Jennifer Jones (1919-2009)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Ann Harding
Régisseur
Messages : 3144
Inscription : 7 juin 06, 10:46
Localisation : Paname
Contact :

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Ann Harding »

Image

Stazione Termini (Station Terminus, 1953) de Vittorio de Sica avec Jennifer Jones, Montgomery Clift et Gino Cervi

Mary Forbes (J. Jones), une américaine, est sur le point de quitter Rome. Avant de partir, elle revoit une dernière fois Giovanni Doria (M. Clift) avec lequel elle a eu une aventure...

En 1953, Vittorio de Sica revient d'un voyage à Hollywood où il a rencontré plusieurs producteurs dans l'espoir de financer son prochain film. En effet, bien qu'il soit auréolé du prestige d'avoir réalisé Sciuscia, Ladri di Biciclette, Miracolo à Milano et Umberto D., ses films n'ont pas été des succès auprès du public italien. Ils sont trop noirs au goût du public qui recherche l'évasion. Incapable de trouver un financement en Italie, il recherche donc auprès des américains une autre source de financement. C'est David O. Selznick qui va lui offrir une co-production américano-italienne avec son épouse Jennifer Jones dans le rôle principal. Le film est tourné entièrement dans la Stazione Termini, la gare centrale de Rome. Fidèle à ses principes néo-réalistes, le film a une unité de lieu, d'action et se déroule quasiment en temps réel. Nous suivons Jennifer Jones alors qu'elle s'apprête à quitter Rome. Son train part dans 1h30 et nous allons vivre avec elle ses derniers moments dans cette gare. Bien que les deux têtes d'affiche soient des stars américaines, nous sommes bien devant un film européen. De Sica n'a pas à se soucier de la censure pointilleuse américaine et il nous raconte cet adultère sans chercher à se voiler la face. Mary Forbes est une femme mariée qui a rencontré à Rome un jeune américano-italien, Giovanni. Ils ont vécu une courte passion qui va finir avec son départ. Quant à la direction d'acteurs, elle offre une fluidité et une liberté qu'on ne rencontrerait pas un film américain de cette époque. Jennifer Jones est à l'écran durant quasiment les 89 min du film. Elle habite son personnage avec ses doutes, ses fêlures et ses désirs complètement. Montgomery Clift apporte lui aussi sa sensibilité écorchée à son personnage. Le réalisateur ne cherche pas à donner des leçons de morale. Il nous montre la fin d'une liaison passionnée qui déchire deux êtres, sans jugement. Il faut dire que lorsqu'on songe à sa propre situation matrimoniale, De Sica sait de quoi il parle. Une société italienne hypocrite interdit le divorce. Il est lui-même dans une situation impossible : toujours marié à sa première épouse, il vit avec Maria Mercader avec laquelle il a deux fils. Il mènera cette double vie pendant des décennies avant de pouvoir se marier légalement en prenant la nationalité française (!). Mary Forbes se trouve face à un choix cornélien. Doit-elle quitter son époux et perdre sa fille pour rester auprès de Giovanni en Italie ? Elle décide de partir, mais lorsqu'elle se retrouve face à Giovanni, il est évident qu'elle est follement amoureuse de lui et prête à faire des folies. Ils vont tous deux être ramenés à la réalité en se retrouvant face à un commissaire de police. Ils sont tous deux humiliés à la face de la société et réalisent leur folie. Le scénario est signé du complice habituel de De Sica, Cesare Zavattini, mais les dialogues en anglais ont été écrits par Truman Capote, une pointure de la littérature américaine. Jennifer Jones et Montgomery Clift sont tous deux absolument superbes dans leurs rôles et je ne peux que vous recommander chaudement ce De Sica.
Criterion a édité le film avec en complément Indiscretion of an American Wife, un remontage du film réalisé par David O. Selznick. Pour le consommateur américain, Selznick a recoupé le film à 63 min en éliminant des scènes et des dialogues, probablement pour éviter la censure et en ajoutant un prologue tourné par William Cameron Menzies. On a un aperçu intéressant des différences entre cinéma américain et européen dans les années 50.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18521
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Profondo Rosso »

Ah dans ma quête de voir toute la filmo de Jennifer Jones je me suis commandé le Criterion récemment ton avis me rend encore plus impatient de le recevoir ! Et vu que j'adore De Sica aussi...
Kimm
Assistant(e) machine à café
Messages : 203
Inscription : 1 janv. 08, 21:49

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Kimm »

Profondo Rosso a écrit :Ah dans ma quête de voir toute la filmo de Jennifer Jones je me suis commandé le Criterion récemment ton avis me rend encore plus impatient de le recevoir ! Et vu que j'adore De Sica aussi...
Perso, je n'ai pas vu ses deux films anglais de fin de carrière, à savoir Angel, Angel, Down We Go (Robert Thom, 1969) dans lequel elle remplace Kim Stanley, incarnant une ancienne star de porno et balançant des répliques trash du genre: "malgré mes nombreux films tournés, je n'ai jamais vécu un orgasme.."
Je suis très curieux de voir Jones dans ce film durant cette période charnière où l'on pouvait se lâcher... :uhuh:

THE IDOL (Daniel Petrie, 1966) ne semble malheureusement ne pas avoir meilleur réputation, mais serais également très curieux de le voir pour me faire ma propre idée: on a parfois de bonne surprise... :)

Je n'ai pas encore fait la démarche de voir LE POIDS DU MENSONGE (LOVE LETTERS, William Dieterle, 19445); j'ai le film sans sous- titre, mais ma difficulté de compréhension de l'américain me décourage par avance...peut-être un jour... :fiou:

