Luchino Visconti (1906-1976)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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-Kaonashi-
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par -Kaonashi- »

Demi-Lune a écrit :Seul reste le poids prégnant de l'histoire, du souvenir, de la honte, du pourrissement, du tabou, où une mélodie de César Franck fait office de leitmotiv traumatique, où les stores et les statuettes de la demeure dissimulent des vestiges coupables d'un autre temps. Le palazzo fait office d'immense abcès familial et tout l'enjeu psychologique pour Sandra, au prix d'un renoncement élevé, est de parvenir à enterrer une bonne fois pour toute son passé, d'expulser le mal qui la ronge. Comme souvent chez Visconti, la famille est le théâtre de sentiments destructeurs et elle transmet par-delà le temps ses fautes irrémissibles. Sandra est un grand film sur le contentieux familial, la difficulté de briser des liens du sang même si ceux-ci nous sont néfastes. Exprimant une bile noire étonnante, cette œuvre viscontienne, loin d'être mineure, est l'un de ses travaux les plus intimistes et plus fiévreux.
Joli texte sur ce magnifique film de Visconti, sûrement mon préféré.
Pour le morceau de César Franck, je ne sais plus exactement comment il est utilisé, car depuis ma découverte de ce film il y a quelques années, j'ai écouté Prélude, chorale et fugue des centaines de fois.



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Demi-Lune
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Demi-Lune »

-Kaonashi Yupa- a écrit :Pour le morceau de César Franck, je ne sais plus exactement comment il est utilisé
Ben ça commence dès l'ouverture, avec la réception. Sandra discute avec des amies et un pianiste se met à jouer le morceau, ce qui la pétrifie.
On ré-entend ensuite régulièrement cette mélodie en fond sonore (comme si elle émanait des murs du palazzo), surtout lorsque les dialogues font référence aux évènements passés si mes souvenirs sont exacts.
On se doute que ce morceau est le "sésame" traumatique de Sandra, qu'il y a un truc entre ce morceau et son frère, même si rien de clair ne sera explicité à ce sujet.
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Profondo Rosso
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Profondo Rosso »

L'Innocent (1976)

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Tullio Hermil (Giancarlo Giannini) est un homme froid, égoïste et psychotique. Marié, il vit une relation sulfureuse et tumultueuse avec sa maîtresse, Teresa (Jennifer O'Neill). Sa femme, Giuliana (Laura Antonelli), est au courant, et supporte en silence ces affronts perpétuels, jusqu'au jour où elle rencontre un écrivain à succès. À la suite d'une nuit avec lui, elle se retrouve enceinte.

Ultime film d'un Visconti affaibli par la maladie, L'Innocent témoigne de la douloureuse noirceur des dernières œuvres du maître. Le romantisme qui portait les plus intenses mélodrames prend ici un tour morbide, la symphonie visuelle des grandes fresques historique est comme éteinte. Même dans la tonalité tragique, il y avait chez Visconti matière à la flamboyance, à la poésie et à une emphase absente ici comme si tout était fini et joué. Luchino dépeint ici cette aristocratie italienne du XIXe au centre de nombres de ces films à travers le couple formé par Tullio et Giulana (Giancarlo Giannini et Laura Antonelli déjà partenaire dans l'autrement plus léger Le Sexe fou de Dino Risi). La relation des époux se désagrège lentement au rythme des infidélités de plus en plus humiliantes de Tullio. Celui-ci tombé fou amoureux de sa maîtresse Teresa (Jennifer O'Neill) ne se cache même plus de leur communauté ni de Giulana qu'il transforme en confidente des tourments dans laquelle le plonge sa capricieuse amante. Laura Antonelli délivre une prestation surprenante en épouse délaissée. Visconti ne l'affadi pas, ne l'enlaidit pas mais la rend par une gestuelle figée et un jeu effacé totalement spectatrice et victime résignée des évènements. La conscience de sa beauté s'est envolée avec le désir de Tullio pour elle et son comportement offre un mimétisme de son statut, un joli objet invisible.

