Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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cinephage
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par cinephage »

A cela s'ajoute l'étrange séquence des
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révolutionnaires-guérilleros, difficile à justifier sur le plan narratif.
Autant on comprend que la compagnie fasse convoyer les explosifs par des gens "dispensables", autant, s'il existe un danger venant de l'extérieur, on ne comprend pas bien qu'on ne leur aie pas donné une escorte armée. S'il y a un bien à protéger avec des enjeux financiers, pourquoi laisser ces camions à la portée du premier contra venu ?
Par ailleurs, la scène est assez faiblarde...
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De même, cet étrange postulat qui réunit trois vrais criminels de haut niveau pour un même job rend d'emblée le film difficile à gober... Dans la version d'origine, il s'agissait juste de durs-à-cuire, un peu truands sur les bords, mais pas un terroristes experts, un roi de la finance, un tueur à gage d'élite, et j'en passe... C'est assez énorme...
Bref, si la séquence du pont sous la pluie est hallucinante, et que le film dans l'ensemble reste fort distrayant, on est pour moi loin des meilleurs films de Friedkin (ou bien du Salaire de la peur)...
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Père Jules
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par Père Jules »

cinephage a écrit :
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De même, cet étrange postulat qui réunit trois vrais criminels de haut niveau pour un même job rend d'emblée le film difficile à gober... Dans la version d'origine, il s'agissait juste de durs-à-cuire, un peu truands sur les bords, mais pas un terroristes experts, un roi de la finance, un tueur à gage d'élite, et j'en passe... C'est assez énorme...
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En 77, peut-on encore se contenter de durs à cuire ?
Je veux dire, vu l'évolution politique dans les années 60/70, n'était-ce pas plus cohérent de caractériser ainsi les personnages ?
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par ATP »

cinephage a écrit :A cela s'ajoute l'étrange séquence des
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révolutionnaires-guérilleros, difficile à justifier sur le plan narratif.
Autant on comprend que la compagnie fasse convoyer les explosifs par des gens "dispensables", autant, s'il existe un danger venant de l'extérieur, on ne comprend pas bien qu'on ne leur aie pas donné une escorte armée. S'il y a un bien à protéger avec des enjeux financiers, pourquoi laisser ces camions à la portée du premier contra venu ?
Par ailleurs, la scène est assez faiblarde...
+1, et le déroulement de la deuxième heure du film m'a parue peu convaincante à certains moments, comme si le scénario avait été improvisé, mais pas vraiment de la bonne façon...
cinephage a écrit :
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De même, cet étrange postulat qui réunit trois vrais criminels de haut niveau pour un même job rend d'emblée le film difficile à gober... Dans la version d'origine, il s'agissait juste de durs-à-cuire, un peu truands sur les bords, mais pas un terroristes experts, un roi de la finance, un tueur à gage d'élite, et j'en passe... C'est assez énorme...
Effectivement, ça paraît assez improbable ; après Friedkin s'intéresse ici aux thèmes du destin et du fatalisme avec une certaine ironie, quand on dresse les parallèles entre la première demi-heure et la deuxième heure :
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- le personnage qui ouvre le film en tirant sur quelqu'un (et qui tue aussi un de ceux qui devaient conduire pour prendre sa place afin d'empocher le pactole) meurt flingué dans la montagne
- le terroriste meurt dans l'explosion du véhicule
- le français laisse le véhicule s'écraser dans un moment d'inattention alors qu'il repense à sa femme (alors qu'il est venu en Amérique du Sud pour échapper à son passé)
- le personnage de Scheider est le seul à avoir survécu à l'accident de voiture dans la partie en Angleterre, c'est aussi le seul à ressortir vivant de la livraison de nitroglycérine, mais son passé le rattrape dans la conclusion ambiguë (comme si la mort venait le chercher parce qu'il lui a échappé ; la conclusion du Salaire de la Peur avait aussi un caractère fataliste)
Cela dit, c'est pas pour autant que ça m'a paru passionnant à ce niveau là...
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cinephage
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par cinephage »

