gouvernèrent la société de leur pays en des temps pas si reculés que ça. Ogami est plus que jamais sans pitié, mais tout assassin qu'il est, continue à défendre l'Honneur et le Bushido même s'il en est exclu. Superbement photographié par Fujio Morita (déjà directeur photo notamment pour Misumi sur plusieurs Zatoichi), "Le territoire des démons" offre de nombreuses scènes fortes comme cette scène éprouvante de la mort de Hachiro Mawatara, le troisième messager, celle de la bastonnade de Daigoro ou la mise à mort finale. Seule ombre au tableau, l'implication des Yagyu dans l'intrigue semble un peu artificielle, plus "un passage obligé" pour faire raccord avec le reste de la série qu'un rebondissement totalement justifié. Certes, nous sommes dans un contexte de luttes entre les clans; la missive entre les mains de Retsudo pourrait coûter cher au clan Kuroda, mais reste que l'on ne voit pas très bien ce que viennent faire les Yagyu là.
Baby Cart - Le paradis blanc de l'enfer
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Lassé de ses errances stériles, Ogami Itto décide d'aller provoquer Retsudo Yagyu, son ennemi juré, responsable du meurtre de son épouse, la mère de Daigoro et de la déchéance de son clan. De son côté, Retsudo ayant vu une partie de son clan décimée par Ogami est sommé par le seigneur, en tant que nouveau bourreau officiel de trouver et d'éliminer Itto coûte que coûte, faute de quoi le déshonneur planera sur son clan. La haine entre les deux hommes va les mener à toutes les extrémités dans un déferlement de violence sans pareil.

Réalisé de main de maître par Yoshiyuki Kuroda, réalisateur peu prolifique ayant surtout œuvré dans les effets spéciaux (il fut assistant réalisateur sur le "Shaka (Bouddha)" de Kenji Misumi et réalisa entre autres en 1970 "Tomei kenshi (Le sabreur invisible)"), "Baby Cart - Le paradis blanc de l'enfer", dernier épisode de la série est aussi le premier à ne pas être scénarisé par Kazuo Koike; l'auteur du manga et créateur de la série abandonnant le scénario à Tsutomu Nakamura qui avait déjà participé avec Koike au script de "Baby Cart - Le territoire des démons".
Véritable aboutissement de la saga, vers lequel tend toute la série, à savoir la confrontation finale (?) entre Ogami Itto et le clan Yagyu mené par Retsudo, cet épisode commence comme il se termine, dans la neige. Un choix d'introduction peut-être pas si fortuit que ça; en effet, si on excepte les qualités esthétiques de l'élément hivernal et qu'on s'intéresse un tant soit peu à une certaine symbolique (le blanc étant au Japon une couleur dédie à la mort et aux rituels qui l'entourent - c'est dans un kimono blanc que le samouraï se fait hara-kiri…), on peut voir la scène d'ouverture du film montrant Ogami et Daigoro marchant dans un paysage totalement enneigé comme une quintessence symbolique de la saga. En plaçant le Loup dans cette tourmente immaculée, dans ce paradis (enfer?) blanc (pour reprendre le titre), Kuroda résume en un plan toute la série. On peut d'ailleurs voir cette introduction comme un écho à la scène d'ouverture de "Baby Cart - Le sabre de la vengeance" où Itto émergeait dans un halo blanc avant la décapitation rituelle de l'enfant. Rien n'a changé, Ogami est un homme entouré par la mort, omniprésente à l'instar de cette neige qui le harcèle de ses flocons. Kuroda filme d'ailleurs l'immensité blanche qui l'entoure et les figures enneigées comme autant d'épouvantails menaçants (voire effrayants pour Daigoro), image de cette menace permanente qui pèse sur sa tête d'homme traqué et que Misumi avait su rendre si palpable dans les deux premiers épisodes (voir la scène du bain dans "Baby Cart - L'enfant massacre" par exemple). Dans un même ordre d'idée, le manteau neigeux du final, résonne comme un sinistre avertissement de l'apocalypse sanglante à venir.