L'Innocent est adapté du roman Gabriele D'Annunzio L'Intrus et l'auteur dans ses écrits dépeint avec sophistication et préciosité la luxure de cette aristocratie bien-pensante. Luigi Comencini sans l'adapter directement mais en s'inspirant de son style avait su tirer un chef d'œuvre des préceptes d'Annunzio dans Mon dieu comment suis-je tombé si bas ? (déjà avec Laura Antonelli) où un couple coincé et bigot s'abandonnait à ses sens. Le même thème est revisité dans le pur drame ici par Visconti mais en en inversant la trajectoire, le couple supposé décomplexé étant finalement soumis à ces entraves morales. Tullio par sa liberté de mœurs et le peu de cas qu'il semble faire des sentiments de son épouse obéit donc à une ouverture plutôt moderne de la vie de couple qui devrait fonctionner aussi pour Giulana comme il l'affirme hypocritement dans un premier temps. Pourtant la tradition possessive reprend ses droits lorsque l'épouse cède à son tour aux charmes d'un écrivain à succès (Marc Porel). Comme tout personnage D'Annunzio, Tullio ne raisonne qu'en termes de conquête et voyant sa femme lui échapper en retombe aussitôt amoureux. Ce renouement offre la seule vraie scène romantique du film où Visconti dans un somptueux extérieurs ensoleillé en campagne filme les déambulations amenant le rapprochement charnel du couple jusqu'à une étreinte passionnée où ils deviennent ce qu'ils n'ont sans doute jamais réellement été, des amants complices.

Ce moment trop enflammé sonne faux lorsque tombera la terrible nouvelle, Giulana est tombé enceinte lors de cette brève liaison. Visconti peut ainsi dénoncer l'hypocrisie de cette société plaidant la liberté de pensée et de mœurs à travers la jalousie terre à terre et maladive de Tullio. La relation entre Giulana et l'écrivain aura été plus suggérée qu'autre chose par le réalisateur qui lui donne un tour abstrait renforçant l'ignominie de Tullio voyant dans l'enfant à naître le rival qu'il a entraperçu (et qu'il n'a pas eu le plaisir de provoquer en duel) et dans l'amour maternel de Giulana celui qu'elle porte à son amant. Tout cela fait peser sur le film un climat terriblement oppressant renforcé par le jeu fiévreux de Giancarlo Giannini et l'ambiguïté de Laura Antonelli. Pour Visconti cela se traduit par une mise en scène étouffante où les extérieurs sont rares, la reconstitution comme souvent somptueuse de Piero Tosi exploite rarement les fabuleux décors dans leur largeurs pour privilégier les gros plans furtifs sur les visages anxieux, les échanges amers dans des pièces resserrées. Et pourtant sous toute cette noirceur, c'est bien d'une histoire d'amour dont il est question ici, d'un amour trop inconstant pour s'épanouir dans la normalité et finalement trop exclusif pour se satisfaire d'élans libertaires factices. Conscient de cet impasse, Tullio, monstrueux et pathétique à la fois y trouvera une solution radicale. Visconti mourut avant d'avoir mis la dernière main à son montage quelques mois avant la sortie du film et cela se ressent parfois par un rythme moins maîtrisé, une montée en puissance moins solennelle que dans ses meilleurs films mais sans être une conclusion en apothéose, L'Innocent est un testament d'une lucidité et d'une noirceur marquante. 4,5/6
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Saimo
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Saimo »

Les 70 ans de Ossessione.


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Demi-Lune
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Demi-Lune »

