George Cukor (1899-1983)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Frances
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Frances »

Hitchcock a écrit :C'est vrai que celui-ci n'est pas top, malgré Garbo. :?
On a beau rire par moments on a connu plus inspiré. Du coup la Divine a tiré sa révérence après le flop qu'a fait le film et ça c'est bien regrettable. :?
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Jeremy Fox
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Jeremy Fox »

A l'occasion de la mise en ligne de la chronique de La Diablesse en collants roses, le top Cukor de la rédac.
Hitchcock
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Hitchcock »

Jeremy Fox a écrit :A l'occasion de la mise en ligne de la chronique de La Diablesse en collants roses, le top Cukor de la rédac.
Un peu étonné de voir Vacances aussi haut placé. Bonne surprise aussi pour Hantise
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ed
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par ed »

Mon film préféré du cinéaste ; voici ce que j'en disais il y a quelques temps :
Séducteur enjoué et rêveur en pleine ascension sociale, Johnny Case (Cary Grant) est sur le point de se marier avec l'une des héritières de la dynastie Seton, grande famille de l'aristocratie new-yorkaise, mais ce jeune idéaliste peine à se plier aux codes et aux attentes de sa future belle-famille. Surtout, dans la gigantesque demeure des Seton, il fait connaissance avec la sœur de sa future épouse, Linda (Katharine Hepburn) qui se révèle être, par sa fraîcheur et son esprit libertaire, bien plus proche de lui que sa promise...
Au milieu des prestigieuses collaboration Hepburn/Grant, Holiday fait parfois un peu office de second couteau, éclipsé par l’imposant ombrage de L’impossible Monsieur Bébé, réalisé la même année par Howard Hawks, ou d’Indiscrétions, également de George Cukor. C’est un tort, car derrière une apparente modestie se cache l’une des plus euphorisantes mais aussi l’une des plus amères comédies de l’âge d’or hollywoodien. Comme souvent, le film trouve son origine dans les planches de Broadway, la pièce ayant été adaptée une première fois sur grand écran par Edward H. Griffith en 1930 - ce succès scénique avait d’ailleurs été écrit par Philip Barry, ami proche de Katharine Hepburn qui écrira Indiscrétions en 1939 pour relancer la carrière de la comédienne, alors en bisbille avec les studios. Presque intégralement située à l’intérieur de la grandiose demeure de la famille Seton, l’action du film obéit à un dispositif qui ne cherche jamais vraiment à s’affranchir de sa théâtralité originelle, Cukor étant qui plus est un fervent adepte des plans longs. Cependant, l’immensité des lieux permet de définir une topographie assez singulière, qui restitue aussi bien le sentiment d’oppression sociale que la solitude soudaine des protagonistes dans cette immensité froide. Car Holiday obéit véritablement à deux élans complémentaires : d’une part, celui de la comédie pure (burlesque des situations, vivacité des répliques, excentricité des comédiens) et d’autre part, celui de la satire sociale. En rencontrant sa future belle-famille, le jeune Johnny découvre surtout un microcosme gelé par le protocole, et le film n’aura de cesse de mettre en (dés)équilibre les aspirations libertaires du jeune dandy et sa soumission aux exigences cruelles et absurdes de la haute-société. Dans cette version débridée et douce-amère de la lutte des classes, Cukor pend clairement parti pour la jovialité parfois naïve des artistes et des fous, face à l’égocentrisme et à la tristesse d’une aristocratie sclérosée. La seconde partie du film fonctionne d’ailleurs sur le contraste permanent entre la « cérémonie officielle » guindée et une contre-soirée subtilement hystérique, où chacun peut enfin exprimer librement ses envies et sa réelle nature. Car la grande réussite d’Holiday est de flirter avec la caricature pour mieux dresser une galerie de personnages hauts en couleur, attachants et profonds ; on pense en particulier au troisième membre de la fratrie Seton, le frère Ned, aussi désopilant que pathétique dans ses dérives éthyliques. La réjouissante folie douce et la mélancolie se mêlent ainsi constamment dans ce film radieux et musculairement indispensable, en ce qu’il fait simultanément travailler les zygomatiques, le cerveau et le cœur.
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Federico »

Rediffusion de l'émission de France Culture Le cinéma retrouvé de 1994 :
Autour de «Something's Got to Give» de George Cukor, interrompu par le suicide de Marilyn Monroe.
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El Dadal
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par El Dadal »

Jeremy Fox a écrit :La femme aux deux visages (Two faced woman)

