Joseph Losey (1909-1984)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Watkinssien
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Watkinssien »

Très beau texte encore une fois sur ce chef-d'oeuvre indiscutable !

Petit bémol, c'est Sarah Miles (la fille de Ryan de David Lean) et non Vera Miles ! :wink:

Et un petit ajout. Les rapports entre Tony et Barrett révèlent effectivement de Hegel, mais Losey a toujours dit qu'il y avait énorménent de connotation faustienne. Et en effet, ces deux influences permettent de peindre une relation extrêmement singulière.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Ben voilà, à voir trop de films en même temps, on s'emmèle les pinceaux. :oops: Je vais corriger.
Je viens de comprendre en corrigeant que Sarah qui joue le rôle de Vera, c'est piégeux :lol:

Pour Faust, en fait, j'avoue humblement que je n'ai pas vraiment saisi le rapport avec le film. J'ai cherché mais je ne vois pas. Je suppose que je connais mal le mythe de Faust.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Watkinssien »

Le personnage de Dirk Bogarde a un pouvoir certain, un pouvoir d'influence, dirigeant tant bien que mal le personnage de James Fox.
Il demeure véritablement "méphistophélien", car Méphisto sert Faust pour mieux le dominer, d'autant plus qu'il y a lien professionnel dans The Servant, comme il y a un contrat liant les personnages principaux dans la légende de Faust.

Connaissant bien cette dernière, je suis d'accord avec ce qu'en a dit Losey.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Watkinssien a écrit :Il demeure véritablement "méphistophélien", car Méphisto sert Faust pour mieux le dominer, d'autant plus qu'il y a lien professionnel dans The Servant, comme il y a un contrat liant les personnages principaux dans la légende de Faust.

Connaissant bien cette dernière, je suis d'accord avec ce qu'en a dit Losey.
Bien compris, merci :wink:
Cela éclaire un peu mieux la relation Hugo / Tony pour moi. A voir Tony si avachi dès le début du film, j'avais tendance à finir par penser que c'était lui le moteur du sujet du film.
Pour Faust, j'en restais à la vente de son âme par Faust à Méphisto pour conquérir l'éternelle jeunesse. Bref, je vais revoir le Murnau que j'ai dans un coin, et que j'ai complétement oublié.
En gros, je comprends que le contrat qui lie les deux hommes, de nature à créer une hiérarchie, est le vrai moteur de leur déchéance: le lien entre les deux est corrupteur et les deux se mettent à s'envier...Bon, je vais revoir le Murnau avant de continuer :mrgreen:
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Jack Carter
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Jack Carter »

les films de la retrospective de La Rochelle 2009

Le Garçon aux cheveux verts • 1948
Le Rôdeur • 1951
M • 1951
La Grande nuit • 1951
Un homme à détruire • 1952
Temps sans pitié • 1957
L'Enquête de l'inspecteur Morgan • 1959
Les Criminels • 1960
Eva • 1963
The Servant • 1963
Pour l'exemple • 1964
Accident • 1967
Le Messager • 1971
Maison de poupée • 1973
Monsieur Klein • 1976
Don Giovanni • 1979
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julien
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par julien »

Jack Carter a écrit : Accident • 1967
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"Jacqueline Sassard elle est bonne."
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"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Nombreux spoilers!

King and Country – Pour l’Exemple (1964)
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Après le succès de The Servant, Joseph Losey réalise ce film à très petit budget sur la demande de la production, dans le but d’obtenir le budget qui lui permettra de réaliser son second film d’après un scénario d’Harold Pinter, Accident.

Il semble que Losey ait été peu attiré par ce projet. Le premier scénario, fait d’après un roman, Hamp, de James Lansdale Hodson, était, d’après ses discussions avec Michel Ciment, assez médiocre.
Mais il prend finalement beaucoup d’intérêt pour ce sujet, après en avoir discuté avec Dirk Bogarde. Ce dernier avait été officier dans l’armée britannique, attaché à l’état-major du Général Montgomery durant la seconde guerre mondiale, et des membres de sa famille avaient combattus durant la première guerre mondiale, époque à laquelle le film se déroule. Il confie le remaniement du scénario à Dirk Bogarde qui prendra l’un des deux rôles principaux, celui du Capitaine Hargreaves, tandis que le rôle du soldat Arthur Hamp est confié à Tom Courtenay, un jeune acteur qui avait débuté dans La Solitude du coureur de fond (1962) de Tony Richardson et qui remportera avec King and Country le prix d’interprétation de la Mostra de Venise de 1964 (le film lui-même sera nominé pour le Lion d’Or).
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Film à petit budget tourné en moins de dix semaines, King and Country se révèle effectivement être un très beau film, court et solide dans sa mise en scène, sobre et poignant dans son interprétation.
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Le film débute par un splendide mouvement de caméra, en pré-générique, sur un monument aux morts particulièrement imposant, avant que le générique ne nous entraîne au fond d’une tranchée, dans la boue de la guerre.

