Le Cinéma britannique

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Le Cinéma britannique

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Profondo Rosso
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

90 Degrees in the Shade de Jiri Weiss (1965)

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90 Degrees in the Shade est une œuvre rare que l'on retient avant tout pour être la première coproduction entre l'Angleterre et la Tchécoslovaquie. A la mise en scène on retrouve Jiri Weiss, vétéran de l'industrie cinématographique tchèque qui fut contraint à l'exil lors de l'invasion allemande (puisqu'il signa nombre de documentaires anti nazis durant la Seconde Guerre Mondiale). Installé en Angleterre, il y réalisera des films de propagande mais s'engagera plus concrètement en rejoignant la RAF. De retour au pays après-guerre il y poursuit sa carrière mais conserve de solides liens avec son ancienne terre d'accueil. C'est ainsi qu'il se retrouve en 1963 en tête d'une délégation de l'industrie cinématographique tchèque en vue d'éventuelles coproduction. Parmi les différents scripts proposés, il trouvera preneur auprès du producteur indépendant Raymond Stross avec 90 degrees in the Shade dont le récit épuré et réaliste semble exploitable dans les deux pays. Stross impose quelques contraintes comme avoir des anglais dans les rôles principaux, un tournage dans la langue de Shakespeare (y compris pour les acteurs tchèques qui réciteront phonétiquement leurs dialogues avant d'être doublés en post-production) qui se déroulera cependant à Prague avec une équipe locale. Le film marque donc à sa manière la volonté d'ouverture de la Tchécoslovaquie dont l'industrie bénéficiera du matériel et du savoir-faire anglais, mais surtout de sa capacité de diffusion à l'international. On peut donc supposer que l'exposition dont bénéficieront certains ténors de la Nouvelle Vague tchèque comme Milos Forman est largement redevable à la tentative de 90 degrees in the Shade. On anticipe également là sous un angle artistique la courte parenthèse du Printemps de Prague dont la fin signera d'ailleurs un nouveau départ du pays pour Jiri Weiss.

Le film d'un certain point de vue est une sorte de The shop around the corner dépressif et cafardeux. Kurka (Rudolf Hrusínský) est un contrôleur financier psychorigide dépêché pour inspecter l'une des succursales d'une chaîne d'épiceries. Il ne tarde pas à constater quelques anomalies dans les comptes et marchandise, dans lesquels semblent impliqués le directeur de magasin Vorel (James Booth) et sa jeune consciencieuse manager Alena (Anne Heywood). Le récit initial s'inspire d'un vrai fait divers survenu en Tchécoslovaquie et tout le film tend à trouver une forme d'équilibre entre authenticité et stylisation. Cela passe notamment par l'esthétique du film avec ces premières minutes qui nous plongent dans un Prague estival mais où paradoxalement cet éclat prend un tour blafard à travers le point de vue étriqué de Kurka, mais aussi sensuel avec la première apparition d'Alena en maillot de bain. Il en va de même dans la description de l'épicerie où quelques image suffisent pour en capturer la réalité, que ce soit la bonhomie chaleureuse des employés où la simple topographie encombrée des lieux. Là aussi Weiss joue sur une forme de tension érotique entre Kurka et Alena à travers quelques regards insistants ou gestes maladroits. Kurka grâce au jeu subtil de Rudolf Hrusínský y apparaît dans toute sa nature psychorigide (quand il tancera une employée ayant empruntée une somme dérisoire pour une course personnelle) mais aussi un trouble, une humanité bien réelle qui ne ressort que maladroitement quand il aidera Alena victime d'un malaise.

