Stanley Kramer (1913-2001)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Nestor Almendros
Déçu
Messages : 24312
Inscription : 12 oct. 04, 00:42
Localisation : dans les archives de Classik

Message par Nestor Almendros »

LA NEF DES FOUS (1965)

Je suis loin de faire partie des fans du cinéaste, et ce SHIP OF FOOLS ne me fera pas changer d'avis. Cette histoire pachydermique a des allures de pièce de théatre à l'américaine, en tout cas telle que je la perçois dans certains films: démarche rocambolesque, gros sabots de rigueur, et surtout ennui sur toute la ligne. C'est apparemment un scénario original, mais ça lorgne vraiment sur le spectacle vivant.
C'est une sorte de "film choral" où se croisent différents personnages sur un paquebot allemand en 1930. Obligatoires réflexions sur le nazisme alors en développement, sur l'incrédulité, le courage, l'amour impossible, l'emprisonnement. Pour être franc je ne sais vraiment pas comment cataloguer ces différentes intrigues. Peut-être tout simplement par son titre LA NEF DES FOUS, "fools" en anglais voulant imbécile, idiot, dupe. Des personnages qui sont bêtes (Jose Ferrer, anti juif et probable futur nazi) ou sot (le juif qui n'a pas peur de rentrer en Allemagne), etc.

Ce qui est probalble c'est que Aaron Spelling s'est certainement de ce concept, en le tournant en comédie, pour sa série tv. Impossible de ne pas faire un rapprochement facile.

Malgré tout, le film offre un casting intéressant. Entre un Jose Ferrer presque grand-guignolesque, un Lee Marvin animal, une Vivien Leigh frustrée et alcoolique (personnage qui semble proche d'elle, c'est une impression), et une Simone Signoret future emprisonnée mais amoureuse du docteur de bord (probablement les meilleurs passages du film), on rattrape un peu de l'ennui scénaristique.
Autre détail: le film est entièrement tourné en studio dans de gigantesques décors.

Master moyen mais correct, parfois un peu sale. Noirs charbonneux. Pas grave pour un film oubliable...
Dernière modification par Nestor Almendros le 14 avr. 08, 10:15, modifié 1 fois.
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
Alligator
Réalisateur
Messages : 6629
Inscription : 8 févr. 04, 12:25
Localisation : Hérault qui a rejoint sa gironde
Contact :

Re: Stanley Kramer

Message par Alligator »

On the Beach (Le dernier rivage) (Stanley Kramer, 1959) :

Image
_______________

Après l'holocauste nucléaire, les survivants attendent l'arrivée fatale des nuages irradiants dans l'Australie seule espace préservé encore.
Dans ce contexte eschatologique, des personnages intégrent avec plus ou moins de malheur leur mort prochaine.
Cela donne quelques numéros attristés ou fatigués ou apeurés des personnages principaux. D'ailleurs le film souffre quelque peu de cette couleur artificielle. On dirait bien que le scénario fait la part belle à la tirade sur fond apocalyptique, à la recherche de l'oscar.
Reste une adorable rencontre entre un tout jeune veuf Gregory Peck et une alcoolique Ava Gardner. Belle et noire. Reste un Fred Astaire blême et mélancolique, à la philosophie trop incohérente à mon goût. Reste encore le jeu couple Perkins/Anderson qui peine à émouvoir, le personnage de la petite Donna Anderson manquant de caractère et de charme.

Stanley Kramer s'amuse à la caméra, avec d'audacieux mouvements et parfois de bien jolis cadrages.

Un bon petit film un brin trop long cependant.
someone1600
Euphémiste
Messages : 8853
Inscription : 14 avr. 05, 20:28
Localisation : Québec

Re: Stanley Kramer

Message par someone1600 »

Je ne crois pas avoir vu les autres films, encore, mais juste pour It's a mad mad mad mad world, ca vaut la peine, ce film est tellement hilarant. :D
Dernière modification par someone1600 le 7 juin 08, 13:31, modifié 1 fois.
Avatar de l’utilisateur
Kevin95
Footix Ier
Messages : 18363
Inscription : 24 oct. 04, 16:51
Localisation : Devine !

