Julien Duvivier (1896-1967)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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The Eye Of Doom
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Obsessions (1943)
Un homme est tres perturbé par la conjonction d'une prédiction de cartomancienne et un rêve.
Son ami vas lui lire 3 histoires fantastiques afin de lui faire reprendre raison.


J'avais gardé un bon souvenir de la découverte il y a tres longtemps des films à sketchs américains de Duvivier, tout en étant incapable de me rappeler de quoi ils pouvaient parler ou d'un quelconque détails.
C'est donc en fait une redécouverte que ce "Flesh and Fantasy", quel titre saugrenu, a l'occasion d'un achat d'occasion chez Gibert.
Le film est inégal, bancal avec ses trois sketchs faiblement liés. Mais on aurait tort de ne pas le considérer.
Tout d'abord on voit combien Duvivier est à l'aise formellement dans le cadre des studios hollywoodiens. Il profite pleinement des moyens mis à sa disposition. La forme est léchée, oppulente, pleinement maîtrisé et souvent magnifique visuellement.
Il faut dire qu'il s'adjoint les services de chefs opérateurs tels que Paul Ivado ( Queen Kelly, Shanghai Gesture et avant The Sea Gull de Sternberg, Frankenstein,...) et Stanley. Cortes (la splendeur des amberson , la nuit du chasseur). Avec de tels atouts, auxquels s'ajoute un casting de luxe, on est dans un travail impeccable et même particulièrement réussi dans les deux premiers Sketchs.
Le 1er est le plus surprenant et le plus intéressant. Il s'ouvre avec un scène bien étrange où des demons sortent un corps de l'eau sous le regard d'un ange blanc. Le film est à voir rien que pour cet intro. On part ensuite sur un mardi gras où plane l'ombre de Sternberg.
Le plus intéressant du film est, comme le souligne parfaitement Christophe Gans dans les artifices que déploient Duvivier pour rendre compte visuellement de son propos. Le plus étonnant :
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La laideur de la jeune femme du 1er sketch est rendu par un savant jeu d'eclairage qui accentue les reliefs et remplace avantageusement un maquillage qui aurait été solution de facilité
De même, dans le second sketch il use de divers trucages visuels pour évoquer les dialogue intérieur du personnage sombrant dans la folie.
Ces effets purement plastiques donnent un style particulier en rappelant les grandes œuvres muettes et en distillant un fantastique poétique et onirique.
L'interview de Christophe Gans en supplément est particulièrement intéressante. Après avoir dressé à gros trait la carrière de Duvivier il en vient au film lui même dont il souligne l'ensemble dès qualités. Il évoque aussi le 4ieme sketch, tourné mais retiré au montage final. Ce segment sera plus tard repris et complèté d'une première partie pour former "Destiny" un film de Reginal Leborg.
Et la, il faut dire que Gans n'y vas pas de main morte. Le dit segment serait rien de moins qu' un "remake" de Blanche Neige et le chaînon manquant entre Le Golem et Marianne de ma jeunesse.
Sur que je me suis précipité sur la zone.com pour voir où me procurer le Dvd de ce truc!
Gaspature! Pas de Dvd existant... :evil:
J'ai plus qu'a guetter une projection à la cinémathèque.

L'autre supplément est une interview de Eric Bonnefille bien en soi mais qui reprend pas mal de ce qu'a déjà dit...

C'est donc un film fort intéressant pour l'amateur de Duvivier, à découvrir surtout pour son premier segment ( mais le reste est bien aussi), un brin impersonnel dans le propos mais dont la forme rappelle le savoir faire de Duvivier et son goût pour l'expérimentation formelle.