Nous sommes dans les tranchées de la guerre de 14-18. Un soldat de 24 ans, Arthur Hamp doit être jugé pour avoir quitté la ligne de front, pris de stupeur par la violence des bombardements, et avoir tenté de rejoindre l’Angleterre avant d’être arrêté pour désertion. Il est tenu prisonnier au sein de son bataillon, sur la ligne de front. Des combats, nous ne verrons rien. Le film se déroule en huit-clos, entre la salle où Hamp est emprisonné, la salle des officiers, le tout au fond d’une tranchée. La guerre est cependant omniprésente, par le bruit continuel des obus, ce bruit qui, justement, a fait fuir Hamp, et la boue dans laquelle les hommes pataugent du début à la fin du film.
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L’intrigue du film est très simple. Hamp doit être jugé par un tribunal militaire et un officier, le Capitaine Hargreaves, lui est fourni comme défenseur. Hargreaves prend de pitié le jeune homme et tente de le conduire à plaider la perte de raison (Hamp venait d’apprendre que sa femme le trompait) et à s’engager à reprendre le combat, ce qui devrait lui éviter une condamnation. Par une honnêteté particulièrement naïve, Hamp s’entête à considérer qu’il n’a pas déserté, que la trahison de sa femme n’a joué aucun rôle dans sa fuite, mais qu’il ne pouvait plus supporter la violence des bombardements. Il combat depuis plus de deux ans après s’être engagé lors de la déclaration de guerre et considère qu’il a suffisamment donné de sa personne.
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Pour bien comprendre le film, il faut se souvenir que l’armée anglaise n’est pas une armée de conscription, comme la française à l’époque, mais une armée d’engagés. Bien sûr, en cas de guerre, il est assez difficile à un jeune homme de vingt ans de ne pas aller "faire son devoir pour le Roi et la Nation", titre du film. D’ailleurs Hamp indique bien à Hargreaves s’être engagé sous la pression de sa belle-famille. Cette nuance fait que le thème du film n’est pas la désertion, mais l’engagement libre d’un homme qui perd toute liberté de revenir sur sa décision, quelles que puissent être la longueur du conflit et la violence des combats. Le patriotisme n’est pas payé de retour, il est au contraire une chaîne qui lie le sujet à son maître.
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Jusqu’au procès sommaire au cours duquel le Capitaine Hargreaves plaidera les états de services du soldat Hamp au lieu d’invoquer la folie passagère, Hamp restera inconscient du danger de sa position, sur qu’il est de son bon droit de disposer de sa propre personne. Quand le verdict tombe et qu’il est condamné à être fusillé le lendemain par ses propres compagnons, il s’écroule, incrédule.
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On lui fournit de l’alcool pour passer sa dernière nuit, on lui bande les yeux et il est fusillé au petit matin dans le fond de sa tranchée. Il tombe mourant et c’est Hargreaves qui lui donnera le coup de grâce, avec son pistolet, dans la bouche.
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Loin des ambigüités qu’il affectionne souvent, Joseph Losey livre ici une œuvre profonde, froide et juste. Choisissant délibérément de ne rien montrer de la guerre elle-même, si ce n’est la misère des conditions de vie des soldats, il dépasse le cadre historique du film. King and Country, par sa simplicité, est un véritable questionnement métaphysique sur la condition humaine et l’asservissement social.