Re: Stanley Kramer

Message par Kevin95 »

C'est mad world. :wink:
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
someone1600
Euphémiste
Messages : 8853
Inscription : 14 avr. 05, 20:28
Localisation : Québec

Re: Stanley Kramer

Message par someone1600 »

Ola... qu'est ce que j'avais bu pour écrire 4 fois de suite bad au lieu de mad... :shock: :lol:
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25396
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par AtCloseRange »

Not as a Stranger
Ce premier film de Sanley Kramer n'a pas très bonne réputation. J'ai lu beaucoup d'avis négatifs sur la prestation de Robert Mitchum dans ce mélodrame médical (trop vieux, trop figé) alors que paradoxalement, je pense que c'est, au contraire, un de ses meilleurs rôles en jeune médecin égoïste et intransigeant.
On peut ajouter à ça un scénario qui dit des choses pas bêtes du tout (et pas si courantes) sur le métier de médecin.
Dans la distribution, en dehors d'une excellente et toujours touchante Olivia de Havilland (affublée pourtant d'une étrange perruque blonde et d'un accent suédois), on y retrouve de très bons Broderick Crawford et Charles Bickford. Et puis, même si c'est dans un rôle qu'elle a joué 100 fois et qu'ici il est assez réduit, il y a Gloria Grahame!
Pour son premier film, la réalisation de Kramer est relativement anonyme même si quelques scènes ici ou là se détachent. C'est plutôt du côté d'une photographie assez terne que j'irai chercher des reproches.
A voir donc ne serait-ce que pour la prestation de Mitchum.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18486
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par Profondo Rosso »

Le Dernier Rivage (1959)

Image

1964. Une guerre atomique a ravagé presque toute l'hémisphère nord de la planète. Un sous-marin américain fait alors escale en Australie. Mais les retombées radioactives se rapprochent lentement...

La fin du monde peut être racontée de bien des façons (spectaculaire, poétique) et s'inscrire dans des genres bien différents allant de la science-fiction au film catastrophe ou au drame. Avec Le Dernier Rivage, Stanley Kramer en offre une des visions les plus belle, intimiste mais aussi profondément déprimante. Le film est surtout une manifestation de l'engagement politique et de l'humanisme qui imprègne l'œuvre de Kramer qui plie cette adaptation du roman éponyme de Nevil Shute à sa vision d'une société rongée par la peur du nucléaire depuis Hiroshima et la course à l'armement ayant cours durant la Guerre Froide.

Image

On the beach nous plonge dans un monde sans espoir où tout es déjà joué. Une guerre atomique (dont on ne connaître jamais les cause, les tenants et les aboutissants pour mieux en souligner l'absurdité) a ravagé l'ensemble de la planète y a fait disparaitre toute vie. Seul l'Australie a survécu à la catastrophe mais c'est une terre en sursis où les premières retombées radioactives arriveront d'ici quelques mois, laissant ses habitants dans une angoisse latente. Dans ce contexte, le récit s'attache à quelques personnages et à leur réaction face à cette fin inéluctable. On y trouve les jeunes mariés et parents Peter (Anthony Perkins) et Mary (Donna Anderson), le vieux scientifique alcoolique et désabusé Julian (Fred Astaire) et surtout le couple entre Dwight Towers (Gregory Peck) et Moira Davidson (Ava Gardner). Lui est un capitaine de sous-marin américain qui a perdu sa famille dans la catastrophe et dont la solitude répond à celle de Moira, femme dépressive et alcoolique qui fait face à sa propre solitude alors que la fin approche. Stanley Kramer imprègne de manière progressive cette ambiance désenchantée. La vie continue dans un premier temps pour les personnages dans ce Melbourne bondés où se révéleront d'abord visuellement les manques matériels (la circulation délaissant les voitures pour les chevaux face à la pénurie d'essence) puis à travers le dialogues les échanges soulignent discrètement (Peck qui confond inconsciemment le prénom de sa femme et celui d'Ava Gardner) ou de façons appuyées (toutes les monologues désabusé de Fred Astaire) le malaise intérieur de chacun.

