Muets Russes 1908-1930

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Demi-Lune
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Demi-Lune »

Quelques rapides commentaires au sujet des films muets soviétiques que je viens de découvrir, et qui s'imposent comme une expérience de cinéma particulièrement enrichissante. J'ai envie de me plonger à fond là-dedans tant tout ce que je viens de voir me paraît extraordinaire, d'une modernité folle.

- Octobre (Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein, 1928) : c'était mon premier Eisenstein, à l'occasion de la diffusion live de la version restaurée sur Arte. Je comprends pourquoi cet auteur est tenu pour l'un des plus grands du cinéma, tant son langage cinématographique ne semble pas avoir encore été complètement digéré par le 7e art à l'heure actuelle. Son découpage enterre bon nombre de films contemporains. La modernité visionnaire du montage emporte le récit dans un rythme échevelé, irrépressible, complètement fou. La révolution est en marche ! Qu'importe que cette œuvre soit une commande de propagande, ça déborde d'idées de cinéma en permanence et la maestria d'Eisenstein élève le film largement au-dessus de ses impératifs idéologiques. Scènes de foule, images inoubliables (le cheval sur le pont, le duel purement formel entre deux Napoléon métaphoriques, le déboulonnage de la statue du tsar et sa recomposition fantastique, la charge dans le Palais d'hiver, les soldates, le paon mécanique faisant sa roue, les effets de parallèle en montage entre des rangées de verres alignés, les ministres évaporés, Kerenski caché sous une couche de coussins, le découpage subliminal entre le soldat faisant feu et sa mitrailleuse, etc... ça revient en fait à citer tout le film ! :mrgreen: ), langage visuel total, gros plans iconiques sur des visages russes burinés... C'est ce qui s'appelle une baffe dans la gueule. Il me FAUT découvrir tout Eisenstein au plus vite !

- L'homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929) : là, les choses se compliquent. Il paraît que ce film est génial (Stark en témoignera) mais je ne lui ai hélas pas trouvé grand intérêt, en réalité. Sa modernité est évidente tout comme l'est son point de vue sur la capacité omnisciente et omnipotente du cinéma (dimension théorique qui devait quand même être plutôt neuve en 1929), mais j'ai envie de dire : pour quoi ? Ce film ne semble pas avoir de motif. C'est une succession de scènes de vie quotidienne dans une grande ville industrielle soviétique... je ne comprends pas.

- La fin de Saint-Pétersbourg (Vsevolod Poudovkine, 1927) : Intéressant de mettre en parallèle ce film de Poudovkine avec Octobre d'Eisenstein, puisque leurs finalités historiques sont identiques (les deux films s'achèvent d'ailleurs dans un Palais d'hiver tombé aux mains des insurgés). Là où Eisenstein compose une fresque opératique portée sur le gigantisme, Poudovkine évoque la révolution sous un angle beaucoup plus humaniste. Lui s'intéresse plus aux gens à l'initiative de l'élan révolutionnaire, plutôt qu'à la révolution comme phénomène historique. On note ainsi une attention particulière pour les personnages, leurs états d'âme, leurs malheurs, leur misère. C'est un cinéma à hauteur d'homme, émouvant dans son ancrage dans la réalité (l'accouchement d'une mère, le départ d'un jeune homme de la campagne, les usines de Saint-Pétersbourg en grève, l'humilité du petit peuple, la déclaration de guerre de 1914, les combats au front, etc). On retrouve par moments la même philosophie du montage saisissant qu'Eisenstein. Le film dégage une grande puissance formelle, moins survoltée qu'un Eisenstein, mais aux effets dosés particulièrement efficaces : ici, des larmes coulent sur les joues d'une statue du tsar lorsqu'un quidam libéré de cellule embrasse de joie un gardien de l'ordre dans la liesse populaire de l'entrée en guerre ; là, une alternance entre des combats meurtriers sur le front et, en Russie, des courtiers frénétiques qui s'extasient devant les augmentations numériques des actions en bourse ; là, une fête mondaine entre patrons capitalistes et femmes sur leur 31 qui évoque la clinquance critique des argenteries et dorures impériales d'Octobre. Bref, un film résolument émotionnel et non intellectuel comme peut l'être Octobre dans sa conception essentiellement signifiante de l'image et de son découpage.