Ce film dont Dirk Bogarde a remanié seul le scénario, à la demande de Joseph Losey, est une bonne occasion de lui rendre hommage en rappelant que ce grand acteur était aussi écrivain et poète. Sur son site officiel, vous trouverez beaucoup de renseignements sur ses oeuvres littéraires (et sur l'acteur aussi, le site est très bien fait et très complet):

Dirk Bogarde, site officiel
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par julien »

Deux Hommes en Fuite. (Figures in a Landscape) 1970

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Un film d'action a suspens pas mauvais mais qui laisse un peu sur sa faim. Figures in a Landscape – que l'on pourrait traduire par par Silhouettes dans un Paysage - montre deux Anglais en fuite d'un camp de prisonniers non spécifié. La direction d'acteurs y est un surprenant exemple de pure mise en scène, dont chaque séquence est parfaitement calculée pour encadrer le thème de deux silhouettes captives d'un paysage ». Deux silhouettes dont Losey dira : « L'un avait sa vie devant lui, l'autre, derrière lui. Mais je ne crois pas qu'il y ait là matière à les distinguer. » Tout le film est d'ailleurs tourné en extérieurs dans des paysages sauvages arides. Les plans filmés en hélicoptères, accompagnés de la partition atonale de Richard Rodney Bennett sont d'ailleurs particulièrement réussit. Cet hélicoptère - sorte de symbole d'une société répressive et dont on ne voit presque jamais les conducteurs, poursuit infatigablement les deux anglais en surgissant toujours à l'improviste; un peu comme le camion de Duel dans le téléfilm de Spielberg.

On retiendra également une séquence d'action particulièrement efficace; celle d'un champ de canne à sucre en flamme - digne d'Apocalypse Now où les deux fugitifs sont traqués par l'hélicoptère qui leur envoi des grenades explosives. Le film pêche un peu par quelques incohérences dans le scénario et une interprétation de Robert Shaw parfois un peu caricaturale dans le registre cabotin. En cela sur un thème similaire, j'avais trouvé le film Runaway Train de Konchalovski peut-être plus aboutit.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Boubakar »

Hier a été diffusé, sur France Culture, le dernier "épisode" des entretiens de Losey réalisés par Michel Ciment.
Diffusée durant tout le mois d'Août, ces conversations (totalisant en tout 15 heures :shock: ) sont vraiment très intéressantes, Losey étant assez lucide sur les films qu'il a fait, entre ceux qu'il a fait pour l'art et d'autres pour l'argent (les frères Hakim en prennent pour leur grade).
Ainsi, on apprend que Eva est son film préféré, malgré les coupes sévères dans le montage (dont le réalisateur demandera en vain son "director's cut"), et que son acteur préféré est sans nul doute Dirk Bogarde (qu'il aura fait tourner 4 fois, dont The servant).

Mais, sur l'ensemble de sa filmographie, on a droit à des anecdotes très intéressantes (notamment sur sa relation de travail avec Alain Delon), qui portent aussi bien sur la technique que sur son envie de tourner (il aura fait assez peu de films "alimentaires", semble-t-il).
Quant à l'émission, elle était bien fichue, la voix "traduite" de Losey démarrant quelques secondes après que celui-ci commence à parler, idem pour Michel Ciment (qui se "redouble" :lol: ).
L'intégralité de l'interview parue dans le livre Kazan/Losey provient de ces bandes, on a donc l'avantage d'entendre Parler Losey, ce qui constitue toujours un document précieux.

Ces émissions auront été une superbe initiative de France Culture, et, perso, ça m'a donné envie de connaitre davantage sa filmo (mais je connais déjà, et aime pas des masses, Eva, Cérémonie secrète et Monsieur Klein), notamment un film nommé Pour l'exemple.
Dernière modification par Boubakar le 30 août 09, 11:45, modifié 1 fois.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Jack Carter »

Boubakar a écrit :son acteur préféré est sans nul doute Dirk Bogarde (qu'il aura fait tourner 3 fois, dont The servant).
4 fois : Modesty Blaise, Accident, The Servant

edit : et Pour l'exemple :wink:
Dernière modification par Jack Carter le 30 août 09, 11:54, modifié 1 fois.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Tancrède »

Bogarde dans les damnés ??
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Major Dundee »

Tancrède a écrit :Bogarde dans les damnés ??
Dans "The damned" de Visconti, oui
Dand "The Damned" de Losey, non. :|
Charles Boyer (faisant la cour) à Michèle Morgan dans Maxime.

- Ah, si j'avais trente ans de moins !
- J'aurais cinq ans... Ce serait du joli !