Père Jules a écrit :
cinephage a écrit :
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De même, cet étrange postulat qui réunit trois vrais criminels de haut niveau pour un même job rend d'emblée le film difficile à gober... Dans la version d'origine, il s'agissait juste de durs-à-cuire, un peu truands sur les bords, mais pas un terroristes experts, un roi de la finance, un tueur à gage d'élite, et j'en passe... C'est assez énorme...
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En 77, peut-on encore se contenter de durs à cuire ?
Je veux dire, vu l'évolution politique dans les années 60/70, n'était-ce pas plus cohérent de caractériser ainsi les personnages ?
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Pourquoi pas ? Mais si tu veux les typer de cette façon, il eut fallu trouver une autre raison de les réunir dans un trou perdu d'Amérique du Sud que le seul hasard...
Et puis quand même, un "simple dur à cuire", ça pouvait, même dans les années 70, impressionner. Après tout, cette période est l'age d'or des Burt Reynolds, des Charles Bronson et autres (certains Aldrich aussi, campent des durs de durs)... Le type qui en a, ça n'était pas forcément ringard, il n'a pas besoin d'être un tueur international pour épater le public.

Après, on peut toujours considérer que ce profilage "polar" type le film et transforme son coté film d'aventure (ce que je pense), mais pour le coup, le coté policier/suspense, passé l'ouverture et la cloture, demeure totalement occulté, et parait du coup un peu artificiel.
Disons, pour simplifier, que je trouve que ce typage un peu forcé pousse le film du coté de la série B, où l'on joue plus sur les codes de genres que sur une approche réaliste...
Au final, je ne trouve pas le film mauvais, mais je trouve que ses défauts l'empêchent d'accéder à l'universel de son prédécesseur (qui pose, de façon quasiment abstraite, la question du courage), que le film manque d'ampleur (à l'exception de la fameuse séquence du pont, qui reste d'anthologie).
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cinephage
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par cinephage »

ATP a écrit :Effectivement, ça paraît assez improbable ; après Friedkin s'intéresse ici aux thèmes du destin et du fatalisme avec une certaine ironie.
La question du fatalisme (ou déterminisme)/liberté (ou libre arbitre) revient très régulièrement dans l'oeuvre de Friedkin, parfois métaphysique, parfois social... Je ne suis pas persuadé qu'ici ça dépasse le "qui a vécu pas l'épée périra par l'épée", ce qui reste assez léger sur le plan du fond (je t'avoue que ça m'avait échappé lors de mon visionnage)...
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El Dadal
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par El Dadal »

Si Sorcerer n'est pas parfait, Le Salaire de la peur ne l'est pas non plus. Il me suffit de repenser à la toute fin, que je trouve d'une gratuité exemplaire. D'ailleurs l'interprétation de Montand, tout guilleret à son camion après ce qu'il vient de traverser, est à côté de la plaque à ce moment là, mais c'est sans doute Clouzot le fautif en l'occurence. Je ne vois pas de faute de ton pareille dans le Friedkin.
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Demi-Lune
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par Demi-Lune »

Que des repris de justice se retrouvent tous dans un trou du cul du monde, ce n'est pas improbable dans la cohérence interne d'un film qui laisse entendre que le tenancier du bar est un ex-nazi. Je veux dire, cette dictature sud-américaine, c'est un refuge commode pour tous ceux qui souhaitent se faire oublier, et l'odeur du pétrole environnante attire les hommes les plus veules et les plus désespérés comme des charognards. Années 70 oblige, qui ne croient plus en rien, les caractérisations des personnages n'ont donc plus rien à voir (et heureusement d'ailleurs) avec le film vieillot de Clouzot que Friedkin ne cherche pas à recopier : on est ici dans une approche totalement desséchée et melvillienne (c'est presque du Michael Mann avant l'heure avec un fonctionnalisme qui fait que les personnages ne s'incarnent que dans l'exécution hyper concentrée de leur tâche) des personnages, qui ne nous dit pas quoi penser ni ressentir. C'est du pur Friedkin, ça passe ou ça casse, mais la typologie des profils me semble parfaitement correspondre aux idées anti-manichéennes du cinéaste, qui arrive quand même à nous foutre la boule au ventre pour des gens qui n'en méritent pas tant. On peut rester circonspect face au concept-même d'une association de fortune entre un terroriste palestinien, un braqueur, un tueur à gages et un simili Bernard Tapie, mais le hasard et les coïncidences font justement partie intégrante du propos fataliste. Proposer de tels personnages me semble moins relever d'une quelconque épate que d'une vision profondément pessimiste du monde (le scénar' est quand même signé Wallon Green, à qui l'on doit La horde sauvage), à une époque où on pouvait encore se permettre de politiser et ainsi transcender ce qui n'aurait pu être que de la série B. Pour moi, il faut bien voir le geste de colère et de nihilisme derrière ce choix de profils. En effet, ce qui fait le prix du film c'est bien que ce ne soient pas de simples durs à cuire, mais de véritables criminels sans scrupules, qui n'offrent aucune facilité d'empathie et me font voir en Sorcerer le stade terminal de la mise en doute des valeurs du Nouvel Hollywood initiée avec les voyous de Bonnie & Clyde. Pour un film d'aventures, on pouvait difficilement aller plus loin dans la déconstruction du héros et le triomphe simultané de Star Wars le rappelle parfaitement. Avoir à accompagner un tueur à gages et un terroriste, ce n'est pas qu'un simple argument de suspense ou de surenchère par rapport au film original, c'est la logique et une forme d'aboutissement d'une philosophie du récit très 70's. Par exemple, la compagnie pétrolière du film, Friedkin lui a donné la même logo que la maison de prod' qui finançait son film (Gulf + Stream), parce qu'il détestait ces gens-là. Tout le film baigne dans cet écœurement moral, qui a forcément une dimension politique.
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par AtCloseRange »