"On dit que Itto est devenu un assassin errant avec son fils…" (le Shogun)

Passé un générique Bondien jusque dans le thème musical de Kunihiko Murai ("Goyokiba (Hanzo the Razor - Sword of justice)") directement inspiré du thème de Monty Norman (les analogies avec la saga du héros de Ian Fleming ne s'arrêtent d'ailleurs pas là, comment ne pas rapprocher le landau truffé de gadgets de l'Aston Matin du célèbre espion?), Kuroda nous introduit à la cour où nous retrouvons Retsudo en mauvaise posture puisque ce dernier se retrouve enjoint à éliminer le Loup. Poussé à la traque pour sauver la face du clan, Retsudo va dès lors jouer ses dernières cartes dans cet épisode à savoir sa fille Kaori ainsi qu'une carte de réserve qui lui coûtera cher… Kaori, bien que présentée comme plus habile que ses frères (elle fait en tout cas une belle démonstration de son habilité dans une séquence d'entraînement assez meurtrière), ne fera malheureusement pas le poids face à un Ogami plus que jamais décidé à se venger du clan Yagyu ("Azami, je prends Daigoro avec moi. Nous allons à Edo. Je tuerai Retsudo Yagyu et rétablirai notre maison" (Ogami sur la tombe de sa femme)). Cet échec va pousser Retsudo à invoquer l'aide d'Hyoé, son fils bâtard, ce qui ne sera pas sans de douloureuses conséquences pour lui… "Il est temps de revenir dans le monde, mon fils." (Retsudo)

"Mais tu connaîtras ce qui s'appelle la terreur."

Ogami trouve, avec Hyoé un adversaire qui sera marqué du sceau de la tragédie jusque dans la mort… Fils renié de Retsudo exilé dans les montagnes à l'âge de 5 ans où il est recueilli par les Tsujigumo, Hyoé a mûrit au long de ces années sa vengeance contre son père tout en nourrissant des rêves de reconnaissance sociale. " Le père n'est rien pour le fils.", "Nous devons remplacer les Yagyu et devenir des samouraïs." Cette volonté de destruction du clan Yagyu et d'avènement des Tsujigumo va être permise par l'opportunité de déshonorer le clan et de se mettre en avant vis-à-vis du Seigneur en capturant et tuant Ogami… "Nous serons célèbres, pas les Yagyu!"
Le Loup est indirectement l'instrument par lequel Hyoé compte arriver à ses fins. Son élimination doit être ce qui permettra la concrétisation de ce rêve obsessionnel que le bâtard caresse depuis tant d'années. C'est pourquoi Hyoé est prêt à tout pour réussir, y compris utiliser la magie la plus noire…
Dès lors que Retsudo s'en va le quérir dans ses montagnes, le film bascule dans un climat fantasmagorique et cauchemardesque voire ouvertement horrifique. Les plans lumineux qui avaient dominé le métrage depuis le début font place à une majorité de scènes nocturnes à l'ambiance sombre et inquiétante magnifiquement desservie par la photographie de Chishi Makiura (ayant déjà œuvré notamment sur "Ken ki (La lame diabolique)" et les deux épisodes de Hanzo the Razor, "Sword of Justice" et "La chair et l'or"). L'incursion dans le fantastique avec ces trois guerriers, Mujo, Muga et Mumon, ressuscités par Hyoé, permet à Nakamura de mettre Ogami face à une situation à laquelle il n'est pas préparé. Confronté à une menace dont il ne sait rien, semblable au destin, à une fatalité qui s'acharne pour lui faire payer ses fautes; une fatalité invisible, ce qui la rend d'autant plus effrayante. Seul le spectateur en connaît la nature, pour Ogami, elle est un sort qui s'acharne autour de lui et dont il essaye d'appréhender l'identité.
La scène d'invocation d'Hyoé par Retsudo, celle de la cérémonie ainsi que les scènes qui précèdent l'attaque de l'auberge sont des modèles de mise en scène. Kuroda y fait preuve d'une parfaite maîtrise dans les ambiances qu'il distille. Parvenant, par de petits détails comme un bruissement de frondaison, quelques feuilles balayées par le vent, à instaurer, une atmosphère inquiétante basée sur la crainte de l'inconnu, un malaise qui va grandissant lorsque le spectateur voit la terre lentement se soulever et avancer. A ce moment, plus personne ne sait où cette horreur va s'arrêter et pour la première fois peut-être, on se prend à craindre pour Ogami.

