Indiscrétions (George Cukor - 1940)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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aurélie
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Message par aurélie »

Vu hier.
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La morale de l'histoire c'est "traiter une femme comme de la merde en la battant, en buvant et elle vous épousera au bout du compte" ?

Parce que je veux bien qu'elle repousse le George qui parle d'elle comme d'une statue mais pourquoi repousser Jimmy (Macauley connor dans le film) à la fin ?

A part ça les acteurs sont en effet tous parfait (je crois que c'était un des premiers films que je voyais avec Katherine Hepburn....et elle est à la hauteur de sa réputation) mais
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la fin m'a refroidit.
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Watkinssien
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Message par Watkinssien »

Mais c'est que c'est une des meilleures comédies américaines des années 30.

The Philadelphia story est une comédie sophistiquée éblouissante, au rythme tonitruant, proposant une satire à la fois cruelle et tendre sur les ligues de vertu et sur l'amour.
La méchanceté du propos rend cette comédie entièrement jubilatoire.
Et puis Katharine Hepburn, Cary Grant et James Stewart au casting, c'est déjà un événement.
Et puis, j'ai eu la chance de le voir sur grand écran à la Rochelle , avec 1000 spectateurs se tordant de rire sur leurs sièges.

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someone1600
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Message par someone1600 »

Chanceux.

En effet, avec un casting pareil, ca ne pouvait qu'augurer quelque chose de bien.

Hilarant, particulierement la scene de la soirée bien arrosé entre Hepburn et Stewart. :lol:
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hansolo
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Message par hansolo »

Vu avant hier. Assez décu, surtout vu les attentes que j'en avais!
Watkinssien a écrit : Et puis, j'ai eu la chance de le voir sur grand écran à la Rochelle , avec 1000 spectateurs se tordant de rire sur leurs sièges.
tu parles bien de "Philadelphia Story"?
certes c'est une comédie mais ce n'est pas non plus "Bringing Up Baby"!!
les situations "à se tordre de rire" ne sont pas légion!!
someone1600 a écrit :En effet, avec un casting pareil, ca ne pouvait qu'augurer quelque chose de bien.

Hilarant, particulierement la scene de la soirée bien arrosé entre Hepburn et Stewart. :lol:
disons que je suis resté sur ma faim; j'en avais entendu bcp de bien et j'apprecie enormement le trio vedette mais franchement l'histoire et la morale sont assez tristes imho ...
je ne vois pas en quoi on peut parler de chef d'oeuvre!
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-Kaonashi-
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Message par -Kaonashi- »

hansolo a écrit :disons que je suis resté sur ma faim; j'en avais entendu bcp de bien et j'apprecie enormement le trio vedette mais franchement l'histoire et la morale sont assez tristes imho ...
je ne vois pas en quoi on peut parler de chef d'oeuvre!
Hep attention à ne pas oublier la charmante Ruth Hussey, dont le rôle, certes un peu en retrait par rapport aux trois autres, n'est pas moins important dans l'histoire.
Et en effet, au final il y a une part de mélancolie dans ce film, ce n'est une pure comédie comme peut l'être L'Impossible Monsieur Bébé ou La Dame du vendredi. Ces deux comédies correspondent à ce qu'on peut appeler la "comédie de remariage", mais dans le sens strict de ce sous-genre, Indiscrétions est l'exemple-type à mes yeux. Le remariage nese fait pas sans mésaventure, ni sans certains mouvements sentimentaux dénués de mélancolie.
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hansolo
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Message par hansolo »

-Kaonashi Yupa- a écrit :Hep attention à ne pas oublier la charmante Ruth Hussey, dont le rôle, certes un peu en retrait par rapport aux trois autres, n'est pas moins important dans l'histoire.
tout a fait d'accord, elle joue très bien mais n'est pas une "vedette" comme les 3 autres!
d'ailleurs ce n'est pas le jeu des acteurs que je mets en cause mais plutot le scénario et la réalisation que je trouve décevante.
je trouve qu'il n'y a pas matiere à chef-d'oeuvre; c'est juste une honnete comédie ...
Dom666
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Message par Dom666 »