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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Tancrède »

Jack Carter a écrit :
Boubakar a écrit :son acteur préféré est sans nul doute Dirk Bogarde (qu'il aura fait tourner 3 fois, dont The servant).
4 fois : Modesty Blaise, Accident, The Servant

edit : et Pour l'exemple :wink:
et dans La bête s'éveille
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Accident (1967)
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"I tend to think that cricket is the greatest thing that God ever created on earth – certainly greater than sex, although sex isn't too bad either" Harold Pinter
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C’est au sein de l’université d’Oxford que se déroule Accident, seconde collaboration entre Joseph Losey et Harold Pinter. Le scénario de ce film est sans doute le plus géométrique par la forme circulaire qu’il adopte, permettant ainsi de symboliser un univers clôt, tout en enfermant les protagonistes dans un monde protecteur et codé. Il y aura deux échappées hors de ce cercle durant le film. L’une, au début, se terminera tragiquement : c’est l’accident qui enclenche le film. La seconde, au début de la seconde partie, est la visite que fait Stephen (Dirk Bogarde) à Londres pour revoir son amour de jeunesse, Francesca (Delphine Seyrig) dans une belle et rêveuse évocation du film Muriel, ou le temps d’un retour d’Alain Resnais. Cette seconde échappée sans conséquences ne durera que le temps d’un aller et retour.
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Le générique d’Accident se déroule devant la grille du confortable cottage de Stephen, professeur de philosophie à Oxford, et se termine par un zoom qui nous fait pénétrer doucement dans la propriété et qui, accessoirement, est le premier emploi du zoom par Losey. Sans chercher à trop interpréter des détails techniques, on peut remarquer la légère imprécision de ce mouvement de zoom, comme pour souligner que l’intrigue est encore ouverte. A l’inverse, le film se clôt sur un plan de ce même cottage et c’est par un impeccable travelling que Losey nous fera sortir de la propriété de Stephen, comme si maintenant tout était écrit. Travelling impeccable entre guillemets, puisqu’on en aperçoit les rails dans le plan. Losey soulignait bien qu’il s’agit d’une erreur de tournage et non d’un effet voulu de distanciation.