Je crois que quasiment tous les films de Jones sont des pépites; Bertrand Tavernier dit beaucoup de bien d'UN AMOUR DESESPERE (Carrie, William Wyler, 1952), et je confirme... :D
Anciennement Kim
Nestor Almendros
Déçu
Messages : 24376
Inscription : 12 oct. 04, 00:42
Localisation : dans les archives de Classik

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Nestor Almendros »

Kimm a écrit :Bertrand Tavernier dit beaucoup de bien d'UN AMOUR DESESPERE (Carrie, William Wyler, 1952), et je confirme... :D
Je confirme aussi.
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18521
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Profondo Rosso »

Kimm a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Ah dans ma quête de voir toute la filmo de Jennifer Jones je me suis commandé le Criterion récemment ton avis me rend encore plus impatient de le recevoir ! Et vu que j'adore De Sica aussi...
Perso, je n'ai pas vu ses deux films anglais de fin de carrière, à savoir Angel, Angel, Down We Go (Robert Thom, 1969) dans lequel elle remplace Kim Stanley, incarnant une ancienne star de porno et balançant des répliques trash du genre: "malgré mes nombreux films tournés, je n'ai jamais vécu un orgasme.."
Je suis très curieux de voir Jones dans ce film durant cette période charnière où l'on pouvait se lâcher... :uhuh:

THE IDOL (Daniel Petrie, 1966) ne semble malheureusement ne pas avoir meilleur réputation, mais serais également très curieux de le voir pour me faire ma propre idée: on a parfois de bonne surprise... :)

Je n'ai pas encore fait la démarche de voir LE POIDS DU MENSONGE (LOVE LETTERS, William Dieterle, 19445); j'ai le film sans sous- titre, mais ma difficulté de compréhension de l'américain me décourage par avance...peut-être un jour... :fiou:

Je crois que quasiment tous les films de Jones sont des pépites; Bertrand Tavernier dit beaucoup de bien d'UN AMOUR DESESPERE (Carrie, William Wyler, 1952), et je confirme... :D
Pareil hormis les films de fin de carrière je ne suis pas loin d'avoir tout vu hormis Bonjour Miss Dove et Miss B (et aussi Tendre et la nuit Jennifer Jones + Henry King ça donne toujours de très grandes choses) mais mon arlésienne c'est effectivement Le Poids du mensonge impossible à trouver en dvd. D'ailleurs s'il y a possibilité d'avoir une copie même sans sous-titres je suis preneur ! :) Et de même pour Carrie découvert récemment Jennifer Jones y est magnifique et Laurence Oliver exceptionnel...
Kimm
Assistant(e) machine à café
Messages : 203
Inscription : 1 janv. 08, 21:49

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Kimm »

Profondo Rosso a écrit :
Kimm a écrit :
Perso, je n'ai pas vu ses deux films anglais de fin de carrière, à savoir Angel, Angel, Down We Go (Robert Thom, 1969) dans lequel elle remplace Kim Stanley, incarnant une ancienne star de porno et balançant des répliques trash du genre: "malgré mes nombreux films tournés, je n'ai jamais vécu un orgasme.."
Je suis très curieux de voir Jones dans ce film durant cette période charnière où l'on pouvait se lâcher... :uhuh:

THE IDOL (Daniel Petrie, 1966) ne semble malheureusement ne pas avoir meilleur réputation, mais serais également très curieux de le voir pour me faire ma propre idée: on a parfois de bonne surprise... :)

Je n'ai pas encore fait la démarche de voir LE POIDS DU MENSONGE (LOVE LETTERS, William Dieterle, 19445); j'ai le film sans sous- titre, mais ma difficulté de compréhension de l'américain me décourage par avance...peut-être un jour... :fiou:

Je crois que quasiment tous les films de Jones sont des pépites; Bertrand Tavernier dit beaucoup de bien d'UN AMOUR DESESPERE (Carrie, William Wyler, 1952), et je confirme... :D
Pareil hormis les films de fin de carrière je ne suis pas loin d'avoir tout vu hormis Bonjour Miss Dove et Miss B (et aussi Tendre et la nuit Jennifer Jones + Henry King ça donne toujours de très grandes choses) mais mon arlésienne c'est effectivement Le Poids du mensonge impossible à trouver en dvd. D'ailleurs s'il y a possibilité d'avoir une copie même sans sous-titres je suis preneur ! :) Et de même pour Carrie découvert récemment Jennifer Jones y est magnifique et Laurence Oliver exceptionnel...
je vois avec Francesco comment on peut faire et te tiens au courant par MP..
Anciennement Kim
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18521
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Profondo Rosso »

Merci ! :D
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18521
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Profondo Rosso »

Le Poids d'un Mensonge de William Dieterle (1945)

Image

Alan écrivait les lettres d'amour que Roger envoyait à sa fiancée. Une fois mariée, la jeune femme fut déçue par Roger, le couple se désagrégea et Roger mourut lors d'une dispute.