ImageImage

Pour le jeune couple, c'est l'acceptation que tout va s'arrêter alors qu'ils ont la vie devant eux qui se joue, l'aura juvénile et innocente d'Anthony Perkins et Donna Anderson (tous deux formidables) renforçant le sentiment d'injustice. Fred Astaire est lui au croisement de la culpabilité et de l'incompréhension quant à sa contribution au façonnement de l'arme nucléaire et à l'utilisation dramatique qui en a été faite, souligné par cette réplique : Qui a jamais cru que nous pourrions maintenir la paix en organisant notre défense avec des armes que toute utilisation rend suicidaire !. Le plus beau reste cependant la romance entre Gregory Peck et Ava Gardner où lui trouvera une forme de réconfort et elle connaîtra enfin l'amour, trop tard... Leurs hésitations et errances sont magnifiquement montrées par Kramer qui met vraiment en danger ses acteurs. Gregory Peck n'a sans doute jamais paru aussi vulnérable (la scène à la gare où il est au bord des larmes) et Ava Gardner se déleste de tout son glamour (sa beauté n'étant que plus authentique par cette fragilité affichée) dans ce rôle de femme abîmée par la vie, les traits tirée et la mine anxieuse (les critiques accusant Kramer d'avoir réussi à rendre Ava Garner moche...). Stanley Kramer dans les changements qu'il opère par rapport au livre rend l'ensemble encore plus sombre et pessimiste. Dans le livre il existe d'autres survivants à travers le monde avec lesquels les protagonistes communiquent quant ici ils sont définitivement seuls. Les rares motifs d'espérances sont balayés dans des moments de profondes désolation notamment lors de l'expédition où l'on apercevra un San Francisco réduit à l'état de ville fantôme.

ImageImageImage

L'enjeu n'est donc pas une survie possible mais l'acceptation que tout va s'arrêter et de savourer aux mieux les derniers instants. Pour les uns ce sera sous la forme d'une ultime poussée d'adrénaline (Fred Astaire et sa course automobile), d'autres n'y parviendront pas et notre couple vivra enfin pleinement sa passion. Là encore Kramer réserve quelques moment de pure flamboyance visuelle entre eux comme ce long baiser où la caméra tourbillonne autour de Peck et Gardner enlacés, où ce sublime final où ils se disent adieux à distance sur la plage. On pense d'ailleurs que Kramer conclura sur une note moins désespérée que le livre (où le personnage de Gardner se suicide seul avec des pilules lors de ce même moment d'adieu) mais c'est sans compter une chute implacable où l'on retraverse ce Melbourne également désertique à son tour (le thème romantique d'Ernest Gold disparaissant pour une rythique martiale implacable) . La mort a triomphé. On pourra trouver le message un peu trop lourdement appuyé (le film sorti simultanément dans dix-huit capitales mondiales pour signifier l'importance de l'évènement), le film sans doute trop long mais l'émotion est authentique et tient dans un équilibre miraculeux avec la beauté des images et la conviction des acteurs. Si parfois ses bonnes intentions ne donnent pars forcément les grands films espérés, cette fois en tout cas Stanley Kramer signe sans doute là son le chef d'œuvre. 5,5/6

ImageImage
Avatar de l’utilisateur
manuma
Décorateur
Messages : 3622
Inscription : 31 déc. 07, 21:01

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par manuma »

Bless the beasts & children de Stanley Kramer (1971)

Image


Douzième réalisation du producteur et réalisateur Stanley Kramer, Bless the beasts and children est l’adaptation du roman éponyme de Glendon Swarthout originellement publié en 1970. Les rôles principaux du film sont tenus par six jeunes comédiens dont deux débutants.

Titre assez peu commenté de la filmographie de Stanley Kramer, Bless the beasts and children est, sans surprise, une œuvre ambitieuse témoignant une fois encore de l’engagement progressiste de son prestigieux auteur. L’incompréhension du monde adulte face à une jeunesse largement oppressée semble être ici le grand sujet de société abordé par le film. Etablissant le parallèle avec ce malheureux troupeau de buffles condamnés à servir de cibles une bande d’excités de la gâchette, incapables de fuir lorsqu’on leur offre enfin la possibilité de franchir leur enclos, Kramer souhaite visiblement s’attaquer à certaines méthodes d’éducation qu’il juge archaïques et dangereuses, poussant insidieusement au conditionnement de l’individu.

