Muets Russes 1908-1930

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

2501
Assistant opérateur
Messages : 2220
Inscription : 26 sept. 03, 18:48
Localisation : Ici et ailleurs
Contact :

Message par 2501 »

Très intéressant tout ça. :D

Donc, je note : acquérir Aelita et La mère et se débrouiller autrement pour voir les autres. 8)

Au fait, bruce randylan, tu les commandes sur leur site ? (fiable ? rapide ?) ou tu les trouves en magasin ?
Image
bruce randylan
Mogul
Messages : 11652
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Message par bruce randylan »

Je les ai pris dans les disc kings parisiens.

Je n'ai toujours pas réussi à trouver la bataille de berlin par contre :?

Tu peux quand même tenter Le père serge qui reste encore valable pour son rapport qualité/prix.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
erich oswald s'
Stagiaire
Messages : 6
Inscription : 6 févr. 06, 12:44

Message par erich oswald s' »

l'édition du père serge par bach films vaut le détour pour au moins deux raison: 1°)le film est un pure chef d'oeuvre du premier cinéma russe ( non soviétique ), bien plus intéressant que aelita du même protozanov. Le film de 1917 bénéfici de décors somptueux l'interprétation d'Ivan Mozjoukhine est remarquable. c'est également la mise en scène qui fait de ce film un chef d'oeuvre, le montage sobre mais extrèmement efficace de certaine scène ( voir toute la scène ou l'ex fiancé du père serge le retrouve dans son exil ), la maîtrise absolu dont fait preuve protozanov dans l'utilisation de l'espace dans la cadre de chaque plan ( profondeur de chanp, découpage du cadre entre le premier plan et l'arrière plan). Voir la scène superbe de l'amputation du doigt avec au premier plan le père serge à l'arrière plan à sa droite son ex fiancé l'égèrement au dessus de lui dans le cadre (l'image renvoit directement au vision de fantasme que le père serge à eu pendant tout le film, l'image de l'ex fiancé à envahie tout son esprit), il s'ampute, se releve, dans le film comme sur l'image il reprend le dessus sur ses pulsions.
2°) la copie est satisfesante surtout au regard du prix, on regrètera les sous titre en français, mais la seul possibilité de voir ce film devrait suffir à passer outre ce défaux, la musique est correcte, on y fait pas attention ce qui est l'essentiel, sauf à un court moment ou on ce demande ce qui leur à pris, heureusement c'est court ( de toute façon la meilleur musique pour un film muet reste bien souvant le silence), surtout l'édition comporte un doc tout à fait passionnant sur le grand acteur russe mozjoukhine avec extrait de film (nombreux) et doc de l'époque . on y apprend en autre que renoir aurait reconnu que c'est après avoir vu le film de mozjoukhine "le brasier ardent " qu'il aurait décidé d'abandonner la céramique pour le cinéma ( merci mozjoukhine! ), ou que celui ci à d'abord été contacter par gance pour interpréter napoléon avant de refuser pour de sombre histoire d'argent.
Avatar de l’utilisateur
Sybille
Assistant opérateur
Messages : 2147
Inscription : 23 juin 05, 14:06

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Sybille »

Image

Mat / La mère
Vsevolod Poudovkine (1926) :

Dans la Russie de 1905, une grève se prépare à l'usine. Un père et son fils, de bord différent, en viennent à s'affronter. Le père est tué par les grévistes. Le fils qui a caché des armes à leur domicile se retrouve jugé, puis condamné aux travaux forcés. La mère se lamente...

A partir d'une histoire dont la trame demeure de bout en bout extrêmement simple, Poudovkine signe un film que j'ai malheureusement trouvé assez ennuyeux, qui manque d'action, de péripéties, ou au contraire de description des caractères, des sentiments. Nikolaï Batalov, qui interprète Pavel, ne possède à peu près qu'une expression, celle de l'intensité farouche, les yeux fixes. Vera Baranovskaïa rattrape le niveau (son personnage est assez touchant) mais par intermittence, car là où le fils en fait souvent trop peu, il lui arrive à elle d'exagérer. Malgré tout, les acteurs demeurent corrects, ils ne m'ont pas vraiment dérangés. Sans compter qu'au-delà des personnages principaux, le film offre une galerie de visages assez impressionnante, qui semble témoigner toute entière d'un pays, d'une époque. C'est notamment fascinant lors d'une des premières scènes qui se passe dans un café, et où la caméra passe d'un client à l'autre avec une frénésie soigneusement calculée. Les toutes dernières minutes, au contraire de ce qui a le plus souvent précédé, portent le film à un degré paroxystique superbe, aussi bien en terme d'image que d'émotion. Dommage que le reste ne soit pas à l'avenant. 4,5/10
Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