Après une première demi-heure fraiche et amusante ponctuée de quelques gags vraiment drôles comme les cris de Constance Bennett et qui culmine avec la danse improvisée suite à un mouvement de pieds intempestifs (la chicochica est née :lol: ), à cause d'une volonté idiote des producteurs qui font que les quiproquos qui vont suivre retombent comme un soufflé, le film devient mortellement ennuyeux presque jusqu'à son final burlesque qui remonte un peu le niveau (quoique). Dommage. L'année 1941 n'a pas porté chance au cinéaste :|
Je viens de la voir et j'en pense peu ou prou la même chose. J'ajouterai que le côté abrupt de la fin m'a bien désarçonné, j'ai eu du mal à croire que le film se terminait sur cette note (et moralement, la femme est de retour aux ordres, mais par sa propre volonté, wow, quelle émancipation). Et puis remarque gratuite qui aurait sa place dans la revue de Larry Blake, la coiffure de la Garbo, c'est vraiment pas ça sur ce film (cette mèche esseulée au milieu du front, je ne voyais plus que ça :shock: )
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Profondo Rosso
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Profondo Rosso »

Une étoile est née (1954)

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Norman Maine est un acteur vedette sur le déclin qui a sombré dans l'alcoolisme et joue les pique-assiette dans les réceptions d'Hollywood. Lors d'un gala de charité, il découvre une jeune chanteuse, Esther Blodgett, et la fait engager par le directeur du studio. Sous le nom de Vicki Lester, elle connaît une ascension triomphale. Elle épouse son mentor, qui promet de ne plus boire.

George Cukor signe un des plus bouleversants témoignages sur Hollywood avec ce superbe Une étoile est née. Même si le film est crédité en tant que remake du titre éponyme réalisé par William Wellman en 1937, cette première version était pourtant une variation d’un film antérieur déjà signé George Cukor (les deux produits par David O. Selznick) sur le même sujet, What Price Hollywood ? (1932). Le projet fut longtemps caressé par Judy Garland et sa concrétisation confirme le retour au premier de la star. Renvoyée par la MGM en 1950 à cause de ses troubles mentaux et différentes addictions et divorçant de Vincente Minnelli en 1951, Judy Garland se refait une spectaculaire santé sur scène en triomphant au Palladium puis au Palace Theatre de New York où elle joue dix-neuf semaines. De nouveau courtisée par les studios, Judy Garland impose donc cette nouvelle version d’Une étoile est née où elle s’entourera de son ami George Cukor (rencontrée lors de la préparation du Magicien d’Oz (1939) où il fut d’un grand conseil pour la jeune actrice quand il devait encore réaliser le film) mais aussi de ses compositeurs emblématiques du Magicien d’Oz Harold Arlen et Yip Harburg (qui victime de la liste noire sera remplacé par Ira Gershwin). Tout est donc en place pour un puissant mélodrame musical.

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Une étoile est née trouve sa voie au sein de ces années 50 où Hollywood se plaît à observer sa face obscure dans des œuvres comme Sunset Boulevard (1950) de Billy Wilder ou Les Ensorcelés (1952) de Vincente Minnelli. Le récit alterne ainsi constamment ombre et lumière dans sa description de l’usine à rêve. L’ombre ce sera pour le caractère torturé et autodestructeur de Norman Maine (James Mason) dont nous assistons au méfait en ouverture où il sème le chaos dans une cérémonie de remise de prix. Sauvé de l’humiliation par celle dont il a failli ruiner la prestation, Norman Maine poursuit de ses assiduités alcoolisées Esther Blodgett (Judy Garland) avant d’être subjugué par sa voix et décider de lui mettre le pied à l’étrier. C’est de sa découverte émerveillée que se dessine la lumière et à travers son héroïne, Cukor nous introduit dans le tourbillon du fonctionnement des Majors de l’époque.La novice Esther y est scrutée sous toutes les coutures pour gommer ses éventuelles imperfections, ballotée d’un département à l’autre pour être totalement ignorée et au final dépossédée de son identité pour être rebaptisée Vicki Lester. Ces aspects peu reluisants sur le papier (chirurgie esthétique, biographie factice et mépris des novices) s’oublient pourtant par l’éclat suscité par le bouillonnement d’activité du studio, ses figurants, costumes et décors à perte de vue. Car si Hollywood est oppressant et impitoyable, il suffit qu’un mentor bienveillant croit en vous pour que tous soit possible. C’est cette foi que transmet Norman à Esther lors de la magnifique scène de l’entrevue nocturne où il lui fait croire en son réel talent et la pousse à prendre des risques. Guidée par cet ange gardien, Esther va gravir les échelons et bénéficier du coup de pouce qui change tout.