William Dieterle à la réalisation filmant le couple Joseph Cotten/ Jennifer Jones, cela éveille immédiatement de grandioses souvenirs de cinéma avec Duel au Soleil (filmé officieusement en partie par Dieterle) mais surtout le merveilleux Portrait de Jennie et sa romance fantasmagorique à l'esthétique flamboyante. C'est précisément à ce dernier qu'on pense d'ailleurs à la vison de Love Letters qui lui est antérieur et on peut supposer que c'est l'alchimie constatée ici entre Jennifer Jones et Joseph Cotten qui incita David O' Selznick à les réunir à nouveau par la suite. Le plus troublant reste surtout les similitudes entre les récits du Portrait de Jennie et Love Letters qui sur des postulats bien différents offrent des situations et des personnages très proche à Joseph Cotten et Jennifer Jones. Le romantisme exacerbé s'exprime cependant dans une teneur rêvée et surnaturelle dans Jennie tandis que Love Letters a une approche essentiellement psychologique (présente néanmoins dans Le Portrait de Jennie).

Joseph Cotten est donc déjà ici un personnage solitaire et sans goût pour la vie courant après une chimère qui se verra personnifiée par Jennifer Jones. L'idée en elle-même est d'un romantisme si imprégnée de littérature qu'on l'imagine mal passer à l'écran. Cotten soldat mobilisé au front a rendu service à un camarade trop terre à terre en rédigeant pour son compte des lettres passionnée à sa fiancée. Contre toute attente celle ci s'avère profondément touchée par ses écrits et lui de tomber amoureux de cette femme qu'il n'a jamais vu et qui ne soupçonne pas son existence. Démobilisé pour blessure il apprend la mort de son ancien compagnon désormais marié et apprend que son épouse a subi le même sort. Surgit alors une étrange jeune femme dans son existence, la mystérieuse et innocente Singleton (Jennifer Jones). Le script de Ayn Rand (adapté d'un roman de Christopher Massie) rend l'ensemble limpide et particulièrement troublant.

La longue introduction appuie donc sur la nature obsessionnelle et insaisissable de la passion de Joseph Cotten, d'abord par la situation l'empêchant d'aborder cet amour invisible puis par la triste réalité elle-même lorsqu'elle s'avéra morte. Dès lors Dieterle retarde longuement la première apparition de Jennifer Jones (si ce n'est une furtive qui est totalement logique quant aux évènements qui vont suivre) sur laquelle Cotten va finalement lever les yeux et tomber follement amoureux. Cependant l'ombre de la romance épistolaire non consommée plane constamment sur les lieux voisins du drame où va s'installer le couple, sur chacun de leurs actes mais surtout sur le mental fragile de Singleton. Cette figure absente et omniprésente à la fois s'exprime parfaitement dans la prestation fascinante de Jennifer Jones qui en cette période multipliait les rôle de femmes enfants séductrice et dangereuses. Ici elle est confondante de candeur et de fragilité (son arrivée impromptue chez Cotten splendide séquence) mais à tout moment un nuage de démence et de désarroi peut venir obscurcir son regard, l'actrice graduant à merveille la progression de son malaise (un mot à la place d'un autres, un détail rappelant un souvenir enfouit et transformant son attitude...). Cotten tour à tour torturé, protecteur et impuissant est tout aussi bons et les séquences romantiques entre eux sont très touchantes mais toujours teintées de menaces.

Le scénario mêle au mélodrame des éléments de psychanalyse qui commencent à infiltrer la production hollywoodienne (La Maison du Docteur Edwardes le plus représentatif de ce mouvement sort la même année) mais Dieterle accroché à ses personnages s'avèrent très sobre et subtil pour exprimer cette facettes. Le mystère et le danger s'insèrent donc insidieusement, chape de plomb sur le bonheur du couple et les différentes pièces du puzzle s'agencent lentement jusqu'à une grosse révélation à mi film. Le flashback explicatif final ( on pense énormément à Rebecca ou aux futurs Vertigo et Psycho dans certaines trouvailles narratives) aurait pu s'avérer lourd mais Dieterle privilégie la résolution romanesque au cheminent qui l'a amenée. Les Love Letters au contenu si potentiellement néfaste tout au long du film reprennent leur vertu initiales lors d'un ultime échange magnifique entre Jennifer Jones et Joseph Cotten. 5,5/6 Encore merci à Kimm pour avoir pu enfin découvrir le film (pour lequel il faut marcher sur des oeufs pour en parler sans spoiler je crois que ça a été :mrgreen: )
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18521
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Profondo Rosso »

Station Terminus de Vittorio De Sica (1953)

Image

Une Américaine mariée, en visite chez des parents à Rome, a entretenu durant son séjour une liaison avec un homme. Elle décide qu'il est temps d'y mettre un terme, et commence à envisager son retour aux États-Unis, auprès de son mari. Mais elle réalise rapidement qu'elle n'est pas sûre de ce qu'elle veut, de ce qu'elle doit faire, et ne cesse de se tourmenter.

Terminal Station est le fruit de la rencontre de deux conceptions de cinéma, le néoréalisme italien et le mélodrame hollywoodien. A l’époque Vittorio De Sica est salué par la critique internationale pour ses chefs d’œuvre néoréalistes comme Le Voleur de Bicyclette, Umberto D ou encore Sciucia. Cependant le public italien s’est lassé de ce type de films sinistres et le réalisateur a toute les peines du monde à monter des projets plus onéreux et ambitieux dans son pays. Quant à David O’ Selznick, sa carrière est finalement déjà derrière lui et c’est en Europe qu’il vient désormais monter ses projets avec des réussites comme Le Troisième Homme de Carol Reed et La Renarde de Michael Powell et Emeric Pressburger. Représentants de la quintessence de leur cinéma respectifs, les deux hommes décident donc de s’associer dans ce projet et la confection du film va dans ce sens d’équilibrage entre tradition hollywoodienne et tonalité européenne. C’est donc Cesare Zavattini (scénaristes de tous les classiques de De Sica à l’époque) qui signe un premier jet de l’histoire bientôt repris (officieusement) par Ben Hecht tandis que les dialogues en anglais sont écrits par Truman Capote. Le casting donne lui dans le pur glamour hollywoodien avec Jennifer Jones et Montgomery Cliff qui s’insèrent dans un contexte italien.

