Quand la ville dort (John Huston - 1950)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Alligator
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Re: Quand la ville dort (John Huston - 1950)

Message par Alligator »

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Très bon film noir, bien crasseux, suintant de poisse, comme je les aime! L'équilibre du scénario est délicieux, d'une fluidité ahurissante.

L'on suit donc l'implacable échec de tout un gang de malfrats. John Huston installe une atmosphère sombre dans laquelle les personnages sont englués de bout en bout. Le peu de vernis social que certains s'évertuent à sauvegarder se craquèle de plus en plus. Au fur et à mesure que le film progresse, on voit un à un les éléments trouver leur place sur cette route vers la mouise. Chacun poursuit ses propres objectifs, son rêve intime. Nul n'échappe à cet égocentrisme que la société dans laquelle ils vivent les incite à développer. Il n'y a qu'un seul personnage, peut-être, qui pourrait être considéré comme un tant soit peu altruiste, celui de Jean Hagen, qui par amour Sterling Hayden le suit jusqu'au bout de son chemin. Encore pourrait-on arguer qu'elle cherche à un homme sur qui compter?

Ce qui m'a d'entrée beaucoup plu, c'est comment John Huston habille son film. Les grands cadrages extérieurs des premières images lui permettent d'enfermer un personnage solitaire dans un environnement urbain aussi sec que délabré. L'univers est mort : on est dans une zone industrielle désertée, où de grands bâtiments vides écrasent de leur taille cet individu. L'aspect déglingué du bar dans lequel il finit par trouver refuge continue d'appuyer le trait corrosif du film.

L'état dans lequel cette société se trouve est pour le moins inquiétant. Ce monde interlope est malade. Les individus qui essaient d'y survivre sont des loques : Sterling Hayden passe son temps la bouche ouverte, l'air hébété ; Jean Hagen a le rimmel qui coule et les faux-cils qui se décollent, Marc Lawrence transpire à grosses gouttes, James Whitmore est bossu. Bancals, mal foutus, tous les personnages semblent en sursis, comme dans un purgatoire, attendant de savoir quelle décision a été prise sur leur sort.

Et John Huston filme très bien le lamentable, la déchéance, le morbide de cette situation. De gros plans très nets fouillent les visages. La photographie de Harold Rosson dans les intérieurs aux lumières crues rudoie le physique de tout ces épaves. De la texture de tout un chacun, rien ne nous est épargné : les petits poils de barbe, les gouttes de sueurs, les regards apeurés, le mépris, le vice, la haine...

Et pour que tout cela soit efficacement raconté, il fallait une distribution aussi bien achalandée. Tain! Quelle ribambelle de gueules! Quelle bande de talentueuses trognes!
Jean Hagen fait peur tellement elle parait cassée, tremblante, chouinante, quémandante, si avide d'un Sterling Hayden ultra massif, un ours mal rasé, l’œil méchant, et rêvant à un avenir plutôt simple, rustique. Il est prêt à tout, à peu près tout, pour y arriver. Sa stature, son pas de grand animal, pesant et maladroit est une menace constante. Le comédien assure formidablement à produire cette animalité, pas vraiment apprivoisée que l'on sent prête à exploser. Très fort.
Marc Lawrence joue admirablement bien le petit caïd qui voudrait être plus grand mais qui n'en a pas les épaules. La déliquescence de sa position est si brutale que le comédien a de quoi faire. Il le fait très bien.

J'aime beaucoup l'extraordinaire personnage que joue Sam Jaffe. On a d'abord le sentiment qu'il est le seul à avoir à peu près les pieds sur la terre et ce qu'il faut dans la tête pour surnager dans cette mare aux zonards. En fait, le personnage nous laisse voir progressivement une face de moins en moins cachée. La dernière scène dans un bar avec la fille au juke-box est glaçante : Sam Jaffe a les yeux obnubilés, perdus dans ses pensées qu'on comprend bien vicelardes.

Louis Calhern est pas mal aussi dans un rôle à double face, un cynique terriblement faux, partagé entre une respectabilité de façade dans laquelle sa femme handicapée a peu de chance d'avoir grande valeur à ses yeux, et une véritable ambition de voyou qui nous permet d'admirer la très jeune et très fine Marilyn Monroe, affriolante de sensualité et déjà logée à l'enseigne de la plus grande bêtise.

Il ne faudrait pas oublier James Whitmore en barman, conducteur au grand cœur, aussi grand que la bosse sur le dos qui semble lui peser bien lourd. Il est plus que convainquant, son jeu est sûr, précis, impeccable.

Barry Kelley en flic ripoux a quelque chose aussi de bien dégueulasse.
Le pauvre John McIntire, un très bon acteur par ailleurs, se tape le rôle à la con, celui qui, je suppose, devait annoner un discours moralisateur, en contre-point de tous les autres personnages pour en quelque sorte donner une légitimité au film. Il nous pond un petit speech final, laudateur du rôle de la police qui lave plus blanc, nettoyeur de sordide. J'imagine que c'était sensé calmer les ardeurs critiques de la censure.

Par bien des aspects, ces personnages, cette profonde décrépitude sociale, ce malaise permanent, cette sensation que le monde est pourri jusqu'à l'os et indécrottablement bouffé par la vermine, tout cela me fait penser à la littérature noire, la radicale, celle de James Ellroy par exemple. On va grâce à ce film vers les niveaux les plus bas de l'humanité. Cela ne signifie pas pour autant que les personnages sont des caricatures, mono-facettes, des salauds finis, non! Ils sont humains. Ils ont des espoirs, des objectifs certes égoïstes, mais le système dans lequel ils vivent les maintient le nez dans la boue. Impossible de s'extirper de cette gangue. Comme des mouches collés au ruban adhésif.

