Trois hommes de nationalités différentes, chacun recherché par la police de son pays, s'associent pour conduire un chargement de nitroglycérine à travers la jungle sud-américaine.
Voilà le genre de remake intelligent qui ne fait pas dans la redite et qui fait donc plaisir à voir. Mis à part le déroulement général (présentation des personnages + thriller routier), et la dynamique de la seconde partie, il est difficile de reconnaître le boulot de Clouzot qui a réalisé
l'original. Dans les détails, ça n'a quasiment plus grand chose à voir comme je vais le montrer. Quant à dire quel est le meilleur des deux, difficile de répondre tant je les aime pour des raisons différentes, le premier pour sa longue introduction psychologique qui nous installe dans une sorte de torpeur nous préparant à la tension du lent périple de la seconde partie, et le second pour son atmosphère digne d'un Carpenter à l'aide de sa musique psychédélique et de séquences quasi fantastiques. Par contre la qualité du casting penche peut-être en faveur du second film tant cette fois-ci les deux équipes de camion sont équilibrées. Un petit mot sur le master (DVD Z1) que je trouve tout à fait regardable (malgré le recadrage) même si un rafraîchissement lui ferait du bien.
Le début n'a en commun avec sa première monture que dans sa description de personnages fortement différents issus d'une communauté internationale. Ici, au lieu de les rencontrer dans le trou à rats où ils vont atterrir, on les retrouve comme dans une préquelle, détaillant les raisons ou fatalités subies à cause desquelles ils ont du tout quitter. Ainsi, comme un film-choral, on passe d'un personnage à l'autre jusqu'à les retrouver tous ensemble sur cette drôle terre d'accueil au bord de la misère totale. Malgré l'intérêt de placer ces personnages dans la réalité, donnant ainsi une bonne raison pour la suite d'être aussi individualistes (malfaiteurs, terroristes, tueurs à gage, fraudeur), j'ai une légère préférence pour le film de Clouzot qui opte pour la représentation/mise à l'épreuve plutôt que pour la démonstration pure et simple des caractères. On les comprend mieux mais ça fonctionne moins par allusions et symboles, ce qui faisait aussi le charme de l'original.
Puis ensuite on les retrouve dans ce trou-du-cul perdu au milieu de nulle part, doté d'un contexte politique (la dictature militaire) qui était absent de l'autre version, accentuant encore le sentiment d'isolement du reste du monde. Cet endroit évoque le même type de pourriture et de crasse ambiantes, avec la grande différence qu'il n'y a aucun réel trait d'amitié entre les protagonistes, menés par l'unique désir égoïste de s'en sortir. D'autre part, il n'y a vraiment aucun charme ici-bas, alors que la population locale semblait dans l'autre version animée par une certaine joie de vivre. Bref, Friedkin accentue encore plus les raisons de chacun d'opter pour cette mission-suicide (qui est évoquée comme telle) qui va apparaître à eux, malgré la dangerosité de la mission. Le petit plus qui fait toute la différence, c'est la petite scène où on voit chaque conducteur s'affairer à son camion, le réviser méticuleusement, car c'est bien sûr leur outil de travail. Le look (peut-être influencé par
Duel de Spielberg) des camions est dément, de vraies ruines qui semblent animer par une mauvaise âme (ne pas oublier le titre original du film,
Le sorcier).
J'en arrive au clou du film, la partie routière. La musique de synthé (
Tangerine Dream) me faisant penser par exemple aux films de Carpenter, ou de manière plus proche,
L'exorciste, apporte un véritable plus au cadre de l'action, qui prend une direction plus fantastique que jamais : on est réellement au coeur de la peur, ce qui est un peu le but du film. Les séquences d'obstacle n'ont rien à envier à celles du film de Clouzot. Elles sont moins nombreuses, mais sont d'autant plus intenses, je pense notamment à celle du pont suspendu, qui figure certainement parmi l'une des plus impressionnantes du genre dans l'histoire du cinéma. Suivant de près les mouvements du camion, des chemins étroits couverts par la pluie, et empruntant des virages serrés, la claustrophobie règne paradoxalement dans cette jungle immense. Puis il ne faut pas compter cette fois-ci seulement sur les imprévus du trajet, mais aussi sur l'incontrôlable population locale. Contrairement au film de Clouzot, les personnages sont plus antipathiques les uns que les autres, et malgré tout, ce qui est une grande réussite, durant ces scènes de bravoure on se prend à avoir de la peine pour eux quand ça tourne mal. Pour terminer, le dénouement final est assez différent de l'original, que je préfère dans cette version. Elle va encore plus loin dans le sens du désespoir, et ce zoom sur la figure du survivant résume en effet tous les dégâts psychologiques traversés pour "gagner", là où la folie dans l'autre film stoppait brusquement pour reprendre ensuite avec un simple détachement du danger routier.