- La Mère (Vsevolod Poudovkine, 1926) : adapté de Gorki, ce film confirme l'humanisme de Poudovkine qui s'attache à nouveau à parler des gens et de leurs malheurs quotidiens, sur fond de crise sociale et de grondement socialiste. On retrouve Vera Baranovskaïa, qui jouait déjà dans La fin de Saint-Pétersbourg, dans ce rôle de mère âgée et humble. Le film respire une grande sensibilité, largement imputable à la prestation convaincante de Baranovskaïa, petit bout de femme que le destin accable.

De ces quatre films, je tire le constat d'un cinéma incroyablement expressif, dégageant une force remarquable dans sa fascination pour les visages et le réalisme. Le rythme toujours soutenu, quasi lyrique, l'attention portée aux sentiments et aux jeux crédibles des acteurs (au naturel et pas dissimulés sous une couche de maquillage), l'inscription permanente dans un contexte documentaire et social, les audaces formelles, cette impression de liberté, font de ces films muets des œuvres largement en avance sur leur temps. C'est comme si les Russes avaient déjà tout compris dès les années 1920... seul le son manquait.
Dernière modification par Demi-Lune le 7 juil. 13, 19:20, modifié 2 fois.
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par riqueuniee »

:D C'est un cinéma qye j'apprécie . Le cuirassé Potemkine fait même partie de mes films préférés.
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locktal
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par locktal »

Demi-Lune a écrit : - L'homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929) : là, les choses se compliquent. Il paraît que ce film est génial (Stark en témoignera) mais je ne lui ai hélas pas trouvé grand intérêt, en réalité. Sa modernité est évidente tout comme l'est son point de vue sur la capacité omnisciente et omnipotente du cinéma (dimension théorique qui devait quand même être plutôt neuve en 1929), mais j'ai envie de dire : pour quoi ? Ce film ne semble pas avoir de motif. C'est une succession de scènes de vie quotidienne dans une grande ville industrielle soviétique... je ne comprends pas.
Dans ce film, Vertov crée un nouveau langage cinématographique, qui n'a absolument pas besoin de l'appui d'une intrigue... C'est un travail expérimental, basé sur le montage des images et du son (Eisenstein utilisait aussi le montage, mais de manière différente), procédant par associations d'idées, d'images, qui donne à voir non seulement une représentation de la vérité, mais aussi une nouvelle réalité que l'oeil humain ne peut percevoir... Le pouvoir du cinéma, en sorte...

Par ailleurs, Vertov montre que le cinéaste est un travailleur comme les autres, comme ceux qu'on voit dans le film, tout en faisant prendre conscience des mécanismes du cinéma (le film dans le film).

Après, c'est vrai que le côté théorique de l'oeuvre peut déstabiliser, mais esthétiquement, c'est sublime...
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par -Kaonashi- »

