Tutut a écrit :Sur plusieurs générations on a eu droit au fait que "la France" résistait, bref à la négation de la collaboration pour la simple et bonne raison que De Gaulle n'aurait pu remettre la machine de l'état en route sans les fonctionnaires plus ou moins zélés qui avaient aidé l'occupant.
C'est aussi un peu plus compliqué que cela et comme souvent chez de Gaulle, il y avait "la grandeur de la France", dont on pense ce qu'on veut, mais aussi beaucoup de pragmatisme, quelquefois un peu cynique.
Son objectif était surtout d'éviter une insurrection communiste d'une part, une administration américaine d'autre part. Pour cela il avait besoin d'une administration très rapidement efficace et il a globalement sauvegardé les services administratifs, la police et la gendarmerie (l'armée, elle, a été assez vite "épurée" même si c'est surtout par des mises au placard).
Je comprend que ça laisse une impression désagréable mais cela se justifie aussi un peu, même si c'est cynique. D'autre part, les excès de l'épuration, et surtout le fait qu'ils ont donné lieu à bon nombre de réglements de compte laisse penser que l'idée de laisser un peu de temps avant d'épurer à tout va n'était pas mauvaise en soi non plus.
Je n'ai pas vu Lacombe Lucien depuis très longtemps mais je crois que le film parle un peu de ça sur la fin.
Tutut a écrit :Les résistants de la première heure et les collabos par idéologie étaient une minorité.
En pourcentage de la population française, oui. En nombre de personnes, la Résistance française a été assez importante quand même. Il suffit d'ailleurs de voir le nombre de personnes particulièrement remarquables dont on conserve les noms en mémoire.
Tutut a écrit :La différence, c'est que l'administration française anticipait les demandes des nazis, comme envoyer des femmes et des enfants dans les camps sans que les allemands l'aie demandé.
Pas au début, ce qui explique aussi que beaucoup de gens aient mis du temps à comprendre.
Tutut a écrit :Que ce soit sur la résistance, la guerre d'Algérie et d'autres périodes de l'histoire de France, on sent une auto censure vivace.
Et pas mal d'idéologie aussi. J'étais enfant dans les 70' et je n'ai vraiment pas l'impression d'avoir fait des découvertes fondamentales ces dernières années par rapport à ce qu'on m'enseignait à l'école alors. La résistance minoritaire, la collaboration, le Vel d'Hiv, les camps et j'en passe, on apprenait tout ça à l'école et les parents et grands-parents en parlaient sans se cacher de n'avoir la plupart du temps pas fait grand chose d'autre que faire vivre leur famille et acheté un peu de beurre au marché noir.
On a surtout beaucoup demandé à la République française de faire des excuses officielles pour ceci ou cela et, personnellement, je suis plutôt de l'avis que l'Etat Français n'était pas la France. J'aime beaucoup le Chagrin et la Pitié mais je préfère ce genre de films aux excuses officielles. C'est juste ma position, cela dit. Et je comprends très bien les positions différentes sur ce sujet.
Shin Cyberlapinou a écrit :Phnom&Penh évoque la question du relativisme, et c'est intéressant car on s'est tous demandés ce que l'on aurait fait à cette période. Personnellement je n'en sais rien. Rien du tout au sens le plus strict du terme, il m'est déjà arrivé de me mettre sciemment en danger physique par pur altruisme, c'est ce qu'on appelle techniquement du courage, mais de là à prendre les armes et risquer d'être torturé à mort ou de balancer les copains...
Perso, même si je n'en sais heureusement pas plus que toi là-dessus, c'est justement pour cela que je trouve qu'il faut un peu de ce que Henri Frenay appelait de la "légende".
J'édite pour mettre le texte de Frenay qui est plus parlant que ce que j'avais écrit (et plus précis par rapport avec le topic):
"Dans mes souvenirs sont étroitement liés l'héroisme et la lâcheté, l'ambition et le désintéressement, la médiocrité et la grandeur. Bien que nous ayons été haussés par les évènements au-dessus de nous-mêmes, nous n'étions cependant que des êtres de chair et de sang avec leurs faiblesses et leurs erreurs.
