Le Bonheur (Marcel L'Herbier - 1935)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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francis moury
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Le Bonheur (Marcel L'Herbier - 1935)

Message par francis moury »

Je viens de revoir ce film que Brion a pas mal diffusé dans ses divers cycles Marcel L'Herbier depuis les années 1975-1980 où je l'avais vu pour la première fois. À cette époque, vers 1976-1980, Lise Frenkel m'avait aimablement proposé de m'emmener voir L'herbier un après-midi et j'avais absurdement décliné l'offre en lui répondant en substance que je me serais déplacé pour Fisher, Corman ou Bava mais que le cinéma français m'avait toujours profondément ennuyé. Réponse d'adolescent imbu de lui-même que je déplore encore aujourd'hui...

J'étais donc à moitié endormi devant ma télévision et la chanson qui est aussi le thème musical a fait "tilt" : les yeux toujours fermés je me disais que j'avais "tout de même déjà entendu ça" dans ma jeunesse au cinéma de Minuit justement, je les ai donc ouvert et j'ai vite reconnu le film. Je m'en rappelais assez bien pour son début mais je ne me souvenais plus du tout de ce qui allait se passer après le procès de Charles Boyer ni de l'évolution de ses rapports avec celle qu'il avait voulu tuer pour affirmer son nihilisme.
J'ai donc tout revu avec le plus grand plaisir cinématographiquement parlant car le film est admirablement mis en scène mais à l'issue de la diffusion je pèse le pour et le contre. Et je vous en fait donc part...

Chef-d'oeuvre ou navet ?

1) On pourrait penser la première chose à cause de l'évidente mise en abyme du cinéma et de l'idée de représentation qui est au coeur de l'intrigue du film. Toutes les actions et tous les rebondissements sont bel et bien motivés par le rapport à l'image de soi-même et le rapport à celle qu'on a d'autrui dans un fatal engrenage très désabusé. L'amour fou et la mort semblent cotoyer la recherche totale et absolue de la pureté. Par delà une critique acerbe de la société de l'époque et des milieux de la justice, du music-hall, du cinéma, L'herbier livre aussi une vision romantique de l'amour - celui de la jeune coiffeuse pour Boyer - et une vision intellectuelle cynique d'un amour tout différent - celui de la vedette pour son ex-assassin anarchiste, dégoûté quand il voit que cet amour est utilisé pour un film avec l'assentiment tacite de celle qu'il aime mais dont le métier est justement d'être actrice.

2) On pourrait penser la seconde si on sait que L'herbier considérait cette période (celle postérieure aux années 1918-1928) de son oeuvre comme nulle et non avenue à tous points de vue. Mais on ne peut pas s'en tenir à une telle vision d'un auteur sur son oeuvre : ce ne serait qu'une indication à contrôler mais à ne pas accepter a priori. Donc a posteriori, on peut aussi considérer que tout cela est certes bien filmé, très bien joué, mais totalement gratuit à tous les niveaux et qu'il s'agit d'un roman-photo mis en scène en images animées afin de satisfaire un peu les intellectuels gidiens, un peu le public populaire, et un peu le public mi-populaire mi-intellectuel de 1934, en tenant compte des conventions narratives et cinématographiques de l'époque - aujourd'hui souvent involontairement comiques quand elles prétendent peindre normallement la réalité et ennuyeuses quand elles prétendent être comiques ou poétiques - avec lesquelles le film jouerait sans cesse habilement mais avec une habileté justement trop habile pour ne pas être découverte et dénoncée ?

Votre avis si vous l'avez revu ce soir ? Chef-d'oeuvre ou navet ?
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DirtyTommy
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Message par DirtyTommy »

Cher Francis, votre post m'intéresse bien... Je me suis bien gardé de le lire car j'ai enregistré ce film de Marcel L'Herbier au Cinéma de Minuit de Brion et je voudrais d'abord le voir. J'ai également enregistré Les Hommes Nouveaux sur lequel, je me ferais un plaisr de débattre également...
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Message par DirtyTommy »

Bon, cher Francis Moury, je viens justement de découvrir le film.
Je vais répondre tout en sachant que je n'ai pas la même connaissance du cinéma de L'Herbier que toi... À ce jour, je n'ai vu que 2 films de lui : Le Bonheur et La Nuit Fantastique que j'aime beaucoup.

À mon sens, je serais plus enclin à pencher pour le chef d'oeuvre. Il ya des qualités de mise en scène évidente. La première heure est proprement stupéfiante avec son "surdécoupage", ses cadres penchés, le travail sur la lumière et les ombres... Je note aussi la séquence au tribunal qui a su combler l'amateur de films de procés que je suis.

Ensuite, au niveau du discours, je le trouve résolumment moderne. Oui, j'ai retrouvé cette description de l'amour romantique, ses touches de poèsie également présent dans La Nuit Fantastique. Je ne sais pas qu'elles étaient les orientations politiques de L'Herbier ; je crois d'après les discours répétés par Brion qu'il était plutôt à gauche. Partant de ce point de vue, je dirais que cela se sent dans son film. J'irais même jusqu'à dire que L'Herbier avait des sympathies anarchistes.

Le titre Le Bonheur se révéle être parfaitement ironique : réside-t-il dans l'admiration d'une image factice d'un être humain (l'actrice qui se caricature sans s'en rendre compte sauf à un moment du film) ? Réside-t-il dans l'amour de deux être paradoxalement rapprochés par leurs différences ?
En regardant ce film, j'ai pensé à un autre qui discoure hypocritement sur la société de consommation : Fight Club. La comparaison peut sembler incongrue. Mais dans Fight Club (le film et non le livre), le bonheur réside dans l'amour, la vie de couple, le conformisme crasse en opposition avec l'engagement politique contestataire (l'anarchisme). Dans le film de L'Herbier, l'amour ne régle rien. On vit bel et bien dans un monde factice de représentation et d'images comme nous le montre le dernier plan. Le personnage de Lutcher retourne à ses convictions politiques après avoir goûté un peu du bonheur. Bonheur qu'il avait auparavant partagé avec Louise, la petite blonde amoureuse de lui, lors d'une soirée au théâtre...