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Les scènes musicales sont celles qui font régulièrement basculer les évènements, qu’elles s’inscrivent dans le monde réel (Norman sous le charme d’Esther dans un pur moment intimiste où elle interprète un puissant The man that got away) où celui de la fiction tel ce film dans le film où l’ascension vers la gloire d’Esther se dévoile dans le numéro exécuté mais aussi par les réactions des spectateurs dans la salle. Cukor effectue un tour de force virtuose s’exprime émotion, proximité (le parcours du personnage du film dans le film ayant de grandes similitudes avec celui de Judy Garland notamment les débuts scéniques précoces en famille) et stylisation splendide comme l’effet d’à-plat des décors et bureaux des managers qui refoulent Esther. Plus notre héroïne s’impose, plus les afféteries s’estompent pour la laisser occuper le centre de la scène dans une robe sobre où elle interprète avec une vulnérabilité troublante Lose that long face. Judy Garland est époustouflante dans ce numéro dansé et chanté où elle alterne humour et émotion et lorsque la séquence s’achève, toutes les réalités du récit convergent sur un même point : elle est une star.

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L’amour sera aussi définit à travers un moment musical (craquante scène de demande en mariage), Esther et Norman brillants pour un bref instant d’un même éclat de passion et de talent. Cependant si Hollywood est capable de vous élever au firmament lorsqu’il vous a élu, il peut vous faire descendre plus bas que terre quand il a décidé de vous rejeter. Le cocon du studio (superbe interprétation de Charles Bickford en nabab paternel et bienveillant) aura transformé Norman en homme-enfant ingérable qui laissera place à un être démuni et brisé lorsqu’il en sera exclu. James Mason offre une de ses prestations les plus poignantes, exprimant avec force le désespoir de cet homme dont l’assurance se désagrège au gré d’humiliations de plus en plus pathétiques. L’euphorie initiale n’a plus lieu d’être puisque le couple ne fait plus partie du même monde et la lumière (Etourdissante Judy Garland entonnant pleine d’énergie Someone at last au foyer pour son homme) ne fait que raviver l’ombre (ce joyeux moment rappelant sa désormais inutilité à Norman) et les démons de Norman. Le film tire sans doute un peu en longueur pour dépeindre cette longue et douloureuse déchéance cela n’en rendra que plus puissante encore la dramatique issue. Dans toutes les grandes œuvres évoquant l’industrie hollywoodienne à l’époque, « the show must go on » quel que soit l’amour propre bafoué (les héros des Ensorcelés prêt à remettre le couvert durant la conclusion) ou la folie générée par la notoriété (le légendaire All right, Mr. DeMille, I'm ready for my close-up de Norma Desmond à la fin de Sunset Boulevard).

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Norman ne le sait que trop bien et c’est au prix d’un bouleversant sacrifice qu’il libère Esther du fardeau qu’il est devenu. Le motif musical dégagera à nouveau une émotion intense, Judy Garland chantant It’s a new world alors que James Mason avance vers sa fin dans un pur moment crépusculaire (Norman faisant déjà figure d spectre lorsqu’on voit son reflet à travers la vitre avant le moment fatidique). Son amour désormais réduit à un beau et douloureux souvenir, Esther appartient totalement à son public au terme d’un somptueux final. 6/6

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Thaddeus
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Thaddeus »

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Sylvia Scarlett
Il y a une part de nouveauté dans le sujet de cette comédie picaresque et son traitement. On aura beau chercher, aucun autre film de cette époque sans doute ne traite de façon si malicieuse de l’androgynie et de la confusion des genres, même si ces motifs restent d’abord de purs enjeux de marivaudage. Opérant sur un registre hybride, quelque part entre la comédie américaine et la peinture anglaise à la Dickens, George Cukor élabore un cache-cache identitaire et amoureux dont l’énergie compense la relative prévisibilité des ressorts comiques et dramatiques. Son plus grand atout est bien sur Katharine Hepburn, savoureusement travestie en jeune homme, le chapeau sur l’œil et le cheveu court, puis en pierrot lunaire, épicentre d’un jeu sentimental oscillant entre le sourire et la gravité. 4/6

Le roman de Marguerite Gautier
Avec La Dame aux Camélias, pas besoin de forcer la note du mélo pour faire pleurer dans les chaumières : le sacrifice de cette lorette faussement frivole, vouée à son amant jusque sur son lit de mort, est suffisamment poignant en lui-même pour remplir la coupe du romantisme lacrymal. Mais si le film est un modèle d’adaptation, c’est parce qu’il réunit principalement deux qualités. D’une, le luxe discret d’une mise en scène taillant l’ellipse et la retenue dans le velours – tuberculose étouffée au mouchoir, cruauté feutrée sous les candélabres. De deux, une actrice capable de sortir le grand jeu sans accentuer le pathétique : dans sa façon de croquer une dragée, de rire sans un bruit, de murmurer ses ultimes requêtes tandis que la maladie l’emporte, Greta Garbo, absolument magistrale, est celle-ci. 5/6