A suivre avec Tales of Manhattan ou L'homme a l'imperméable (rien à voir mais achat déjà effectué...)
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Ouf Je Respire »

Pépé le Moko (1937):

Bon dieu, je ne m'en remettrai pas. Et paf, chef d'oeuvre! 9/10
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Rick Blaine »

Grand chef d'oeuvre.
Ça méritait même le 10/10 :P
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Watkinssien »

Ouf Je Respire a écrit :Pépé le Moko (1937):

Bon dieu, je ne m'en remettrai pas. Et paf, chef d'oeuvre! 9/10
Ah ça fait du bien, hein?! :D
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

J'attends une sortie en Blu-ray .
Des nouvelles ? Peut etre aux Us ou Uk ?
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Ouf Je Respire »

Rick Blaine a écrit :Grand chef d'oeuvre.
Ça méritait même le 10/10 :P
A mon sens, il y a un petit manque de rythme dans les 10 dernières minutes. Mais je chipote, là. :D
Watkinssien a écrit :Ah ça fait du bien, hein?! :D
Rhâââ ouais. Je n'ai plus le temps de regarder des films (20 par an max), mais quand ils sont de cette trempe-là, c'est tout bon. :D
Merci le replay de Cine + Classics.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Rick Blaine »

Ouf Je Respire a écrit :
Rick Blaine a écrit :Grand chef d'oeuvre.
Ça méritait même le 10/10 :P
A mon sens, il y a un petit manque de rythme dans les 10 dernières minutes. Mais je chipote, là.
C'est pour mieux mettre en valeur la dernière scène sublime ! :D
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Ouf Je Respire »

Certes, même si ce n'est pas ma scène préférée. Ma préférée c'est... C'est... En fait y en a beaucoup! :D
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

La charrette fantôme (1939)
Dans les bas fonds d'une ville quelconque, une sœur de l'Armée du Salut s'éprend d'un alcoolique irrécupérable. Celui ci prendra t'il le chemin de la rédemption ? Avant que le charretier de la mort ne viennent le chercher ?

Avant dernier film réalisé par Duvivier avant son départ aux États Unis, il clôt donc en quelque sorte une décennie fabuleuse qui aura vu Duvivier au sommet de son art et de son succes critique et publique.
Le moins que l'on puisse dire est que le film semble anachronique, dans son sujet et son traitement. On aurait vu le truc au début du parlant mais après Pépé le Moko, Carnet de Bal ou La belle équipe , c'est bizarre.
Il faut s'accrocher pour subir cette histoire édifiante à laquelle on a bien du mal à croire. Je disais plus haut à propos de "Au royaume des cieux" que le propos du film était sauvé par la sincérité des auteurs. Le discours pour le moins discutable sur le rôle bienfaiteur des centres de "redressement" était soutenu par un évident investissement de Duvivier et son équipe à vouloir dépeindre une certaine réalité sociale, assez peu abordée dans le cinéma de l'époque il me semble. On avait alors droit à un enchaînement de scènes fortes.
Ici, on a l'impression que Duvivier fait ce qu'il peut. Il utilise gros plans de visage, effet de lumière et autre pour faire de Sœur Edith une sainte. Il éclaire l'ultime montée de marches de Fresnay comme une montée vers la lumière et la grâce.
Tout cela ne sauve pas le manque de nuance de l'intrigue.
Du coup j'aimerai bien revoir Golgotha pour voir le traitement fait de Jesus par Duvivier.
Les moments les plus réussis sont pour les misérables ou le peuple en général. Belle introduction du film avec la soupe populaire et la présentation du trio de personnages (Jouvet super).
Les scènes dans le bouge, plein (au début) et quasi vide (vers la fin), sont les plus intéressantes, sans surprise tant Duvivier est à l'aise sur ces types de topologie de lieux et sur la restitution d"ambiances" collectives.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Très beau mouvement de caméra lors du coup de couteau
.

A la découverte du film il y a bien trente ans j'avais été frappé par la scène de cuite de Fresnay : dynamique, cadrage et surtout montage : court mais particulièrement intense. Du grand Duvivier.
Par contre, la scène de "conversion" des malheureux m'a laissé sceptique. On ne croit guère aux coming-out de ces âmes qui déclament leur abjection. Pourquoi, je ne sais pas. Trop écrit peu etre et/ou interprétation cabotine.
Il y a pourtant une sensibilité spécifique dans le traitement des laissés pour compte, notamment le père "immortel" et l'ex docteur. Archétypes certes mais campés finement.