Si le premier traitement fut coécrit par Jiri Weiss et Jirí Mucha, c'est la révision du script par David Mercer qui apporte tout la modernité requise au film. Mercer qui avait jusque-là officié à la télévision se fera connaître ensuite pour l'inventivité de ses scénarios sur Morgan – A Suitable Case for Treatment de Karel Reisz (1966) ou Providence d'Alain Resnais (1977). C'est donc lui qui insère les flashbacks fragmentés qui nous font comprendre le pourquoi du comment, que Weiss par un jeu de raccords et montage habile raccroche aux émotions fébriles d'Alena. Le côté The Shop around the corner dévoyé du film se ressent par une proximité au sein de cette épicerie qui débouche sur un rapport aliénant, tant du côté de la romance coupable que des malversations ayant cours sur les lieux. Anne Heywood livre une prestation magnétique en figure vulnérable et sacrificielle victime à la fois d'un manipulateur (James Booth génialement détestable) et d'un dogmatique (presque) sans affects (Rudolf Hrusínský glacial). D'un postulat pourtant très simple débouche donc un récit étonnant, entre climat oppressant de film noir, inventions formelles lorgnant sur la Nouvelle Vague et réalisme cru typique des kitchen sink drama anglais. La conclusion est la fois tragique, lourde de menace et d'ambiguïté. Jiro Weiss craignant que le montage anglais privilégie les acteurs britanniques en fera un spécifique pour le marché tchèque d'une durée de 83 minutes contre 91 pour la version anglaise (et où ironiquement Rudolf Hrusínský a plus de temps de présence). Hormis la langue différente les deux montages restent très proches, les changements reposant sur les variations et prises alternatives pour de mêmes scènes. Un film méconnu et précurseur (notamment dans son érotisme frontal, on est surpris que la tatillonne censure anglaise ait laissée passer ce topless d'Anne Heywood) qui gagne à être découvert. 4,5/6
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Re: Le Cinéma britannique

Message par 1kult »

Merci, je comptais le voir prochainement (le confinement c'est l'occasion de rattraper son retard, notamment quelques Powerhouse qui n'attendent que ça). Je vais le remonter dans ma liste !
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Rick Blaine »

Idem, je vais remonter ça.
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Chapichapo »

Je viens de voir le film , et j'adore la formulation "version dépressive de "The shop around the corner". Merci de me l'avoir fait découvrir, et ainsi d'avoir pu à cette occasion apprécier de nouveau les performances de Donald Wolfit et d'Ann Todd. Le bonus relatif aux différences entre les 2 versions est particulièrement intéressant et me laisse pantois quant aux 3 moments essentiels absents de la version tchèque.
Curieusement la même année Jan Kadar réalisait également avec "Le miroir aux alouettes" un drame installé autour d'une boutique dont la propriétaire - une vieille femme juive- était menacée en 1942 par une milice locale. Comme quoi la boutique tchèque était à l'époque un lieu scénique inspirant et profondément perturbant.
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Chapichapo a écrit : Le bonus relatif aux différences entre les 2 versions est particulièrement intéressant et me laisse pantois quant aux 3 moments essentiels absents de la version tchèque.
Ah d'ailleurs j'avais survolé la version tchèque mais pas regardé le bonus qui pointe précisément les différences, quels sont les moments clés qui sautent par rapport au montage anglais du coup ? En spoiler peut-être :mrgreen:
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Chapichapo »

Profondo Rosso a écrit :
Chapichapo a écrit : Le bonus relatif aux différences entre les 2 versions est particulièrement intéressant et me laisse pantois quant aux 3 moments essentiels absents de la version tchèque.
Ah d'ailleurs j'avais survolé la version tchèque mais pas regardé le bonus qui pointe précisément les différences, quels sont les moments clés qui sautent par rapport au montage anglais du coup ? En spoiler peut-être :mrgreen:
Je ne sais pas mettre en spoïler, je ne vais donc pas développer mon ressenti au regard de ces absences.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Deux d'entre elles concernent les rapports conjugaux entre Rudolph Hrusinski et sa femme Ann Todd
- la première relative au désamour envers leur fils,reproché par Anne Todd à Rudolph Hrusinski.
- la seconde est l'absence totale de la séquence du retour de Rudolph Hrusinski dans son appartement alors qu'Ann Todd a organisé une soirée dansante.
La troisième s'inscrit dans les rapports entre Anne Haywood et James Booth, lorsque ce dernier à la fin du film, sortant de sa voiture, reprend la poupée précédemment éjectée sur la plage arrière du véhicule, pour la mettre dans une poubelle de ville.
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Chapichapo a écrit :
Je ne sais pas mettre en spoïler, je ne vais donc pas développer mon ressenti au regard de ces absences.
Je l'ai fait pour toi, il suffit de cliquer sur le bouton spoiler et d'encadrer la partie que tu ne souhaites pas montrer :wink: Merci pour les indications, la version tchèque a donc enlevée des éléments qui permettaient d'un peu plus approfondir la psychologie des personnages pour les rendre un peu plus opaques, intéressant !
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Born on fire de Jamil Dehlavi (1987)

