Julien Duvivier (1896-1967)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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The Eye Of Doom
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

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Mis à profit des fêtes pour voir les deux Duvivier sortis cette année.
Commençons par le moins convainquant:

Untel père et fils (1939)
Une famille de français modeste de Montmartre voit génération après génération son destin boulversé par la guerre contre les allemands.

Je renvois à l'interview de Eric Bonnefille en bonus sur le contexte à l'origine de ce film "de commande" et aux péripéties de son exploitation.
C'est une curiosité mais pas vraiment un grand film. Plusieurs raisons.
Tout d'abord la structure: on assiste à 80 ans de la vie d'une famille sur 1h50. Forcément ca vas trop vite, surtout sur la seconde partie, et on n'a du mal à s'attacher aux personnages. Sans surprise seuls sortent du lot ceux de la première génération présents peu ou prou sur la durée. Sont ils passionants pour autant ?pas vraiment. Il manque au film un véritable ressort dramatique qui porterait le spectateur. On assiste donc à une suite de micro intrigues ou plutot de scènes "pointilliste". Grâce au talent de Duvivier, la plupart sont réussies: tout le film est porté par une photo et une mise en scène impeccable mais sans vrai enjeu.
Il faut dire que l'interprétation n'est pas toujours majeure. Je n'ai pas trouvé Jouvet tres convainquant alors que il était très bien dans La charrette fantôme. Suzy Prim, que je confond avec Françoise Rosay, surjoue la "sœur" courage. On a du mal à croire à son histoire. Reste Raimu, en oncle Marseillé cabotin et bon vivant: il a pour lui les meilleures scènes. Et Lucien Nat sobre mais plutot juste. A noté dix minutes avec une ravissante Michèle Morgan de 20 ans.
De nombreuses scènes sont tres réussies, comme souvent celles de groupes, où Duvivier conjugué mais mouvement de caméra et topologie ou dynamique de groupe: le mariage, la préparation de l'attaque de la commune, le passage au moulin rouge, la scène avec les écoliers ( remarquable dynamique!). Bref Duvivier filme impeccablement un "beau" film de studio sans vraiment intérêt autre qu'historique
Franchement c'est pour moi réservé aux admirateurs de Duvivier (qui trouveront leur compte dans la plastique du film) et surtout aux historiologues du cinéma français d'avant guerre.

Beaucoup plus jouissif:

L'homme du jour 1938
Un électricien travaillant à l'hôpital donne son sang pour sauver une "artiste lyrique internationale". Il fait illico la une de la presse et devient pour un temps la conque l'une de la diva.

Film secondaire dans l'œuvre de Duvivier mais fort sympathique. On peut y voir une version comique de "Panique".
C'est une sorte de farce caustique ou Duvivier tape sur tout ce qui passe ou presque, bien aidé par un Maurice Chevalier qui joue les grands benêts avec l'abattage qu'on lui connaît.
On a droit à une charge virulente contre le monde du spectacle : la cantatrice est hallucinante d'ego, de mauvais goût, de mesquinerie. La litanie des sponsors qu'il faut égrener avant les interventions radio est hilarante. Son "mari" en dragueur de minette voulantt effeuiller la marguerite est excellent.

On a droit à une collection de décors d'un mauvais goût bien drôle entre l'intérieur de l'appartement parisien avec la table qui sort du sol ou le château de province avec ses chambres immenses dont celle de la cantatrice, sommet de kitsch grandiloquent et grotesque.

On pourrait bien sûr facilement y voir une opposition entre le brave petit peuple, incarné par Chevalier et sa compagne, la ravissante Juliette May, et la haute société pervertie. Ce serait oublier la vision acide que donne Duvivier du microcosme de la pension de famille, bête, lache et méchant. C'est clairement une préfiguration de Panique. La scène de "règlement de compte" de Chevalier est réjouissante avec quelques tirades bien senties.