Quand au volet fantastique, il est traité comme hors de propos, trame secondaire sans connexion forte avec l'intrigue. Du coup, c'est bof. Il n'y a pas de doute, de zone de risque, sur ce volet. L'affaire est posée des les premières minutes et son exécution relève de l'imagerie expressionniste "classique". Dommage.
Rien à dire je pense sur l'interprétation. Jouvet est très bon, sans surprise, dans un rôle trop court, et Fresnay plutôt intéressant par ses ruptures. Les autres acteurs et actrices sont impéc.

Donc pour résumer plus une commande tenant de la curiosité qu'une œuvre maîtresse.La maitrise technique est la mais sans passion. A réserver aux admirateurs de Duvivier.
Dernière modification par The Eye Of Doom le 29 août 18, 19:37, modifié 1 fois.
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Alexandre Angel
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Alexandre Angel »

The Eye Of Doom a écrit :La meitruse technisur est la mais sans passion
La phrase dadaïste de l'année :mrgreen:
Merci pour ce compte-rendu en tout cas!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Gasp, je viens de corriger
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

"Le petit monde de Don Camillo (1952)"
Dans un petite ville d'Italie, le curé s'oppose au maire communiste fraîchement elu. Bon, 'l'histoire et les personnages sont bien connus....

Je me demandais quoi louer à la bibliothèque pour voir en famille et me suis dit Don Camillo pourquoi pas ? Et puis ce sera l'occasion de poursuivre ma rétrospective Duvivier.

Disons le tout net, le film est une réussite et vaut mieux que ce que l'image usée que l'on pourrait en avoir.
Je renvoie à la chronique de AllenJohn sur son blog . Ici:
http://allenjohn.over-blog.com/2018/09/ ... -1951.html