Je remets ici la critique que j'avais écite sur le DVD d'Evgenii Bauer

Je viens de découvrir trois films russes des années pre-révolutionnaires absolument sensationnels du réalisateur Evgenii Bauer grâce au DVD publié par le British Film Institute.
Image

Sumerki zhenskoi dushi (Le crépuscule de l'âme d'une femme, 1913) avec Vera Chernova et A. Ugriumov
ImageImage
Vera (V. Chernova) est malheureuse et solitaire dans sa famille issue de la haute société. Un jour, elle accompagne sa mère dans sa visite chez les pauvres. Elle rencontre Maxim un étudiant. Décidée à l'aider, elle retourne le voir. Mais, Maxim, se méprenant sur ses intentions, la viole. Elle le tue...

Avec les films de Sjöström et de Perret, c'est l'un des films les plus incroyables que j'ai pu voir du début des années 10. Bauer a une science de l'éclairage renversante et une composition picturale qui suit intimement les sentiments des personnages. C'est le plus beau film de 1913 que j'ai jamais vu avec L'enfant de Paris et Ingeborg Holm. J'ai d'ailleurs au du mal à croire qu'un film aussi raffiné et sophistiqué ait pu être réalisé en Russie dès 1913. On y sent l'influence du cinéma scandinave et danois. Mais, au delà, Bauer réussit à capturer l'âme russe telle qu'on la rencontre chez Tchékhov, Pouchkine ou Tourguéniev. L'histoire de Vera est celle d'une fille incomprise par sa mère qui est violée par un étudiant misérable et alcoolique. Elle réussit à surmonter ce traumatisme. Et lorsqu'elle rencontre le prince Dolski, elle lui avoue le crime qu'elle a commis. Il ne peut accepter ce qui lui est arrivé et Vera part. Elle devient actrice. En plus de son intrigue étonnante, le film offre une cinématographie d'une beauté inouïe. Il utilise la profondeur de champ et contraste les premiers plans dans la pénombre avec les arrière-plans lumineux. Il choisit aussi de nous montrer une vision subjective de Vera vue de haut par Maxim qui s'apprête à sauter sur sa proie. En plus, le jeu des acteurs est absolument remarquable loin de tout excès théâtral. Il est retenu et nous transmet leurs sentiments intimes par des mouvements naturels. Les acteurs sont totalement modernes.

Posle smerti (Après la mort, 1915) avec Vera Karalli et Vitold Polonskii
ImageImage
Andréi vit comme un hermite avec sa tante. Il ne sort jamais, vivant dans le souvenir de sa mère morte. Un jour, il accepte d'accompagner un ami dans une soirée. Il y rencontre Zoya Kadmina (V. Karalli). Elle a le coup de foudre pour lui. Mais, il la repousse. Elle se suicide. Andréi est alors hanté par l'image de Zoya...

Avec cette adaptation d'une nouvelle de Tourguéniev, Bauer réussit encore un miracle de beauté et de poésie. Le film contient également un plan-séquence de trois minutes réalisé avec une caméra mobile qui suit Andréi au sein de la soirée mondaine. La caméra -montée sur roulettes- recule, fait un panoramique, repart et le suit. Absolument incroyable pour 1915 ! :shock: Mais, cet effet technique n'est pas là simplement pour faire de l'esbrouffe. Il tente de nous faire comprendre la gène d'Andréi et son malaise au sein de cette société qui lui fait peur. Vera Karalli, qui avait été une danseuse classique, est une héroine toute droite sortie des pages d'un roman russe avec son long cou de cygne et ses mouvements gracieux. Ses apparitions lors des rêves d'Andréi semble issues des portraits des pré-raphaélites. Une pure merveille.

Umirayushchii lebed (La Mort du Cygne, 1917) avec Vera Karalli et Vitold Polonskii
ImageImage
Gizella (V. Karalli) est née muette. Elle tombe amoureuse d'un jeune homme, mais se rend compte qu'il lui ment. Elle décide de se consacrer entièrement à la danse. Lors d'une représentation de 'La Mort du Cygne', un peintre, obsédé par la mort, la découvre et lui demande de poser pour lui...