"Où que tu ailles, les innocents meurent."

"La femme et le confiseur étaient innocents et sont morts. C'est triste. Où que tu ailles, meurent les innocents. (…) Si tu vas dans une auberge et veux manger ou te reposer. Ceux qui te servent mourront. C'est triste, où que tu ailles, c'est un carnage. Le souffle du vent est ensanglanté. La technique Tsujigumo à 5 roues. Toute émotion humaine est alors bannie. Nous diluerons aussi tes émotions. Ni colère, ni plaisir. Mais tu connaîtras ce qui s'appelle la terreur. La technique Tsujigumo des 5 roues."

Ainsi parle une voix qui ne peut être que celle d'Hyoé… Confronté à cet adversaire qu'il ne cerne pas, travaillé par le doute et une certaine culpabilité en rapport avec ces paroles funestes et la terrible réalité qui les sous-tend, Ogami s'isole, continue sa route évitant au possible les contacts ce qui va le plonger dans une situation de survie délicate. Ce n'est pas la première fois que l'on voit Daigoro tiraillé faim. Cela avait été suggéré dans "Baby Cart - Le territoire des démons" où Misumi avait déjà inséré des plans de Daigoro regardant avidement d'autres manger des fruits juteux pendant le combat de son père avec Yamon Kikuchi. Kuroda rappelle par là qu'Ogami est un errant dont la survie peut être précaire. Blessé dans "Baby Cart - L'enfant massacre", Daigoro doit déjà se débrouiller pour trouver de la nourriture pour sauver son père. Ici, Ogami n'a d'autre choix que "voler" en échange de quelques pièces quelques légumes ou de se servir dans les offrandes au Bouddha.

Se reposant sur un scénario solide, Kuroda clos en beauté la saga avec un film tout en atmosphères porté par une mise en scène inspirée et des images de toutes beauté. Les combats sont fréquents et originaux (Il faut voir ce final dantesque dans la neige ou le superbe combat nocturne dans le pavillon sur pilotis!). Le destin d'Hyoé est d'une noirceur abyssale qu'aucun espoir ne vient éclairer, plongé dans la folie par la vengeance qui l'obsède, il ira jusqu'à commettre l'irréparable. L'insertion d'une dimension fantastique au film renforce la tension et permet de développer le personnage d'Ogami en lui insufflant notamment une certaine humanité et vulnérabilité. Il n'est plus l'immortel capable d'affronter cent adversaires à la fois vu dans certains épisodes, il est l'homme qui craint ce qu'il ne connaît pas. De son côté, par petites touches, le personnage de Retsudo est précisé. Capable de sacrifier toute sa famille pour ses propres intérêts et ceux du clan; il n'ira cependant pas jusqu'à sacrifier la sienne…

Principal bémol pour ce film flamboyant, sa fin ouverte vers de nouvelles aventures cinématographiques qui n'auront malheureusement jamais lieu…
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Beck
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Message par Beck »

Je me suis acheté cette édition (la HK) avant hier, et pour l'instant, je n'ai vu que les 4 premiers épisodes de la série, mais je peux déjà dire deux choses à ce propos:
- Ce sont de purs chef d'oeuvres (en particulier le 2, qui est bien sanglant).
- Mon coup de coeur du mois, l'épisode 2 est donc mon film du mois de Juillet.