Tout pourrait faire que l'affaire s'enfonce.
Le sujet politique de l'opposition entre communisme et catholique: en fait elle n'existe pas dans le film et on se demande tout le temps pourquoi Pepone et Camillo se disputent. Ils se retrouvent même réconciliés autour du drapeau royaliste lors de l'enterrement de la vieille institutrice.
Les seules vrais pics sont pour l'égoïsme des propriétaires terriens.
Tout le monde tente d'oeuvrer à sa façon au bonheur (ou la survie) collective, sur une terre constamment décrite comment ingrate.
Le cabotinage des acteurs: je craignais un jeu excessif de la part de Fernandel, d'autant plus que, contexte personnel, mon fils de 13ans avait violemment réagit aux cabotinages de Belmondo et Ventura dans Milles milliards au soleil. Et bien, grâce à une écriture fine des dialogues, les deux compères sont très bons dans leurs rôles de personnages de caractères.
Et Duvivier dans tout ça ?
On le retrouve à l'aise tout le temps : scènes aériennes en intro, utilisation des espaces ouverts comme la place de l'église ou les champs, ainsi que des espaces fermés comme l'église elle même ou les intérieurs, dans la peintures des groupes (l'excellente scène des nouveaux élus venus demander de l'aide à la vieille institutrice), évocation de la vie agricole, gallerie de trognes, scène de confrontation...
Le meilleur passage est peut être l'épisode ou Pepone et Camillo passe la nuit dans l'étable à sauver le troupeau de vaches: tension, montage rapide, absence de dialogue,... l'efficacité de Duvivier à la manœuvre.
La photo est superbe tout le long.
Dans une filmographie plutot sombre, marquée par une vision noire de l'humanité, Le petit monde apparaît comme une parenthèse, decrivant un monde loin d'être idyllique mais presqu'ideal, où la méchanceté est absente, et où la communauté est la règle.
Il n'y a pas de nievrerie car la dure condition de tous (ou presque) est rappelée en continue moins dans sa description crue que dans les dialogues.
Il n'y a par contre pas de véritable progression dramatique, les personnages en fin du film sont comme au début, ce qui est un peu la limite. Mais c'est une chronique et non un film à suspense ou à thèse. On pourrait penser à Fellini d'Amarcord bien sûr ou à Stars on m'y crown de Tourneur
J'ai hâte de revoir le second opus qui si je le rappelle bien est plus dramatique.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Le retour de Don Camillo
Suite ou seconde partie, on est dans la continuité directe.
Le film se situe toutefois d'une tonalité plus grave.
Tout commence par l'exil de Camillo dans ce village "dans les nuages" mais dont Dieu et les hommes sont absents ( Jesus ne parle plus et on ne verra jamais pour tout habitant que la vieille voisine): c'est froid et triste, si loin de la vie. Camillo réalise combien son existence était privilegiée dans la plaine.
Ensuite, toute l'intrigue repose sur le risque de l'inondation , force de la nature, contrepartie a la beauté du monde ("vous avez le plus beau fleuve du monde") L'homme est impuissant à s'unir pour se prémunir contre les catastrophes annoncées, par égoïsme.
Le film se termine sur les visions tragiques de fin du monde, ou du moins du village. Une forme d'apocalypse (sans morts tout de même).
Le thème principal du film est l'enfance. Une des scènes les plus belle est celle ou Camillo doit aller passer le dimanche avec le grand garçon de Pepone, pour le sermoner. La force de l'enfance et l'appel de la nature fera qu'il Ils vont tout les deux s'amuser. Cela m'a rappeler Poil de Carotte.
D'ailleurs si cela se sentais déjà dans le 1er volet, Ici c'est évident : Camillo et Pepone sont des enfants . Ils passent leur temps à se faire des farces et se chamailler pour mieux se réconcilier : ils sont complètement jumeaux. Le monde fonctionne car ils sont demeurés ainsi: sans haine, sans peurs, sans compromis mais guidés par la beauté du monde et de l'humanité.
A la fin la répartition des rôles est très forte: Pepone est responsable des corps et des vivants, Camillo de l'histoire, de la nature et des lieux
Les enfants donc sont l'avenir du monde. A condition qu'ils n'héritent pas de la haine de leur parents.
C'était une évidence déjà dans le premier film: il n'y a aucun discours politique ou religieux. Pepone et Camillo ont dès croyances différentes mais celles ci sont strictement interchangeables car leur raison d'être est seulement de permettre à l'humanisme de s'exprimer.
Le film est remarquablement écrit et dialogué par Duvivier et Barjavel. On pourrait citer plein de morceaux savoureux : "je suis comme un tanker dans un étang, quand je bouge c'est la révolution des grenouilles"
Le discours final de Camillo au dessus des eaux est le sommet du film. On peut le trouver naïf voire propagandiste mais l'humanisme est la.
Grande mise en scène aussi . En sup du magnifique passage avec l'enfant et de l'évocation de l'inondation , on peut citer le match de boxe
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Avec l'intervention de Camillo hors champs
Ou encore le chemin de Croix.

On aurait bien tort de considérer le dyptique comme une œuvre mineure de Duvivier. Le succès public et les innombrables rediffusions ont ramené ces films quasi au niveau d'autres Fernandelades style François 1er ou Ali BaBa.
Sous couvert d'une comédie, c'est en fait des films plus riches qu'on le pense et tout à fait digne de figurer au côté des chefs d'œuvre noirs de l'auteur.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

La fête à Henriette (1952)
Deux scenaristes qui viennent de voir leur projet de film refusé par la censure, en imagine un autre autour du 14juillet et de la belle Henriette...

Je renvoie à la chronique ici
http://www.dvdclassik.com/critique/la-f ... e-duvivier
et au pages 31 de ce topic.
Ci dessous une récup du topic Dany Robin.
Music Man a écrit :Image
LA FETE A HENRIETTE (1952) de Julien DUVIVIER- 1953
avec Dany ROBIN, Michel ROUX, Michel AUCLAIR, Hildegard KNEF

Deux scénaristes (L. Seigner et H. Crémieux) élaborent un scénario de film sous nos yeux manipulant les personnages au gré de leur inspiration. L'un voit la vie en rose alors que l'autre adore les histoires criminelles...