En fait, je vois dans Le Bonheur, un véritable discours cynique sans échappatoire, sans lueur d'espoir... La seule lueur du film est celle du projecteur qui projette l'image de Clara Stuart sur l'écran... On reste dans la consommation.

C'est une analyse à chaud, vite résumée mais qu'en penses-tu cher Francis Moury ?
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Pour Dirty Tommy

Message par francis moury »

Eh bien ça développe l'aspect très contemporain de réflexion sur la représentation qu'on peut, en effet, trouver dans le film, cher Dirty Tommy :) ... d'ailleurs en y repensant la chanson elle-même pointe vers ce sens profond du film : "Le bonheur n'est plus un rêêêêêveeee.... le bonheur est là, tout prèèèèèès...." mais en fait cette dénégation est peut-être bien, en effet, ironique : le bonheur demeure un rêve (une représentation mentale) et ne peut passer à la réalité qu'imparfaitement dans la société telle qu'elle est décrite. C'est un film étonnant ce L'Herbier, hein ?
Comme quoi la modernité n'est pas si moderne : mais ça on le savait déjà...
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francis moury
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Et sur ce...

Message par francis moury »

Je te laisse : je vais visionner le DVD test de... DEVIL'S BRIGADE [La brigade du diable] (USA 1968) d'Andrew McLaglen :D avec une pensée émue pour Lord Henry :) à qui je compte bien faire changer d'avis sur ce film de guerre que je n'ai pas vu depuis mon adolescence et dont je garde un souvenir brutal et âpre qu'il me tarde d'actualiser 8)
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Message par Ben Castellano »

Je signale l'étude parue cette semaine dans Cinetudes concernant ce film de l'Herbier:

http://www.cinetudes.com/index.php?acti ... &numero=87
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Message par 2501 »

Où peut-on se procurer des films de l'Herbier ??

Existe-t-ils en dvd ?
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Message par bruce randylan »

2501 a écrit :Où peut-on se procurer des films de l'Herbier ??

Existe-t-ils en dvd ?
De sur il existe ElDorado en Z2 dans une trés bonne édition Gaumont numéroté et limité ( 50.000 il me semble ) déjà plus trés jeune ( dans le style du fabuleux Coffret Fantomas - j'ai les deux :) ).
il s'agit d'un mélodrame assez joli et réussi mais qui vaut surtout pour son coté avangardiste.

Il existe aussi aparament un de mes films préféré La nuit fantastique en Z1, mais je ne sais rien du dvd.

Pour en revenir à L'Herbier, comme je viens de le dire, je suis un grand fan de la Nuit fantastique. j'ai enregistré ce Bonheur que j'ai toujours pas vu, mais les trois 1er plans que j'ai vu avait l'air trés bien...

En revanche j'ai raté la diffusion de l'argent sur Arté il y a deux ou trois ans :cry: .
les hommes Nouveaux, les critiques étaient trop reservés ( pour ne pas dire mauvais ) pour ne pas avoir motivé l'enregistrement.
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Re: LE BONHEUR (Fr. 1934) de Marcel L'Herbier ?

Message par Supfiction »

Ten Years After..

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Quelqu'un l'a acheté ?
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Re: LE BONHEUR (Fr. 1934) de Marcel L'Herbier ?

Message par Commissaire Juve »

Supfiction a écrit :Ten Years After..

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Quelqu'un l'a acheté ?
Pas moi. Pas pour l'instant. Je suis le cœur de cible, mais : 1) Charles Boyer et Gaby Morlay... j'ai connu plus excitant ; 2) je ne peux plus suivre financièrement parlant (ce n'est donc pas un achat prioritaire). Accessoirement, à chaque fois que je vois cette jaquette sinistre, je me demande s'il s'en est vendu beaucoup. :?
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Re: Le bonheur (Marcel L'Herbier - 1934)

Message par cinephage »

acheté mais pas encore visionné (je crois qu'il y a un autre topic au sujet de cette pratique :oops: )...
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Re: Re : Le bonheur (Marcel L'Herbier - 1934)

Message par tenia »

Acheté à sa sortie, vu et c'était bien sympa même si ça perd en puissance et originalité cynique en fin de film.
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Re: Re : Le bonheur (Marcel L'Herbier - 1934)

Message par Supfiction »

tenia a écrit :Acheté à sa sortie, vu et c'était bien sympa même si ça perd en puissance et originalité cynique en fin de film.
Donc il y a bien de l'ironie dans le film retranscrite dans la couverture sinistre ? Je ne connais pas du tout le film.
Mais j'aime bien Charles Boyer, surtout dans ses films avec Irene Dunn (je viens de voir le très sympathique Together again).
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tenia
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Re: Le bonheur (Marcel L'Herbier - 1934)

Message par tenia »

Oui, il y a surtout du cynisme à travers une longue scène de tribunal où Boyer explique la vie avec cynisme à une foule fortement voyeuriste.
Après, la couverture sinistre va avec le côté sinistre que traîne le personne de Boyer une bonne partie du film. Il ne joue clairement pas un boute-en-train.
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Re: Le bonheur (Marcel L'Herbier - 1934)

Message par joe-ernst »

J'en ai visionné une partie hier soir et je me suis demandé si d'autres avaient remarqué un léger décalage entre le son et l'image dans certaines scènes ?
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
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