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Born on fire est une proposition de cinéma fantastique reposant sur l'expérience mystique et sensorielle, avec pour originalité de convoquer l'imaginaire oriental et islamique. On doit le film au réalisateur pakistanais Jamil Dehlavi, ayant déjà exploré ce mélange d'allégorie et de mysticisme dans le plus politisé The Blood of Hussain (1980) qui le força à quitter le pays face au mécontentement du gouvernement face au sous-texte du récit. Le film début par la rencontre du flutiste Paul Bergson (Peter Firth) et une scientifique (Susan Crowley), tous deux victimes de phénomènes étranges. Paul est hanté par des sonorités musicales étranges dont la source est peut-être liée à son père qu'il n'a jamais connu. La scientifique (qui ne sera jamais nommée) souffre des mêmes maux depuis qu'elle a observé une éclipse récente et constaté l'agitation de l'astre solaire. La source du mystère semble être un recoin perdu de Turquie en Anatolie, où l'éclipse a provoqué l'éruption d'un volcan et où le père de Paul a autrefois disparu. Nos deux héros s'y rendent et vos connaître des aventures extraordinaire.

Une nouvelle fois il convient de souligner la vraie originalité du film qui va mettre en lumière un antagoniste surnaturel peu vu au cinéma (si ce n'est dans le film d'horreur Wishmaster (1998) mais on ne peut pas dire que ce soit très glorieux), le djinn. Dehlavi semble lorgner sur les trips hallucinés que sont capables de proposer un Ken Russell ou un Alejandro Jodorowski mais il n'en a malheureusement ni l'imagination, ni la folie. On met d'abord sur le compte d'une bizarrerie voulue la mise en place laborieuse et notamment la mise en contact assez improbable des héros. Les défauts qui vont suivre sont déjà là, on donne par le dialogue les pistes de compréhension générale et on brode des images et situations étranges autour sans grande cohérence mais qui laisse au moins un temps interrogatif. Cela se gâte lors de l'arrivée en Turquie où clairement Dehlavi veut nous faire ressentir que nous quittons la civilisation, que nous passons de l'autre côté. Les décors naturels sont envoutants, certaines images vraiment marquantes visuellement mais le liant à tout cela ne fonctionne pas que ce soit dans la seule expérience sensorielle ou les vagues velléités narratives. Les flashbacks lourdauds (la fin de l'ancienne maîtresse voilée de noir du père) finissent par éventer un rebondissement peu original (une histoire de possession et réincarnation) et certains concepts fascinants ne sont pas exploités. Ainsi Peter doit vaincre le Djinn aussi appelé Master Musician en maîtrisant les arcanes mystiques de sa flûte. Déjà la bande-son est bien pauvre en exploitant le même leitmotiv oriental et surtout il n'y a jamais, ou alors très pauvrement, de mariage entre images et musique pour convoquer les forces occultes et ancestrales aux sons de la flûte. Il y a quelques sursauts de scènes dérangeantes mais cela reste trop décousu pour convaincre alors que l'ambiance est pourtant là et ne demande qu'à s'emballer. Le rythme languissant finit de nous achever, sans parler des acteurs assez mauvais. Susan Crowley oscille entre apathie et roulement d'yeux frénétique tandis que Peter Firth (déjà assez tiède dans Tess son rôle le plus connu) est totalement transparent. Un décor, de jolies vignettes mais sans la fièvre et malgré cette volonté d'entrecroiser l'occulte et le sacré (les inserts d'iconographies religieuses chrétiennes et islamiques) Dehlavi n'a pas les moyens de ses ambitions. 2/6
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

Station Six-Sahara de Seth Holt (1963)

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Une séduisante blonde (Carroll Baker) fait irruption dans une station de forage au milieu du désert et sème le trouble parmi les hommes qui y travaillent dans le plus complet isolement.

