MANON DES SOURCES et
UGOLIN de Marcel Pagnol
Première version d'une histoire très sombre, pourtant sous le soleil estival de la Provence, un scénario original de Pagnol qui lui inspirera quelques années plus tard un roman, L'EAU DES COLLINES, lequel inspirera les remakes de Claude Berri.
Contrairement à Jeremy (qui, après de sévères remarques sur GERMINAL il y a quelques temps, ne semble pas porter Claude Berri dans son coeur
) j'ai revu il y a deux ans - et adoré - les versions avec Montand, Depardieu, etc...
C'était amusant de faire une petite comparaison entre les deux traitements, forcément différents.
Pagnol est un homme de mots, un écrivain. Je n'ai jamais analysé ses films mais ici la façon de faire m'a sauté aux yeux. Tout est basé sur la parole. Les scènes sont comme de mini actes de théatres, avec un jeu des acteurs plutôt statique. L'intérêt vient des échanges verbaux, on n'a ici que discussions ou monologues (dont un, très long, du curé pendant la messe). Les mots importants, la sève de l'intrigue, sont habilement mélangés à une conversation ordinaire, locale, typique, ensoleillée, pleine de bons mots qui font sourire et qui, surtout, sentent le vrai. Tout ce qu'on entend semble souvent pris sur le vif, improvisé, alors que la scène est dirigée.
Je crois que c'est Jean Renoir (ou André Bazin, je ne sais plus) qui disait que Pagnol avait été en quelque sorte le précurseur du néo-réalisme, filmant ses histoires locales sur les lieux-mêmes de l'action et de façon très véridiques. C'est d'ailleurs Pagnol qui avait aidé Jean Renoir à produire TONI en 1935, 1er film officieusement néo-réaliste (il me semble). Cette veine se ressent, donc, ici avec entre autres cet acteur quasi-inconnu qui joue là son seul premier rôle, Rellys (Ugolin). Son phrasé lorsqu'il crie son amour à Manon ou lorsqu'il commence à paniquer face aux attaques des villageois, le mélange de texte imposé avec un parler local plein d'expressions fraiches et anti littéraires est à la fois attachant et impressionnant de crédibilité.
C'est la parole qui est au centre du dispositif technique, c'est donc par la parole que se greffe tout un récit passé, indispensable à la compréhension. Ce sont les personnages du présent qui racontent les mésaventures de Manon enfant et de son père bossu. Le récit se fait par bribes tout au long des deux films, et on comprend assez rapidement ce qu'il en est. A un seul moment, Pagnol mélange les deux époques: Ugolin, en plein désepsoir, aperçoit les fantômes de cette famille qui portait des cruches d'eau sur leurs épaules. Une vision du passé qui rejoint le présent. Le reste du passé se fait dans l'imaginaire du spectateur, comme le lecteur lisant son livre, avec un récit par une tierce personne. Un procédé efficace que Pagnol abandonnera dans le roman futur puisqu'il choisira de raconter, comme Berri, les deux histoires au présent.
Le fond de l'histoire est terriblement sombre, s'attachant aux côtés les plus noirs de l'âme humaine, avec cette peinture féroce d'une petite communauté paysanne meurtrière sans se l'avouer.
Malgré quelques longueurs, cela dépend des scènes (je repense aux ultimes 10 minutes) l'histoire m'emporte toujours autant, et le charme de l'interprétation de l'époque ajoute au plaisir de suivre cette tragédie provençale.
Les descendants de Pagnol (il me semble) qui éditent cette collection n'ont malheureusement pas les moyens de leurs riches concurrents. Résultat: la restauration est très limitée, mais le film se regarde malgré tout, c'est le principal. On ne s'attardera donc pas sur les blancs brûlés (très nombreux), sur les quelques sautes d'images, la compression très visible, etc... Ni sur les bonus, un peu chiches. "Peut mieux faire", comme dirait le commissaire.