Vacances
La confrontation entre le milieu cossu de la haute société new-yorkaise et celui, humble et désintéressé, d’un courtier aventureux, fournit à Cukor la matière d’une piquante étude de mœurs, qui creuse les questions des aspirations enchaînées, de l’épanouissement individuel sacrifié sur l’autel des convenances familiales (Linda en sursis, Ned déjà vaincu), de l’aliénation plus ou moins volontaire à une existence dorée. Comme dans tous les grands fleurons du genre, la cocasserie des situations met en valeur les atermoiements des personnages, et ici c’est au terme d’une délicieuse valse avec la sincérité en amour, la loyauté de l’engagement, le consensus dans le couple, qu’un homme et une femme unis par un même goût de la liberté prendront conscience qu’ils sont faits l’un pour l’autre. 5/6

Femmes
Ça se bouscule au portillon : la crème des actrices hollywoodiennes d’avant-guerre cancanent, caquètent, cocufient dans un crêpage de chignons généralisé qui brocarde avec une verve revigorante l’esprit futile, superficiel et médisant d’une bourgeoisie gangrenée par l’hypocrisie et la bêtise. Mais Cukor n’est pas qu’un satiriste acerbe, et il sait offrir à sa galerie de vipères aux ongles vernis rouge vif tout un espace de nuances et de modulations. C’est autant dans la férocité du trait que dans l’intimité des espoirs ou des blessures que s’affrontent la biche Mary, la hyène Crystal, le lynx Miriam, la brebis Peggy et toutes les autres, chevauchant des dialogues admirablement ciselés, des situations savoureuses de vaudeville grand luxe. Un brillant exercice de style, instantané cinglant des mœurs américaines à l’aune du progressisme des relations hommes-femmes. 5/6

Indiscrétions
Katharine Hepburn, Cary Grant, James Stewart. La simple citation de ces trois monstres sacrés suffit à donner une idée de la joie ressentie à la vision de ce qui demeure l’un des purs joyaux de la comédie américaine. Cukor y fait montre d’un sens aigu de la psychologie féminine, conjugue à la satire de la ploutocratie, de la haute société et de la presse à sensation tout son sens de l’observation, toute la finesse d’une étude de caractères qui fait la part belle à la fantaisie mais ménage ses instants d’émotion lorsqu’il choisit de faire tomber les masques et de dévoiler ce qui agite et motive ses personnages. La souplesse des changements de registre, le brio des répliques qui fusent comme autant de piques implacables ou mousseuses font de ce chassé-croisé sophistiqué et sentimental une inaltérable partie de plaisir. 5/6
Top 10 Année 1940

La femme aux deux visages
Parce que son époux, sorti du sérail bourgeois new-yorkais, la trompe avec une artiste du même milieu, une prof de ski éprise de simplicité et de vie montagnarde s’invente une sœur jumelle pour le piéger et le reconquérir. Il lui offre ainsi deux femmes différentes, l’une sportive, l’autre mondaine, situation propice à un enchaînement de stratagèmes et de quiproquos que l’auteur, maître-queux de ce type d’imbroglios, se régale à faire fructifier. D’où une comédie dont l’essence même du genre – la transformation des apparences – est le propos. Car l’homme perce le jeu et y entre, lui donnant une nouvelle dimension, jusqu’à ce que chacun comprenne que l’héroïne n’a pas besoin d’être deux puisqu’elle est, à elle seule, toutes les femmes. Esprit, légèreté, drôlerie, et un couple Garbo-Douglas à la fête. 4/6

La flamme sacrée
Manchettes de journaux, extraits de bulletins radiophoniques, cliquetis des machines à écrire proclamant la mort de celui qui fut héraut de la démocratie et héros du pays en guerre… Deux ans après Citizen Kane, Cukor reprend le procédé de l’enquête éclairant une vie hors norme et plonge son reporter dans une broussaille d’éventualités obscures. Sur la trame des enjeux psychologiques veillent deux forces égales : d’une part la structuration de la montée en spirale des mystères, de l’autre l’équilibre de l’explicitation et des non-dits de l’intrigue, véhiculée par l’authenticité leurrante de la parole. Symptomatique d’une époque sous la menace du fascisme, le film, unique essai de politique-fiction de son auteur, reste néanmoins trop tributaire de ses intentions et du caractère édifiant de son discours. 4/6

Hantise
Juste avant qu’Hitchcock n’impose l’ambivalence morale d’Ingrid Bergman et en fasse le jouet de forces qui la dépassent, Cukor lui offrait déjà un rôle de victime craquelée, égarée dans tous les sens du terme, persécutée par un époux charmeur et inquiétant cherchant à lui faire croire qu’elle a de grosses araignées au plafond. L’intrigue de ce suspense victorien ne devance jamais le spectateur (on comprend tout assez vite), mais le cinéaste se montre particulièrement à son affaire pour en optimiser chaque effet. Les clairs-obscurs savamment composés, les frémissantes lueurs des chandelles aux gaz, les rues embrumées de Londres, la perversité équivoque d’une emprise psychologique garantissent une tension entretenue avec cette forme d’élégance consommée et incisive qui est la marque de l’auteur. 4/6
Top 10 Année 1944