Je n'ai plus en tête de film de Capra, mais la force de celui ci est de ne pas se prendre au sérieux. Si la satire est féroce, on reste dans la comédie plutot décontracté. Tout cela est invraisemblable mais peu importe : exemple le passage au commissariat. D'ailleurs le seule élément vraiment faible du film est la micro intrigue avec la fleuriste : c'est le seul passage un volontairement dramatique et la sauce ne prend pas franchement.
Quand à la fin, elle est tres surprenante dans sa forme (sur le fond, on se doute depuis longtemps que Chevalier vas retourner à ses amours):
On assiste à un tres curieux dédoublement de Chevalier, celui apparaissant dans son propre rôle face à l'électricien. Tête à tête étrange sur le métier du musical qui ne s'improvise pas. On a droit à une version de Prosper avec Chevalier et son mauvais imitateur.
Globalement le film alterne assez habilement moments chantés, comédie, critique caustique, et scènes plus dramatiques.
Eric Bonnefille dans son interview a raison de mettre en évidence le côté moderne du film, dans sa critique de la machine à créer des héros du jour consommables et de la publicité. Mais aussi plus surprenant comme précurseur du clip musical.

Tirant comme toujours bénéfice des décors, c'est un festival d'excellent Duvivier dans tout les registres: bain de foule, scènes plus intimes, montée dramatique (tout le passage de l'audition de Chevallier est une leçon de mise en scène). Duvivier a encore cette forme libre et dynamique qui caractérise son style du début des années trente et qu'il abandonnera (malheureusement pour moi) pour une forme certes toujours totalement maîtrisée mais plus classique.
C'est donc très fortement recommandable !

Il y a deux versions et au vu des différences la finale est bien meilleure.

En attendant le bluray de Avec le sourire...
Avec lequel le film forme une sorte de dyptique.
Voir aussi page 11 les Avis de Bruce Randylan et Ann Harding ...

Je ne résiste pas à un cross-over avec The Deuce que je regarde actuellement, en citant les paroles de Prosper Yop La Boum:
Quand on voit passer le grand Prosper
Sur la place Pigalle
Avec son beau petit chapeau vert et sa martingale,
A son air malabar et sa démarche en canard
Faut pas être bachelier pour deviner son métier

Prosper yop la boum
C'est le chéri de ces dames
Prosper yop la boum
C'est le roi du macadam
Comme il a toujours la flemme
Y n'fait jamais rien lui-même
Il a son "Harem"
Qui de Clichy à Barbés
Le jour et la nuit sans cesse
Fait son petit business
Et le soir, tous les soirs
Dans un coin d'ombre propice
Faut le voir, faut bien l'voir
Encaisser les bénéfices
Il ramasse les billets
Et leur laisse la monnaie
Ah quel sacrifice
En somme c'est leur manager
Et yop la boum, Prosper!
....

Décidément la dégaine et les pratiques du souteneur sont intemporelles...
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

On apprend que Duvivier est le cinéaste préféré de Christophe Gans et encore plus surprenant qu'il est aussi apprécié de Leiji Matsumoto.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Marianne de ma jeunesse (1954)
Dans un pensionnant de haute montagne, un jeune homme etrange tombe amoureux d'une jeune femme prisonnière d'un manoir mystérieux de l'autre côté du lac. Mais peut être n'est ce qu'un rêve ?

J'avoue avoir eu un peu de mal à cette troisième vision de Marianne, film que j'avais adoré à sa découverte et 1ère revoyure.
Ce film atypique est souvent sur la corde raide.
Il faut le dire de suite, ce film très personnel est touchant et attachant. On voit bien que Duvivier n'est pas dans une œuvre de commande. Il y a un investissement dans le sujet et la volonté de traduire au mieux ce récit romantico-onirique.
Le registre "fantastique" est casse-gueule. C'est un opus tardif d'un genre qui fit certaines grandes heures du cinéma français, de la belle et la bête au visiteurs du soir en passant par la beauté du diable.
La force du film de Duvivier est d'apporter une personnalité en propre, ayant peut à voir avec ces illustres prédécesseurs.
Comment dire, dans ses fulgurances et ses limites, le film est très personnel et assume ses choix.