Bref, c'est chiant.
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Watkinssien
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par Watkinssien »

Demi-Lune a écrit :Années 70 oblige, qui ne croient plus en rien, les caractérisations des personnages n'ont donc plus rien à voir (et heureusement d'ailleurs) avec le film vieillot de Clouzot que Friedkin ne cherche pas à recopier :
Peut-être suis-je dans le faux (et si c'est le cas, désolé d'avance mon cher Demi-Lune :wink: ), mais il me semble que tu n'avais pas vu en entier le film de Clouzot. Comment affirmer qu'il est vieillot alors qu'il dégage encore une puissance dramatique rare?
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par AtCloseRange »

Y a pas de mullet.
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Demi-Lune
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par Demi-Lune »

Watkinssien a écrit :
Demi-Lune a écrit :Années 70 oblige, qui ne croient plus en rien, les caractérisations des personnages n'ont donc plus rien à voir (et heureusement d'ailleurs) avec le film vieillot de Clouzot que Friedkin ne cherche pas à recopier :
Peut-être suis-je dans le faux (et si c'est le cas, désolé d'avance mon cher Demi-Lune :wink: ), mais il me semble que tu n'avais pas vu en entier le film de Clouzot. Comment affirmer qu'il est vieillot alors qu'il dégage encore une puissance dramatique rare?
C'est vrai que je ne suis pas allé jusqu'au bout, mais par vieillot j'entends principalement le jeu d'acteurs (Charles Vanel...) et donc les caractérisations encore trop gentillettes, qui m'ont suffi pour subodorer que je trouverai difficilement mon compte. A côté du film nihiliste, sensoriel et cradingue de Friedkin, cette manière de faire tient mal la longueur. La meilleure illustration, c'est qu'on ne se farcit pas de Véra Clouzot, ici.
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par Watkinssien »

Plus le film de Clouzot avance, plus tout vole en éclat dans la caractérisation des personnages, Charles Vanel étant excellent dans cet exercice pas évident d'interprétation. Et au final, le film est autrement plus implacable que le Friedkin.

En revanche, je te rejoins sur l'aspect nihiliste et cradingue de ce dernier qui aide à maintenir un autre intérêt dans la mise en place de ce postulat, et c'est toute la force du film de 1977, malgré quelques excès narratifs.
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par AtCloseRange »

Demi-Lune a écrit :
Watkinssien a écrit :
Peut-être suis-je dans le faux (et si c'est le cas, désolé d'avance mon cher Demi-Lune :wink: ), mais il me semble que tu n'avais pas vu en entier le film de Clouzot. Comment affirmer qu'il est vieillot alors qu'il dégage encore une puissance dramatique rare?
C'est vrai que je ne suis pas allé jusqu'au bout, mais par vieillot j'entends principalement le jeu d'acteurs (Charles Vanel...) et donc les caractérisations encore trop gentillettes, qui m'ont suffi pour subodorer que je trouverai difficilement mon compte. A côté du film nihiliste, sensoriel et cradingue de Friedkin, cette manière de faire tient mal la longueur. La meilleure illustration, c'est qu'on ne se farcit pas de Véra Clouzot, ici.
En gros, tu pourrais dire la même chose de 99% de ce qui s'est fait avant les années 60. C'est comme dire "ça manque un peu de fesses". Enfin, je ne comprends pas l'argument d'autant que le Clouzot est très cash sur les relations humaines, plus que la majorité des films de son époque.
Si Le Salaire de la Peur est gentil, tu peux à peu près jeter tout le reste avec ce type de raisonnement.
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par cinephage »