Madame porte la culotte
C’est la crise dans le couple Bonner. Madame est l’avocate d’une femme accusée d’avoir tenté d’assassiner son mari, monsieur est le procureur qui défend la victime dans la même affaire. La confrontation est féroce et s’invite dans l’intimité, jusque sur l’oreiller conjugal. Bataillant d’égal à égal et pour rire, jouant vaillamment le jeu de la guerre des sexes, Katharine Hepburn et Spencer Tracy s’envoient valser leurs certitudes à la figure, rusent et manœuvrent à coups d’idéologies tranchées, font s’affronter les notions de justice et d’égalité en des querelles d’engagements qui testent toujours plus la solidité de leur amour. L’ardeur du combat féministe fait souffler un vent de folie sur le tribunal, les préjugés de genre sont démontés à la faveur d’un argumentaire cinglant, et le spectateur se régale du début à la fin. 5/6

Comment l’esprit vient aux femmes
On peut transformer la locution du titre français en une autre, qui ne formulerait pas le moindre des mérites de Cukor : comment faire d’une poule roulée comme Betty Boop mais à l’esprit poids plume, cumulant au départ les tics de langage crispants et les réflexes de poisson mort, une héroïne toujours plus imprévisible et attachante. Le mérite en revient aussi à Judy Holliday, dont l’humour explosif se marie à un charme d’une constante fraîcheur, et dont la prise de conscience naïve rythme de ses touchantes étapes cette satire des institutions américaines. Sans gommer vraiment la dimension théâtrale de ses origines, le film prend sa part très estimable à la comédie d’après-guerre, égratigne la paranoïa maccarthyste et combine habilement cocasserie des situations et attention aux personnages. 4/6

Mademoiselle gagne-tout
Avec le septième film tourné par la paire Hepburn-Tracy, la femme est définitivement sportive. Si d’année en année sa trajectoire est déterminée par sa fin (inventer un nouveau rapport entre les sexes), l’actrice vient ici buter encore sur un regard (masculin) qui tue. Mais la relation qui se tisse entre Pat et Mike évolue moins par renversement des rôles qu’elle n’obéit à la loi du coaching inventé par eux deux : rééquilibrage dans l’effort, le mutisme et le souffle de l’athlétisme amoureux. La double course de l’œuvre est là : d’un côté une comédie du démariage menant l’héroïne à son affranchissement, de l’autre la révolution d’un homme apprenant à être l’égal de sa partenaire, et plus seulement son chef. Dommage que le propos ne se formule au gré de situations aussi molles, de dialogues aussi peu inspirés. 3/6

Une étoile est née
Ne pas se fier aux paillettes étincelantes et aux fastes copieusement étalés par cette opulente tragédie musicale ; ils ne sont que les reflets d’un monde dévorant dont Cukor s’emploie à dévoiler l’envers cannibale et destructeur, dans l’un de ces exercices d’autocritique qu’Hollywood produit de temps à autre, malgré elle. Ce qui ne devait être qu’une version pygmalionesque du mythe d’Orphée et Eurydice devient, par le talent de montreur d’ombres de son maître d’œuvre, une satire cruelle et désenchantée, qui suit la déchéance d’un homme brisé par un système valant à sa protégée la lumière éphémère de la gloire. Moins incisif et funèbre que les pamphlets de Wilder ou Mankiewicz, ce film massacré conserve, malgré les coupes qui lui ont été imposées, une belle force dramatique. 4/6
Top 10 Année 1954

My fair lady
Budget pharaonique, luxe imposant, fastes décoratifs, costumes somptueux : on peut dire de cette variation musicale de Pygmalion, qui entérine la dernière mue du genre (celle de l’opulence) avant sa disparition, qu’elle est davantage un film de directeurs artistiques que de cinéaste. Les couleurs rose bonbon sont savamment atténuées par les pastels violets, blancs et verts, les scènes de masse sont étudiés dans les moindres détails, Audrey joue les petites princesses avec grâce, Rex Harrison accomplit littéralement les mains dans les poches un rôle fait pour lui, tout d’ego, de cynisme, de misogynie, et le conte de fées aux huit Oscars déroule sa morale convenue jusqu’à un dénouement un tantinet réac’. Cukor a fait un placement de bon père de famille : le gain est faible mais la mise sûre et prudente. 4/6