Image

Dès les premières minutes, ce surprenant mélange détone. La scène d’ouverture montre ainsi l’américaine Mary Forbes (Jennifer Jones) se présenter à la porte de Giovanni (Montgomery Cliff), hésiter à frapper puis s’enfuir à toute jambes vers la gare de Rome pour un départ en catastrophe. La construction de la séquence évoque Brève Rencontre de David Lean par sa mise en scène isolant une Jennifer Jones confuse et assaillie par les émotions mais aussi par l’usage de la voix off lors d’un court moment épistolaire qui nous en dévoile plus (elle a connu et aimé un homme à Rome mais s’enfuit par culpabilité envers sa fille et son mari). Cet instant dans le train réduisant la bande son au silence tandis qu’un gros plan s’attarde sur Jennifer Jones perdue dans ses pensées lorgne également sur le classique de Lean et donc dans une tradition de mélodrame classique anglo - saxon. Montgomery Cliff se présente alors juste avant le départ du train, parvient à retenir Jennifer Jones et c’est un tout autre film qui commence.

Image

Un mélodrame typique userait très certainement du flashback pour montrer le passé amoureux, la rencontre et le bonheur récent du couple. Il n’en est rien ici et De Sica fait de ces supposés adieux une longue errance en huis-clos au sein de cette gare où les amants vont s’embraser, s’affronter et se déchirer. Les échanges se font ainsi sur le ton du reproche et de la rancœur entre une Jennifer Jones amoureuse mais rattrapée par ses responsabilités et un Montgomery Cliff intense qui ne peut se résoudre à la laisser partir. La réalisation de De Sica les entoure d’un côté naturaliste surprenant (notamment les scènes d’amours bien plus appuyées que dans un film hollywoodien), sans artifice où de long moments dialogués reposant sur la conviction des acteurs s’alternent avec d’autres retrouvant le sens de l’emphase mélodramatique du réalisateur (Giovanni traversant une voie ferrée où passe un train pour rejoindre Mary). L’alchimie entre les deux acteurs est magique entre une Jennifer Jones (loin des rôles sulfureux qui ont fait sa gloire) rongée par le doute et la culpabilité et Montgomery Cliff bouillonnant face à une séparation imminente qu’il ne peut accepter.

Image

Ils font tous deux preuves d’un abandon assez remarquable où on sent l’empreinte de De Sica dans la manière de les diriger. Celui-ci fait d’ailleurs de la gare un personnage à part entière, grouillant de vie et dont les rencontres vont accompagner les atermoiements et hésitations du couple.La sublime scène où Jennifer Jones offre des friandises aux enfants d’une femme enceinte qu’elle a secourue (et la rappelant ainsi à son propre rôle de mère) éveille une émotion comme seul De Sica est capable avec le contrechamp entre le visage radieux des enfants et celui heureux et coupable à la fois de son héroïne.Le rythme se fait ainsi volontairement bancal au gré des retrouvailles/séparations des amants voulant autant fuir que prolonger ses ultimes instants. Cela fonctionne parfaitement hormis une trop longue péripétie finale dans un commissariat censée appuyer la culpabilité du couple et accélérer la séparation. La touche néoréaliste forme une sorte d’arrière-plan à une romance obéissant aux canons hollywoodien, le croisement des deux offrant une émotion finalement universelle par la grâce d’un final déchirant.

Image

Le tournage ne se fera pas sans heurts à cause du légendaire interventionnisme d’O’Selznick mais De Sica tiendra bon. Il lui arrivera malheureusement la même mésaventure que Powell/Pressburger sur La Renarde pour la sortie américaine puisque Selznick remontera le film (qui passe de 89 minutes à 72 et changera de titre pour Indiscretion of an American Wife) dont il élaguera justement tous ces petits moments annexes pour se concentrer de manière plus prévisible sur l’intrigue amoureuse. Cet autre montage n’est pas inintéressant néanmoins pour ressentir comme le souligne Ann Harding les différences entre cinéma américain et européen des années 50. Pas de doute à avoir cependant, le grand film est à chercher du côté de la version De Sica. 6/6
Kimm
Assistant(e) machine à café
Messages : 203
Inscription : 1 janv. 08, 21:49

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Kimm »

Profondo Rosso a écrit :Le Poids d'un Mensonge de William Dieterle (1945)

Image

Alan écrivait les lettres d'amour que Roger envoyait à sa fiancée. Une fois mariée, la jeune femme fut déçue par Roger, le couple se désagrégea et Roger mourut lors d'une dispute.

William Dieterle à la réalisation filmant le couple Joseph Cotten/ Jennifer Jones, cela éveille immédiatement de grandioses souvenirs de cinéma avec Duel au Soleil (filmé officieusement en partie par Dieterle) mais surtout le merveilleux Portrait de Jennie et sa romance fantasmagorique à l'esthétique flamboyante. C'est précisément à ce dernier qu'on pense d'ailleurs à la vison de Love Letters qui lui est antérieur et on peut supposer que c'est l'alchimie constatée ici entre Jennifer Jones et Joseph Cotten qui incita David O' Selznick à les réunir à nouveau par la suite. Le plus troublant reste surtout les similitudes entre les récits du Portrait de Jennie et Love Letters qui sur des postulats bien différents offrent des situations et des personnages très proche à Joseph Cotten et Jennifer Jones. Le romantisme exacerbé s'exprime cependant dans une teneur rêvée et surnaturelle dans Jennie tandis que Love Letters a une approche essentiellement psychologique (présente néanmoins dans Le Portrait de Jennie).