Avis de Ann Harding
Le film a une structure très habile qui fut par la suite copiée par d'autres réalisateurs (comme Paris When it Sizzles de Richard Quine qui est un remake). Le scénario est de Jeanson et il se moque des clichés les plus éculés des scénarios de commande: les petites femmes en déshabillé, la violence gratuite, etc. Mais, malheureusement, les personnages manquent de relief. Dany Robin se promène dans un Paris de carte postale croisant le chemin du gentil Michel Roux ou du vilain Michel Auclair. Malgré la présence de grands seconds rôles tels que Julien Carette et Saturnin Fabre, le film manque singulièrement de piment. On a l'impression d'une succession de cameos sans relation entre eux. Un Duvivier décevant.
Mon avis
Pour ma part, j’adore cet exercice de style : je trouve que Julien Duvivier s’amuse littéralement et je partage son enthousiasme. Sur un plan technique, je suis bluffé par tant d’aisance de cette caméra qui semble voltiger sur les toits pour mieux suivre les comédiens dans leurs péripéties. Dany Robin est délicieuse et Michel Roux, parfait dans le rôle de son fiancé pas très fidèle (dommage qu’il ait fait surtout du théâtre et du doublage). Le film est à la fois culotté et malin. Vraiment, j’ai eu grand plaisir à la revoir…non pas sur DVD ou à la télé puisque de sombres problèmes de droit nous privent de ce film assez jubulatoire…

Bon, j'ai trouvé le film tres sympathique, plaisant mais somme toute plutot secondaire.
L'interprétation est impeccable : Dany Robin est particulièrement charmante (dans une robe superbe), Auclair joue les bad boy chameur avec aisance, meme Michel Roux est sobre dans le rôle pas forcément facile du fiancé plutôt terne (je ne l'avais jamais imaginé jeune, habitué dans ma jeunesse à ses duos avec Maria Pacome ou Jacqueline Mailland).

Je ne reviens pas sur le principe et la construction du film. Il semble sur les grandes plumes de la critique de l'époque l'aient étrillé mettant en avant l'absence de réelle réflexion sur les métiers de scénariste ou les ficelles exploitées pour attirer le public, flatter ses bas instincts,... Plutot en phase sur le fond mais c'est un mauvais procès : le film est une comédie est non un essai au vitriol à la Wilder ou Altman ( que Duvivier aurait pu certainement faire mais cela ne semble pas son propos) Le parti pris caricatural appliqué aux deux scénaristes désamorce une éventuelle hauteur de propos. Tout le monde s'amuse de rebondissements en pastiches. C'est d'ailleurs comme beaucoup l'ont souligné la limite du film. A hésiter entre deux niveaux, l'histoire racontée in fine et les tentatives de la saborder, on ne s'intéresse vraiment ni à l'un (le processus créatif), ni à l'autre (histoire somme toute charmante mais archetypale).
Le film présente les contributions des deux scénaristes comme tres déséquilibrées : celui qui veut faire un film noir avec flingues, poursuites et femmes dévêtues n'arrive pas à imposer ses idées, l'autre plus romanesque mène la barque. Du coup les propositions du premier ne semblent pour la plupart n'être la que comme intermède comique
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(le pastiche a l'hôtel se terminant par le coup sur la porte, le destin aveugle (excellent), les danseuses nues la du "cochon qui sommeille",...)
donc ouvertement caricaturale. Celles de l'autre sont conservées pour servir de trame a l'intrigue, alors qu'elles sont toutes aussi ridicules sur le fond
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(le beau gosse 1er de classe qui a mal tourné, l'amitié virile avec le commissaire, la maîtresse vulgaire, les acolytes du braquage ridicules, la romance fleur bleu au Sacre cœur,...)
.
Tout cela ne se veut pas sérieux.
Le film regorge de (tres) bon moments.
Nous retrouvons les scénaristes,avec assistante et épouses (ou maîtresses, c'est pas clair), dans toutes une série de situations y compris triviales
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(petit dej au lit, dans la baignoire, chez le barbier, au restaurant, dans la rue)
. Excellent running gag.
De nombreuses scènes sont tres réussies.
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Toute le passage avec la famille au début, avec, à la fin, des deux parents qui prennent la pose pour les photos soit disant "sur le vif", est très bon. Idem la vedette suédoise, le sketch avec l'écuyère, l'arrivée chez le baron, ...
Duvivier est alors redoutablement efficace dans une mise en scène au cordeau. Les passages "film noir" sont volontairement appuyés. Toutefois on croise quelques mouvement de caméra hors pair (dans le cimetiere) ou des scènes n'ayant rien à envier aux classiques qu'elles pastichent (la poursuite dans l'immeuble en chantier)