Riches et célèbres
Le dernier long-métrage de l’auteur est un film riche et profond interrogeant le passage du temps et ce qui lui résiste, analysant la relation agitée de deux femmes aux triomphes inégaux pour qui les époques s’enchaînent, les amants partent, mais dont l’amitié persiste par-delà les remarques fielleuses, les crises de nerf, les confidences émues et les bonnes blagues à la vie à la mort. Il serait aujourd’hui aussi insolite de la part des studios que du cinéma indépendant américain ; seul le romanesque d’un James L. Brooks pourrait s’apparenter à cette méditation faussement frivole sur la relativité de la réussite, la menace de la solitude, la poursuite d’idéaux dont l’accomplissement n’offre pas toujours le bonheur. Une réussite superbe, portée par la sensibilité vulnérable et la vibrante beauté de Jacqueline Bisset. 5/6
Top 10 Année 1981


Mon top :

1. Indiscrétions (1940)
2. Riches et célèbres (1981)
3. Femmes (1939)
4. Vacances (1938)
5. Le roman de Marguerite Gautier (1936)

Un cinéma brillant, sophistiqué et virtuose, un modèle de brio intellectuel et de raffinement qui impose Cukor, à mes yeux, comme l’un des maîtres de la comédie américaine, et comme le peintre sensible et cinglant des comportements et des mœurs de son pays.
Dernière modification par Thaddeus le 26 nov. 23, 14:52, modifié 9 fois.
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Jeremy Fox »

Une année qui commence fort pour toi Profondo 8) Je crois que je vais retourner chez Noz demain me prendre le Bluray.
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Profondo Rosso
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Profondo Rosso »

Clair je ne l'avais pas revu depuis des lustres totale redécouverte (excepté les 10 minutes de roman photo nécessaire pour reconstituer la version intégrale). Maintenant il faut que je vois la version Wellman. Sinon la grosse boite en fer de Warner pour le BR est un peu chiche en bonus mais belle copie :wink:
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Jeremy Fox
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Jeremy Fox »

Profondo Rosso a écrit :Sinon la grosse boite en fer de Warner pour le BR est un peu chiche en bonus mais belle copie :wink:
Je me fiche des bonus :oops: Je vais même me séparer de la boite et inclure le BR dans le boitier du DVD :oops:
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par kiemavel »

Profondo Rosso a écrit :Clair je ne l'avais pas revu depuis des lustres totale redécouverte (excepté les 10 minutes de roman photo nécessaire pour reconstituer la version intégrale). Maintenant il faut que je vois la version Wellman. Sinon la grosse boite en fer de Warner pour le BR est un peu chiche en bonus mais belle copie :wink:
J'ai aussi raflé la grosse boite en fer mais pas encore revu le film. C'est une année qui démarre en beauté (moi j'ai découvert un petit western avec Audie Murphy :oops: :wink: )

La version Wellman est dans mon souvenir très bonne et visuellement splendide ; théoriquement au moins aussi belle que la version Cukor. Théoriquement, c'est en raison des DVD sortis. Je possède l'édition "Les films de ma vie" ; qui n'est pas terrible et il en existe d'autres alors si tu n'as pas encore le DVD, ça vaut peut-être le coup de se renseigner avant d'acheter…Mais comme d'autres Wellman de l'époque (Les hommes volants ; la joyeuse divorcée…) ; le Tom Sawyer de Norman Taurog ou La fille du bois maudit (Hathaway), il fait partie de ces films des débuts du Technicolor aux couleurs pastels absolument splendides qu'on a rarement retrouvées par la suite. Leon Shamroy, le directeur de la photo de Péché mortel (Stahl) avait retrouvé plus tard la recette. Seul bémol : les interprètes. À mon avis Janet Gaynor et Fredric March ne valent pas -dans ses rôles là- leurs successeurs...
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Profondo Rosso
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Profondo Rosso »

Effectivement en faisant un tour sur amazon les éditions du Wellman ont l'air radioactives :mrgreen: Je tenterais peut être l'édition Kino. Mois aussi j'aime beaucoup cette teinte pastel des premiers technicolor, La Fille du bois maudit c'est somptueux.
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Re: George Cukor (1899-1983)

Message par Profondo Rosso »

La Femme aux deux visages (1941)

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Larry Blake, directeur d'un magazine new-yorkais, s'éprend d'une monitrice de ski (Karin Borg) qu'il épouse en lui promettant de s'installer à la montagne auprès d'elle. Pourtant, le travail reprend très rapidement ses droits et Larry repart pour New York. Lassée de l'attendre, Karin part le rejoindre, mais elle découvre qu'il semble l'avoir oubliée car il fréquente assidûment une auteur dramatique, Griselda. Ces circonstances inattendues obligent Karin à se faire passer pour sa propre sœur Katherine.