Joseph Cotten est donc déjà ici un personnage solitaire et sans goût pour la vie courant après une chimère qui se verra personnifiée par Jennifer Jones. L'idée en elle-même est d'un romantisme si imprégnée de littérature qu'on l'imagine mal passer à l'écran. Cotten soldat mobilisé au front a rendu service à un camarade trop terre à terre en rédigeant pour son compte des lettres passionnée à sa fiancée. Contre toute attente celle ci s'avère profondément touchée par ses écrits et lui de tomber amoureux de cette femme qu'il n'a jamais vu et qui ne soupçonne pas son existence. Démobilisé pour blessure il apprend la mort de son ancien compagnon désormais marié et apprend que son épouse a subi le même sort. Surgit alors une étrange jeune femme dans son existence, la mystérieuse et innocente Singleton (Jennifer Jones). Le script de Ayn Rand (adapté d'un roman de Christopher Massie) rend l'ensemble limpide et particulièrement troublant.

La longue introduction appuie donc sur la nature obsessionnelle et insaisissable de la passion de Joseph Cotten, d'abord par la situation l'empêchant d'aborder cet amour invisible puis par la triste réalité elle-même lorsqu'elle s'avéra morte. Dès lors Dieterle retarde longuement la première apparition de Jennifer Jones (si ce n'est une furtive qui est totalement logique quant aux évènements qui vont suivre) sur laquelle Cotten va finalement lever les yeux et tomber follement amoureux. Cependant l'ombre de la romance épistolaire non consommée plane constamment sur les lieux voisins du drame où va s'installer le couple, sur chacun de leurs actes mais surtout sur le mental fragile de Singleton. Cette figure absente et omniprésente à la fois s'exprime parfaitement dans la prestation fascinante de Jennifer Jones qui en cette période multipliait les rôle de femmes enfants séductrice et dangereuses. Ici elle est confondante de candeur et de fragilité (son arrivée impromptue chez Cotten splendide séquence) mais à tout moment un nuage de démence et de désarroi peut venir obscurcir son regard, l'actrice graduant à merveille la progression de son malaise (un mot à la place d'un autres, un détail rappelant un souvenir enfouit et transformant son attitude...). Cotten tour à tour torturé, protecteur et impuissant est tout aussi bons et les séquences romantiques entre eux sont très touchantes mais toujours teintées de menaces.

Le scénario mêle au mélodrame des éléments de psychanalyse qui commencent à infiltrer la production hollywoodienne (La Maison du Docteur Edwardes le plus représentatif de ce mouvement sort la même année) mais Dieterle accroché à ses personnages s'avèrent très sobre et subtil pour exprimer cette facettes. Le mystère et le danger s'insèrent donc insidieusement, chape de plomb sur le bonheur du couple et les différentes pièces du puzzle s'agencent lentement jusqu'à une grosse révélation à mi film. Le flashback explicatif final ( on pense énormément à Rebecca ou aux futurs Vertigo et Psycho dans certaines trouvailles narratives) aurait pu s'avérer lourd mais Dieterle privilégie la résolution romanesque au cheminent qui l'a amenée. Les Love Letters au contenu si potentiellement néfaste tout au long du film reprennent leur vertu initiales lors d'un ultime échange magnifique entre Jennifer Jones et Joseph Cotten. 5,5/6 Encore merci à Kimm pour avoir pu enfin découvrir le film (pour lequel il faut marcher sur des oeufs pour en parler sans spoiler je crois que ça a été :mrgreen: )
merci pour cette belle critique qui donne envie de voir le film! même sans sous-titre! :D
Anciennement Kim
Avatar de l’utilisateur
Sybille
Assistant opérateur
Messages : 2148
Inscription : 23 juin 05, 14:06

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Sybille »

Beat the devil / Plus fort que le diable
John Huston (1954) :

Récit d'aventures romanesque et humoristique. Dès l'entrée, un flash-back indique comment le récit nous sera entièrement restitué. Un groupe de personnages disparates, de nationalités éparses, aux objectifs divers attendent un bateau en partance pour l'Afrique.
Le film bénéficie d'un ton très particulier, d'un humour détaché qui fait mouche, souvent extrêmement incongru. Il y a une sorte de laisser-aller, de nonchalance amusée.
Des acteurs, c'est Jennifer Jones qui tire le mieux son épingle du jeu. Physiquement étonnante grâce à sa chevelure blonde, elle surprend surtout par l'apparente absurdité, mi-rêveuse mi-lucide de nombre de ses répliques. Mariée à un Anglais conservateur et terne, quoiqu'également loufoque, elle baigne elle-même en pleine d'illusion, en proie au flou des sentiments et des désirs. Mais les souhaits de chacun n'ont en fin de compte quasiment aucune importance. L'homme joué par Humphrey Bogart est là pour recadrer cet état de fait. Dans le rôle d'un aventurier à la petite semaine, sans doute revenu de toutes les combines disponibles, il se moque bien des hommes, des femmes, dont son épouse (Gina Lollobrigida) qui s'empresse justement d'aller flirter ailleurs. Parmi les seconds rôles, on retient en premier Robert Morley et Peter Lorre, très drôles dans leur couardise arrogante.
Tourné partiellement en Italie, le film n'offre que peu de prises de vue 'spectaculaires'. Néanmoins, le climat a l'air estival, donne un air plaisamment exotique à l'ensemble, créant une atmosphère tant légère qu'inquiètante. Un voyage à l'étranger sous la direction d'Huston, ironique, contre-productif et savoureusement illogique. 7,5/10
francesco
Accessoiriste
Messages : 1630
Inscription : 28 juin 06, 15:39
Localisation : Paris depuis quelques temps déjà !
Contact :