Encore un très beau film avec Vera Karalli qui nous montre son talent de danseuse en interprétant La Mort du Cygne (créée par Pavlova quelques années plus tôt). L'idée centrale du film est à nouveau la mort. L'artiste peintre qui tente désespérement de peindre cette mort inaccessible semble l'avoir trouvée dans le visage triste de Gizella dans son costume du Cygne. Il ne surportera pas de la voir redevenue gaie après avoir retrouvé son amour de jeunesse. Le film est admirablement construit avec des cadrages picturaux, des ombres et des lumières remarquables. Une séquence onirique effrayante vient hanter Gizella, une scène qui va se révéler prémonitoire. Bauer est un esthète du cinéma qui sait admirablement raconter des histoires complexes. Sa carrière s'est malheureusement arrêtée nette en 1917 où il mourut d'une pneumonie. Si il n'a fait des films que durant 4 ans, il a néanmoins laissé une empreinte indélibile dans l'histoire du cinéma. A découvrir d'urgence.
Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

Je suis en train d'explorer la collection en 10 volumes dédiée au cinéma russe des origines 1908-1917 publiée par Milestone Films aux USA. Après la découverte de Bauer (ci-dessus), j'ai voulu découvrir les autres réalisateurs de cette époque.

La Maison à Kolomna (Domik v Kolomne, 1913) de Petr Chardynin avec Ivan Mosjoukine, Praskovia Maksimova et Sofia Goslavskaia
Image (I. Mosjoukine)
Une veuve (P. Maksimova) vit seule avec sa fille Parasha (S. Goslavskaia). Celle-ci flirte avec un bel officier (I. Mosjoukine) pendant que sa mère dort. Quand elle lui demande de trouver une nouvelle cuisinière, Parasha aide l'officier à se déguiser en femme. Mavrushka (I. Mosjoukine) est embauchée...

J'ai été très agréablement surprise par cette charmante comédie basée sur un poème de Pouchkine. Elle démontre que les russes savaient aussi faire du cinéma comique. Ivan Mosjoukine montre tout son talent en personnifiant la cuisinière Mavrushka. Portant jupe, fichu et tablier par dessus son pantalon et ses bottes, il campe un travesti très réussi. Mais, le film ne tombe pas dans la grivoiserie ou l'effet facile. Il y a une délicieuse scène où Mavrushka aide Parasha à se dévêtir sans qu'il n'y ait de sous-entendus. Mosjoukine semble s'amuser comme un fou alors qu'il allume sa pipe en l'absence de la veuve. Mais, celle-ci le découvre en train de se raser et elle tombe en pâmoison. :mrgreen: Morale de l'histoire: "Voici ce qui arrive quand on veut trouver une cuisinière qui ne coûte pas trop chère!" :uhuh: Le film est tourné pour la plupart en plan général sauf pour le plan moyen montrant Mosjoukine fumant la pipe. Il est bien composé alternant scènes en extérieur et studio. Une charmante pépite.

J'ai encore bien des films à voir et je reviendrais pour en parler.
Avatar de l’utilisateur
Sybille
Assistant opérateur
Messages : 2147
Inscription : 23 juin 05, 14:06

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Sybille »

Image Image

Tchelovek s kinoapparatom / L'homme à la caméra
Dziga Vertov (1929) :

Dans la Russie des années 20, Dziga Vertov eût à coeur de révéler le cinéma au monde, de le débarrasser de ce qui selon lui l'encombrait, le théâtre et la littérature. Il voulait uniquement faire sens grâce à l'image et c'est ainsi que 81 années plus tard, on regarde toujours ce film ébahi les yeux écarquillés. Mais loin d'être un objet expérimental théorique et déshumanisé, "L'homme à la caméra" est au contraire une splendide fantaisie qui entremêle la vie et la mort, un condensé trouble et émouvant des multiples aventures humaines. La caméra est intrusive, elle saisit des instants puis les renvoie aux spectateurs en autant de fulgurances visuelles qui finissent par démontrer toute l'importance et la banalité de chaque action quotidienne. En répétant les images, en les figeant, en les accélérant, Vertov a le pouvoir de paralyser, de presque glacer d'effroi, mais aussi de (re)donner vie, d'offrir leur sensualité aux gens et aux choses, d'être un rappel de la beauté, souvent cachée ou oubliée, du monde. Le réalisateur use du montage, des surimpressions, de toutes les techniques cinématographiques existantes. D'abord sage, avec de nombreux plans fixes, le film acquiert un rythme de plus en plus frénétique jusqu'à l'explosion finale. Un grand poème mécanique, hypnotique et fascinant. 7,5/10
pak
Electro
Messages : 990
Inscription : 23 mars 08, 00:25
Localisation : Dans une salle, ou sur mon canapé, à mater un film.
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par pak »