Indiscrétions
Personnellement, j'adore. Pas autant que l'impossible M. BB, mais d'une manière différente. Autant l'Imbb est hilarant, un prodige de rapidité et de "réactions en scènes", Indiscrétion c'est autre chose.
Je suis d'accord avec la personne qui dit que Cukor n'est pas Hawks... d'ailleurs, je suis régulièrement déçu par les Cukor (à propos, quelqu'un sait si je peux trouver "Vacances" quelque part ? Y compris zone 1 mais avec sous-titre fr).

L'attachement que j'ai pour Indiscrétions, je le reconnais, vient principalement de miss Hepburn. Prodigieuse. Bien plus belle que dans l'Imbb. J'adore ces filles des années 30, modernes, féministes dans leur être et pas dans leur militantisme, longilignes, sophistiquées (Ah... Irène Dunne...).
Ensuite, le concept des 3 prétendants et de leurs allées et venues (plus trop original après toutes ces années passées) est ici vraiment bien traité. Evidemment, c'est couru, mais on peut douter, parfois.
Niveau scénario c'est excellent : tout en finesse, les détails de la narration sont invisibles à l'oeil. Par exemple, la chasse précise de Grant, dont il ne se détourne pas. Le coup de foudre involontaire de Stewart est un modèle du genre, certains films y consacrent deux heures, ici il est traité en 10 minutes. Et les deux personnages, avec leurs méthodes, se croisent d'une manière habile.
Bon, d'accord, le troisième rôle masculin est plus convenu.
Les relations entre la mère de KH, sa soeur et elle-même sont très bien traitées également.

J'attendais un peu plus de rires moi aussi, mais par contre, deux visions successives n'ont fait que renforcer mon plaisir. Après coup, certaines scènes comme celles avec le père de K Hepburn, se sont avérées bien plus prenantes.
Et puis les femmes et l'alcool, c'est un sujet chouette, ça... pas souvent traité comme il faut. Ici, c'est bien foutu, contrairement à des films plein de promesses mais poussifs comme certains B Edwards que je ne citerai pas.

Non, franchement, Indiscrétions vaut le détour.
Le code du ciné+phage que phile
Art. 1 Ne t'attends jamais à voir un chef d'oeuvre.
Art. 2 Ne regarde pas un bon film si tu es fatigué.
Art. 3 Vide ta tête avant, pour mieux la remplir pendant.
Art. 4 Ne t'occupe pas des 3000 films que tu as vus, fais comme si celui-là était le premier.
Art. 5 Ne snobe rien.
Art. 6 Le cinéma n'est pas linéaire. Il y a des heurts, des bonds en avant, des reculs.
Art. 7 C'est quoi une VF ?
Art. 8 Quand tu comprendras Pasolini, tu seras très fort.
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Message par andrino »

Au fait, je me suis offert le dvd, estampillé z1 mais passant sans problème sur mon lecteur z2; le film n'est pas hillarant,loin de là , mais les dialogues, les mimiques de J Stewart, avec ou sans chapeau....un bon moment!
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-Kaonashi-
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Message par -Kaonashi- »

Dom666 en parle très bien. Moi aussi, la première fois, je m'attendais à beaucoup plus de scènes de comédie pure, et c'est au deuxième visionnage que j'ai vraiment plus apprécié ce film.
Dom666 a écrit :J'adore ces filles des années 30, modernes, féministes dans leur être et pas dans leur militantisme, longilignes, sophistiquées (Ah... Irène Dunne...).
Dans Cette sacrée vérité, elle est vraiment parfaite ! Le couple avec Cary Grant fonctionne à merveille, c'est drôle tout du long, et on sent que les deux acteurs se sont bien amusés, comme dans cette scène où le chien ressort le chapeau du supposé amant. Je ne sais plus si c'est dans cette scène ou une autre, j'ai l'impression qu'Irene Dunne est à deux doigts du fou rire à plusieurs reprises.
Et chez John M. Stahl aussi elle me plaît beaucoup. Mais là, c'est moins drôle, c'est plus mélo.
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hansolo
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Message par hansolo »