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par francesco »

J'approuve chaque ligne de cette critique et en particulier en ce qui concerne Jones (dans un rôle refusé par Audrey Hepburn et par Jean Simmons, semble-t-il) dont c'est, à mes yeux, le meilleur rôle. Elle insuffle une espèce de folie presque inquiétante au personnage avec un art du nonsens exceptionnel (cette manière de dire des choses absurdes avec une naïveté dont on ne sait jamais si elle est calculée ... du très grand art).
Spoiler (cliquez pour afficher)
June Allyson
Mary Astor
Carroll Baker
Leslie Caron
Joan Collins
Joan Crawford
Bette Davis
Doris Day
Irene Dunne
Edwige Feuillère
Greer Garson
Betty Grable
Gloria Grahame
Susan Hayward
Miriam Hopkins
Betty Hutton
Jennifer Jones
Zarah Leander
Gina Lollobrigida
Jeanette MacDonald
Anna Magnani
Jayne Mansfield
Sara Montiel
Maria Montez
Merle Oberon
Anna Neagle
Lilli Palmer
Eleanor Parker
Rosalind Russell
Lizabeth Scott
Norma Shearer
Lana Turner
Jane Wyman
Loretta Young
Avatar de l’utilisateur
Flavia
My Taylor is rich
Messages : 4056
Inscription : 4 juin 11, 21:27

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Flavia »

Le chant de Bernadette - Henry King (1943)

Avec le carton d'introduction au film, "Pour ceux qui croient, aucune explication n'est nécessaire. Pour ceux qui ne croient pas, aucune explication n'est possible", le ton est donné et assez audacieux.

Image

Henry King réussit, par une mise en scène sublime, un film remarquable de justesse et de finesse sans jamais basculer dans la mièvrerie. S'il est aussi réussi, c'est surtout grâce à l'interprétation éblouissante, émouvante de Jennifer Jones qui porte le film sur ses épaules, de par son jeu elle est la grâce personnifiée, et les plans rapprochés sur son visage sont magnifiques. Ce film bénéficie aussi d'une grande richesse visuelle (lors des scènes d'apparition de la Vierge), d'une grande sobriété dans le traitement dans l'histoire, avec en accompagnement une magnifique partition musicale d'Alfred Newman. Les seconds rôles sont parfaits, Anne Revère est très juste dans le rôle de la mère tout comme Vincent Price excellent en procureur incrédule.
Il ne faut pas oublier un des personnages importants : la "dame de la grotte" interprétée par Linda Darnell, il semblerait que son nom ne soit pas crédité au générique.
C'est un film beau, sincère, que j'ai découvert aujourd'hui, évitant les pièges touchant un tel sujet, et porté littéralement par Jennifer Jones bouleversante et sublime dans ce rôle.


Image
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18521
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Profondo Rosso »

Tendre est la nuit de Henry King (1962)

Image

Nicole est une jeune femme très riche internée en hôpital psychiatrique dans les années 20 en Suisse. Son docteur Dick Diver la soigne et parvient à la guérir. Mais il est tombé amoureux d'elle et l'épouse. Son train de vie désormais aisé le plonge dans l'oisiveté. Il délaisse son travail à la clinique...

Jennifer Jones retrouvait sur Tender is the night celui qui sut tirer d'elle deux de ces prestations les plus envoutantes dans les magnifiques La Colline de l'adieu et Le Chant des Bernadette (ce dernier valant son seul Oscar à l'actrice). Ce serait également un sorte de chant du cygne pour ces emblèmes de l'âge d'or hollywoodien puisque Jennifer Jones (qui effectuait là son grand retour après l'échec cuisant du remake de L'Adieu aux armes produit par David O'Selznick) allait se faire bien rare sur les écrans par la suite tandis qu'il s'agit tout simplement du dernier film d'Henry King. Tender is the night s'inscrit dans la veine des adaptations littéraires prestigieuses que signa King dans les années 50 et notamment Hemingway (Le Soleil se lève aussi, Les neiges du Kilimandjaro) et c'est à un autre auteur de la "Génération Perdue" qu'il s'attaque ici avec un des plus fameux romans de F. Scott Fitzgerald. L'auteur y mêlait brillamment ce regard désabusé sur l'existence oisive et sans but de ces américains perdus dans les délices de l'Europe (notamment la Riviera où se déroule une grande partie de l'action) tout en y incluant une facette plus personnelle avec le personnage déséquilibré de Nicole Diver inspiré de sa propre épouse Zelda en proie à des troubles psychologiques et internée.