Visconti est un de mes cinéastes favoris, mais je dois avouer avoir subi une belle déception avec Violence et passion (1974).
La réalisation n'est évidemment pas à mettre en cause. Visconti gère l'exercice du huis-clos avec une science de l'espace et de l'écran large qu'il n'a plus à démontrer, d'autant qu'avec l’appartement romain du Professeur (Burt Lancaster), on retrouve tout ce vieux monde aristocratique déchu qui le fascine tant. Beau tournage en studio, donc, grâce à une direction artistique solide.
Le casting a également de la gueule avec un Lancaster toujours impérial, renouant avec l'esprit du Prince Salina pour une réflexion plus intimiste autour de la vieillesse, de la solitude, du temps qui passe et de la mort approchante.
C'est, à vrai dire, le peu d'intérêt que je tire de cette œuvre testamentaire où Visconti, malade, se projette sur son personnage principal, vivant reclus dans ses souvenirs et ses tableaux et ayant fait le choix de la solitude pour ne plus à avoir à subir les déconvenues de l'attachement affectif. Lancaster, digne, mélancolique, porte le film sur ses épaules. Mais si son personnage émeut, ceux qui gravitent autour de lui (toute cette famille qui emménage au-dessus de son appartement et dont il va se prendre d'amitié et d'affection par substitution) me paraissent fort peu convaincants à cause d'une écriture confuse. Les caractères semblent forcés, les dialogues ampoulés, chacun surjoue son excentricité, sauf Helmut Berger. Le poids du secret et du tabou étant au centre des enjeux, l'aspect psychologiquement allusif du scénario nécessitait une vraie qualité d'écriture. Or je trouve ici Visconti exceptionnellement brouillon, ne provoquant guère d'empathie (chose paradoxale puisque Lancaster doit en éprouver) pour ce quatuor de voisins tapageurs et décadents. Même confusion au niveau du sous-texte politique : Visconti agite au travers de ses personnages le spectre du fascisme, du mouvement révolutionnaire de 68, mais sans que son propos soit très clair.
Au final, Violence et passion peut être vu comme une variation autour de Sandra : le palazzo dans lequel le temps semble s'être figé, la famille et ses tabous qui pourrissent tout, la même conclusion tragique... Claudia Cardinale fait d'ailleurs un caméo. Mais cet avant-dernier film de Visconti ne décolle jamais vraiment à mes yeux, contrairement à son ancêtre. Dommage.
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Demi-Lune
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Demi-Lune »

Visconti, à jamais dans mon Top 10 cinéastes, vient encore de me terrasser avec son ultime chef-d’œuvre L'innocent (1976). Un film-impasse, lent comme l'agonie, d'une noirceur insondable (presque autant que Les damnés mais sans les zooms) et d'une violence sentimentale/psychologique rare. J'ignore comment le maestro aurait pu poursuivre après ce legs, achèvement formaliste de toute sa carrière (Scorsese s'en est bien rappelé pour Le temps de l'innocence) et en même temps constat crépusculaire sur la monstruosité du cœur humain, de la part d'un réalisateur qui avait pourtant toujours aimé ses personnages. J'en suis encore tout retourné.
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par joe-ernst »

Demi-Lune a écrit :Visconti, à jamais dans mon Top 10 cinéastes, vient encore de me terrasser avec son ultime chef-d’œuvre L'innocent (1976).
Un chef-d'oeuvre trop ignoré, hélas... :(
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Père Jules »

Demi-Lune a écrit :Visconti, à jamais dans mon Top 10 cinéastes, vient encore de me terrasser avec son ultime chef-d’œuvre L'innocent (1976). Un film-impasse, lent comme l'agonie, d'une noirceur insondable (presque autant que Les damnés mais sans les zooms) et d'une violence sentimentale/psychologique rare. J'ignore comment le maestro aurait pu poursuivre après ce legs, achèvement formaliste de toute sa carrière (Scorsese s'en est bien rappelé pour Le temps de l'innocence) et en même temps constat crépusculaire sur la monstruosité du cœur humain, de la part d'un réalisateur qui avait pourtant toujours aimé ses personnages. J'en suis encore tout retourné.
J'en sors à l'instant. J'en suis sans doute trop retourné.
Comme tu le dis, le film est proprement suffocant, porté par une Giancarlo Giannini terrifiant, mais je lui préfère la dimension historique du Guépard, le néo-réalisme de Rocco et la dramaturgie intimiste des Nuits blanches. L'innocent me semble, à chaud, trop terrifiant, trop douloureux (je ne crois pas avoir jamais eu des sueurs froides -au sens propre- devant un film comme ici lors de la "monstruosité" commise par Tullio Hermil) pour vouloir y revenir avant quelques temps.
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Demi-Lune »

Eh oui, c'est quelque chose ce film.

Le regard cadavérique de Giannini, la duplicité d'Antonelli, l'inhumanité de Jennifer O'Neill... un film qui ne laisse aucune chance et qui s'immisce jusqu'à la nausée en vous. Fascinant et terrible à la fois.