Programme thématique chargé donc, auquel s’ajoute une évidente prise de position anti-armes dans cette sombre vision qu’offre le film d’une société reposant sur la loi du plus fort et du plus armé. Une vision que Kramer, volontiers provocateur, n’hésite pas à agrémenter de quelques séquences coup de poing, sans doute destinées à ceux qui, au fond de la classe, n’aurait pas tout suivi attentivement. Citons ainsi cette scène onirique d’introduction dans laquelle nos six héros se font abattre comme du bétail sous le feu généreusement nourri de quelques chasseurs du dimanche. Attention : message !

Bref, si l’on ne peut que louer l’engagement du cinéaste et la générosité de ses intentions, l’extrême réserve est en revanche de mise sur l’exécution. Comme à son habitude, Kramer a la main lourde dans le traitement. Aussi bien dans l’exposition pesante et appliquée de son propos que dans le systématisme de ses effets de style ringards annonçant chaque flash-back, son travail n’est pas à la hauteur de ses nobles ambitions. Le résultat se voudrait radical mais il n’arrive qu’à susciter une curiosité amusée parfois mêlée d’embarras.

A défaut d’autre chose, je retiendrais quand même l’agréable score de Perry Botkin Jr. et Barry De Vorzon, partition reposant sur deux thèmes très accrocheurs, dont l’un deviendra d’ailleurs le thème musical du célèbre soap-opera Les Feux de l’amour.
Dernière modification par manuma le 29 août 22, 22:25, modifié 2 fois.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99488
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par Jeremy Fox »

La Théorie des dominos (The Domino Principle) - 1977

Un ex du Vietnam condamné pour meurtre se voit offrir par de mystérieux membres du gouvernement l'occasion d'être libéré à condition d'accomplir pour eux une mission qu'ils ne lui dévoileront qu'au dernier moment.

Sans atteindre des sommets, ce film"de manipulation paranoïaque' souvent boudé (comme la plupart des films de Kramer ; injustement peut-être) n'est finalement pas déplaisant du tout. Il mélange en un peu plus de 1h30 film de prison, film d'espionnage, thriller et romance, le tout relativement bien écrit et bien réalisé. Stanley Kramer utilise avec beaucoup de talent les divers paysages et édifices à sa disposition ; ainsi les plans sous les piles du pont de San Francisco ou certains très grands plans d'ensemble (notamment ceux des séquences en hélicoptère) sont splendides. Ce film à également l'opportunité de nous faire voyager de San Francisco à Rio de Janeiro en passant par le Costa Rica, lieux dépaysants et ensoleillés. L'histoire, sans trop nous en dévoiler, est assez maligne pour être intrigante jusqu'au bout, et l'interprétation est excellente, notamment Gene Hackman dans sa grande période. Après, on trouvera peut-être la romance un peu trop longue (et les séquences aujourd'hui un peu kitsch), l'ensemble pas forcément captivant car néanmoins attendu, mais Stanley Kramer nous aura néanmoins offert un divertissement tout à fait honorable et en tout cas très plaisant. Très bonne BO aussi.

Ayant également bien apprécié Devine qui vient diner, je vais peut-être me replonger dans sa filmo qui m'est finalement assez méconnu.
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25396
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par AtCloseRange »

Je conseille: On the Beach, Jugement à Nuremberg , son premier Not as a Stranger et pourquoi pas La Nef des Fous.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99488
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par Jeremy Fox »

Jugement à Nuremberg - 1962

1948. Le Juge Haywood (Spencer Tracy) vient présider à Nuremberg un tribunal qui doit juger quatre magistrats allemands accusés de crimes contre l’humanité. Il va surtout chercher à comprendre comment Ernst Jannings (Burt Lancaster), un homme de loi intègre et respecté, a pu permettre de commettre de telles atrocités et comment le peuple allemand a pu fermer les yeux face aux crimes de masse abominables perpétrés par le régime Nazi. Pour se faire, en dehors du prétoire, il se lie d’amitié avec la veuve d’un général allemand (Marlene Dietrich) et va également rencontrer un certain nombre de civils. Lors de ce procès, l’avocat de l’accusation, le Colonel Lawson (Richard Widmark), va avoir fort à faire en affrontant celui de la défense, le charismatique Hans Rolfe (Maximilan Schell), qui estime que tout le monde a sa part de responsabilité dans le génocide qui a eu lieu durant la Seconde Guerre Mondiale. Les convictions de chacun vacillent un peu devant les questions soulevées lors du procès…