ImageImage

Dick (Jason Robards) et Nicole Diver (Jennifer Jones) sont donc les principales attractions de la prestigieuse communauté américaine de la Riviera, beaux, riches et heureux en famille. Henry King déploie sa maestria visuelle la plus flamboyante pour magnifier cette Riviera paradisiaque, la prestance de Jason Robards et la beauté de Jennifer Jones bien aidé par la photo superbe de Leon Shamroy. C'est une forme de poudre aux yeux servant à masquer le réel malaise qui ronge le couple et se révèlera le temps d'une énième soirée mondaine où Nicole entrera dans une terrible crise nerveuse éveillée par le rapprochement de Dick avec la jeune actrice Rosemary Hoyt (Jill St John). Après avoir ainsi fissuré cette belle image idéalisée, la narration entame un flashback où nous découvrons quelques années plus tôt la première rencontre entre Dick et Nicole lorsqu'elle était internée et lui son psychanalyste. Bien que très fidèle au livre, King fait le choix de concentrer toute son attention sur son couple autodestructeur et laisse volontairement de côté tous les personnages secondaires. Alors que dans le livre on avait un réel triangle amoureux entre Dick, Nicole et Rosemary, cela est oublié ici ou largement atténué par la prestation de Jill St John qui fait de l'innocence touchante du personnage papier vivant ses premier émois amoureux une véritable cruche à l'écran (elle confirmera son "talent" quelques années plus tard en campant la plus gourde des James Bond Girls dans Les Diamants sont éternels pourtant la concurrence était rude).

ImageImageImage

Les plus beaux moments du film sont donc ces moments de romantisme fragile où Dick et Nicole se rapprochent mais signent aussi leur perte par l'ambiguïté de leur relation. Subjuguée par la beauté et la candeur de sa patiente, Dick s'égare entre ses devoirs de praticien et ses sentiments (cette sortie de l'hôpital qui prend une drôle de tournure, les retrouvailles où il ne peut se résoudre à la repousser) et Jason Robards délivre une prestation très subtile . Jennifer Jones était quant à elle la seule à pouvoir incarner Nicole Diver à travers ce mélange de fièvre et de fragilité qu'elle sait si bien exprimer. On sent d'ailleurs une maîtrise accrue dans l'expression de cette folie par rapport aux personnages incandescent qui l'ont fait connaître (Duel au soleil, La Renarde, Ruby Gentry) dans la manière d'amorcer ce trouble mental de manière plus progressive et moins démonstrative tel ce regard qui se fait de plus en plus incertain lors du dîner mondain alors que son attitude ne laisse pas supposer la crise qui va suivre.

ImageImage

King dépeint avec une grande justesse le lien qui unit mais sépare également ses héros. Dès le départ, le rapport est biaisé avec le manque de repère de Nicole (on est d'ailleurs étonné que le script reprenne tel quel l'origine de ces maux à savoir un inceste...) qui nécessite un être fort et soutient de tous les instants qui saura la raccrocher au monde réel. Dick sera celui-là en étant père, mari, amant et psychanalyste pour elle mais au prix de ces propres aspirations personnelles (le tourbillon de voyages en Europe où sous la joie se profile le renoncement progressif) et de son ambition. Lorsqu’usé par toutes ses années vouées à une seule et même personne il perdra pied, il tombera du piédestal où Nicole l'avait placé en perdant ainsi son amour en étant redevenu un être humain avec ses failles à ses yeux.

ImageImage

King et le scénariste Ivan Moffat pêche simplement par excès de fidélité au livre dans la dernière partie alors qu'ils avaient si bien su élaguer au départ (Tom Ewell étant un peu sacrifié malgré une bonne prestation en Abe North, Joan Fontaine teinte en blonde s'en sort mieux en superficielle Baby Warren). L'épilogue est donc très longuet dans sa description de la déchéance de Dick et de l'enlisement du couple à travers de poussive scène d'alcoolisme. Cela passait à l'écrit mais lasse grandement à l'image. Heureusement une poignante scène finale conclu l'ensemble dans une paisible et inéluctable résignation où l'amour toujours présent ne suffira pas au chemin différents empruntés. King n'égale pas les grandes réussites d'antan avec ce chant du cygne, la faute à un côté un peu figé et daté (même par rapport à des mélos de cette même période) mais signe néanmoins un joli film et une belle adaptation.4/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18521
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Jennifer Jones (1919-2009)

Message par Profondo Rosso »

Madame Bovary de Vincente Minnelli (1949)

Image

Gustave Flaubert passe en jugement pour avoir écrit Madame Bovary, une œuvre jugée immorale. Il raconte son roman devant le tribunal et devient l'avocat de son héroïne…

Superbe adaptation du classique de Gustave Flaubert qui de la mise en scène flamboyante de Minnelli au scénario brillant de Robert Ardrey en passant de la prestation incandescente de Jennifer Jones est profondément imprégné de l'esprit du roman et de son auteur. C'est d'ailleurs Flaubert qui est mis en avant lors de l'ouverture mettant en scène le procès auquel dû faire face l'écrivain devant le scandale rencontré par son livre malgré son important succès. La scène fonctionne un peu comme si nous étions un lecteur lisant un simple résumé en quatrième de couverture avec les avocats de l'accusation évoquant grossièrement les différentes faillites morales de l'héroïne (adultère, abandon d'enfant) pour en faire celle de Flaubert, appuyé par une assistance inquisitrice et hostile qui n'a bien sûr pas lu le livre. Pour comprendre et ne plus juger il faut donc ouvrir le livre et en tourner les pages, ce que fait en quelque sorte Flaubert en narrant le destin tragique d'Emma Bovary des traits habités et de la voix captivante de James Mason incarnant l'auteur.