Une distanciation qui n’aurait cependant pas jurée dans ce film parfaitement construit. C’est avec Accident que Joseph Losey permettra au chef opérateur Gerry Fisher de faire la preuve de son talent. Considéré comme un très grand cadreur, Gerry Fisher était alors un peu bloqué dans sa carrière, et c’est Losey qui a eu l’idée de lui proposer de diriger la photo sur son prochain film. Il lui a donné le scénario, Fisher s’est isolé trois jours et il est revenu vers Losey avec une vision très personnelle du film : "j’ai compris plus tard que ce n’était pas si important de savoir comment vous alliez faire quelque chose tant que vous saviez ce que vous vouliez faire". Après Accident, Gerry Fisher restera le chef opérateur de plusieurs des plus grands films de Joseph Losey, et ce dernier saura régulièrement mettre à l’épreuve l’ingéniosité technique de Fisher. Leur plus grand chef d’œuvre commun est peut-être M. Klein.
Spoiler (cliquez pour afficher)
A ceux qui apprécie le travail photographique, je signale entre parenthèses, qu’en plus de plusieurs films majeurs de Losey, on peut apprécier le travail de Gerry Fisher sur deux très beaux films de Sidney Lumet, The Offence (1972) et Running on Empty (1988).
Au début d’Accident, Stephen sort de chez lui, alerté par le bruit d’un accident automobile qui vient d’avoir lieu. Un long mouvement de caméra nous entraîne à travers la campagne avec des inserts d’animaux qui donnent une atmosphère onirique à la séquence, soulignant ainsi à contrario l’aspect brutal de l’évènement. Stephen reconnaît les passagers, aide une jeune femme élégante, Anna (Jacqueline Sassart) à sortir de la voiture, constate la mort du jeune homme qui l’accompagnait, William (Michael York). Il installe la jeune femme chez lui, la questionne pour savoir si c’était bien elle qui conduisait le véhicule et ensuite commence un très long flash-back qui constitue l’essentiel du film.
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Accident se déroule dans l’atmosphère feutrée et intellectuelle de l’université d’Oxford. L’intrigue se joue autour de quelques personnages principaux. Stephen et son ami Charley (Stanley Baker) y sont professeurs. Stephen est marié, il a deux enfants et sa femme Rosalind (Vivien Merchant) est enceinte d’un troisième qui naîtra durant le film. Visiblement apprécié de ses étudiants, Stephen est un intellectuel qui apprécie une paisible vie de famille. De légers détails, comme sa réserve timide, permettent de deviner qu’il vient probablement d’un milieu plus modeste que celui de la plupart des élèves et professeurs d’Oxford. Il est proche de l’un de ses étudiants, William, un jeune aristocrate qui est tout émoustillé par l’arrivée à Oxford d’une princesse autrichienne de très grande famille, Anna. Il invite les deux étudiants chez lui pour un dimanche après-midi, en compagnie de Charley.
C’est le seul film où Joseph Losey confronte deux de ses acteurs fétiches, Dirk Bogarde et Stanley Baker, en jouant sur leurs caractères fortement différenciés. Les deux sont professeurs et Charley semble lui aussi issu d’un milieu relativement modeste. Mais, contrairement à Stephen, Charley sacrifie avec plaisir aux coutumes des classes supérieures anglaises. C’est un grand sportif, comme Baker l’était dans la réalité, excellent joueur de cricket quand Bogarde donne l’impression de ne même pas en connaître les règles. Agressif et charismatique, Charley est une vedette de la télévision où il intervient régulièrement, et dispose ainsi de revenus financiers supérieurs à ceux de Stephen. Il est marié mais la famille de Charley ne sera jamais montrée à l’écran comme celle de Stephen.
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Le flash-back d’Accident est une longue dérive de Stephen qui désire imiter Charley, faire des émissions de télé et être remarqué de sa hiérarchie, et qui échouera pitoyablement. Le nœud du film a lieu lorsque Stephen se rend à la BBC pour négocier un contrat pour plusieurs émissions. Dans une séquence particulièrement bien mise en scène, Stephen se présente, demande à rencontrer une personne avec qui il est en très bon contact, apprend que cette personne est malade, est reçu par un producteur de télévision joué par Harold Pinter lui-même et qui se trouve être un de ses anciens élèves. Durant cet entretien, il se fait littéralement et visuellement voler la place convoitée par un homme aussi énergique que sans gêne. Il repart bredouille, n’ayant même pas pu présenter un quelconque projet. Le producteur de télévision n’a retenu qu’une chose de son ancien professeur : il était le fiancé de la fille du doyen d’Oxford, Francesca (Delphine Seyrig).
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Après qu’elle ait ainsi été rappelée à son souvenir, Stephen reprend contact avec Francesca et passe la nuit avec elle. Cette rencontre donne lieu à une très belle scène typique de Losey, quand nous observons les deux amis à travers la vitrine d’un restaurant. Accident est ainsi constellé de scènes poétiques et de quelques morceaux de bravoure technique, comme la fameuse scène dite de l’omelette, remarquablement filmée en un seul plan-séquence.
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Parmi les merveilleuses scènes de ce film, on notera bien sûr, la scène où Stephen se rend chez Charley et rencontre Laura (Ann Firbank), la femme de Charley, sous la pluie tandis que l’arroseur fonctionne d’un mouvement régulier.
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Stephen constate la détresse de Laura qui a compris que son mari la trompait avec Anna. Charley a effectivement jeté son dévolu sur la belle princesse autrichienne et ruine son mariage. Il perdra tout puisque la belle choisit finalement d’épouser le jeune William qui, lui, est de sa caste.

Joseph Losey joue durant tout le film autour de la thématique de l’accident qui devrait bouleverser la vie de tous les protagonistes du film. Certains bouleversements ont bien lieu mais à un niveau très terre-à-terre. Charley a perdu à la fois sa famille et sa jeune maîtresse. William est sans doute le plus affecté puisqu’il est mort à la fin du film. Anna, que sa position sociale protège d’une enquête sérieuse, n’est pas interrogée sur le fait qu’elle conduisait probablement la voiture lors de l’accident. Mais son fiancé William est mort, et les convenances vis-à-vis de la justice font qu’il est préférable qu’elle mette court à ses études et quitte Oxford pour rejoindre sa famille et son pays.

Mais si Joseph Losey et Harold Pinter ont choisi de mettre en scène ces évènements au sein de la société parfaitement codée de l’université d’Oxford, c’est justement pour nous montrer que dans la société anglaise de la fin des années soixante, des changements superficiels ne bouleversaient finalement rien de vraiment important dans une société parfaitement hiérarchisée, illustrant ainsi sous une autre forme la conclusion de Luchino Visconti dans Le Guépard : "il faut que tout change pour que rien ne change".