"En travaillant sur des thèmes généraux et en acceptant des compromis sur le choix des acteurs ou sur d’autres points pour rendre mes projets plus attrayants vis-à-vis des distributeurs, j’ai l’impression de ne pas m’être préoccupé de la composante artistique du spectacle cinématographique. En fait je me suis attaqué à des domaines trop vastes. J’ai détruit le monde entier dans Le Dernier rivage (On the Beach), j’ai abordé le thème racial dans La Chaîne (The Defiant Ones), j’ai parlé de la liberté d’enseignement dans Procès de singe (Inherit the Wind), j’ai enquêté sur les crimes contre l’humanité dans Jugement à Nuremberg (Judgment at Nuremberg). Et je crois que c’est pour cette raison que le résultat ne me semble pas satisfaisant" disait Stanley Kramer au milieu des années 60 ; et aux critiques surtout françaises de lui emboiter le pas. Il m’amuse de faire remonter cet extrait d'un entretien avec le réalisateur américain à chaque fois que j'aborde un de ses films car avec le recul il ne doit pas y avoir beaucoup de cinéastes qui au contraire n’auraient pas été fiers de compter un tel quatuor de titres au sein de leur filmographie. Bref, Stanley Kramer est un cinéaste à réhabiliter de toute urgence, non pas seulement parce qu’il était un progressiste et un humaniste mais également pour son talent de cinéaste. Avec le splendide On the Beach, nous en étions déjà convaincus ; Jugement à Nuremberg vient l’entériner !

Car outre les thématiques abordées et les passionnantes réflexions qui en découlent, il ne faudrait pas oublier que c’est en partie aussi grâce au talent du réalisateur et à sa maitrise de la mise en scène qu’un film de procès de trois heures quasiment en huis-clos aura pu nous captiver jusqu’au bout sans laisser percer une seconde d’ennui. L’intensité qu’il parvient à maintenir durant toute cette durée est due en partie à sa puissante grammaire cinématographique, à ses ingénieuses idées de montage et à ses partis pris de mise en scène qui pourront désormais pour certains paraitre parfois exagérés ou vieillots mais qui je trouve permettent au contraire à donner à ce récit assez austère un certain dynamise et pas mal de brio. La caméra sait rester immobile quant il le faut mais se permet à d’autres moments certains mouvements de grues assez spectaculaires ou d'efficaces déplacements circulaires autour des protagonistes, quelques cadrages assez baroques ou alors des zooms assez brutaux qui déstabilisent quelque peu et empêchent de faire retomber la tension. Donc malgré les craintes légitimes de beaucoup, pas de quoi être rebuté par un film procédural de 180 minutes car tous les éléments sont mis en place pour que le tout soit d’une remarquable fluidité et passe comme une lettre à la poste : que ce soit l’efficacité de la mise en scène, la justesse de la direction d’acteurs, la qualité d’écriture, le côté glaçant des situations et celui percutant des dialogues.