Le scénario de John Huston et Ben Maddow (adaptation d'un roman de W.R. Burnett) est très bien construit pour montrer cela avec réalisme, sans trop charger sur le pathos. Certes, les thèmes, les archétypes du noir, forment in fine une caricature mais, d'une part ce sont les règles de base du genre, d'autre part c'est avec ces données irréfutables, ces caractéristiques humaines banales que le noir parvient à raconter quelque chose de tangible. La mythologie ne fait pas autrement. Le noir, comme le far-west, active les mêmes procédés, approvisionne le spectateur de ce dont il a besoin : de mythes, de déterminismes, de tragédies qui parlent, qui construisent, qui racontent des vies. Un moralisme inversé dont je raffole quand il est aussi bien balancé, sans trop de fioritures, maitrise dont fait preuve incontestablement et de bout en bout ce chef d’œuvre.

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Federico
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Re: Quand la ville dort (John Huston - 1950)

Message par Federico »

Alligator a écrit :Nul n'échappe à cet égocentrisme que la société dans laquelle ils vivent les incite à développer. Il n'y a qu'un seul personnage, peut-être, qui pourrait être considéré comme un tant soit peu altruiste, celui de Jean Hagen, qui par amour Sterling Hayden le suit jusqu'au bout de son chemin. Encore pourrait-on arguer qu'elle cherche à un homme sur qui compter?
C'est exactement ça. Elle aussi agit par intérêt, celui d'une pauvre fille sympa mais pas canon et qui a un job miteux, trop heureuse d'avoir un compagnon à la solidité si "rassurante". Peu d'actrices auraient pu rendre ce personnage désarmant et touchant comme Jean Hagen. Et puis son intéressement est bien plus louable que celui des autres protagonistes. Même si Gus est surtout mu par l'amitié.
Ce qui m'a d'entrée beaucoup plu, c'est comment John Huston habille son film. Les grands cadrages extérieurs des premières images lui permettent d'enfermer un personnage solitaire dans un environnement urbain aussi sec que délabré. L'univers est mort : on est dans une zone industrielle désertée, où de grands bâtiments vides écrasent de leur taille cet individu. L'aspect déglingué du bar dans lequel il finit par trouver refuge continue d'appuyer le trait corrosif du film.
Un environnement si impersonnel et dépouillé qu'il pourrait presque se situer dans n'importe quelle banlieue de cité occidentale écrasée par le soleil.
Marilyn Monroe, affriolante de sensualité et déjà logée à l'enseigne de la plus grande bêtise.
Elle est plus enfantine que bête. Assez futée pour faire du gringue au flic puis comprendre qu'il faut qu'elle crache le morceau, sachant aussi bien que son protecteur qu'elle ne tardera pas à lui dégotter un successeur. Sa question finale est effectivement stupide mais elle la pose aussi avec la franchise d'une gamine qui espère se faire pardonner. Après tout, she's such a sweet kid... :wink:
Il ne faudrait pas oublier James Whitmore en barman, conducteur au grand cœur, aussi grand que la bosse sur le dos qui semble lui peser bien lourd. Il est plus que convainquant, son jeu est sûr, précis, impeccable.
J'aime tous les personnages mais les deux plus extras sont lui et Jaffe. Sans doute parce qu'ils détonnent : l'un avec son handicap*, l'autre avec son accent au couteau.

(*) La figure du handicapé ou de l'infirme aura été assez fréquente dans les grands classiques du Noir et les films qui sont à sa bordure (The big combo, Pendez-moi haut et court, Le carrefour de la mort, Un homme est passé, Péché mortel, L'homme au bras d'or...)
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
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majorsenta
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Re: Quand la ville dort (John Huston - 1950)

Message par majorsenta »

J'avoue un faible coupable pour les films parfois un peu ..
Du genre de ceux de Walter Hill...Le Bagarreur..
Ou d'autres...Comme un chien enragé...
Buckaroo Banzaï...
Alors quand ils sortent en blu-ray....il m'arrive même de les acheter en neuf !
En neuf...exactement ..
Alors....quand est ce qu'Asphalt Jungle va sortir en blu-ray ???
Pourquoi sortir des films disons...moins....enfin .....des films moins réussis....et ne pas sortir Asphalt Jungle ?
Comment peut on essayer de vendre des ultra extra giga blu-ray si l'on a pas encore asphalt Jungle en blu-ray ?
Quand est ce que Quand la ville dort va finir par se réveiller en blu-ray ?
C'est pour quand ? Quand...??
Quand ???
Mais quand ????
Je ne veux pas d'un criterion....
Comment peut on sortir Philadelphia Experiment et ne pas sortir Asphalt Jungle ?
Comment....pourquoi ...
majorsenta
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Re: Quand la ville dort (John Huston - 1950)

Message par majorsenta »

Ça fait ..pas tout à fait deux ans.
Je ne serai impatient qu'en novembre.
Toujours rien ..
Toujours pas de version de Quand la ville dort en blu-ray ...? J'ai peut être raté quelque chose ..il n'y a pas de blu-ray anglais ? Je sais qu'il y a un critérion...
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Jeremy Fox
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Re: Quand la ville dort (John Huston - 1950)

Message par Jeremy Fox »

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