-Kaonashi Yupa- a écrit :Dom666 en parle très bien. Moi aussi, la première fois, je m'attendais à beaucoup plus de scènes de comédie pure, et c'est au deuxième visionnage que j'ai vraiment plus apprécié ce film.
donc je sais ce qu'il me reste a faire ... le revoir une seconde fois pour l'apprecier.
mais je maintiens que je vois mal une salle "pliée de rire" avec un tel film; il y a bien quelques scène qui font sourire voire rire mais rien de plus ...
andrino a écrit :Au fait, je me suis offert le dvd, estampillé z1 mais passant sans problème sur mon lecteur z2
c'est un pseudo Z1 qui est en fait un Zone all! (je ne comprends pas qu'il persistent a mettre Z1 dans ce cas?)
Dom666
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Message par Dom666 »

Irène Dunne...
-Kaonashi Yupa- a écrit :Dans Cette sacrée vérité, elle est vraiment parfaite ! Le couple avec Cary Grant fonctionne à merveille, c'est drôle tout du long, et on sent que les deux acteurs se sont bien amusés, comme dans cette scène où le chien ressort le chapeau du supposé amant. Je ne sais plus si c'est dans cette scène ou une autre, j'ai l'impression qu'Irene Dunne est à deux doigts du fou rire à plusieurs reprises.
Et chez John M. Stahl aussi elle me plaît beaucoup. Mais là, c'est moins drôle, c'est plus mélo.

Sacrée Vérité, justement, je l'ai vu la semaine dernière. A nouveau, j'ai un peu le même avis que pour Indiscrétions : je m'attendais à plus drôle, mais l'intérêt n'est pas dans la comédie pure.

Dans Sacrée vérité, oui, Irène Dunne est super : elle joue bizarrement, tout en retenue. Comme si elle allait exploser à chaque instant. Je sais pas si c'était voulu, où si Grant faisait le tordu...
Je trouve d'aillerus que Sacrée Vérité fonctionne à contre-temps. Là où les gags de l'Imbb s'enchainent avec viruosité et font mouche, ceux de Sacrée Vérité, notamment la double scène spirale finale (d'ailleurs extrêmement pompée par Garson Kanin et Mon épouse favorite, avec le même couple, et film à l'origine voulu par McCarey) avec la voiture et le couchage, sont des scènes qui sont drôles à retardement, pas sur le coup. C'est un humour plus subtil en quelque sorte, qui ne cède pas au gag, mais travaille la matière de l'histoire au corps.
Irene Dunne, encore, est irrésistible. De la même manière qu'elle l'est aussi dans "mon épouse favorite", même si sous-employée, et tu as sûrement vu aussi Elle et lui, le premier, avec elle et Charles Boyer. Je le préfère au second, malgré toute l'affection et l'admiration que j'ai pour Cary Grant.
Deborah Kerr, dans le remake, fait déjà femme des années 50, pomponée, colorée, partagée entre puritanisme et sexualisation, et tout. Les filles des années 30 étaient plus libérées, droites comme des flèches, physiquement, vives, des filles de caractère.
C'était autre chose... :roll:
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Message par -Kaonashi- »

Dom666 a écrit :et tu as sûrement vu aussi Elle et lui, le premier, avec elle et Charles Boyer.
:oops: Non, ni la version Kerr/Grant...
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Dom666
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Message par Dom666 »