Enregistré sur ARTE :

Le village du pêché d'Olga Preobrazhenskaya et Ivan Pravov (Babi Ryazanskie, 1927) :

Avec Raisa Puzhnaya, Emma Tsesarskaya, Kuzma Yastrebitsky, Olga Narbekova, Georgi Bobynin, Yelena Maksimova, Gulya Korolyova... Scénario d'Olga Vishnevskaya et Boris Altshuler – Production russe – Genre : drame – Sortie connue : 13/12/1927 en Russie
Image
Mon avis :

En 1914, dans le village de Ryazan, Anna et Ivan sont amoureux. Ce dernier part faire la guerre, laissant le champ libre à son père qui viole la jeune femme. Ivan revient quelques années plus tard et retrouve sa femme avec un enfant, rongée par la honte.

Une belle découverte que ce film. Loin de la propagande habituelle du cinéma soviétique de l'époque, la réalisatrice signe un drame rural ancré dans les traditions de son pays. Elle mêle habilement la fiction, très mélodramatique mais pas aberrante, et documentaire, l'un et l'autre rythmant le récit comme une chronique paysanne mélangeant la vie ordinaire et les drames de l'existence.

Mieux, ce film, co-écrit et co-réalisé par des femmes, apporte un regard féminin inhabituel dans un art majoritairement représenté par des hommes. Ainsi le récit se lit depuis le regard des femmes et de leur condition.

Tout d'abord, URSS ou pas, on retrouve un thème commun à beaucoup de drames ruraux internationaux : les mariages de paysans (mais ça arrive dans d'autres milieux aussi), jusqu'il y a un siècle (encore qu'on pourrait trouver des exemples actuels) sont partout les mêmes : régulièrement, l'intérêt des familles primait avant les sentiments, même si, éventuellement, ceux-ci n'étaient pas forcément incompatibles. La réalisatrice oppose deux portraits de femmes, l'une, volontaire et créatrice, choisissant de vivre avec l'homme qu'elle aime, même non mariée, assumant le rejet de son père, brutal et despotique, l'autre, la belle-sœur de la première, passive et soumise, subissant son sort et taisant sa douleur et sa honte sous les assauts de ce beau-père. Elle jongle habilement entre les contraintes du régime et les tabous, évoquant des situations peu reluisantes tout en caressant les doctrines établies en matière d'art cinématographique. Ainsi l'histoire se déroule en 1914 jusqu'en 1920, mais pourtant la révolution bolchévique n'est jamais évoquée. Le gouvernement révolutionnaire est peu présent, même si la création d'un orphelinat se fait par son approbation : une légère concession à la censure gouvernementale.

Si le récit, malgré son sujet, évite le pathos, c'est parce que le montage, très habile lui aussi, alterne la fiction à de véritables tranches de vies réelles, ainsi on assiste à la vie d'un village au gré des saisons et au quotidien de ses habitants : un mélange de naturalisme, accentué par la minutie des costumes et des habitats, et de cinéma qui marque l'identité d'un film donnant envie de découvrir le reste de la filmographie d'Olga Preobrazhenskaya qui démontre aussi que la photo noir et blanc maitrisée donne de magnifiques plans ruraux qui confinent à une véritable poésie visuelle.

Le tire du film traduit mot à mot donne en français à peu près "Les femmes de Ryazan", ce qui ajoute à l'aspect documentaire du film. Le village de Ryazan, ville de nos jours, existe vraiment, et était réputé pour ses chants interprétés par les femmes de la localité. D'ailleurs la bande-son du film restauré reprend ceux-ci, enregistrés entre les années 1950 et le début des années 2000.


Étoiles : * * * . Note : 14/20.