Commençons par les limites.
La voix off a du mal à passer aujourd'hui.
Non pas que le texte soit mauvais, ou qu'il redonde l'image, c'est plutot que souvent elle paraît superflu. Elle fait contrepoint en soulignant les sentiments des personnages ou du groupe, ok, mais quelquefois la distance entre l'image et le texte est trop importante. Alors que Manfred nous évoque son amitié pour l'argentin, rien ne vient vraiment illustrée celle-ci a l'écran. Quand il se fait trop narratif, c'est un peu inutile.
Mais il y a aussi des tirades magnifiques :
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Les milliers de petits sabots pour la mort de Lise, inoubliable, l'evoquation de la figure de l'amour quand Vincent est alité.
Si cette voix off joue un rôle essentiel dans la structure du film, fenêtre sur l'âme des personnages, quelques phrases sont probablement de trop
Autre point faible du film, l'âge du casting.
Gil Vidal a 24 ans. Pierre Vaneck aussi.
Voir ces hommes en culotte courte fait tout de même bizarre.
Quant aux femmes, Isabelle Pia 24 ans aussi et Mariane Hold, 22 ou 26.... c'est moins gênant. Isabelle Pia paraît fragile et Marianne Hold joue une femme fantasmée.

Passons aux singularités et beautés .
Il y a toute de même une description fort trouble des relations de Vincent et sa mère.
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On est dans l'inceste pur. Comment imaginer autrement. En un plan (Le bras qui dépasse) et quelques dialogues moqueurs, Duvivier nous met face à une réalité étrange voire terrible. Lorsque Vincent comprendra que sa mère le trompe avec le commandant, ce sera la rupture définitive. Je ne pense pas qu'il faille voir dans ce film un discours sur les ravages de l'inceste mais l'histoire du personnage de Vincent est bien chargée .
Autre singularité, le personnage de Lise et son traitement. On pourrait vouloir n'y voir qu'une figure féministe maléfique, comme Duvivier en dépeindra tant. Mais c'est plutot un bloc brut de frustration sexuelle. Elle est quasi muette, quasi immobile, comme tétanisé par la force intérieure qui la ronge. On le voit lors du concert: c'est une statut dont les yeux ne s'ouvriront que pour la chanson de Vincent.
Duvivier lui réserve les plus fortes scenes. J'y reviens plus bas.

Étrange toute meme que cet établissement. On ne voit jamais les garçons travailler, d'ailleurs qui les ferait travailler vu qu'il n'y a qu'un professeur / directeur demi sénile.

Dernière singularité : on ne saura jamais si l'histoire de Vincent est véridique et si oui qu'elle est le sort de Mariane.
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À ce titre, la confrontation entre Vincent et le Chevalier est remarquable alors que l'on s'attend à un affrontement, le récit est retourné entièrement pour explorer une autre piste, ajoutant encore au mystère de l'intrigue alors que justement il semble apportée des éléments rationnels.
Le film est empreint d'une poésie propre mêlant magnificence de la nature: montagnes superbes, forêts envoûtantes, ... et merveilleux de conte de fée. Les plans sur la forêts qui ouvrent me films sont magnifiques, toutes les scenes autour et dans la maison hantée sont remarquables.

J'avais promis des fulgurances . Pour moi il y en a au moins deux :
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La longue scène de la tempête .
Le plan où Duvivier nous montre Lise s'offrant à Vincent est remarquable de lisibilité et d'efficacité.

La scène de la mise à mort de Lise, traquée par la meute de cervidés.
Sinon un autre plan m'a frappé : le groupe de jeunes chantant autour de Vincent : la composition est digne d'un chef d'œuvre du muet.
Il y a plein de scenes fortes comme la confrontation de Vincent et Lise dans la cabane puis hors de celle-ci. Les scenes avec le majordome et ses chiens. Le plan a la fin où Vincent redonne le papier avec l'adresse de sa mère, d'un geste juste et naturel.

Un mot sur la voix de Marianne, douce mais monocorde, distante, elle est particulièrement envoûtante.