Two-Faced Woman est un Cukor mineur tout en constituant une œuvre d'importance puisqu'il s'agit du dernier rôle au cinéma de Greta Garbo avant son retrait définitif. Une décision d'autant plus regrettable que son interprétation, dans lignée du célèbre Ninotchka (1939) semblait lui ouvrir de nouvelles possibilités dans la comédie pure. Garbo retrouve d'ailleurs ici son partenaire de Ninotchka Melvyn Douglas avec lequel elle va à nouveau constituer un couple mal assorti. Suite à un coup de foudre le temps de vacances au ski, Larry Blake (Melvyn Douglas) et Karin Borg (Greta Garbo) se marient sans réellement se connaître. Patron de magazine et adepte de la trépidante vie urbaine new yorkaise, Larry déchante vite face l'austère monitrice de ski Karin adepte d'une vie simple et au grand air. Amoureux mais incapable de se fondre dans le quotidien de l'autre, les époux retournent à leurs vies sans se séparer pour autant mais le fossé se creuse pourtant. En visite à New York, Karin va pouvoir le vérifier en voyant Larry se rapprocher de Griselda (Constance Bennett) mais va trouver une solution en s'inventant une sœur jumelle, Katherine. Cet alter ego est tout l'opposé de Karin, une vamp et "chercheuse d'or" sans états d'âmes ni inhibition.

On s'amuse beaucoup à cette transformation que façonne génialement Greta Garbo, forçant le trait dans les attitudes lascives et séductrices loin de la simplicité initiale. Le meilleur moment sera d'ailleurs lorsqu'elle improvise malgré elle une danse qui contamine toute la piste, en faisant une noceuse hors pairs dans un mouvement et une chorégraphie dont Cukor filme avec une belle fluidité la construction. Le double jeu de Karin est d'abord destiné à dégouter Larry de la frivole Katherine pour qu'il lui revienne mais au contraire celui-ci va s'amouracher du double séducteur de son épouse. Dès lors Karin va retourner son stratagème pour piéger Larry et demander le divorce face à cette possible infidélité d'esprit. Le problème du film est de ne jamais totalement exploiter son postulat excitant, Cukor ne retrouvant son mordant que le temps d'un crêpage de chignon digne de Femmes (1939). Les possibilités de quiproquos et situations troubles sont à peine esquissées voire escamotée (un remontage rendant Larry conscient de la mascarade) et la situation n'est finalement traitée que par des scènes de dialogues insipides qui n'existent que grâce à l'abattage des acteurs. Greta Garbo offre un grand numéro entre froideur et frivolité (à laquelle elle prend subtilement gout sous le simulacre), entre amoureuse éperdue et femme revancharde qui égaye toutes les situations. De même Melvyn Douglas perdu entre le citadin macho et l'amoureux transi, est très bon et tous deux créent le compagnon versatile et idéal dans leurs contradictions. Malheureusement le scénario ne leur offre pas de moments réellement exaltant, remplissant le vide par des scènes de ski certes superbes mais sans grand intérêt. Pas désagréable mais La Divine aurait mérité une meilleure sortie... 3,5/6
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Profondo Rosso
Howard Hughes
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Re: George Cukor (1899-1983)

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Indiscrétions (1940)

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Fille de la haute société de Philadelphie et de fort tempérament, Tracy Lord a gardé peu de temps son premier mari, le playboy C.K. Dexter Haven. Deux ans plus tard, elle est sur le point de se remarier avec un homme d'affaires en vue, ce qui intéresse au plus haut point le magazine Spy, à qui Dexter promet les entrées nécessaires à ses deux reporters, le journaliste Macaulay Connor et la photographe Liz Imbrie.

Après avoir aligné sept échecs commerciaux avec ses derniers rôles, Katharine Hepburn se voit qualifier par les exploitants de salle américains du surnom peu glorieux de « box-office poison ». La star va donc décider de relancer sa carrière sur scène en se façonnant un écrin sur mesure avec la pièce The Philadelphia Story. Philip Barry écrit donc le rôle spécifiquement pour Katharine Hepburn en jouant justement sur cette image distant et hautaine qu’elle peut dégager, pour mieux la fissurer et l’humaniser aux yeux du public. L’idée de l’actrice est d’avoir un véhicule qu’elle sera la seule capable de porter aux yeux des studios en cas d’adaptation cinématographique. L’immense succès de la pièce impose l’idée et Katharine Hepburn sécurise sa présence en en achetant les droits (avec l’aide de son ami Howard Hughes), devenant ainsi productrice et à même de mieux imposer ses volontés à la MGM. Tous les atouts sont réunis avec l’engagement de son réalisateur fétiche George Cukor tandis que le studio tente d’atténuer les effets du « box-office poison » en alignant deux stars masculines majeures avec Cary Grant et James Stewart.