Demi-Lune a écrit :- Octobre (Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein, 1928) : c'était mon premier Eisenstein, à l'occasion de la diffusion live de la version restaurée sur Arte. Je comprends pourquoi cet auteur est tenu pour l'un des plus grands du cinéma, tant son langage cinématographique ne semble pas avoir encore été complètement digéré par le 7e art à l'heure actuelle. Son découpage enterre bon nombre de films contemporains. La modernité visionnaire du montage emporte le récit dans un rythme échevelé, irrépressible, complètement fou. La révolution est en marche ! Qu'importe que cette œuvre soit une commande de propagande, ça déborde d'idées de cinéma en permanence et la maestria d'Eisenstein élève le film largement au-dessus de ses impératifs idéologiques. Scènes de foule, images inoubliables (le cheval sur le pont, le duel purement formel entre deux Napoléon métaphoriques, le déboulonnage de la statue du tsar et sa recomposition fantastique, la charge dans le Palais d'hiver, les soldates, le paon mécanique faisant sa roue, les effets de parallèle en montage entre des rangées de verres alignés, les ministres évaporés, Kerenski caché sous une couche de coussins, le découpage subliminal entre le soldat faisant feu et sa mitrailleuse, etc... ça revient en fait à citer tout le film ! :mrgreen: ), langage visuel total, gros plans iconiques sur des visages russes burinés... C'est ce qui s'appelle une baffe dans la gueule. Il me FAUT découvrir tout Eisenstein au plus vite !
Tu vas te régaler avec les autres films d'Eisenstein. Le Cuirassé Potemkine et Ivan le terrible ont ma nette préférence, mais les autres valent très largement le détour.
Le Cuirassé Potemkine, j'avais vu et aimé quand j'étais à la fac, je l'ai redécouvert il y a deux ans, depuis je le revois très régulièrement, je ne me remets pas de ce film. La partie Odessa me donne des frissons à chaque fois.

À la fac j'avais découvert aussi L'Homme à la caméra, et j'avais le même avis que toi. Je tenterais bien, aujourd'hui, de le revoir, pour juger à nouveau de ce film tant plébisciter.

Pas vu les deux Poudovkine.
Je te conseille très vivement Le Bonheur, de Medvedkine.
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Demi-Lune
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Demi-Lune »

-Kaonashi Yupa- a écrit :Le Cuirassé Potemkine, j'avais vu et aimé quand j'étais à la fac, je l'ai redécouvert il y a deux ans, depuis je le revois très régulièrement, je ne me remets pas de ce film. La partie Odessa me donne des frissons à chaque fois.
Vu. Effectivement c'est superbe. Octobre conserve cependant ma préférence pour le moment. C'est tellement... pfiou :shock:
-Kaonashi Yupa- a écrit :Je te conseille très vivement Le Bonheur, de Medvedkine.
C'est noté.
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

Un autre film russe pré-révolutionnaire passionnant.

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Doch' kuptsa Bashkirova (La fille du marchand Bashkirov, 1913) de Nikolai Larin

Au bord de la Volga, la fille du marchand Bashkirov est amoureuse d'un employé de son père. Mais, ce dernier souhaite la marier à un vieil homme. Surprise par l'arrivée inopinée de son père, elle cache son amoureux sous les édredons de son lit. Le malheureux meurt étouffé...

On ne connait que très peu de chose sur ce film. On ne sait rien sur le réalisateur Nikolai Larin qui travaillait pour une petite société de production, Volga Co, et le nom des acteurs reste un mystère. Par contre, on sait que le producteur Grigori Libken avait sciemment utilisé une histoire vraie pour pouvoir éventuellement faire chanter la famille Bashkirov. Le résultat est étonnant et prouve que le cinéma de 1913 était déjà professionnel, même dans les coins les plus reculés de la Russie. Bien qu'il manque 2 bobines et que les intertitres n'aient pas été retrouvés, la narration reste totalement compréhensible. Le film suit les événements tragiques qui s'enchaînent et accablent la fille du marchand Bashkirov. Elle aime l'employé de son père, mais le malheureux meurt accidentellement. Alors sa servante va chercher un paysan pour se débarrasser du corps discrètement. Mais, celui-ci va se transformer en maître-chanteur, demandant toujours plus d'argent, puis va même la violer en échange de son silence. La jeune fille se vengera en mettant le feu à la taverne où il est endormi ivre mort. Fidèle à leur tradition littéraire, les russes ne cherchent pas à enjoliver la réalité comme le feraient les Américains à la même époque. Et, le film se termine par une vengeance sans chercher à sauver la morale. Le film a des points communs avec le premier film d'Evgeni Bauer, Sumerki zhenskoi dushi (1913) où l'héroïne se venge elle aussi de son violeur en le tuant. Si vous êtes intéressé par ce film de Nikolai Larin, il est disponible chez Milestone Films dans leur magnifique collection de films muets russes de la période pré-révolutionnaire.
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Demi-Lune
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Demi-Lune »