Station Six-Sahara est la seconde adaptation d'une pièce de Jean Martet, venant après le SOS Sahara de Jacques de Baroncelli (1938). On doit le scénario à Brian Clemens et Bryan Forbes dont on distingue bien le sens du malaise, de l'ironie et de l'atmosphère dans les moments les plus réussis du film. A la mise en scène on trouve Seth Holt, longtemps homme à tous faire au sein de la Ealing et qui avait fait de brillant début de réalisateur avec Nowhere to go (1958), excellent polar qui fut aussi le dernier film produit par la firme. Tous les éléments sont donc réunis pour un spectacle original et intrigant et cela fonctionne pendant un temps. On va suivre les rapports unissant cinq hommes isolés dans une station de forage en plein désert. Le nouveau venu Martin (Hansjörg Felmy) découvre ainsi la relation dominant/dominé qui rythme le quotidien de la station, et surtout le mental défaillant que la longue isolation a provoqué chez les différents personnages. Le très agité Fletcher (Ian Bannen) s'exalte ainsi par procuration, que ce soit en lorgnant sa collection de photo érotique ou alors en rachetant et lisant le courrier de son collègue Macey (Denholm Elliott). Ce dernier se complait dans la soumission et la fourberie, rapportant les faits et gestes des autres au chef de la station Kramer (Peter van Eyck). A l'inverse l'isolement a éveillé chez lui un complexe de supériorité (sur lequel jouent les nationalités différentes en présence) et une volonté d'écraser l’autre dépassant ses prérogatives professionnelles.

Seth Holt capture ainsi à merveille cette virilité toxique et ces névroses larvées à travers le jeu maniéré du casting où seul Martin semble en retenue, pas encore contaminé par la folie du désert. Ces tensions explosent lors des parties de poker que Kramer impose à ses compagnons, les pertes et endettements durant celles-ci participant à son ascendant sur eux. La différence sera que cette fois Martin ne s'en laissera pas compter et que l'attribution du gain final manquera de virer au pugilat. C'est là qu'une voiture accidentée vient interrompre le conflit, notamment grâce à sa charmante passagère inconsciente, la blonde Catherine (Carroll Baker). La nymphe de Baby Doll (1956) impose désormais sa sensualité dans des attitudes provocantes plus conscientes du regard des autres, plus adultes. Tout en entretenant le même rapport toxique avec son ex époux qui conduisait la voiture, elle joue du désir qu'elle éveille chez les mâles isolés de la station. Posséder la jeune femme déplace donc la rivalité ambiante des personnages sur un autre terrain. Alors que la tension bien amorcée devrait être à son comble, c'est pourtant là que le film s'enlise peu à peu. Alors bien sur la plastique avantageuse de Carroll Baker, ses regards brûlants et ses poses suggestives posent une tonalité certaine, Seth Holt peine pourtant à créer une vraie tension érotique. Le film est certes plus osé sur la question que pas mal de productions anglaises trop timorées de l'époque, mais faute d'une mise en scène sensorielle pour exprimer ce désir le film est paradoxalement moins sensuel que d'autres films qui en montrent moins. On ne sent jamais la subjectivité dévorante du regard masculin, les amorces d'érotisme sont filmées de trop loin et/ou mal cadrées (Catherine déambulant en short en plein soleil, Kramer la lorgnant de loin sous sa douche) ou alors plus frontales mais sans la montée nécessaire à façonner un vrai trouble. C'est finalement les inserts sur la station laissant le spectateur deviner les ébats invisibles qui fonctionnent le mieux. De plus la narration s'égare en laissant Martin, le personnage le plus intéressant, de côté pendant toute la dernière partie même si un semblant d'explication là-dessus tente de faire renouer avec les rapports de force du début. Une petite déception donc alors que tout était là pour un spectacle moite et anxiogène, dommage. 3/6
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Profondo Rosso »