-Kaonashi Yupa- a écrit :
Dom666 a écrit :et tu as sûrement vu aussi Elle et lui, le premier, avec elle et Charles Boyer.
:oops: Non, ni la version Kerr/Grant...
C'est pas grave...
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Art. 3 Vide ta tête avant, pour mieux la remplir pendant.
Art. 4 Ne t'occupe pas des 3000 films que tu as vus, fais comme si celui-là était le premier.
Art. 5 Ne snobe rien.
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Re: Indiscrétions (George Cukor - 1940)

Message par Jeremy Fox »

Aujourd'hui la chronique du film et le test du DVD par Justin Kwedi.
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Thaddeus
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Re: Indiscrétions (George Cukor - 1940)

Message par Thaddeus »

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Vaudeville chic pour trio choc


L’une des plus fameuses comédies de l’âge d’or hollywoodien abriterait-elle l’expression d’une revanche artistique ? Aurait-elle été conçue en réaction à une profonde déconvenue ? Serait-elle l’enfant caché d’un véritable mythe de l’usine à rêves, comme Dionysos est né de la cuisse de Jupiter ? Petit rappel des faits. Entre 1936 et 1939, George Cukor participe à l’élaboration d’Autant en emporte le vent. L’expérience vire au désastre professionnel et à l’humiliation personnelle. Il tourne quelques scènes, notamment l’explosion du dépôt de munitions à Atlanta et le bal de charité, mais la divergence entre son point de vue et la ligne dirigiste de Selznick le contraint vite à la démission. L’année suivante, il adapte un hit de Broadway dont le titre, The Philadelphia Story, fait fonction de manifeste en faveur d’une déclaration d’indépendance créative : l’histoire ne se déroule pas dans la Géorgie esclavagiste mais dans la Pennsylvanie progressiste. Toutefois, hasard ou pas, le cinéaste retrouve dans cette pièce de théâtre certains éléments qui sont au cœur du projet dont il a été évincé : la haute société, une femme qui se remarie et trois hommes autour d’elle (un plébéien enrichi, un viveur, un intellectuel). La structure des deux récits frappe par leur similitude. L’ambiance du Sud, le registre brutal de Rhett et celui chevaleresque d’Ashley sont remplacés par le marivaudage léger et brillant du nord-est anglophile ; le Technicolor embrasé à dominante rouge par un noir et blanc de satin et une lumière de diamant. Quant à la célèbre dernière séquence qui voit Scarlett tenter de retenir un Butler indifférent à sa détresse ("Frankly my dear, I don’t give a damn"), elle est répliquée au tout début d’Indiscrétions. Muette et drôle, cette déclinaison officieuse venge l’auteur de trois ans de travail perdus et installe une problématique que le woman director ne cessera de creuser par la suite : que se passe-t-il quand la femme endosse le rôle de l’homme de la famille ? On pourrait aller directement à Hantise, où le fait d’être propriétaire d’un appartement expose Ingrid Bergman à un danger mortel. On pourrait aussi courir vers la fin de la décennie, jusqu’à Madame porte la culotte, qui arpente le cadre domestique du couple moderne. Mais tout est déjà posé dans ce film-ci, qui prouve que le travail de Cukor a l’élégance de la discrétion : Le Roman de Marguerite Gautier, Vacances ou Femmes ont fait de lui un cinéaste secret, à l’art impalpable et diaphane, mais implacable.