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La nouvelle Babylone (Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg, 1929)

Ce film a l'avantage d'évoquer une page de l'Histoire rare au cinéma : la Commune de Paris. Inscrits dans un projet propagandiste, Kozintsev et Trauberg se rattachent volontairement ou non aux commémorations d'une autre révolution rouge, celle de 1917, réalisées peu de temps auparavant par Eisenstein (Octobre) ou Poudovkine (La chute de Saint-Pétersbourg). Le peuple en armes contre la bourgeoisie y est sacralisé à l'aide d'un langage cinématographique à l'expressivité (sur)puissante.
Formellement, La nouvelle Babylone doit beaucoup aux recherches d'Eisenstein. Mais faute d'en avoir le même génie, il n'en atteint pas la plénitude visuelle, cette forme totale qui transcende les considérations idéologiques. Il y a une foi dans la valeur dramatique de l'image, coutumière au cinéma soviétique, qui reste toujours aussi galvanisante mais La nouvelle Babylone semble dérouler les leçons de montage intellectuel d'Eisenstein avec trop d'application. Le film pourrait être un remake parisien de La grève... Les parallèles édifiants créés par la juxtaposition de contrastes (bourgeois à l'opérette tandis que les prolos triment, par exemple) ont moins de force que ceux, très ironiques, très mordants, d'Eisenstein. Si quelques idées visuelles saisissantes émergent indiscutablement (le soldat qui pense à l'héroïne, filmée mentalement sous toutes les coutures, cf. gif), le discours visuel est parfois lourdingue car l'entreprise de glorification de la Commune sacrifie tout travail de compréhension historique (le gouvernement de la Commune, le projet politique, l'autogestion, etc, sont totalement évacués) au profit d'un film "lutte des classes" caricatural jusque dans son titre. "La nouvelle Babylone" étant le nom du grand magasin parisien du film symbole de la décadence bourgeoise et même plus largement capitaliste.
Historiquement, le film a donc un intérêt assez limité et c'est vraiment pour son travail visuel et son actrice que le film doit être vu.
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Demi-Lune
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Demi-Lune »

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Dura lex (Lev Koulechov, 1926)

En Alaska, un petit groupe de chercheurs d'or (trois hommes et un couple) découvre un filon et commence à l'exploiter malgré les rudes conditions climatiques. Un soir, l'un d'entre eux, persuadé que les autres se liguent contre lui, est pris d'un coup de folie et fait un carnage dans la cabane. Il est maîtrisé par le couple. Mais dehors la tempête fait rage et la cabane devient totalement coupée du monde. Luttant pour leur survie, le couple doit en même se relayer pour surveiller le fou ligoté. La guerre des nerfs commence entre les trois survivants.