Jugement à Nuremberg comme son titre l’indique revient sur ces procès ayant eu lieu dans cette ville allemande durant les années qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale. Mais pas sur celui des grands criminels de guerre nazis tels Göring, Von Ribbentrop et bien d’autres mais sur les procès de 1947 mettant sur le devant de la scène leurs exécutants, c’est-à-dire les juges et procureurs allemands qui devaient faire appliquer les lois prises par le IIIème Reich et ainsi participer aux atrocités commises durant les années 40 incluant non seulement l’éradication du peuple juif mais également entre autres les diverses ségrégations ou la stérilisation de ceux jugés handicapés mentaux. A l’époque du tournage, soit moins de 15 ans après les évènements, la plupart des condamnés avaient été libérés ou pour certains aidaient le gouvernement américain à lutter contre le communisme ! Le scénariste Abby Mann dresse le portrait de toute une galerie de personnages bénéficiant tous d’une qualité d’écriture exceptionnelle, que ce soient les premiers ou seconds rôles, accordant à tous une large palette non stéréotypée, richement décrits, parfois ambigus… loin de tout manichéisme puisque parvenant même à nous rendre attachants certains accusés ou antipathiques certains de leurs antagonistes en principe du bon côté de la barrière, le principal étant l’avocat de l’accusation interprété par un excellent Richard Widmark, le Colonel Lawson s’avérant parfois trop sûr de lui, trop vindicatif, peu compréhensif et pas assez tolérant. Grâce à une importante documentation accumulée et fort bien restituée, grâce à l’intelligence du scénario, les motivations de chacun parviennent à être compréhensibles - ou tout du moins entendues -et les partis pris volent en éclats de part et d’autre. La force du discours politique et moral aboutit à une formidable et passionnante leçon d’histoire au cours de laquelle chacun des protagonistes - voire même chacun des spectateurs - doit faire son examen de conscience.

Les juges accusés sont-ils les seuls à avoir aidé le régime Nazi et avoir fermé les yeux sur leurs agissements ? Les exécutants étaient-ils aussi responsables des crimes de guerre que leurs donneurs d’ordre ? Y avait-il pour eux une possibilité de se rebeller ou de refuser de suivre les lois du régime ? La justice réside-t-elle dans ce qu’un homme croit juste en âme et conscience ou dans les lois établies par les autorités politiques d’un pays ? Les USA n’ont-ils pas commis des actes aussi barbares que ceux perpétrés par les nazis avec le soutien aux pratiques eugéniques, l’envoi des deux bombes atomiques sur le Japon ? Le régime de Staline n’a-t-il pas sa part de responsabilité dans le conflit mondial en signant le pacte germano-soviétique qui a permis l’invasion de la Pologne ? Pourquoi le monde occidental dans son ensemble n’a-t-il pas tenu compte de la lecture de Mein Kampf et a laissé se réarmer l’Allemagne en toute impunité malgré la folie destructrice qui se devinait dans le livre d’Adolf Hitler ? Pourquoi tant d’inaction et d’attentisme de la part de toutes les démocraties face à l’arrivée au pouvoir du Führer ? À quel point la crainte des représailles a rendu le peuple allemand aveugle ou n’était-il seulement pas au courant de cette bestialité institutionnalisée ? Qu’a-t-il bien pu se passer dans la conscience collective de tout un peuple ? Autant de questionnements que nous jette en pâture ce film riche à foison.

Jugement à Nuremberg n’est pas un film forcément aimable car il baigne dans un climat de malaise presque palpable tout du long, n’hésitant pas à nous remettre sous les yeux les images d’archives nauséeuses filmées à la libération des camps de concentration et qui prouvaient l’indicible horreur de ce qui s'y était passé. Le film dénonce surtout la responsabilité de tout un chacun et rappelle à la mémoire d’un monde trop enclin à l’oubli les atrocités commises par les Nazis. Un film coup de poing servi par une distribution hors pair, Maximilian Schell étant peut-être celui qui fait l’impression la plus saisissante dans le rôle difficile de l’avocat de la défense qui finit pourtant par emporter l’adhésion du spectateur – sans pour autant bien évidemment excuser les exactions des nazis - par la subtilité de son argumentaire et la puissance de sa plaidoirie ; à tel point que le comédien sera justement récompensé d’un Oscar. Ce qui ne doit pas faire oublier les admirables prestations de tous les autres, que ce soit Spencer Tracy dans le rôle d’un juge humble et intègre qui va être ébranlé par tout ce qu’il entend ; Burt Lancaster dans celui d’un accusé qui souffre de culpabilité et qui accepte son verdict même s’il pense que ceux qui le jugent n’ont pas à ressortir de l’épreuve la tête haute et qu’ils ont eux aussi leur part de responsabilité et les mains également tachées de sang ; Marlene Dietrich dans celui de la veuve d’un haut dignitaire allemand, ou encore Judy Garland et Montgomery Clift, deux victimes civiles collatérales du conflit mondial.