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L’aristocrate Tracy Lord quitte donc dès le préambule le play-boy C.K. Dexter Heaven. Elle ne trouve cependant rien de mieux que de convoler en secondes noces avec un parvenu, George Kittredge. Que le réalisateur ne soit pas de cet avis, le dialogue l’annonce bientôt par l’entremise de Dinah, la sœur cadette de la future épouse, petite garce à la langue de vipère : "Oh I wish something would happen…" C’est que le danger est grand. Tracy est en train de se donner à un homme nul à l’avenir très solide, un self-made-man futur chairman qui veut faire d’elle un personnage public et distant à la fois. Avec vingt ans d’avance, Cukor voit arriver le monde des Kennedy, l’alchimie entre jet-set et nouvelle bourgeoisie incarnée par les reines des magazines à la Jacqueline K. Si la femme cukorienne s’affiche, elle n’est surtout pas installée dans une tour d’ivoire, à l’abri de la réalité sensible et objet du plus bas affichage médiatique. Or Mr Kidd, directeur de la feuille à scandales Spy, envoie le chroniqueur (d’abord écrivain sans le sou) Macaulay Connor et la photographe Lizzie Umbrie dans la luxueuse demeure pour y effectuer un reportage sur ces épousailles en coups de vent aboutissant systématiquement à des divorces. Dexter s’associe aux journalistes mondains, et le trio met au point l’opération. À partir du moment où Tracy accepte — sous la menace — la présence de ces indiscrets, les Lord se livrent à un véritable ballet destiné à prouver leur ravissement devant la charmante visite. Chacun se met en scène, joue son rôle et participe d’une entreprise destinée à offrir le spectacle d’une famille exemplaire. Mrs Lord s’entretient courtoisement avec Dexter ; Dinah fait une entrée sur les pointes, exécute quelques pas de danse et se met au piano ; Tracy invite Mike et Lizzy au mariage et, feignant un intérêt pour le premier, l’interroge au lieu de répondre à ses questions ; l’oncle Willie, indécrottable coureur de jupons, devient pour la circonstance le géniteur de la fiancée. L’arrivée du vrai père ternit la victoire des Lord et la scène se termine en match nul après une éloquente démonstration des adversaires.

C’est là qu’apparaît le talent particulier de Cukor : pour s’exhiber ainsi, nos aimables milliardaires doivent organiser leurs mensonges en fonction des spectateurs. Dès qu’ils sont seuls ou en compagnie d’une unique personne, ils abandonnent insensiblement leur théâtralité et dévoilent leur intimité. Le scénario agence toute une série de brèves rencontres en tandem, l’arrivée d’un troisième personnage chassant presque toujours l’un des deux présents et créant un autre tête-à-tête, ce qui vaut une remarquable construction par alternance d’affrontements et de révélations. La facilité du découpage classique y est négligée au profit d’une authentique stratégie de mise en scène basée sur les rapports de force. Au fil de ces échanges, Tracy apparaît successivement comme l’incarnation de la séduction féminine (version Mike), une diva à l’intolérance méprisable (version Dexter), altière comme une déesse (version George), une vieille fille aigrie (version Seth) et enfin un brasier, l’image de la chaleur et de la joie (nouvelle version Mike, après pas mal de coupes de champagne). Les mille chantages qui hantent Tracy sont autant de coups portées à l’édifice esthétique cukorien. Si Kittredge s’affiche comme un homme proche de la vie et des choses, son ménage avec l’héroïne ne promet qu’un tableau sans attrait ni sensualité. Tracy peut bien salir les vêtements de son futur mari, l’odeur de chaussures cirées ne partira pas. Mais la beauté perdue — le "yar" dans l’argot du yachtman Dexter — peut être retrouvée. Cukor envoie deux anges au secours de sa muse, Cary Grant et James Stewart : le charme et la grâce. Elle a le droit d’épouser l’un autant que l’autre, et d’une certaine manière (voir la photo prise par Mr Kidd lors de la cérémonie) c’est ce qu’elle fait. Avec de tels acteurs devant la caméra, les vieux mots que sont finesse, magie, fraîcheur, fantaisie ou sensibilité prennent un sens tout neuf. Il faut bien les ressortir, et on s’aperçoit alors qu’ils n’épuisent pas le sujet.


