Le monde sur le fil (Welt am Draht, 1972)
Je ne suis pas toujours entré facilement dans l'univers de Fassbinder mais ce que j'avais lu sur ce film m'avait intrigué et comme j'aime énormément la SF...
Le cinéma européen des années 70 a une imagerie assez déprimante et c'est encore plus flagrant dans le cinéma allemand. Même avec des décors (vaguement) flashy, rien à faire. Et comme j'ai séjourné à plusieurs reprise en RFA à cette époque, c'est tout à fait conforme à mes souvenirs où régnaient le verre, l'acier, le béton et les tons formica orange-maronnasse. Le grain de l'image 16mm ne fait que renforcer cette désagréable sensation alors que ce sujet réclamait, sinon une netteté clinique à la Kubrick, au moins un traitement à la façon du Cronenberg des débuts (celui de
Shivers, par exemple).
Fassbinder abuse des effets de cadrage, de travelings à 360° et de zooms qui deviennent aussi horripilants et gratuits que comiques quand on y a systématiquement droit chaque fois que Klaus Löwitsch (acteur physique mais aussi passionnant qu'une façade de la Commerzbank) tourne la tête. Pour paraphraser je ne sais plus quel afficionado de l'Ovalie : Le zooming est tout de même à la prise de vue ce que le drop est au rugby : une éjaculation précoce. Il abuse aussi de plans travaillés sur-signifiants et d'une lourdeur de mammouth (visages se croisant entre premier et arrière plan, opposition personnage allongé/personnage debout etc. mais n'est pas Bergman qui veut).
La prise de son est infecte, probablement post-synchronisée sans tenir compte du contexte et le chargé des effets sonores n'est pas doué (on a l'impression de le voir taper sur des planches et des plaques de verre pour rendre - très mal - le son de pas sur le lino ou la pose d'un verre sur une table). Même cata pour les sons électroniques qui tombent comme un cheveu sur un circuit imprimé.
Bizarrement (et sans penser un instant à autre chose qu'à une bête comparaison), cette désincarnation et/ou cette froideur m'ont fait penser par moment aux cinémas de Jacques Tati et d'Antonioni. J'ai pensé à Tati en revoyant dernièrement
Playtime, son design de catalogue Knoll et ses bruitages.
C'est bavard et ennuyeux. Les acteurs (pour la plupart familiers des films de Fassbinder) sont tous sous Tranxène, totalement mono-expressifs. Et, de plus, d'une laideur rare. Le pompon pour la pulpo-vulgos actrice, caricature de blonde et qui ressemble à une Frédérique Bel gonflée à l’hélium. Je ne m'étais pas autant emmerdé depuis
Le camion de Duras et la finale de Roland Garros 1982 entre Wilander et Vilas.
Le ridicule est souvent frôlé voire dépassé comme la scène en boîte de nuit où la bimbo survitaminée se love au milieu de culturistes Noirs prenant la pose.
Une énorme déception. Aussi glacial et désincarné que le "recut" de
Raumpatrouille. Un Derrick chez K. Dick. On devine l'influence d'
Alphaville qui lui aussi montrait un futur proche froid comme le béton (notamment les scènes en voiture, de loin les plus intéressantes du film, les plans de couloirs et l'apparition - un peu cheap - d'Eddie Constantine) mais avec une toute autre force évocatrice et poétique.
Oser comparer ce nanar pas drôle à
Matrix*,
Inception (que je n'ai pas vu, ceci dit) et pour quoi pas à
Total Recall est limite une arnaque. A un moment, le personnage central évoque la réalité floue de la théorie du "
Je pense donc je suis" (ou plutôt du "
Je pense que les autres sont donc ils sont") en posant le cas d'une personne qui aurait un ami qui disparaîtrait subitement et tout le monde autour semblerait alors ne l'avoir jamais connu. Eh bien en 20mn, ce postulat fantastique avait donné un des meilleurs épisodes de la 1ère saison de la
Twilight Zone :
And When the Sky Was Opened. Fassbinder aurait mieux fait de s'attacher les services de Rod Serling et Richard Matheson.
Bon, j'avoue que le peu que je connais de l'oeuvre de Fassbinder a tendance à me déprimer. J'avais plutôt aimé
Le mariage de Maria Braun,
Lili Marleen et
Le secret de Veronika Voss, beaucoup moins
Querelle. Mais ça remonte à 30 ans et je n'ai pas franchement envie de les revoir. Je sais que le cinéaste, décédé prématurément, a acquis depuis un statut d'intouchable (il avait déjà une côte énorme de son vivant parmi les cinéphiles). On me répondra que c'est aussi le cas de Jean Eustache mais pour moi, il n'y a pas photo entre les deux.
Ce pensum à se pendre m'a surtout donné envie de revoir le très dérangeant et contemporain
Das Millionenspiel, également réalisé pour la télévision allemande mais qui est, lui, une véritable réussite d'anticipation germanique. Ou les cérébraux, parfois un peu apathiques mais autrement plus maîtrisés et troublants
Je t'aime, je t'aime de Resnais ou
Un soir, un train de Paul Delvaux.
(*) Le fait que les personnages en voyage virtuel soient contactés et ramenés au monde réel par téléphone...