Un propos puissant et une réflexion d’une grande dignité sur la culpabilité de tout un chacun dans le conflit dévastateur qui a eu lieu au milieu du 20ème siècle. Des questions qui peuvent encore faire débat aujourd’hui concernant d'autres guerres ; n’empêche qu’à celle qui constitue la colonne vertébrale du film, à savoir à se demander si les juges sont aussi coupables que leurs dirigeants, le personnage joué par Spencer Tracy donne la réponse qui est également l’avis du cinéaste et de son scénariste : "Any person who is an accessory to the crime is guilty !" La banalisation du mal, la cruauté et la lâcheté de la nature humaine et les risques encourus par cet état de fait, d'autres réflexions lancées par ce film ambitieux, dense et dérangeant sur une page sombre de l’histoire mondiale qui fait d’autant plus froid dans le dos qu’il est toujours d’une angoissante et brulante actualité.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99488
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par Jeremy Fox »

La chronique par Philippe Paul de La Théorie des dominos qui vient de sortir en combo BR/DVD chez Elephant Films ; test effectué par Stéphane Beauchet.
Federico
Producteur
Messages : 9462
Inscription : 9 mai 09, 12:14
Localisation : Comme Mary Henry : au fond du lac

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par Federico »

Jeremy Fox a écrit : Ayant également bien apprécié Devine qui vient diner, je vais peut-être me replonger dans sa filmo qui m'est finalement assez méconnu.
Un cinéaste/producteur courageux mais qui ne brilla pas spécialement par sa subtilité. Ceci dit, le savoir-faire américain donne des résultats bien plus emballants et mieux emballés que du Cayatte ou du Boisset. A éviter : le pas drôle du tout et atrocement long Un monde fou, fou, fou (mais aussi quelle idée de s'être lancé dans une comédie...). Je reverrai bien par curiosité La théorie des dominos (je ne me souviens - vaguement - que de sa fin) même si ça ne doit pas pouvoir faire de l'ombre aux Coppola/Pakula/Pollack du même tonneau. Et puis toujours pas vu Le dernier rivage...
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99488
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par Jeremy Fox »

Federico a écrit :A éviter : le pas drôle du tout et atrocement long Un monde fou, fou, fou
Oui celui-ci me fut une sacrée purge ; et effectivement quelle idée de faire si long en plus ?! Mais concernant La Théorie des dominos, je suis totalement en phase avec la chronique de Philippe. Sa redécouverte la semaine dernière fut très agréable.
Avatar de l’utilisateur
Rick Blaine
Charles Foster Kane
Messages : 24074
Inscription : 4 août 10, 13:53
Last.fm
Localisation : Paris

Re: Stanley Kramer (1913-2001)

Message par Rick Blaine »

Federico a écrit : Un cinéaste/producteur courageux mais qui ne brilla pas spécialement par sa subtilité. Ceci dit, le savoir-faire américain donne des résultats bien plus emballants et mieux emballés que du Cayatte ou du Boisset.
Oui, surtout pour Cayatte auquel je le trouve comparé de manière impropre. J'ai des doutes sur le cas de Boisset, est-ce que ce sont ses limitations techniques qui font que ses films sont mal "emballés" ou est-ce un manque de moyen ? Quand on voit, dans deux genres différents, Un Condé et Allons z'enfants, on se dit tout de même que le monsieur n'est pas manchot et à un certain sens de l’esthétique. Cayatte lui me semble presque systématiquement lourdingue.
Pour en revenir à Kramer, lui sait insuffler une vraie dynamique à ses films. La Théorie des Dominos le prouve, et il contient quelques plans remarquables sur le plan visuel.
Federico a écrit : Je reverrai bien par curiosité La théorie des dominos (je ne me souviens - vaguement - que de sa fin) même si ça ne doit pas pouvoir faire de l'ombre aux Coppola/Pakula/Pollack du même tonneau.
Ca ne leur fait pas de l'ombre, car ces films sont des chefs d’œuvres, mais Kramer n'a pas à rougir de la comparaison non plus. Paradoxalement (quand on pense à l'engagement de certains de ses films), c'est une œuvre qui me semble moins politique et moins inquiétante que celles que tu cites, elle relève plus du divertissement. Mais c'est de l'excellent divertissement.
Répondre