The Philadelphia Story est une continuité des comédies sophistiquées de George Cukor où il fustigeait les mœurs aristocratiques comme Les Invités de Huit heures (1933), Haute Société (1933) ou encore le merveilleux Vacances (1938). La donne change légèrement ici puisqu’il s’agit moins de critiquer un milieu que les attitudes hautaines et la froideur qu’il suscite en sacrifiant tout aux apparences. Tracy Lords (Katharine Hepburn) en est un produit typique, s’habillant, causant et se comportant tel que son rang l’exige et attendant la même perfection de son entourage. L’hilarante scène d’ouverture montre la séparation muette d’avec son premier époux C.K. Dexter Haven (Cary Grant), Tracy gardant dignité tout en affirmant un cruel mépris tandis que C.K. plus humain et moins guindé la repousse d’une chiquenaude. Deux ans plus tard Tracy semble avoir trouvé chaussure à son pied avec l’insipide George Kittredge (John Howard), homme d’affaire qui voit justement en elle cet objet parfait dont l’image contribuera à ses ambitions. Seulement la veille du mariage, C.K. revient tourmenter son ex épouse accompagné de deux journalistes incognito venu couvrir la cérémonie. L’un des deux, Mike Connor (James Stewart) est un écrivain sans le sous qui est le pendant inversé de Tracy.

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Cynique et revenu de tout, il juge toute cette bourgeoisie d’un bloc méprisant et superficiel. Par la grâce de quiproquos amusants, Cukor pousse dans leurs derniers retranchements les clichés que chacun se fait de l’autre. Connor est regardé de travers par les majordomes dès qu’il approche une argenterie de valeur, sa collègue photographe Liz (Ruth Hussey) mitraille de son appareil la moindre situation croustillantes tandis que Tracy - ayant deviné les intentions de ses « invités »- force largement le trait de l’aristocrate creuse. Voix haut perchée, gestuelle maniérée et saillies cinglante sous la candeur, Katharine Hepburn est grandiose dans ce registre revêche et sophistiqué. L’armure glaciale des unes et les préjugés des autres vont pourtant progressivement s’effriter, d’abord entre une Tracy étonnée de la sensibilité du livre de Connor, et ce dernier tout aussi surpris de voir l’aristocrate réceptive à son œuvre. Cary Grant est à la fois en retrait et essentiel. Présence gênante issue du passé, il fut rejeté car n’entrant pas dans l’idéal de perfection rêvé par Tracy trop égoïste pour voir sa détresse.

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Désormais remis même si toujours amoureux, il est l’agent de sa conscience qui lui révèlera son horrible rapport aux autres, famille comme époux : elle est une icône lointaine qu’il faut admirer respectueusement, à laquelle il faut se soumettre et se montrer digne. Tracy a ainsi rejeté un premier époux, un père volage et choisit d’épouser un homme sans éclat mais répondant à ce culte des apparences. Katharine Hepburn est absolument bouleversante dans la façon dont cette diatribe la fait vaciller. L’écriture brillante pousse chacune des situations suivantes à appuyer ce reproche, notamment un tête à tête avec ce fiancé énamouré donc chaque compliment est un coup de poignard tant son amour repose justement sur cette admiration respectueuse d’une vestale dont il faut rester ç distance respectueuse. La gestuelle de Katharine Hepburn se fait plus incertaine, la silhouette plus vaporeuse, le phrasé soudainement sans répondant et l’œil malicieux se baigne de larme. Cukor plie l’environnement à cette déchéance, faisant brutalement basculer le jour à la nuit comme pour écraser un peu plus Tracy dans une idée formelle relevant autant du cinéma que des racines théâtrales du récit.

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Tout le reste du film ne sera qu’affaire de déconstruction, l’alcool laissant transparaître l’excentricité et la fantaisie de caractère de Tracy, mais aussi du bougon Connor. Cukor fait rebondir par le mouvement et le verbe l’alternance entre l’abandon à la légèreté et les retours maladroits à la retenue dans leur échange. Si James Stewart ne semble pas totalement à l’aise, ces vas et vient de ton rendent Katharine Hepburn encore plus touchante et vulnérable, si déçue quand la conversation reprend un tour guindé et poli. Le montage (les inserts sur les bagues et montres abandonnés), le rôle du décor (la piscine comme terrain de pertes des inhibitions) et le jeu sur la temporalité (avec la nuit les attitudes deviennent plus libérées) contribue également à exprimer ce changement d’attitude des personnages. Cary Grant est parfait de subtilité, observateur et acteur des évènements où l’amoureux transparait constamment sous le détachement. Il n’est pas là pour inciter, mais seulement aider Tracy à se révéler à elle-même pour faire naître cette flamme qui lui manque. On sera d’ailleurs très étonné de la manière explicite dont la froideur initiale de Tracy est associée aussi à sa sexualité, un dialogue cinglant laissant entendre que la première union n’a pas été consommée. La nature incomplète de Tracy se pare de niveaux de lecture osé et étonnamment direct. La conclusion est sans doute un peu trop bavarde et confuse pour aboutir à la fameuse « comédie du remariage » (la construction de Vacances amenait un pic émotionnel bien plus fort) mais Indiscrétions n’en reste pas moins une pure merveille de romantisme. 5/6
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