The Triple Echo de Michael Apted (1972)

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Barton, caporal pendant la Seconde Guerre mondiale, tombe amoureux d'une veuve, refuse de retourner au front et se déguise sous les traits de sa sœur, « Kathy ». Barton prend plaisir à ses nouveaux atours et se laisse séduire par un sergent.

The Triple Echo est la premier film cinéma de Michael Apted après des débuts remarqués à la télévision tant dans la fiction que le documentaire, notamment la série de portraits Up. Le style austère et réaliste développé à la télévision sert particulièrement le trouble que provoque The Triple Echo, adapté d'une nouvelle de Herbert Ernest Bates. C'est en effet la retenue du film qui parvient à exprimer de manière subtile la confusion du genre et de l'identité sexuelle, qui anticipe là des films comme Tootsie de Sydney Pollack (1982) ou The Crying Game de Neil Jordan (1992). Le genre peut être associé à la seule notion biologique et des organes sexuels que la nature nous a conférés, mais il peut intervenir une dichotomie si l'individu ressent une autre identité que celle à laquelle le renvoie son corps. Le regard des autres peut du coup soit conforter l'individu dans le genre que son corps biologique évoque, soit au contraire le troubler et entraîner un mal-être. C'est dans ce regard extérieur que repose toute la problématique du film. Alice (Glenda Jackson), jeune femme isolée dans sa ferme alors que son mari est prisonnier de guerre au Japon, nous apparaît ainsi délestée de ce regard extérieur. Michael Apted la filme sans une once de glamour, sans souligner sa féminité mais met plutôt en avant ses aptitudes de survie dans cette isolation notamment sa dextérité au tir qui lui permet de s'alimenter du nombreux gibier alentour.

Dès que le caporal Barton (Brian Deacon) entre en scène la donner change. On reste dans une forme de zone grise tant que leur relation reste amicale mais, lorsque Barton doit retourner au front, la nouvelle solitude imminente va susciter le désir chez Alice d'à nouveau ressentir un regard masculin sur elle. Ainsi elle va abandonner pour la première fois sa tenue stricte de fermière pour une robe, une coiffure et globalement une allure féminine destiné à séduire Barton. Ils deviennent logiquement amants dans la foulée mais la menace du retour au front plane toujours. Barton va alors déserter et se travestir en femme pour demeurer auprès d'Alice, passant pour sa sœur - une mue d'ailleurs progressive où Barton qui son uniforme pour les habits du mari absent, avant de s'habiller en femme. Michael Apted par la seule confusion des genres qu'entraîne ce changement de tenue vestimentaire fait ainsi progressivement basculer leur relation. Alice retrouve ses vertus "viriles" en rudoyant son amant trop nonchalant à se prêter aux travaux fermiers. Les dialogues machistes sont explicites et viennent bien du personnage féminin pour tancer le masculin "émasculé", tel ce cinglant Ce n'est pas parce que tu es habillé en femme que tu dois te comporter comme tel. Alors que la première partie du film instaurait une zone grise où la masculinité de Barton ravivait la féminité éteinte d'Alice (notamment lorsqu'il apportait des compétences associées symboliquement à l'homme comme réparer le moteur de son tracteur), cette zone grise existe désormais pour inverser les rôles. Certains sursauts font retrouver de sa prestance à Barton lorsqu'il abattra le chien malade d'Alice émue et incapable de le faire. Le langage corporel lors des scènes de couples (amour comme dispute) sème également la confusion dans la notion de dominant/dominé, tandis que Barton semble étonnamment à l'aise et séduisant dans ses robes, son visage androgyne et ses cheveux longs.