Bref, pour conclure, malgré quelques réserves, Marianne de ma jeunesse est bien sûr un film majeur de la filmo de Duvivier car remarquable, unique, atypique et envoûtant.

Je rêve d'un beau bluray avec la version allemande en bonus et plein d'interview de critiques ou cinéastes que ce film a marqué.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par 1kult »

Hello,

Petit "placement de produit" ! Projection le 7 mai prochain (veille de jour férié, donc pas d'excuses) on projette Voici le temps des assassins, dans le cadre d'une carte blanche au réalisateur Fabrice du Welz (Calvaire, Vinyan, et prochainement Adoration) sur paris (les 7 Batignolles).

Image

Je mets le lien vers le sujet dédié sur le forum.

http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 4#p2743594

:wink:
1Kult.com, le Webzine du cinéma alternatif en continu !
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Super
noté dans l'agenda.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

l'imposteur (1944)
Un condamné à mort profite du chaos de la guerre pour s'échapper, endosser l'identité d'un soldat mort et fuir vers l'Afrique. A son insu il se retrouve impliquer dans les forces de la France libre.

Duvivier et Gabin en anglais dans un film de propagande.
Comme j'ai pas revu La bandera depuis bien longtemps, je ne risquerais pas de comparaison mais bien sûr les deux films commence sur le meme ressort.
Dans l'ensemble, ca se laisse voir. Les grandes envolées patriotiques sont bien sur la mais ne parviennent pas complètement à gâcher les quelques éléments intéressants: belle photo et facture générale léchée , quelques scenes où l'on retrouve la mise en scène efficace de Duvivier, restitution de la vie de casernement dans la jungle loin des combats ( c'est bien sûr de la convention hollywoodienne mais rien d'honteux), Gabin dans le rôle d'un homme qui finit par accepter le rôle qu'on lui assigne.
Le film se termine exactement comme on pouvait s'y attendre. Duvivier fait ce qu'il peut avec au moins deux scenes fortes :
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La destitution et la marche devant les troupes
La Croix sans nom au millieu du cimetiere.
Donc tout dépend de son niveau d'indulgence. C'est clairement pas un Duvivier à voir en priorité mais il y a tout le long le savoir faire du grand cinéaste, ici professionnel impliqué dans un film de commande.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

The Eye Of Doom a écrit :Six destins (1942)
Un costume de soirée soit disant maudit passe de main en main en influençant le destin de ceux qui le porte.

Encore un film à sketch mais cette fois à Hollywood. Cela fait tout drôle de voir le générique avec un casting de la mort suivi de Directed by Julien Duvivier.