J'ai l'impression que Koulechov est finalement assez mal connu au-delà de son célèbre "effet" théorique de montage. Cet effet ordonne et donne un sens intellectuel et émotionnel à des plans qui pris isolément, n'auraient pour le cinéaste aucune signification en soi. Dura lex, adapté de Jack London, illustre à la fois cette idée et vient pourtant rappeler à quel point son cinéma ne saurait être réduit à une simple technique. Inutile de faire durer le suspense, j'ai trouvé ce film incroyable. Comme avec Eisenstein, la découverte de tout ce pan du cinéma demeure une expérience absolument galvanisante tant les muets soviétiques incarnent une expression pure des possibilités offertes par la caméra : raconter une histoire en exploitant systématiquement la force intrinsèque de l'image. Cette foi en la valeur narrative de l'image et, dans le cas de Koulechov, de leur juxtaposition, irrigue Dura lex qui est peut-être un sommet de l'expressivité du muet, aussi bien grâce à l'élaboration du découpage, à la valeur esthétique du projet que surtout au jeu développé par les comédiens.
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Koulechov privilégie un jeu exacerbé pour densifier l'impact psychologique du discours visuel. En exigeant des acteurs un investissement physique outrancier, il donne visuellement à ressentir la douleur de la fatigue qui s'accumule, l'usure de lutter contre les éléments naturels, la folie qui gagne les survivants au bout du rouleau. Mais de façon assez remarquable, cette exagération du jeu des comédiens ne "date" pas le film. Elle participe totalement de sa force. Ces gros plans sur les yeux exorbités d'Aleksandra Khokhlova sont inoubliables, car le jeu halluciné qu'exige d'elle le réalisateur n'a rien de théâtral ni de burlesque : au contraire, l'actrice amène, par son visage bizarre et terrorisé, le film vers quelque chose de viscéral et de dérangeant, comme si finalement l'esthétique générale de Dura lex relevait plus du cinéma d'horreur que du cinéma constructiviste.
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Certaines critiques ont également pu rapprocher Dura lex des Rapaces de Von Stroheim, pour sa dernière partie au cœur de la noirceur humaine. Ce n'est pourtant plus l'appât du gain qui motive les personnages au bout d'un moment, mais un souci de survie et de rendre Justice pour les meurtres commis par leur compagnon fou. Ainsi, un autre intérêt de ce film réside dans le déchirement moral du couple, qui s'ajoute à la souffrance physique, d'avoir à se substituer à la Loi puisque celle-ci, institutionnellement, est inaccessible. Où se situe la légitimité du droit ? Le couple est travaillé par ce poids moral, entre ce qu'ils estiment être la nécessité de punir un meurtrier qui représente toujours pour eux une menace, et la responsabilité d'endosser un rôle qui ne leur revient pas et de prononcer une sentence humainement dévastatrice. Koulechov, dans la dernière partie du film, montre à quel point il est difficile d'exécuter un homme même coupable et donne une haute portée morale à son film. La fin est d'ailleurs remarquablement ambiguë, on ne sait pas trop si ce revenant est bien vivant ou si c'est un cauchemar, une manifestation de la mauvaise conscience du couple.
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par ballantrae »

Merci pour ce focus sur Dura lex qui semble vraiment fabuleux au vu de tes propos et des captures. Peut-on trouver le DVD?
Autres conseils plus classiques (au sens de titres plus commentés) pour notre ami Demi lune:
-La terre de Dovjenko offre un lyrisme plus directement émotionnel qu'Eisenstein dont la dialectique puissante parle plus à l'esprit qu'au coeur pour faire simpliste.Dovjenko semble plus attaché qu'Eisenstein à la célébration d'une Russie éternelle, très physique, paysanne, panthéiste là où Eisentein s'ingénie à montrer l'émergence d'une société urbaine, ouvrière et matérialiste. SME changera d'angle créatif avec Alexandre Nevski et Ivan le Terrible ( et cela eut été pareil pour Que viva Mexico s'il l'avit terminé au vu de ce qu'il en reste).J'aime énormément un autre chant de la terre tel que La ligne générale de SME mais c'est une terre mécanisée, privée de lien avec la nature, un autre chant industriel!
-Au bord de la mer bleue de Boris Barnett, oeuvre là aussi très fluide,émouvante et bien plus légère que les maîtres de la dialectique comme Eisenstein et Vertov.Histoire d'amour fou qu'auraient pu inventer les Surréalistes avec un sens du paysage merveilleux, une liberté de ton assez stupéfiante compte tenu de la normatisation morale de l'URSS émergente.
Bienvenue Demi lune parmi les fans d'une cinématographie incroyable d'inventivité et de beauté!!!
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Tommy Udo
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Tommy Udo »