L'édition que j'ai acheté:

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Très belle édition (avec jaquette en relief et tout) que j'ai trouvé dans un petit magazin de dvds à Montparnasse pour 60 euros les deux coffrets 8)
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angel with dirty face
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Message par angel with dirty face »

Un de mes coffrets préférés (j'ai la version Wild Side).

Mon top :

1 - BABY CART vol. 3 - Dans La Terre De L'Ombre (Kenji Misumi, 1973)
2 - BABY CART vol. 1 - Le Sabre De La Vengeance (Kenji Misumi, 1972)
3 - BABY CART vol. 2 - L'Enfant Massacre (Kenji Misumi, 1972)
4 - BABY CART vol. 5 - Le Territoire Des Morts (Kenji Misumi, 1974)
5 - BABY CART vol. 6 - Le Paradis De L'Enfer (Yoshiyuki Kuroda, 1975)
6 - BABY CART vol. 4 - L'Âme D'Un Père, Le Coeur D'Un Fils (Buichi Saito, 1973)

L'autre série remarquable, c'est Hanzo The Razor... Mais quand aurons-nous droit au DVD du premier opus réalisé par Kenji Misumi?
Chez Wild Side, le coffret ne comporte que les films 2 et 3: L'Enfer Des Supplices (Yasuzo Masumura, 1973) & La Chair Et L'Or (Yoshio Inoue, 1974). C'est frustrant...

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Message par gnome »

Hanzo est fun, mais quand même un cran en dessous... et assez répétitif...
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Beck
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Message par Beck »

Je ne connais pas cette saga, mais dans le style samurai bien gore, que pouvez vous me conseiller (que je ne connaisse pas déjà...) :?:
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Message par gnome »

qu'est-ce que tu connais? ça sera plus facile... :lol:
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Beck
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Message par Beck »

Bah nan pas vraiment, comme je connais pas mal de trucs.... conseillez moi svp :wink:
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Frank Bannister
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Message par Frank Bannister »

Goyokin est un excellent Chambarra
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Message par Beck »

Merci Robert (ça fait bizar de t'appeller comme ça :wink: )
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Blue
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Message par Blue »

sonacotra a écrit :Je ne connais pas cette saga, mais dans le style samurai bien gore, que pouvez vous me conseiller (que je ne connaisse pas déjà...) :?:
Dans le style samurai bien gore comme tu dis, les "Baby Cart" sont indéniablement une référence. C'est LA série culte par excellence, avec les "Zatoichi". D'autres séries, comme les "Nemuri Kyoshiro" avec Ichikawa Raizo, ou encore les "Red Peony Gambler" avec Fuji Junko, sont également intéressantes et font partie des classiques, mais on y atteint pas le niveau d'outrance des "Baby Cart".

Si tu ne l'as pas vu, je te conseille très fortement le premier "Lady Snowblood" de Fujita Toshiya, qui est un sommet du film d'exploitation et un grand incontournable des 70's (avec de la tranchade gore). Si en plus ça peut te faire découvrir la sublime Kaji Meiko... :wink:

Et pour remonter à la source, rien de tel qu'un "Sanjuro" de Kurosawa qui permet de voir l'origine des geysers de sang présents dans les "Baby Cart".

Du côté des animes, ne pas rater le "Ninja Scroll" de Kawajiri Yoshiaki.
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Message par Beck »

Déjà vu "Ninja Scroll" et comme je l'ai dis précédement, j'ai l'intégrale de "Baby cart", pour le reste je ne connais pas (à par le Kurosawa), je te remercie beaucoup de tes conseils, je vais essayer de chercher ça à Gibert :wink:
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noar13
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Message par noar13 »

du gore (tetes qui volent) et du cul (beaucoup de cul, un peu trop)

un des plus beaux génériques de chambara

Porno jidaigeki: Bohachi bushido de teruo ishii

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Mister Zob
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Message par Mister Zob »

Tiens à propos d'Ishii, ça vaut quoi HORRORS OF MALFORMED MEN ?
Parce que ça sort bientôt en z1 (avec SNAKE WOMAN'S CURSE de Nakagawa)...
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