Dans tout les cas, ca commence très fort avec le premier segment assez dramatique et peut être le plus sombre de l'ensemble. La mise en scène de Duvivier est remarquable tant dans les travellings ( l'arrivée du costume et la procession du début) que dans les plans gothiques dans le pavillon de chasse. Superbe plan en contre jour sur le mari. Tout de suite, comme dans Flesh and Fantasy (Obsessions) on voit combien Duvivier est à l'aise avec le "style" et les moyens dès studio. Il n'a rien à envier aux meilleurs auteurs de l'époque quant à l'art de filmer. On a noté à juste titre un côté Lubitsch dans ce premier segment mais c'est tout aussi vrai pour le suivant il me semble.
Le propos semble futile mais la tension monte au cours de la scène avec le fusil. Inutile de dire que Rita Hayward est particulièrement superbe. Mention aussi pour Thomas Mitchell dans le rôle du mari.
Changement de style radical pour le second segment. Trop pour moi probablement car je n'ai pas trop accrocher à ce marivaudage entre Henri Fonda tout jeunot et Ginger Rogers (qui est ornée d'une coupe de cheuveux deroutante).
C'est sympathique et le progression des sentiments entre les deux protagonistes est bien amenée mais je ne suis pas rentré dedans.
Viens un sketch encore différent avec un Charles Laugthon excellent. Mais la encore le propos ne m'a pas intéressé.
Le suivant avec Edward J Robinson est plus prenant. Non pas que l'histoire soit d'une originalité folle mais on retrouve Duvivier dans la peinture des sans abris et miséreux désespèrés, vue déjà dans la charrette fantôme notamment. Les scenes sont assez dures (EJ Robinson couchant dans les poubelles, l'évocation de l'alcoolisme). Et le contraste saisissant avec la vision du repas des anciens de promo de l'homme d'affaire déchu. Duvivier arrive à faire coexister ce conformisme de classe, cette joie mélangée de réel, de factice et superficielle des retrouvailles entre collegionaires. Et comment tout cela dérape dans un simulacre de procès, révélateur du malaise et du véritable statut du protagoniste dans le groupe de "copains".
J'ai trouvé le happy end du sketch assez réussi.
Passons sur le morceau avec WCField, sans intérêt.
Et nous voilà au dernier segment, autre sommet du film. Peinture d'une petite communauté de noirs particulièrement misérable, interpellée par une fortune tombée du ciel. Si les conventions hollywoodiennes dans la représentation des afro-américains sont bien la, Duvivier respecte ces personnages. Dans un décor de studio qu'on croirait sorti d'un film de Borzage, il retrouve un style quasi expressionniste. Un tres court plan muet où un des enfants vas trouver ses parents qui labourent une terre qu'on devine ingrate semble tiré d'un chef d'œuvre muet. Les dialogues sont savoureux notamment avec le prêtre dont la probité ne semble pas acquise.
Tres Beau plan sur le regard de dieu,
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en fait celui d'un groupe d'enfants perchés sur toit et contemplant la scène par une béance du toit.
Tres beau passage où chacun vient exprimer son souhait de Noël, jusqu'au plus misérable d'entre eux que l'on vas consulter dans son taudis et qui scellera la destinée finale du costume.

Le film est une sorte de vision allégorique de la théorie du ruissellement : le costume vas connaître des utilisateurs de plus en plus bas dans l'échelle sociale. Il est aussi par excellence le vecteur de l'illusion, pour celui qui le porte, pour les autres, portant tout le long du film l'usurpation souhaitée ou subie, révélateur des petitesses humaines mais aussi par ricochet des grandeurs possibles.
Véritable tenue d'apparat de la richesse, emblème du pouvoir, dont le rôle symbolique est clairement affiché par le décorum de la procession initiale et l'exposition sur le mannequin ( on pense aux armures d'apparat des dynasties japonaises, symbole du pouvoir). Finalement seul Charles Boyer le porte naturellement car il est en phase avec son statut économique et moral. Mais tout chavire dès que
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le costume est troué : l'incarnation naturelle de l'habit ne résiste pas aux intrigues et trahison intimes.
Le costume devient alors immédiatement le vecteur de la première illusion:
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Le costume cache la blessure par balle de Boyer qui apres avoir fait le mort, joue le vivant que la balle à épargné.
Cette première "souillure" vas sonner le début du pseudo déclassement de l'objet qui ne sera plus que l'instrument d'illusions et d'impostures de plus en plus grande. Simple substitution dans le second sketch, marqueur social usurpé dans les sketchs suivants, d'abord par des individus honorables mais hors de la classe qu'ils visent, puis par dès charlatans et voleurs, jusqu'à la fonction finale oú dans un trait d'humour particulièrement malicieux le costume devient
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à la fois porteur de la volonté divine et épouvantail à corbeaux.
Le pouvoir "bénéfique" de celui ci est alors littéralement épuisé et le film se termine.

Malgré l'intérêt inégal de certains passages, le film est tres agreable, oscillant intelligement entre légèreté du dispositif narratif et sensibilité du propos soutenue par un forme constamment irréprochable ( réservant de tres bons passages en début et fin notamment).
Tres recommandable pour les amateurs de Duvivier.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Anna Karenine (1948)

Entre Moscou et St Petersbourg, l'épouse d'un haut fonctionnaire s'éprends d'un jeune officier. Cette passion lui sera fatale.