Le film m'a rappellé Allo Berlin ici Paris dans lequel le parallèle entre les destins contrariés des personnages semblent jouer les deux variations voulues par les deux scénaristes : un volet plutot noir et un volet plus romance.
Quant au personnage d'Auclair c'est un peu la version jeune de celui de Jouvet dans Carnet de Bal

Si le film ne peut prétendre être dans la liste des chefs d'œuvre de Duvivier, il est en tout cas à voir pour tout les amateurs et un large public tant son côté ludique l'emporte. La séance en famille a bien fonctionnee.
Coincé entre les deux Camillo (que je trouve plus intéressants dans les enjeux), il rappelle tout de même la sacré tenue qu'avait le cinéma de Duvivier au début des années 50.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

bruce randylan a écrit : Lydia ( 1942 )
2ème réalisation aux Etats-Unis mais 1er vrai film de l'exil à Hollywood de Duvivier qui livre une variation de son carnet de bal. On retrouve ainsi une dame âgée qui se rappelle ses histoires d'amour passées depuis son premier bal. Adieu la structure en sketch et bonjour une narration en flash-backs très classique.
Les scènes contemporaines du début sonnent très faux avec des maquillages ratés, des acteurs cabotinant et une situation à la limite du ridicule ( ce sont les anciens amoureux de Lydia qui font la surprise de la retrouver tous ensemble des décennies après ).
Les premiers flash-backs font leur apparition et relève fort heureusement le niveau ( le ralenti magnifique dans l'arrivée dans la salle de bal fantasmé ) avec un certaine ironie bienvenue mais sans se montrer très original sur la longueur. Il faut attendre près de 30-40 minutes pour que le film décolle quand l'héroïne décide de se consacrer aux aveugles et qu'un musicien lui aussi non-voyant les inities aux couleurs en utilisant le piano. On y trouve alors des séquences magnifiques où Duvivier utilise à merveille la musique pour traduire des sensation visuelles. C'est très poétique, très fort et prenant avec un sens romanesque dans la relation entre les personnages qui permet enfin aux scènes contemporaines de fonctionner en étant filmer dans un contre-jour fantomatiques presque irréelle. Le segment suivant où Lydia se retrouve dans une demeure en bord de mer avec un amant marin est tout aussi sublime. Le décor, la photographie, les mouvements de caméra et l'esthétisme studio très raffiné traduit la aussi avec une sacrée virtuosité plastique la tension entre Lydia et sa rivale : l'océan.

On obtient ainsi près de 30 minutes somptueuses où l'ont sent enfin la présence de Duvivier à la réalisation avec le lyrisme tragique qu'il manie si bien. Puis le film retombe dans ses travers de mélodrame sans grande finesse que la censure à surement fait modifier ( puisque l'héroïne a connu un amant avant le mariage, elle sera condamné au célibat pour le reste de sa vie ). C'est rageant car on retrouvait tout de même au scénario Ben Hecht, Samuel Hoffenstein et André De Toth.

Bref, une demi-heure à sauver de ce mélo lourdingue qu'il ne vaut mieux pas comparer à Carnet de Bal.
Lydia (1942)
Au soir de sa vie, à l'occasion d'un hommage public, une femme se retrouve face à ses prétendants de jeunesse. C'est l'occasion d'un bilan amical mais douloureux.

C'est donc un remake de Carnet de Bal mais sous une forme et dans un sens différent. A l'exception des scènes d'évocation du Bal lui meme au début qui suivent le meme schéma que dans le film initial (confrontation entre le souvenir phantasmé et la réalité ), le film va s'attacher à nous compter la vie de Lydia et non dresser un etat dramatique de celles de ses prétendants.
Dans Carnet de Bal, c'est elle qui cherche à retrouver trace de ses amoureux, ici par un retournement habile ce sont eux qui viennent à elle. L'objet et la construction du film change alors naturellement.