La co-réalisatrice, Olga Preobrazhenskayan, née en 1881 a débuté comme actrice au cinéma en 1912 après 7 ans de théâtre. Ceci dit elle joue peu devant la caméra, devenant vite scénariste puis réalisatrice. Elle réalisera ou co-réalisera un peu moins d'une quinzaine de films jusqu'en 1941. Elle est décédée en 1971.
Image
Image Image
Image Image
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
riqueuniee
Producteur
Messages : 9706
Inscription : 15 oct. 10, 21:58

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par riqueuniee »

C'est marrant,j'ai parlé de ce film récemment,dans le sujet sur les "coquilles sur les jaquettes de DVD",le titre étant orthographié 3 fois "le village du pêché".(2 fois sur la jaquette et aussi sur le disque lui-même).
Pas grand chose à ajouter à cette analyse.Les scènes situées avant 1914 ont un aspect documentaire,renforcé par l'utilsation des chants traditionnels.Mais le plus surprenant reste l'absence totale d'allusions à la révolution bolchevique,sauf -et encore,c'est quasiment crypté- quand il est question de l'installation de l'orphelinat dans le château déserté.
Un film qui se révèle être un mélo rural (ce n'est pas un reproche,au contraire)à la portée universelle.
Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

Je reprend mon exploration du cinéma russe pré-révolutionnaire avec les 10 volumes de Milestone Films. Et encore un chef d'oeuvre signé Bauer!!!

ImageImage

Nemye Svideteli (Témoins silencieux, 1914) d'Evgenii Bauer avec Dora Chitorina, Alexander Kheruvimov et Alexander Chargonin

Nastia (D. Chitorina) est embauchée comme domestique dans une riche famille où son grand-père est portier (A. Kheruvimov). Le fils de famille, Pavel (A. Chargonin) s'intéresse à elle...

Avec ce drame explorant les rapports entre maître et valet, Evgenii Bauer montre une fois de plus son immense talent de réalisateur, en avance sur son temps. La maisonnée est cloisonnée avec ses différents étages. Le sous-sol est l'antre des domestiques avec la cuisinière qui officie dans la cuisine. Le rez-de-chaussée est le seul endroit qui permet la rencontre entre les maîtres et les domestiques. Celui qui règne sur cet étage est le portier, un vieil homme portant moustaches, favoris et un uniforme galonné couvert de décorations. On reconnait le personnage d'Emil Jannings dans Der Letzte Mann (1924) dix ans avant sa création. On peut se demander si F.W. Murnau n'a pas puisé son inspiration dans ce film. A l'étage supérieur, les maîtres vivent leur vie. Nastia, jeune fille innocente, va se retrouver victime de son amour pour le fils de famille. Elle n'est guère qu'une passade pour ce fils gâté qui attend le bon moment pour se marier avec une jeune fille de la bonne bourgeoisie. Le film n'épargne pas l'hypocrisie ambiante parmi ces bourgeois. Pavel épouse Ellen qui de toute évidence ne l'aime pas car elle passe son temps avec le meilleur ami de Pavel. Elle prend un malin plaisir à humilier Nastia dont elle connait les sentiments envers Pavel. La direction d'acteurs est absolument formidables. On aurait presque l'impression de voir un excellent drame anglais des années 40 tant les acteurs sont naturels et éloquents. Il faut ajouter à cela le sens inné de la composition de Bauer qui choisit toujours l'angle parfait pour révéler les intentions des personnages. Une petite merveille!
ImageE. Bauer
Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

ImageImage
Ditya Bolshogo Goroda (L'Enfant de la Grande Ville, 1914) d'Evgenii Bauer avec Elena Smirnova, Mikhail Salarov et Arsenii Bibikov

Maria (E. Smirnova) est issue d'un milieu pauvre. Elle est devenue couturière, mais elle rêve d'une vie meilleure. Un jour, elle croise dans la rue Viktor (M. Salarov) qui est à le recherche d'une femme innocente et désintéressée...