Il est curieux et en même temps assez évident de voir Duvivier a la tête de ce exemple type du film de prestige adaptation d'un monument de la littérature.
Curieux quand on repense à Allo Paris, ici Berlin ou La tete d'un homme, de plus le film se situe dans la carrière de Duvivier entre deux films bien francais: Panique et Au royaume des cieux, dont il est peu dire qu'ils entretiennent pas de liens frappants avec Anna.
Evident quand on se rappelle combien Duvivier est a l'aise dans ses productions de standing americaines de Lydia à Flesh and Fantasy.
Il ne fait aucun doute qu'il saura sortir par le haut de ce type de cahier des charges.

Sans surprise donc, le film est souvent superbe visuellement avec une photo n&b magnifique. Duvivier en bon eleve de l'expressionisme manie avec science les contre-jour, effets de lumiere et de matiere.
Toute la premiere partie est assez envoutante. Il filme une Vivien Liegh stupéfiante de beauté, transcendée par des robes d'une élégance incroyable, à la fois sommet de luxe et de sobriété.
Avec un phrasé tres personnel, elle compose un personnage etrange, qui semble supérieur au commun de son entourage. Par sa beauté deja evoquée mais aussi une hauteur de vue, une profondeur, qui pourrait paraitre hautaine si elle n'était naturelle et amicale. Elle ne peut représenter qu'un etre ideal pour des proches. Cette "hauteur" est bien sur aussi une distance : Anna vit dans un autre monde, plus intime, plus cerebrale, plus sensuel.
Duvivier donne au personnage un coté un peu surnaturel, mouvant dans des spheres autres, et annonce ainsi la folie finale.
Le film m'a souvent fait penser a Marianne de ma jeunesse, par l'habileté de Duvivier a distillé un sentiment d'étrangeté, de romantisme. Anna c'est un peu Marianne, enfermée dans sa maison cerebrale, gardé par un homme dont on ne sait s'il est son demon ou son bienfaiteur, revant d'un amour fou incarné par un jeune homme. Est'elle saine d'esprit ou dérangée?
Un scene magnifique : lors d'un arret de son train Anna sort prendre l'air sur un quai de gare alors que la tempete de neige sévit. Elle marche indifférente aux intempéries mais prend peur à la figure d'un pauvre cheminot vérifiant les essieux du train à coup de marteau. Mais c'est aussi l'apparition de l'amant et la revelation du coup de foudre.
Cette premiere partie culmine avec la soirée mondaine de spiritisme. Grand moment de mise en scéne de Duvivier.
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La table qui bouge n'est en fait pretexte qu'a baisser les lumières et permettent aux deux futurs amants de s'avouer leur flamme à l'ecart. Le mari arrive mais s'arrete sur le pallier. Il ne voit que le groupe de spirites atttablés mais le regard de l'une d'entre elles, bien au fait de ce qui se deroule vraiment, l'attire vers le fond de la salle. Ce qu'il voit restera hors champs mais il quitte les lieux dans l'instant.
Un mouvement de camera m'a frappé. Comme il sait si bien le faire (cf David Goldber, Poil de Carotte,La tete d'un homme,...) , et c'est peut etre sa marque de génie cinematographique, Duvivier filme son personnage en gros plan à mi-hauteur, au niveau du tronc. La plan commence donc par une vue serrée de la poitrine d'Anna debout dans le salon, erotique evidement et alors que la camera reste à la même hauteur dans un court travelling lateral, on glisse de sa poitrine à son visage car elle s'assoit. Comment peut'on avoir l'idée d'un plan comme ça ?
Autre plan impressionnant quand Anna apres avoir vainement tenter de communiquer avec son mari puis avec son fils, sort pour prendre le monument escalier de leur maison. La camera recule, écrasant encore plus la silhouette d'Anna dans cette intérieur immense et vide d'humanité.
J'ai un peu decroché sur la seconde partie je l'avoue, un peu longue à mon gout. Les turpitudes de la passion contrariée et la description de la société qui rejette et isole la femme adultere m'ont moins interpellée. On suit les amants à venise. La comparaison s'impose immédiatement avec le tres beau passage de Lydia où cette dernière va vivre dans une maison de pecheur avec son amant. Duvivier ne renouvelle pas l'exploit de ce precedent film. On reste ici à de agréablement filmé.
Il faudra donc attendre la toute fin du film pour retrouver le meilleur de Duvivier.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Anna a perdu confiance en son amant et reprend le train pour le retrouver. Elle parle toute seule sur le quai, c'est un livre ouvert de ses émotions exacerbées mais aussi de plus en plus lucides. Le train fait du même arret sur son trajet et Anna ressort sur le quai où des mois plus tot elle a rencontré son amant. Ce n'est plus la tempete de neige mais la pluie battante.
Toujours indifférente mais perdue dans sa névrose, elle retrouvera le même cheminot, confondra un officier avec son amant et decidera de mettre fin a sa vie. Toute cette derniere sequence est superbe. Duvivier filme depuis le centre des voies le train arrêté au loin. Anna marche à coté du train puis descend sur la voie et avance vers la camera. Le train démarre et s'avance vers nous, le choc a lui et dans une sequence qui semble interminable, on voit le train roulé sur le corps d'anna couché entre les rails. Scene vraiment choc que l'on image mal hors du cadre d'un film noir, et encore. Le film se conclue sur un plan en plongé sur le corps d'Anna recrovillé
La critique n'a apparemment pas été tendre avec le film. Il est vrai que l'interprétation est inégale . En fait c'est surtout l'acteur qui joue le jeune amant qui n'est pas tres bon. Le reste du casting est tres bien.
Comme je n'ai pas lu le livre, je ne peux me prononcer sur l'adaptation, tres critiquée aussi. Je renvoie aux excellent débats qui ont eu lieu ici :
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 1&start=15
En conclusion, je dirais que Lydia est plus reussi notamment dans sa description d’une passion féminine. Anna Karenine est un film inégal mais souvent passionnant. Et puis Vivien Leigh compose une creature surprenante.