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Indiscrétions est le type même de ces vaudevilles sophistiqués où brille cette comédienne sophistiquée par excellence qu’est Katharine Hepburn dans un décor tout aussi sophistiqué : pièces surchargées de vitrines, de chandeliers et de menus objets contournés, piscine reliées par téléphone aux quatre coins de la maison, écuries de pur-sang, parterres mi-à la française mi-à l’anglaise, vastes salons ouvrant sur une immense terrasse et que parcourent des domestiques stylés. Le film marque également pour Cukor la fin d’un cycle. Le ton libertaire de Sylvia Scarlett, les allusions politiques de Vacances ont disparu. L’antagonisme de classe est devenu jeu de société. Simple au départ, il se complexifie : c’est dans l’ivresse d’un bain de minuit matérialisant leur transitoire "déshabillage" social que Tracy et Mike se libèrent de leurs contraintes, elle de son piédestal de vestale frigide, lui de ses a priori. Mais au petit matin tout rentre dans l’ordre : la jeune femme, que l’aventure a aidé à reprendre contact avec le commun des mortels, renonce à son fiancé roturier et le journaliste, qui a appris à moduler ses préjugés, retourne à sa compréhensive collègue. Ce happy-end n’est pourtant qu’illusoire et vient en définitive compléter l’ironie sarcastique du tableau de mœurs. S’il faut à Tracy du champagne pour se comporter de façon normale, c’est vers Mike qu’elle se tourne, sans chercher à connaître la réaction de Dexter, donc sans vouloir éveiller sa jalousie. Le remariage avec celui-ci ne signifie rien d’autre — cela répond à plusieurs allusions et discussions ouvertes — que leur sujétion à une gent à laquelle n’appartiennent ni Connor ni le piètre George. Moins éloge des esprits indépendants que raillerie élégante des turpitudes de la caste dominante, Indiscrétions arbore un discours "récupérateur" pour mieux faire triompher le statu quo. Mais la volonté première de la satire, au lieu de tendre vers les facilités de la dérision ou de la cruauté, se métamorphose en révélateur de poésie, ainsi qu’en témoigne la scène d’ivresse où comme par enchantement la statue devient femme.

Peut-être à cause de la nostalgie que l’on en a, les fleurons du genre se tempèrent souvent d’un soupçon de mélancolie ; et sans doute l’ambivalence du phénomène comique, l’évidente gravité du rire n’y entrent-ils pas pour rien. C’est bien d’un monde perdu qu’elles sont les témoins irremplaçables, d’un paradis où les apparences se réconcilient toujours, où l’éclat final de la rose épanouie fait sans trop de peine oublier les petites égratignures de ses épines. Indiscrétions s’ouvre sur la note discordante d’une rupture, se poursuit en arabesques déroulées au rythme des intermittences du cœur et s’achève par une union qui boucle la boucle en ramenant à une situation préexistant à celle du film lui-même. Cukor rappelle simplement que le bonheur est plus souvent une courbe sinueuse, ou refermée en cercle sur elle-même, qu’une ligne droite, et permet ainsi à une anecdote conventionnelle de vivre d’une seconde vie, plus ambiguë : ce qui a déjà été ne peut-il être à nouveau ? Un bonheur qu’il ne faut toutefois pas confondre avec un quelconque hédonisme mais qui est accord, harmonie profonde entre les semblants et l’intériorité, équilibre triomphant de menaces toujours présentes, alors même qu’on les croit estompées. Car il suffit d’un rien pour le drame s’évapore en comédie, pour que la comédie se détériore en drame. Fragilité, malléabilité de l’instant vécu qui font du monde du spectacle, pour le réalisateur d’Une Étoile est née, un milieu privilégié : c’est là que l’on vit le plus intensément, parce que l’on y passe le plus facilement d’un état à l’autre. Les êtres semblent n’y exister que tant qu’ils peuvent se donner en représentation. Et le cinéma reprend ses droits sur le théâtre quand l’artifice du paraître cède peu à peu la place à la vérité. Toute la dynamique d’Indiscrétions naît des transitions permanentes entre ces modes d’existence. Il s’y manifeste une insolence ahurie qui jamais ne s’attarde ni ne force le trait, une aisance princière dans le jonglage des tonalités, un esprit mousseux qui habille de futilité les questions cruciales. Ce doit être cela, une grande comédie américaine.


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