Ce film de quatre bobines de Bauer suit la destinée de Maria qui de pauvre petite couturière se transforme en monstre d'égoïsme et de cupidité. Il manque une partie du prologue du film qui nous montrait l'enfance de Maria. Si le film n'est pas tout à fait aussi réussi que d'autres Bauer, il est néanmoins fascinant à bien des égards. Avec le gros plan d'Elena Smirnova qui regarde rêveuse, par la fenêtre, la grande ville qui s'étale à ses pieds, il réussit à nous faire ressentir les espérances et la mélancolie de la jeune femme. Sa transformation en mondaine gâtée et vaniteuse est relativement rapide et pas entièrement convaincante. La caméra bouge d'une manière remarquable durant une soirée dans un cabaret avec un travelling étonnant. Bauer utilise aussi les surimpressions pour nous faire entrer dans les pensées de ses personnages. Aucun effet n'est gratuit. De même que l'utilisation incroyablement habile de draperies ou de rideaux qui fractionne l'espace, révèlant une autre partie de l'action. La fin est d'un extrême férocité montrant le cadavre de Viktor (qui s'est suicidé) sur les marches de la maison de Maria. Celle-ci enjambe son corps sans montrer beaucoup d'émotion. A nouveau, le jeu des acteurs est remarquable et la composition des images montre la maîtrise de Bauer.
Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

Et encore trois films de Bauer tous formidables. Aucune redite, une variété de sujets formidable. 8)

Image
Tysyacha Vtoraya Khitrost (La Mille et Deuxième Ruse, 1915) d'Evgenii Bauer avec Lina Bauer, S. Rassatov et Sergei Kvasnitskii

Un mari (S. Rassatov) prétend connaître les mille et une ruses féminines. Il ne se laisse donc jamais prendre par celles de sa femme (L. Bauer). Tout au moins, le croit-il...

Bauer montre avec cette charmante comédie matrimoniale qu'il savait aussi s'approprier les sujets comiques. Son épouse, l'actrice Lina Bauer, y tient le rôle d'une épouse qui fait de son mieux pour tenir tête à un époux jaloux et soupçonneux. Le mari, qui se croit plus malin grâce à son petit bréviaire des ruses féminines, tombera facilement dans le panneau dressé par son épouse. Elle introduit son amant dans sa chambre à coucher et attire son mari par des bruits suspects. Celui-ci rapplique illico; mais, elle réussit à lui faire croire qu'elle est seule et n'a fait tout ce tintamare que pour lui faire peur. L'amant reste donc dans le placard près à sortir dès le départ du mari cocu et heureux. Ce petit bijou est encore une fois superbement réalisé. Lina Bauer s'en donne à coeur joie en épouse volage. Elle sort dans la rue, et soulève sa jupe pour rajuster son bas au grand dam de son époux qui la suit partout. Il l'épie aussi par le trou de la serrure et cela est rendu à l'écran par des caches. Cette comédie annonce les comédies matrimoniales d'un Lubitsch et d'un DeMille. Délicieux.

Image
Grezy (Rêves, 1915) d'Evgenii Bauer avec Alexander Vyrubov, N. Chernobaeva et Viktor Arens

Sergei (A. Vyrubov) n'arrive pas à se remettre de la mort de son épouse. Il vit hanté par son souvenir conservant pieusement ses cheveux. Un jour, dans la rue, il croise Tina (N. Chernobaeva) qui ressemble à Elena, son épouse défunte...

Ce film a souvent été comparé à Vertigo; mais, en fait il s'agit d'une adaptation d'un roman de Georges Rodenbach, Bruges La Morte. Ce même roman sera adapté en 1920 par E.W. Korngold pour son opéra Die Tote Stadt. Le héros, Sergei, est littéralement hanté par le fantôme de son épouse défunte et la rencontre avec Tina (joué par la même actrice) va déclencher chez lui un début de démence. Il la suit dans la rue et s'aperçoit qu'elle est entrée dans un théâtre. Il prend une place et assiste à un acte de l'opéra Robert Le Diable de G. Meyerbeer. Dans cet opéra maintenant oublié, des nonnes sortent de leurs tombes et se mettent à danser. Tina est le personnage principal dans ce ballet. Il n'en faut pas plus à Sergei pour croire que Tina et Elena ne sont qu'une seule et même personne. Cette obsession le poursuit constamment dans ses rapports avec Tina qui se lasse vite de Sergei. Ce film de Bauer contient un long travelling alors que Sergei croise dans la rue Tina pour la première fois. La caméra se met soudain à reculer pour suivre le cheminement de Sergei totalement fasciné par Tina. Au-delà des innovations techniques -remarquables- le film est ancré dans cette fascination si russe pour la mort et l'au-delà. Sergei commettra l'irréparable en tuant Tina avec les cheveux d'Elena. Un très grand Bauer.