ImageImage

Le film envoute d'emblée en prêtant à la seule image et à la voix off de Mason l'évocation des rêveries et de la mélancolie d'Emma Bovary (Jennifer Jones), la narration ne fonctionnant dans l'instant que lorsque la réalité la rattrape. La scène d'ouverture la rend ainsi invisible quand ses haillons la confondent avec son environnement paysan pour ne la laisser apparaître que comme une beauté rêvée échappée d'un tableau (le fantôme du Portrait de Jennie rôle mythique de Jennifer Jones plane le temps de ce plan même d'un autre où elle arbore presque la pose du tableau dans le film de Dieterle) aux yeux de Charles Bovary (Van Heflin). C'est d'ailleurs ce qu'est ou pense être Emma Bovary, un être trop beau, sensible et délicat plongé au milieu de la fange, de la médiocrité rurale et provinciale.

ImageImage

La vraie beauté ne peut naître que du rêve tel cette flamboyante narration de Minnelli évoquant la jeunesse d'Emma au couvent plongé dans son monde romanesque truffé de prince ardent, de contrées éloignées par une caméra démarrant sur les objets de sa chambre d'adolescente pour donner dans un lyrisme certain pour illustrer son bouillonnement intérieur. Quand le charme daigne opérer dans la réalité, l'instant est magique mais trop bref avec une époustouflante séquence de bal filmée en virtuose par Minnelli dont la mise en scène épouse enfin les désirs de grandeur d'une Emma courtisée, radieuse et volant littéralement sur la piste de danse. Cependant le temps d'un plan où elle s'admire ainsi entourée dans un miroir Minnelli dénonce la vanité de son héroïne et son égoïsme, encore plus significatif dans le montage alterné ou entre les valses on aperçoit le malheureux Van Heflin abandonné et perdu parmi les prestigieux convives.

ImageImage

Van Heflin est d'ailleurs une des grandes plus-values du film par rapport au roman. Dans le livre, Charles Bovary était un être limité et pathétique pour lequel on avait plus de pitié que de réel attachement, même l'évocation de son passé plus fouillée que dans le film ne servait qu'à le rabaisser dans cette médiocrité. Sans être forcément beaucoup développé sur ce point dans le film, le personnage change complètement grâce au talent de Van Heflin qui devient un bouleversant époux dépassé et bienveillant, victime de sa normalité aux yeux de sa femme. Le scénario le grandit encore avec ce changement fondamental par rapport au roman lorsqu'il cède puis refuse d'opérer le boiteux Hyppolyte car conscient de ses limites quand sur papier il effectuait l'acte et mutilait le malheureux. Dans les deux cas il perd encore du crédit aux yeux d'Emma mais dans le film en gagne à ceux du spectateur.

ImageImage

Tout le film obéit à cette opposition entre réalité décevante et rêve inaccessible, d'abord par rapport au contexte puis par rapport aux amants d'Emma. La scène de mariage rurale et paillarde est ainsi un choc pour la douce Emma (David Lean saura s'en souvenir pour sa Bovary moderne dans La Fille de Ryan où le mariage est tout aussi glauque, plus tard la scène d'amour en forêt entre Rodolphe et Emma semble aussi inspirer celle beaucoup plus osée et démonstrative de La Fille de Ryan) et plus tard toute les longues descriptions d'ennui provincial du livre seront magistralement résumée dans la séquence où Emma observe la rue et anticipe toutes les actions répétitives de son voisinage. Les deux liaisons d'Emma sont également très bien dépeintes, chaque homme étant un transport pour un ailleurs merveilleux qui n'existe pas. Minnelli rate un peu le coche sur la romance silencieuse entre Léon (Christopher Kent) et Emma, on ne ressent pas vraiment ce rapprochement de culture et de gout entre eux car trop brièvement exprimée. La seconde rencontre sera bien plus probante à Rouen avec un Christopher Kent à son tour dépassé et faible sous la fanfaronnade. C'est cependant la relation avec Rodolphe qui s'avère la plus réussie grâce à un Louis Jourdan parfait de fausseté et de séduction, au port princier durant le bal avant de se révéler un vil coureur pourtant happé par Emma. L'acteur français développe ce qu'il a créé l'année précédente dans Lettre d'une inconnue et ce qui sera l'emploi majeur de sa carrière de jeune premier hollywoodien : le séducteur égoïste synonyme de malheur pour les femmes lui cédant.

ImageImage

Jennifer Jones remplaçait là une Lana Turner tombé enceinte et (pardon Francesco :mrgreen: ) on doute que cette dernière ait put égaler sa prestation fabuleuse. La folie de ses rôles les plus excessifs (Duel au soleil, La Renarde, Ruby Gentry) s'accompagne d'une intériorité torturée fascinante mais aussi d'une forme de naïveté palpable pour cette femme n'ayant jamais quitté ses lectures de contes de fées. L'éveil à la libido, à la sensualité au cœur du livre mais forcément atténué dans le film s'exprime par la seule force de ses refus qui sont autant d'appel du pied (l'entrevue avec Rodolphe dans la salle des fêtes) où alors de manifestations de désir aussi sobre qu'incandescentes (la première séduction de Léon en un geste et regard brûlant). C'est avec la même folie et détermination qu'elle précipitera sa chute dans un final ténébreux où dans ces derniers instants la voix-off de James Mason reprend de la hauteur sur son malheur et convainc son auditoire du mal fait par Emma aux autres par son attitude, mais surtout à elle-même. Un grand Minnelli qui signe sûrement une des plus belles visions du roman de Flaubert, visuellement splendide (Oscar des meilleurs décors et de la meilleure direction artistique pour Cedric Gibbons) et des plus pertinentes dans ses choix. 5,5/6

Image
Répondre