J’ai oublié de dire aussi que l’on pense à Madame De.. à plusieurs reprise…
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

J'ai tenté hier de regarder Le paquebot Tenacity.
La copie dvd Rene Chateau est lamentable.
Non seulement le materiel d'origine est pas terrible mais bon, il est comme il est, mais surtout le film est pourri d'artefact de compression, jpeg-isé. Horrible.
J'ai arrêté vers la moitié. Sur le fond, le film n'est pas passionnant. On dirait un ébauche de la belle equipe avec le duo d'amis dont on se doute bien qu'ils ne réaliseront pas leur beau projet.
Le personnage d'Albert Prejean est une esquisse de celui de l'homme du jour, mais l'acteur n'a pas la gouaille et la presence de Chevalier. L'interpretation en géneral n'est pas fameuse. Quand a la mise en scene, elle est certe fluide et consistante mais n'arrive pas a transcender un matériel bien limité. Dans ce que j'ai vu, il y a bien deux ou trois plans reussis (Le tournage de film, travelling sur les enseignes de troquets, scenes sur le port,.,,) mais tout cela a terriblement vieilli.
Sans etre extraordinaire, le debut se laisse voir.
Les critiques de l'epoque ont ete assez assassines: je leur donne plutot raison.
Vu la qualite de la copie, il est peu probable que j'aille au bout.
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Alexandre Angel
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Alexandre Angel »