Image
Zhizn zo zhizn (Une vie pour une vie, 1916) d'Evgenii Bauer avec Lidia Koreneva, Vera Kholodnaia, Vitold Polonskii et Olga Rakhmanova

Musia (L. Koreneva) et Nata (V. Kholodnaia) sont les deux filles de Mme Khromovo (O. Rakhmanova) qui est millionnaire. Durant une soirée, elles rencontrent le Prince Bartinskii (V. Polonski), qui dépense sans compter et a de nombreuses dettes. Bien qu'il soit amoureux de Nata, il épouse Musia car elle seule héritera de la fortune de sa mère. Nata n'est qu'une fille adoptive...

Avec ce film en 5 bobines, Bauer et la compagnie Khanzhankov veulent concurrencer les productions étrangères importées en Russie. Bauer adapte lui-même un roman français de Georges Ohnet, Serge Panine. Cette histoire se situe dans la haute société russe de l'époque. Le personnage central de la mère est assez étonnant car elle est une femme d'affaires qui gère elle-même ses usines. Le développement de l'intrigue est mené de main de maître. Dès le début, nous savons que le mariage de Musia et du Prince sera un échec. Musia est sincèrement amoureuse de lui alors qu'il ne s'intéresse qu'à son argent. Quant à Nata, elle épouse, sans aucun entousiasme, le riche marchand Zhurov. Aucun des personnages n'a ce qu'il désire le plus : l'amour de celui qu'il/elle aime. Les apparences sont sauves durant un temps. Mais, le prince ne peut se passer de Nata, ni elle de lui. La fin tragique est inévitable, mais ne sera pas celle que l'on avait imaginée. Bauer, qui avait débuté au cinéma comme décorateur, fait ici merveille en variant habilement les intérieurs des différents personnages. La millionnaire habite un appartement opulent avec mobilier XVIIIème et lambris doré sur les murs alors que celui du Prince semble plus contemporain et une déclinaison de l'Art Nouveau en Russie. Comme toujours, Bauer sait 'meubler' le champ de la caméra pour créer différents plans et ouvrir la profondeur de champ. C'est ainsi que Musia, derrière un rideau, découvrira son infortune. Les deux jeunes actrices donnent un relief particulier à leurs personnages. En particulier, Vera Kholodnaia (dans le rôle de Nata) qui fut une des stars du cinéma russe des années 10. Elle mourra dans la fleur de l'âge à 26 ans en 1919 suite à l'épidémie de grippe espagnole. Evgenii Bauer utilise plus le gros-plan en 1916 qu'il ne l'a fait jusqu'ici. Et c'est tout au bénéfice de la belle Vera qui a un jeu sincère et naturel. Un superbe mélo.
Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

Les deux derniers Bauer du coffret Milestone. Toujours génial. 8) :D

Image
Revolyutsioner (le révolutionnaire, 1917) d'Evgenii Bauer avec Ivan Perestiani, Vladimir Strizhenskii et Zoya Barantsevich

En 1907, 'Grand-père' (I. Perestiani) est arrêtée par la police pour complot révolutionnaire. Il est envoyé en Sibérie. Libéré en 1917, il retrouve son fils maintenant adulte (V. Strizhenskii) qui est maintenant lui aussi un révolutionnaire...

En 1917, le cinéma russe ne peut plus ignorer les événements qui secouent le pays. Et les studios se mettent à produire des bandes rapidement relatant les secousses révolutionnaires. Bauer n'y échappe pas et ce film fut apparemment écrit et produit très rapidement pour arriver sur les écrans au plus vite. Le scénario qui est l'oeuvre de l'acteur principal, Ivan Perestiani, est assez schématique. Néanmoins, Bauer réussit à donner de l'empathie et de la chaleur à ses personnages. Contrairement à se qu'on pourrait penser, le film n'est pas du tout 'anti-révolutionnaire'. Au contraire, il y a une vraie sympathie pour eux. Le cinéma russe vivait néanmoins ses dernières heures avant le profond changement qui allait l'affecter. Bons nombres d'acteurs, techniciens et metteurs-en-scène allaient fuir vers Yalta, puis vers la France. D'ailleurs, le jeune révolutionnaire du film, Vladimir Strizhenskii, allait bientôt faire partie de cet exode. On le retrouvera en France dans les productions Albatros telles que La Maison du Mystère (1922, A. Volkoff). Les critiques contemporains se plaignent que la 'Sibérie' du film ressemble un peu trop à un parc de Moscou ! On voit que le public de l'époque était déjà très averti. Le film se clot sur un appel au patriotisme pour que la Russie ne perde pas la guerre. Une bande moins intéressante, mais qui a un intérêt documentaire certain.