C'est sans doute une question de sensibilité, mais je trouve la confrontation entre les personnages autrement plus dure, plus crue, dans le film de Clouzot que dans le Friedkin, où une espèce de solidarité tacite entre caïds semble régner... Une espèce de respect pour le savoir-faire de l'autre qui se rapproche un peu de l'ambiance des westerns italiens de la même époque (on va se tuer, mais je respecte ton lancer de couteau, et tu apprécies à sa juste valeur mon pédigrée de bandit recherché dans 28 états...).
Je n'ai rien contre, mais c'est moins méchant que les rapports de force tacites et cruels qui dictent les rapports d'autorité dans le Salaire de la peur.
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Roy Neary
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Re: Le Convoi de la peur - Sorcerer (William Friedkin - 1977

Message par Roy Neary »

Demi-Lune a écrit :Que des repris de justice se retrouvent tous dans un trou du cul du monde, ce n'est pas improbable dans la cohérence interne d'un film qui laisse entendre que le tenancier du bar est un ex-nazi. Je veux dire, cette dictature sud-américaine, c'est un refuge commode pour tous ceux qui souhaitent se faire oublier, et l'odeur du pétrole environnante attire les hommes les plus veules et les plus désespérés comme des charognards. Années 70 oblige, qui ne croient plus en rien, les caractérisations des personnages n'ont donc plus rien à voir (et heureusement d'ailleurs) avec le film vieillot de Clouzot que Friedkin ne cherche pas à recopier : on est ici dans une approche totalement desséchée et melvillienne (c'est presque du Michael Mann avant l'heure avec un fonctionnalisme qui fait que les personnages ne s'incarnent que dans l'exécution hyper concentrée de leur tâche) des personnages, qui ne nous dit pas quoi penser ni ressentir. C'est du pur Friedkin, ça passe ou ça casse, mais la typologie des profils me semble parfaitement correspondre aux idées anti-manichéennes du cinéaste, qui arrive quand même à nous foutre la boule au ventre pour des gens qui n'en méritent pas tant. On peut rester circonspect face au concept-même d'une association de fortune entre un terroriste palestinien, un braqueur, un tueur à gages et un simili Bernard Tapie, mais le hasard et les coïncidences font justement partie intégrante du propos fataliste. Proposer de tels personnages me semble moins relever d'une quelconque épate que d'une vision profondément pessimiste du monde (le scénar' est quand même signé Wallon Green, à qui l'on doit La horde sauvage), à une époque où on pouvait encore se permettre de politiser et ainsi transcender ce qui n'aurait pu être que de la série B. Pour moi, il faut bien voir le geste de colère et de nihilisme derrière ce choix de profils. En effet, ce qui fait le prix du film c'est bien que ce ne soient pas de simples durs à cuire, mais de véritables criminels sans scrupules, qui n'offrent aucune facilité d'empathie et me font voir en Sorcerer le stade terminal de la mise en doute des valeurs du Nouvel Hollywood initiée avec les voyous de Bonnie & Clyde. Pour un film d'aventures, on pouvait difficilement aller plus loin dans la déconstruction du héros et le triomphe simultané de Star Wars le rappelle parfaitement. Avoir à accompagner un tueur à gages et un terroriste, ce n'est pas qu'un simple argument de suspense ou de surenchère par rapport au film original, c'est la logique et une forme d'aboutissement d'une philosophie du récit très 70's. Par exemple, la compagnie pétrolière du film, Friedkin lui a donné la même logo que la maison de prod' qui finançait son film (Gulf + Stream), parce qu'il détestait ces gens-là. Tout le film baigne dans cet écœurement moral, qui a forcément une dimension politique.
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(Sauf pour le peu d'estime que tu manifestes pour le film de Clouzot. :lol: )
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