The Eye Of Doom a écrit :J'ai tenté hier de regarder Le paquebot Tenacity.
La copie dvd Rene Chateau est lamentable.
Non seulement le materiel d'origine est pas terrible mais bon, il est comme il est, mais surtout le film est pourri d'artefact de compression, jpeg-isé. Horrible.
J'ai arrêté vers la moitié. Sur le fond, le film n'est pas passionnant. On dirait un ébauche de la belle equipe avec le duo d'amis dont on se doute bien qu'ils ne réaliseront pas leur beau projet.
Le personnage d'Albert Prejean est une esquisse de celui de l'homme du jour, mais l'acteur n'a pas la gouaille et la presence de Chevalier. L'interpretation en géneral n'est pas fameuse. Quand a la mise en scene, elle est certe fluide et consistante mais n'arrive pas a transcender un matériel bien limité. Dans ce que j'ai vu, il y a bien deux ou trois plans reussis (Le tournage de film, travelling sur les enseignes de troquets, scenes sur le port,.,,) mais tout cela a terriblement vieilli.
Sans etre extraordinaire, le debut se laisse voir.
Les critiques de l'epoque ont ete assez assassines: je leur donne plutot raison.
Vu la qualite de la copie, il est peu probable que j'aille au bout.
D'accord sur la copie mais absolument pas sur le film que je trouve, au contraire, passionnant, moderne, riche, inventif (ce film dans le film au début!). Je suis persuadé qu'une belle restauration nous révélerait un chef d'oeuvre (si tant est qu'une restauration soit envisageable) .
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
The Eye Of Doom
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Alexandre Angel a écrit : D'accord sur la copie mais absolument pas sur le film que je trouve, au contraire, passionnant, moderne, riche, inventif (ce film dans le film au début!). Je suis persuadé qu'une belle restauration nous révélerait un chef d'oeuvre (si tant est qu'une restauration soit envisageable) .
Si tu trouve le film "passionnant, moderne, riche, inventif , je me demande ce que tu pense de Allo Paris Ici Berlin Poil de Carotte ou David Goldber,...

Dans la partie que j'ai vue (2/3 environ) je n'ai pas vraiment accroché. Il manque des scenes fortes ou Duvivier cree l'emotion, rend une ambiance,... Ici j'ai l'impression qu'il déroule son savoir faire...
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Alexandre Angel
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Alexandre Angel »

The Eye Of Doom a écrit : Si tu trouve le film "passionnant, moderne, riche, inventif , je me demande ce que tu pense de Allo Paris Ici Berlin Poil de Carotte ou David Goldber
Vu aucun des trois mais ils sont notés dans mon p'tit carnet :D !
Pour en revenir au Paquebot Tenacity, et puisqu'il a beaucoup été question du Cinéma de Minuit aujourd'hui sur le forum, je me souviens qu'on l'avait découvert au milieu des années 80 chez Brion et on avait flashé. Et malgré la copie lamentable, je n'ai pas du tout été déçu à le revoir. Bien sûr, on sent qu'il a morflé au montage, qu'il y a parfois plus d'images que d'intrigue mais c'est poétique, jaillissant.
Un peu comme Daïnah-la-Métisse, de Grémillon, que j'aime encore plus (mais là, il s'agit d'un BR).
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Commissaire Juve
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Commissaire Juve »

The Eye Of Doom a écrit :Anna Karenine (1948)
Vu en DVD ? Si oui : quelle édition ? l'édition Elephant ? (visuel ci-dessous) Qu'as-tu pensé de l'image ?
(perso, j'ai l'edition Aventi -- sortie bien avant -- et le master est vraiment immonde)

Merci.

Image
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Commissaire Juve a écrit :
The Eye Of Doom a écrit :Anna Karenine (1948)
Vu en DVD ? Si oui : quelle édition ? l'édition Elephant ? (visuel ci-dessous) Qu'as-tu pensé de l'image ?
(perso, j'ai l'edition Aventi -- sortie bien avant -- et le master est vraiment immonde)

Merci.

Image
C'est bien celle-ci. Avec une photo de manif bolchevick et la description du film "Catherine de russie " dernière! :lol:
Rien a voir avec l'edition Aventi.
L'image est pas mal. Il y a des passages un peu moins bons mais l'ensemble est tres correct.
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Commissaire Juve
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Commissaire Juve »

The Eye Of Doom a écrit : L'image est pas mal. Il y a des passages un peu moins bons mais l'ensemble est tres correct.
Merci. Cela dit, j'aurais dû aller tout de suite à l'essentiel ! Est-ce qu'on a une qualité équivalente à l'édition restaurée de la FOX ?

Voir les captures ici.

Encore merci.
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