ImageImage
Za Schastem (A La Recheche du Bonheur, 1917) d'Evgenii Bauer avec Nikolai Radin, Lidia Koreneva, Tassia Borman et Lev Kuleshov

Zoya (L. Koreneva) est veuve depuis 10 ans. Elle aime l'avocat Gzhatskii (N. Radin) depuis lontemps, mais, n'ose pas se remarier avec lui à cause de sa fille adolescente Lee (T. Borman). Celle-ci, de santé fragile, était très attachée à son père...

Ce magnifique film fut le chant du cygne de Bauer. En effet, suite à un accident lors du tournage, il tombera malade et mourra peu après. Même si il avait survécu, on peut se demander ce que son cinéma serait devenu. Aurait-il épousé le nouveau style soviétique ou aurait-il émigré ? En tous cas, avec ce film, il montre la quintessence de son art. Tourné à Moscou et en Crimée, ce petit bijou s'attache à Lee (T. Borman) une jeune fille maladive couvée par sa mère. L'intrigue de ce film n'a pas du tout vieilli et on pourrait facilement tourner un remake de cette histoire. La mère de la jeune fille et son amant ne soupçonnent pas du tout les sentiments qui l'animent. Ils découvrent, effrayés, que Lee est amoureuse de l'amant de sa mère. Elle dit même que sa vie dépend de cet amour. Le jeu des acteurs est absolument bouleversant. Si le film n'était pas muet, on pourrait croire qu'il a été tourné hier. Evitant totalement, le mélodramatisme, le film se clot sur la révélation de l'amour de Gzhatskii pour Zoya face à une Lee désemparée. la toute dernière scène a un symbolisme fort : Lee perd la vue, face à cette révélation qui la détruit. On ne peut, à nouveau, que louer la beauté des éclairages et des extérieurs qui donnent au film une délicatesse désanchantée qui convient parfaitement à ce sujet dramatique. Le futur réalisateur Lev Kuleshov, qui était le décorateur du film, joue un petit rôle d'amoureux transi de Lee. On trouve donc des films de Bauer aussi bien de futurs émigrés que des réalisateurs de la période soviétique. Bauer était un grand innovateur de l'histoire du cinéma et un très grand réalisateur.
Image
Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par Ann Harding »

Un petit fragment...hélas! Mais, passionnant malgré tout.

Image
Kulisy Ekrana (Derrière l'écran, 1917) de G. Azagarov (?) & A. Volkoff (?) avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko et Nikolai Panov

Il ne reste malheureusement qu'un fragment (une seule bobine sans intertitres) de ce long film en 8 bobines produit par Ermolieff. Ce petit fragment se révèle malgré tout passionnant (et frustrant!), car on se promène dans les studios Ermolieff avec les deux grandes stars de ce studio, Ivan Mosjoukine et Nathalie Lissenko qui y jouent leurs propres rôles. On devine l'intrigue en l'absence des intertitres. Mosjoukine revient au studio amputé d'un bras et découvre, qu'en son absence, sa loge a été affectée à un autre acteur. Son nom est barré sur la porte (voir photo ci-dessus). On voit sur son visage toute la souffrance et l'humiliation de l'acteur sur la pente descente de l'oubli. Il repart avec une pile de photos de ses anciens rôles, disant adieu à la célébrité. Au même moment, Mosjoukine savait qu'il devrait bientôt partir, lui aussi, suite à la Révolution. L'exil à Yalta, puis en France n'était pas loin. Il y a donc une concomitance passionnante entre le personnage et l'acteur.
frmwa
Stagiaire
Messages : 10
Inscription : 13 oct. 10, 16:33

Re: Muets Russes 1908-1930

Message par frmwa »

Image
Pro Ourodov I Lioudiei - Des monstres et des hommes de Aleksei Balabanov

J'ai vu ça assez récemment et c'est un superbe hommage au cinéma muet russe en sépia (même si le film lui-même n'est pas muet). Très subversif avec des acteurs effrayants ! Pour rendre compte de l'époque tsariste en train de se décomposer.
Je vois qu'on brade le DVD Z2 pour quelques kopeks.
L'étendard est immobile, pas un souffle de vent.
C'est le cœur de l'homme qui est en tourment.
Répondre