J'ai aussi beaucoup de mal à qualifier un film de "vieux". Comme d'autres l'ont déjà évoqué sur ce fil de discussion, je m'y résous cependant par commodité vis à vis de mes interlocuteurs au quotidien, pour ne pas apparaître trop pédant. En termes purement esthétiques et narratives, j'ai dû mal à voir en
La Soif du Mal, un vieux film. Peu de films sortis en 2018, peuvent prétendre le dépasser en matière de modernité...
Sinon, plusieurs remarques me viennent à l'esprit. Pas forcément très originales je l'admets, mais c'est dans le but de partager mes réflexions. Et puis, je n'ai pas l'habitude de faire de longs posts, donc je me lance
!
Pour commencer, je pense qu'en tant qu'ils sont (encore) des objets de la culture populaire, notre rapport aux films (et du coup, de leur "âge") est une question d'ordre hautement affective et émotionnnelle. Un film est d'abord une expérience émotionnelle et les considérations esthétiques, historiques etc... , comme celles de l'historien du cinéma, et que n'importe quel amateur (même à son "petit" niveau) peut mobiliser, viennent de toute manière dans un second temps (le temps de l'analyse, quoi).
Par exemple, j'aurais pour ma part du mal à dire que
Main Basse sur la Ville, que j'ai découvert la semaine dernière et qui m'a bouleversé, est un vieux film. Il a certes été tourné il y a plus d'un demi-siècle mais il résonne en moi "au présent", a enrichi ma vision du monde et fait de moi quelqu'un de différent d'un peu différent par rapport à la veille. En cela, il est parfaitement actuel. En revanche, un film qui ne me séduit pas sur ce plan émotionnel, c'est sur celui-ci que je vais mettre en marche précocement ma faculté de recul et d'analyse, avec lequel je peux me montrer du coup impitoyable sur les éléments datés, les procédés d'une autre époque, de manière on peut dire à le "sanctionner" de ne pas m'avoir emballé. Cela revient à une évidence : "ils n'y a pas de vieux films et de jeunes films, il n'y a que les bons et les mauvais film".
Vous allez me dire, il faut tout de même une certaine souplesse d'esprit et d'approche pour souscrire à ce principe. Cela n'est pas donné à tout le monde. La plupart des spectateurs restent arrêtés sur des critères éminemment arbitraires, pleins de préjugés (films muets, beurk, films en N&B, rebeurk...).
La meilleure période pour travailler cela, et faire abattre ces barrières, reste l'enfance. En CM1, nous nous étions bidonnés comme des fous devant
La Ruée vers l'Or de Chaplin, sans nous poser la question de savoir que le film avait 60 ans, était en n&b et muet. De même, enfant, je pouvais regarder des films vieux de plus de 15-20 ans, sans jamais me poser la question de l'âge. Cela devient sûrement beaucoup plus dur pour les enfants d'aujourd'hui. La prolifération des écrans et des images sevrent (rapidement) et standardisent (énormément) le regard du jeune public. Rien qu'au niveau du format (type vidéo Youtube de 3min 30) qui privilégie le zapping permanent. Mais là, on entre dans un sujet bien plus vaste, qui attrait à la place du cinéma dans les standards culturelles et annonce son recul inévitable.
Il y a aussi une question d'accoutumance. Le lecteur avide qui enchaine les romans de J. Austen, ne trouvera rien de vieux là-dedans. Il fait "sien" l'écho des histoires de la romancière du XIX ème siècle (comme je le disais plus haut), elles lui parlent à un niveau très intime. Bien sûr, on attérit rapidement dans la catégorie des vrais passionnés... La passion c'est bien ça, une activité de laquelle on tire un sens, une véritable nourriture, vitale pour soi, dont on pense qu'elle nous aurait manquer si elle n'avait pas existée.
Pour revenir à des considérations plus prosaïques, il y a bien quelque chose qui me semble battre en brèche la notion de "vieux films", ce sont les restaurations des copies, les reprises en salle, les éditions HD etc... qui redonnent, de facto, un éclat, une vitalité, une actualité aux films qu'il est difficile de nier. En outre, je ne rate quasiment jamais une reprise à découvrir en salle dans ma ville. L'expérience en salle affranchit certaines barrières idéologiques aussi. Je pense que c'est lié à un processus réflexe, hérité de l'enfance : le plaisir de voir les lumières de la salle s'éteignent et de basculer dans un autre monde étrange, où les gens peuvent très bien voir en n&b et ne pas avoir le son. Peut-être vivons-nous dans la matrice et la vraie réalité ressemble à un film muet, qui sait (petite dédicace au topic "Le cinéma il y a vint ans...
).