On évoque souvent le regard légendaire de Peter O'Toole ou Paul Newman, mais celui de Giancarlo Giannini est aussi fascinant et particulièrement dans ce film où il semble être le reflet de toute son âme, décrépie, triste et pathétique. Pour quelqu'un qu'on avait surtout cantonné jusque là dans des comédies grivoises ou des gialli, ce rôle est une véritable transfiguration. Mais Visconti a toujours été un formidable directeur d'acteurs.
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Père Jules
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Père Jules »

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C'est clair que ce regard est assez inoubliable. Giannini m'a fait pensé (la comparaison est peut-être foireuse et l'idée partagée par personne) à Margarita Terekhova dans Le miroir. Je n'avais jamais vu une actrice passer, dans le même film, de la beauté la plus éclatante à une laideur totalement repoussante. Ici c'est pareil. Dans le rôle d'Hermil, l'homme charismatique et d'une beauté évidente devient, en un regard, en un plan, un être proprement monstrueux et révulsant. Alors, ça te fera sans doute chier de voir citer Tarkovski dans un topic consacré à Visconti mais c'est ainsi. :mrgreen:
Demi-Lune a écrit :Eh oui, c'est quelque chose ce film.

Le regard cadavérique de Giannini, la duplicité d'Antonelli, l'inhumanité de Jennifer O'Neill... un film qui ne laisse aucune chance et qui s'immisce jusqu'à la nausée en vous. Fascinant et terrible à la fois.
Le dernier film (le seul ?) à provoquer ce sentiment chez moi c'était Requiem pour un massacre, pour de toutes autres raison bien évidemment. Mais depuis ce matin, je dois bien reconnaître que le film m'obsède énormément et que j'y pense sans arrêt. Je pourrais bien le réévaluer les jours qui viennent au point d'en faire mon film du mois.
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Demi-Lune »

Père Jules a écrit : Mais depuis ce matin, je dois bien reconnaître que le film m'obsède énormément et que j'y pense sans arrêt. Je pourrais bien le réévaluer les jours qui viennent au point d'en faire mon film du mois.
Dans ce cas, tu serais pardonné d'avoir cité Tarko dans ce topic. :mrgreen: :arrow:

P.S. : il y en a un autre de Visconti qui te retournera le bide, aussi, si tu ne l'as pas encore vu : c'est Les damnés. Un des scénarios les plus impressionnants que j'ai pu voir même si Strum n'est pas tout à fait d'accord avec moi pour des raisons historiques. Ah si seulement il n'y avait pas eu tous ces zooms à la con...
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Père Jules
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Père Jules »

Je le connais, je n'en garde qu'un souvenir très mitigé. Le souvenir d'une représentation quasi grotesque qui m'avait profondément ennuyé.
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Kevin95 »

J'ai toujours placé Ossessione très haut dans mon panthéon viscontien, considérant même ce premier film comme l'une des œuvres majeures du cinéma (pré)néoréaliste. Revoir donc le film en DVD n’impliquait pas à priori énormément de risque or (vous vous en doutez après ce type de préambule) j'ai du faire face à une cruelle déception.

Pas aidé par un DVD d'une qualité absolument exécrable (j'ai complétement oublié que l'objet édité par nos amis de Films sans frontières est à peine digne d'une VHS), je fus véritablement surpris de constater combien le film de Visconti avait un mal fou à déployer son intrigue policière et à mettre en place son récit. Vous me direz que c'est bien là le cadet des soucis d'un esthète comme Visconti (ce à quoi j’adhère) seulement pour le cas de Ossessione c'est bien les caractéristiques et les codes du genre (policier) qui articulent les faits et gestes des deux protagonistes (et qui les rendent un tant soit peu intéressants). Visiblement le réalisateur s'en fout et expédie les passages obligés pour se concentrer sur les fameuses parenthèses naturalistes qui ont fait la renommé du film (ce qui me gêne aucunement vu que cela donne une poignée de séquences superbes). Mais là où ça coince, c'est que ce mariage entre lesdites parenthèses et l'intrigue principale se fait dans la douleur (les scènes avec les policiers par exemple sont bâclées et sans saveurs). En résulte la sensation d'un film très "haché" qui ne justifie pas sa durée d'un peu plus de deux heures (on les sent passer pour être tout à fait franc). Même l'abondance de personnages secondaires n'est pas justifié pire, elle génère une frustration chez le spectateur (l'enfant ne sert à rien, la danseuse/prostitué est littéralement sacrifié par le montage tandis que pour l'extraordinaire personnage fellinien en diable dit de l'espagnol, sa présence est aussi belle que peu en rapport avec l'intrigue principal).