Disons le tout net, contrairement à Bruce Randylan j'ai trouvé Lydia beaucoup plus réussi que Carnet de Bal.
Ce dernier souffre d'une construction en sketchs, certes réussis pour la plupart mais qui sont autant de courtes nouvelles rassemblés autour d'un vague fil rouge.
La construction de Lydia ne souffre pas de ces défauts : il y a une progression dramatique qui nous saisie pour ne nous lâcher qu'à la dernière image.
Le film n'est pas parfait et démarre assez mal. On a droit à une confrontation sans grande subtilité du souvenir versus la réalité des faits. Et un défilé de maquillages peu crédible (enfin c'est pas pire que dans Edgar J. d'Eastwood) Bref on redoute un mauvais remake grillant ses cartouches sans finesse et un produit sans surprise. Mais le film decole dés que l'on sort justement de ce schéma simpliste pour s'attacher à la psychologie des personnages. Pour moi, c'est à partir de la séquence au cabaret. Duvivier toujours à l'aise à restituer ces ambiances (voir mes commentaires ci dessus de la charrette fantôme à Allo Berlin) commence à cerner les âmes. Puis le vrai basculement s'opère avec l'enfant aveugle et la visite des taudis. C'est parti.
Les passages avec les groupes d'enfants écoutant la musique jusqu'à celui de la fillette qui vient chercher sa poupée sont remarquables. Duvivier capte les visages immobiles dans un geste mêlant étrangeté, respect et et compassion.
Le simple fait de plonger les scènes dans le noir nous interpelle quasi physiquement sur l'altérité de la situation des aveugles.

L'ensemble du passage où l'héroïne se retrouve sur une île isolée, pour vivre avec son amant son amour fou et total constitue le sommet du film. Alors que Lydia était dépeinte soit comme une jeune fille immature soit comme une aristocrate un brin engoncée, on assiste ici à une libération du corps et de l'âme. Il y a dans les courtes scènes autour du lit un abandon, une liberté, remarquablement rendu par Duvivier.
Il faut dire ici un mot de Merle Obenon. Je ne connaissais pas cette actrice. Je l'ai trouvé excellente. Que ce soit dans le rôle de la jeune fille, de l'amoureuse éperdue, de la femme brossée, de la vieille femme qui livre ses secrets.
Alors que les premières scènes de retrouvailles portent le poids dès maquillages un peu lourds, toutes celles de la fin sont très émouvantes , filmées la nuit tombée, portées par des dialogues simples mais qui sonnent justes. Apparaît alors le vrai portrait de cette femme qui aura été d'un bloc et qui aura payé d'une vie de solitude le choix de ne pas faire le deuil de son premier amour. L'ensemble du film est remarquablement dialogué.
A noter la prestation de Edma May Oliver dans le personnage l'incroyable grand mère bostonienne. Que du bonheur. Elle a une tirade sur les homme qui ne sont plus ce qu'ils étaient, qui rappelle celle de Gloria Swanson sur les films devenus trop petits. J'adore le passage où une amie aristocrate s'étonnant qu'elle accepte que sa petite fille épouse un roturier, elle réponds qu'elle vendait des harengs quand elle a rencontré son futur mari.

Duvivier est souvent à son meilleur. A plusieurs moments, j'ai penser à Mankievicz.
Je termine par l'évocation de deux séquences. Le curieux plan qui ouvre le film ou l'on voit Joseph Cotten vieux et assoupi se réveiller dans son fauteuil: quel curieux début. La scène du mariage manqué où Lydia attends seule à minuit dans l'église déserte et ouverts à tout les vents de l'hiver : un plan digne des chefs d'œuvre muets

On l'aura compris , une fois passer le début bancal j'ai été emporté par ce portrait de femme. Ma femme et mon fils de 13 ans aussi.

Plus j'avance dans cette revisite de la filmo de Duvivier plus je trouve incompréhensible qu'il n'ai pas aujourd'hui une notoriété supérieure. C'est clairement l'égal des plus grands.
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