Pour DURA LEX, un DVD existe en Allemagne, avec des STF : http://www.edition-filmmuseum.com/produ ... akonu.html

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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Tommy Udo »

Sinon, tu peux toujours surveiller Arte, car il me semble que ce film est au programme de leur case "muet du mois" :wink:
Anorya
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Anorya »

Tommy Udo a écrit :Pour DURA LEX, un DVD existe en Allemagne
Il existe aussi un DVD Bach films, je l'ai vu hier dans un magasin discount, facilement trouvable. Le titre est modifié en "selon la loi" avec en dessous "Dura lex" précisé en sous-titre. Par contre pour la qualité, aucune idée. :wink:
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Tommy Udo »

Anorya a écrit :
Tommy Udo a écrit :Pour DURA LEX, un DVD existe en Allemagne
Il existe aussi un DVD Bach films, je l'ai vu hier dans un magasin discount, facilement trouvable. Le titre est modifié en "selon la loi" avec en dessous "Dura lex" précisé en sous-titre. Par contre pour la qualité, aucune idée. :wink:
Ah oui^^ Donc inutile d'aller en Allemagne^^

http://www.bachfilms.com/dvd.php5?type=1&dvd=1053
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Jack Carter
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Jack Carter »

Tommy Udo a écrit :Pour DURA LEX, un DVD existe en Allemagne, avec des STF : http://www.edition-filmmuseum.com/produ ... akonu.html

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je l'avais vu dans cette edition (la Bibliotheque de Lyon achete parfois des dvd Filmmuseum 8) ), tres belle copie et excellent film :wink:
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Demi-Lune
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Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Demi-Lune »

ballantrae a écrit : Autres conseils plus classiques (au sens de titres plus commentés) pour notre ami Demi lune:
-La terre de Dovjenko offre un lyrisme plus directement émotionnel qu'Eisenstein dont la dialectique puissante parle plus à l'esprit qu'au coeur pour faire simpliste.Dovjenko semble plus attaché qu'Eisenstein à la célébration d'une Russie éternelle, très physique, paysanne, panthéiste là où Eisentein s'ingénie à montrer l'émergence d'une société urbaine, ouvrière et matérialiste. SME changera d'angle créatif avec Alexandre Nevski et Ivan le Terrible ( et cela eut été pareil pour Que viva Mexico s'il l'avit terminé au vu de ce qu'il en reste).J'aime énormément un autre chant de la terre tel que La ligne générale de SME mais c'est une terre mécanisée, privée de lien avec la nature, un autre chant industriel!
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Merci pour les conseils. Je n'ai pas encore vu ces films. C'est marrant que tu parles d'Au bord de la mer bleue car j'ai découvert son existence très récemment. Il a l'air assez rare quand même.
J'essaie toujours d'avoir quelques muets russes de côté, suffit juste que je trouve le temps (là j'ai Arsenal et les derniers Eisenstein muets, La ligne générale et Que viva Mexico). C'est vraiment un cinéma d'une immense richesse. Un que j'aimerais bien voir aussi, c'est Tempête sur l'Asie.
Scorsese racontait qu'il n'avait jamais trouvé mieux que le cinéma muet soviétique pour se requinquer avant et pendant un tournage, parce qu'il y a à l’œuvre dans ces films une expression purement cinématographique. C'est une exaltation que je comprends et que je partage, car c'est un cinéma qui nous rappelle constamment l'essence de cet art et ses possibilités visuelles et dramatiques.

Est-ce que tu as déjà eu l'occasion de voir les muets de Kalatozov, aussi ? Perso j'ai eu la chance de voir Le clou dans la botte et surtout Le sel de Svanétie qui est d'une puissance à couper le souffle. Il y a beaucoup à découvrir et à apprendre de sa carrière dans le muet, j'ai l'impression.
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