Tout ce fragile équilibre est brisé avec l'arrivée du Sergent (Oliver Reed), incarnation grossière du mâle alpha priapique. Le fait de ne pas lui attribuer de nom, de le réduire à son grade et à son allure de gorille en rut suffit et exprimer la métaphore masculiniste que représente Sergent. Oliver Reed (capable par ailleurs de superbement incarner la vulnérabilité comme dans Love de Ken Russell déjà face à Glenda Jackson) est excellent dans l'interprétation de cette virilité agressive dans tout ce qu'elle a de menaçant (mais que là encore il a pu interpréter de façon comique dans Take a girl like you (1969)). Quand la femme Alice va repousser cet être vulgaire, la femme travestie Barton va se trouver attirée par lui. Michael Apted laisse planer l'ambiguïté sur le fait que sa tenue féminine ait éveillée des désirs inconnus ou avivé des désirs refoulés (la vérité se situant sans doute entre les deux) et fait planer un trouble fascinant lors des tentatives de séduction balourde de Sergent et de la réaction coquette et amusée de Barton, quand Alice ressent une jalousie tout aussi paradoxale. La conclusion où les masques tombent (lors d'une scène de bal où le malaise est à son comble) chacun est brutalement ramené à son identité/genre, même si Apted excellent dans un final ouvert à l'interprétation. Le radical geste final d'Alice est-il une preuve d'amour féminine, où une manifestation de froideur masculine (qui renvoie à son refus d'abattre son chien précédemment) ? Beau galop d'essai de Michael Apted dont la sécheresse formelle sert parfaitement le récit. 4,5/6
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Re:

Message par krolock »

Fatalitas a écrit :
Max Schreck a écrit : Et comment !

Des productions d'Alexandre Korda au sein de la London Films à sa propre compagnie fondée avec Pressburger, The Archers, Powell a connu quelques années mirifiques qui ont vraiment fait rayonner le cinéma british.
vraiment etonné que Bogart l'ait oublié, c'est le premier nom qui me vient à l'esprit quand on me dit "cinema anglais" :wink:
Powell / Pressburger sont des génies incroyablement oubliés, on retient plus volontiers les pointures David Lean et Carol Reed, cela vient peut-être de leur disgrâce en rapport à Peeping Tom ( le voyeur )
Chef-d'oeuvre qui ruina leur carrière en 1960.
C'était des génies, certains de leurs films sont à tomber raide !

Le narcisse noir *
Le colonel Blimp *
Peeping tom
Les chaussons rouges *

Ces films * tournés à la fin des années quarante paraissent plus modernes que les films actuels quant à leur mise en scène.

Cinéphiles foncez ! les DVD existent et sont de très bonne facture.
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Re: Re:

Message par Jeremy Fox »

krolock a écrit : Ces films * tournés à la fin des années quarante paraissent plus modernes que les films actuels quant à leur mise en scène.
En voilà une belle généralité pas du tout exagérée ! Tous les films actuels ?

Cinéphiles foncez ! les DVD existent et sont de très bonne facture
Il parait qu'ils existeraient également en Bluray ! :o
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Rick Blaine
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Re: Le Cinéma britannique

Message par Rick Blaine »

Et puis accessoirement, il y a un moment qu'ils ne sont plus oubliés, il n'y a qu'à voir le succès - à juste titre -à chaque fois qu'un de leur film est diffusé en salle.
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Re: Re:

Message par krolock »

Jeremy Fox a écrit :
krolock a écrit : Ces films * tournés à la fin des années quarante paraissent plus modernes que les films actuels quant à leur mise en scène.
En voilà une belle généralité pas du tout exagérée ! Tous les films actuels ?

Cinéphiles foncez ! les DVD existent et sont de très bonne facture
Il parait qu'ils existeraient également en Bluray ! :o
Regarde d'abord au moins "Le Colonel Blimp" et lorsque tu verras qu'il date de 1943, tu n'en croira pas tes yeux.
Ensuite peut-être que tu admettras que je n'exagère pas.
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