Je ne tente pas par là de déboulonner une statue du commandeur car la mise en scène de Visconti est absolument divine entre lyrisme des mouvement (amples) d'appareil et les plans rapprochés aux tonalités naturaliste (les gros plans sont déchirants à ce titre). Seulement là où j'estimais avoir affaire à un coup de maitre, à la lumière de cette relecture, je me rétracte quelque peu. Pas totalement abouti donc, Ossessione reste la matrice d'une quantités de thèmes et/ou motifs repris plus tard dans la filmographie du cinéaste. A cette lumière et contenu du fait de l'importance indéniable qu'a eu le film dans l'Histoire du cinéma italien, Ossessione reste encore et toujours un film très intéressant (cela peut paraitre anecdotique mais peut être qu'une autre lecture du film via une copie propre me permettra de retrouve enthousiasme de sa découverte).-
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Sudena »

Ossessione est pour ma part un des films les plus prenants que j'aie vu... Sa mise en scène naturaliste lui donne une "vérité" qui ancre son propos dans la réalité sociale et reste sur le fil entre l'intrigue principale (policière) et l'environnement des personnages. S'il n'a pas la portée ultra-esthétique qui définira les films viscontiens par la suite les plans et les mouvements de caméra sont tout sauf du hasard et ont une fonction dramatique discrète mais à mon sens indéniable (en particulier la lumière des scènes intimistes entre les deux héros), portée que Visconti réutilisera énormément dans ses autres films (en y rajoutant les couleurs et le cadrage millimettré, en particulier dans Ludwig [film qu'il faut à mon sens voir plusieurs fois pour en saisir les infinies richesses]). Les personnages secondaires qui parfois disparaissent purement et simplement font que ce film est le premier néo-réaliste, que des personnages peuvent partir sans qu'on sache ce qu'ils sont devenus (Rossellini utilisera aussi cette portée de documentaire "sur le vif" dans Roma citta aperta, film-manifeste du néo-réalisme), mais l'espagnol est un personnage d'une richesse infinie et qui ne demande qu'à être utilisée: proche du rôle de l'infante du Cid, sa relation avec le héros est encore plus puissante quand on connait l'homosexualité du réalisateur... Certes il n'est pas important dans la conclusion mais il fait, comme les autres, le décor et l'âme du film: à la fois dramatique amoureuse, polar noir, chronique de gens ordinaires, Ossessione est un film très dense, et sa plus grande ambition est peut-être qu'il ne privilégie aucun aspect particulier ce qui en fait un film "matrice", tant du réalisateur que du mouvement néo-réaliste...
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Kevin95 »

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BELLISSIMA - Luchino Visconti (1951) découverte

Difficile de reconnaitre Luchino Visconti dans cette chronique populaire, pudique, sensible, chaleureuse et parfois dramatique quand le rire est à bout de souffle. Même dans sa période néo-réaliste, rarement le réalisateur aura été aussi près du quotidien, des rêves prolétaires comme de leurs désillusions. Ni travailleurs sublimes (La terra trema / La terre tremble, 1948), ni destin tragique (Rocco e i suoi fratelli / Rocco et ses frères, 1960) mais le récit simple d'une mère haute en couleur qui essaye par tous les moyens de faire de sa fille une star et par la même de sortir de sa condition. Anna Magnani est tout sauf une ogresse exploitant les charmes de son bambin mais un petit personnage qui court derrière les projecteurs du cinéma pour sortir de son environnement obscure. D'abord cocasse, le film devient touchant puis déchirant quand la Magnani comprend qu'elle détruit tout autour d'elle, que le cinéma est une piège comme un autre et qu'à coté, sa fille et son mari souffrent. Visconti à hauteur de HLM, il faut le voir pour le croire. Pourtant, le film ne parait pas être porté haut dans le cœur de son auteur. Sans doute parce que le maitre se fait déposséder d'une partie de son travail, d'une part par le scénariste Cesare Zavattini (monsieur néo réalisme) qui tire le film vers une légèreté heureuse et de l'autre par l'actrice principale qui bouffe le film au petit-déjeuner et qui occupe le cadre comme si elle vivait depuis toujours dans les décors du film. Même pris en tenaille, Luchino Visconti n'est pas homme à laisser le film en rade et certaines séquences superbes comme la projection des rushs ou la mère et la fille seules sur un banc doivent autant au scénario, à la comédienne, qu'à de la mise en scène. Bellissima n'est mineur en rien, c'est une pièce superbe à remettre en devanture de la carrière de Visconti.
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