Fallait-il impitoyablement passer au microscope ces actions dont l'ensemble fut une épopée, mais dont le détail était parfois fait de petitesse et de mesquinerie? Fallait-il montrer que des hommes qui furent courageux devant la mort comme ils l'avaient été dans notre existence clandestine, ne surent pas élever leur esprit au niveau des graves évènements que nous avons connus? Je n'en ai pas eu le courage.
C'eut été peut-être une mauvaise action. La force des peuples repose souvent sur des légendes. Je n'ai pas voulu dissiper, même partiellement, celle dont je fus à la fois l'acteur et le témoin. Et puis la Résistance, la vraie, celle des premières années, celle que peu d'hommes ont connue, est pour moi comme un jardin secret où parfois, seul, je pénètre. On ne m'en voudra pas de n'y pas faire entrer sur mes traces la foule des dimanches. je n'aime pas les profanations."
Henri Frenay, préface au troisième tome des mémoires du colonel Rémy, 1951.
En 1971, il est revenu sur sa décision d'alors pour faire le livre de mémoires que j'ai cité plus haut. Mais, s'il rentre dans le détail historique, il conte aussi une histoire exemplaire.
Ce qui est intéressant aussi, c'est qu'il a abandonné la politique vers 1948, dégoûté de voir, avec la IVe république, toute une classe politique d'avant-guerre revenir au pouvoir alors qu'il espérait qu'une république digne de l'esprit de la résistance voit le jour. Je précise qu'il n'était pas gaulliste.
(et qu'il n'a abandonné la politique que plus tardivement, mes souvenirs n'étaient pas tout à fait justes)
On a souvent reproché à de Gaulle d'avoir mis un couvercle sur Vichy et la collaboration. Le couvercle est peut être plus à chercher du côté des hommes de la IVe.
L'Armée des Ombres est sorti en 1968/69, c'est vrai que vu le contexte, on peut dire que c'est un film "gaulliste". Mais on est en 2009, et comme c'est un film très beau et très pur, je trouve que c'est un point très négligeable. Mais pas faux, c'est vrai
Shin Cyberlapinou a écrit :un peu à l'image du "mensonge bienveillant" qui a fait fait passer la France de 45 dans le camp des vainqueurs, j'espère ne pas balancer là une énormité
Le talent politique de de Gaulle. Si notre contribution à la victoire avait été symbolique, inutile de dire qu'entre autre beaucoup de choses, notre siège à l'ONU n'aurait jamais existé. Certes, notre contribution à la victoire était symbolique en nombre, au regard du nombre de combattants anglais et américains. Mais il était suffisant pour que la 2e DB de Leclerc et la 1ere Armée de de Lattre, sans parler des bataillons français des SAS, aient été autre chose qu'un régiment supplétif. Le talent de de Gaulle a été d'en user pour donner à la France une place qui faisait peut-être rigoler (jaune, parce que le pauvre, à ce moment là, n'avait plus grand chose à demander) le Maréchal Keitel, mais une place suffisante pour que la France soit considérée comme l'un des alliés importants.
Et il n'y a pas que le pragmatisme. Le fait que ce soit les français (au sens large) qui aient permis la victoire de Monte Cassino, a sans doute joué (entre autre), sachant la détestation de Roosevelt pour de Gaulle.
Les français libres étaient peu nombreux (quoique, les armées d'Afrique ont permis quand même d'atteindre un nombre de combattants élevé) mais entre El Alamein, Monte Cassino et les Vosges, notre présence n'a pas été anecdotique.
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- maitenant, je reconnais qu'à chaque fois que je dis à des allemands que nous serons férié le 8 mai et qu'ils me demandent pourquoi, je les fait bien rigoler. Mais nous sommes en 2009