Symbolisant à un niveau international les classes sociales les plus élevées, la jeune princesse autrichienne Anna, à laquelle Losey avait choisi de prêter les traits de Jacqueline Sassart, la voulant aussi impersonnelle que possible afin qu’elle traverse le film comme un fantasme de beauté inatteignable, ne sera inquiétée en rien par les diverses aventures, engagements et accidents qui ponctuent le film.
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On peut apprécier la discrétion ironique de l’hyperbole par laquelle Losey lui fait quitter le film : elle quitte sa chambre d’étudiante en jetant un regard affligé sur son ancien amant, Charley, qui se comporte comme un pauvre adolescent évincé, s’arrête un moment devant ses armoiries en bois accrochées au mur et qu’elle allait oublier, les décroche et quitte Oxford en les tenant dans ses bras.
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Rosalind, la femme de Stephen, symbolise très bien la permanence féminine que Losey aime à faire souvent apparaître dans ses films, en contrepoint au désir des hommes. Elle a donné naissance à son troisième enfant, ses discussions avec son mari ont montré la finesse de son esprit, mais elle est finalement restée à côté de tous les bouleversements qui auraient pu mettre à mal son univers. A la fois féminine et respectée, elle est à l’écart des petitesses du monde qui l’entoure.

William lui, est ce qui doit changer pour que rien ne change. A priori privilégié dans cet univers et parfaitement à l’aise avec les codes qui régissent cette société, il est finalement la victime ultime de son époque. Son amitié intellectuelle et le respect qu’il éprouve pour son professeur de philosophie Stephen, le conduise à tenter de lui permettre de pénétrer les arcanes de son monde. On en trouve une belle illustration lors de la soirée smoking et robe longue à laquelle il convie Stephen.
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Avec une excellente connaissance des coutumes anglaises, Losey nous montre une scène typique durant laquelle les jeunes hommes décident de se livrer à un match de rugby en salle au milieu de la soirée. Une équipe retire sa veste pour rester en chemise blanche, tandis que l’autre équipe retourne sa veste (on découvre accessoirement ainsi que les doublures bleues flashy des costumes anglais ne datent pas d’hier). Brièvement, les coups pleuvent et les bouches grimacent : William préfigure alors le visage qu’il aura dans la voiture après sa mort. Violence frontale et courage physique sont des valeurs d’un autre temps.

Tant qu’au match que Stephen aura voulu initier avec son ami Charley, devenu son rival au cours du film, il se termine comme il avait commencé. Charley a ruiné sa famille et perdu sa maîtresse mais on se doute que cela n’affectera guère sa carrière. Contrairement à Stephen, il est très apprécié de sa hiérarchie qui montre du goût pour ses performances télévisuelles et sportives.
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Il joue ainsi les vedettes durant un match de cricket pendant lequel Stephen se fait une fois de plus discrètement humilier. Ayant bêtement imaginé que ses retrouvailles avec Francesca, la fille du doyen, lui vaudraient l’intérêt renouvelé de ce dernier, il se fait promptement renvoyé à sa place par le doyen qui, visiblement, n’éprouve plus guère d’intérêt pour sa fille. Il permet à Anna de ne pas être inquiétée au sujet de l’accident de voiture mais cette dernière quitte l’université.
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Stephen rejoint sa maison et sa famille et le film se clôt sur le même plan initiateur du film, mais incluant une voiture d’enfant dont on ne sait très bien si elle symbolise les rêves de Stephen qui n’aboutiront pas, ou la position dont ce dernier, qui est un peu la figure de l’artiste dans le film, est prié de se contenter, dans cette société dont il ne possèdera jamais les codes.

Ci-dessous, filmographie complète de Gerry Fisher:

Gerry Fisher, Great cinematographers
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par homerwell »

Stephen rejoint sa maison et sa famille et le film se clôt sur le même plan initiateur du film, mais incluant une voiture d’enfant dont on ne sait très bien si elle symbolise les rêves de Stephen qui n’aboutiront pas, ou la position dont ce dernier, qui est un peu la figure de l’artiste dans le film, est prié de se contenter, dans cette société dont il ne possèdera jamais les codes.
Ha bravo, c'est joliment dit ! :D
Mais crois-tu que Losey ait voulu pousser le cynisme aussi loin, sans laisser le moindre horizon dégagé aux spectateurs quant au futur de Stephen. Avec sa vie de patachon, Charley finira bien par avoir son "accident" lui aussi. Alors que Stephen a retrouvé son paisible quotidien au milieu de ses enfants, la preuve, la petite voiture rouge traine négligemment devant la sereine maison familiale.
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