Alan Ladd (1913-1964)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Alan Ladd (1913-1964)

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Le western du week-end : Les hors-la-loi de James B. Clark sorti en DVD chez Sidonis.
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Profondo Rosso
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Re: Alan Ladd (1913-1964)

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Tueur à gage de Frank Tuttle (1942)

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Un tueur à gage, Phillip Raven (Ladd) abat un industriel, un informateur de la police et se rend rapidement compte qu'il a été payé avec de l'argent sale. Poursuivi par la police, Raven rencontre lors de son voyage pour Los Angeles, Ellen Graham (Veronica Lake) qui n'est autre que la fiancée de l'inspecteur qui le traque. Pourtant Ellen qui est une magicienne et chanteuse dans les clubs de nuit lui sera d'une grande aide, car Raven veut retrouver son commanditaire Willard Gates, un patron de club de nuit et se venger.

Tueur à gage est un remarquable film noir qui signe l'acte de naissance cinématographique d'Alan Ladd, au point d'indiquer un mensonger "introducing" à son nom au générique alors que sa filmographie est entamée depuis les années 30. Le physique frêle de l'acteur avait jusque-là freiné son ascension mais entre le script malin, la complicité avec son réalisateur Frank Tuttle qui saura tirer le meilleur de lui et l'alchimie à l'écran avec Veronica Lake (qui sera sa partenaire ensuite sur La Clé de verre (1942) et Le Dahlia bleu (1946)), tous les éléments semblent enfin réunis pour le mettre en valeur à l'écran.

Ladd incarne ici Raven, un tueur à gage glacial bien décidé à se venger de son commanditaire Williard Gates (Laird Cregar) qui l'a piégé après son dernier "job" afin de le réduire au silence. Raven entraîne dans sa vendetta Ellen Graham (Veronica Lake), une artiste doublement impliquée puisque petite amie du policier (Robert Preston) traquant le tueur et jouant dans le club de Williard Gates. Le scénario astucieux entremêle habilement course-poursuite aux échos politiques surprenants et exploration de la psychologie torturée de Raven. Alan Ladd lui amène un détachement sacrément intimidant dans sa brutalité (le double meurtre d'ouverture) contrebalancé par une vulnérabilité s'exprimant face aux plus faibles. Cela se fait sans jamais atténuer la dangerosité du personnage, la bascule de la magnanimité à la violence ne tenant toujours qu'à un fil : il s'excuse presque tout en abattant néanmoins la femme présente avec sa cible, un geste ambigu laisserait croire qu'il est prêt à tuer un enfant et même la future alliée Veronica Lake n'est pas loin d'y passer. Raven semble toujours sur la corde raide mais fascine tant cette violence semble une protection, l'émanation d'un caractère plus fragile qui empêche le personnage d'être totalement détestable. Alan Ladd exprime parfaitement l'écart entre son allure intimidante et son physique malingre (la tare de son poignet en rajoute une couche), tout le film dressant une dualité sur son caractère à partir de cet aspect. Exprimant sa seule affection à son chat, animal solitaire et indépendant comme lui, il peut tout aussi bien tordre le cou de l'animal si ce dernier peut signaler sa présence la police. Cela fonctionne aussi chez les méchants, Laird Cregar et sa carrure de colosse incarnant un couard précieux tandis que Tully Marshall vieillard malade cloué à son fauteuil est le symbole presque démoniaque du mal absolu.

L'humanisation de Raven se fera au contact de Veronica Lake, sa douceur et fidélité l'amenant à s'ouvrir et révélé les origines de sa violence. Pétillante et déterminée, l'actrice est parfaite, la partenaire idéale pour Alan Ladd. Le scénario de W. R. Burnett et Albert Maltz est rondement mené, le premier amenant toute sa science du film noir (on lui doit les scripts du Petit César (1931) et dont il a écrit aussi le roman) ou Scarface (1932) dans la brutalité et l'inventivité des situations comme ce moment glaçant où Raven tient une femme de chambre en otage dans une cabine téléphonique. Albert Maltz, un des futurs Dix d'Hollywood amène lui une dimension politique où l'aspect propagande incitant à l'engagement (le film est tourné avant Pearl Harbor) se contredit par la façon de fustiger les symboles capitalistes synonymes de traitrise et penchant du coup plus vers le communisme. Frank Tuttle penchant également à gauche amène une conviction rageuse à ses moments, en faisant le moteur de la rédemption de Raven finalement mieux amené par exemple qu'un autre chef d'œuvre du noir comme Le Port de la drogue avec Richard Widmark. La manière d'exprimer ce message sans lourdeur sera l'esthétique impressionnante du film. On basculerai presque dans le fantastique durant la séquence où Raven vient traquer Gates dans sa demeure avec ce tonnerre éclairant de façon expressionniste et gothique le décor (magnifique photo de John F. Seitz), l'arrivée dans le bureau de Tully Marshall semble comme nous faire pénétrer dans un monde surréaliste et dangereux et le décor de l'usine semble un dédale sacrément tortueux. Cette inventivité fera des émules à long terme puisque le film est une inspiration avouée de Jean-Pierre Melville pour Le Samouraï (1967), le mimétisme entre les ouvertures deux films (le réveil, Ladd et son chat/Delon et son canari, leur gestuelle respective et la manière d'occuper le décor) étant frappant. 5/6
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Profondo Rosso
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Smith le taciturne de Leslie Fenton

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Luke Smith, employé par une compagnie de chemins de fer est à la poursuite des frères Barton. Blessé au cours d'une attaque de train, Murray Sinclair, un vieil ami, le ramène chez lui pour le soigner. Smith découvre que Murray a pour relation un certain Rebstock, criminel qui cache le dernier des frères Barton. Smith essaye de faire revenir Murray dans le droit chemin.

Whisperring Smith constitue une étape fondamentale dans la carrière d'Alan Ladd puisqu'il s'agit de son premier western, genre qui assoira sa popularité dans les années 50 notamment avec le mythique Shane de George Stevens (1953). Alan Ladd s'était auparavant imposé de longue haleine via le film noir, sa beauté et présence menaçante surmontant un physique malingre dans des réussites comme Tueur à gages (1942), La Clé de verre (1942) ou Le Dahlia bleu (1946). Le film de Leslie Fenton va donc lui conférer une nouvelle incarnation où son côté dure à cuire torturé s'orne du dimension plus héroïque et iconique dont le sommet sera Shane. La star incarne ici un personnage réel avec ce Luke Smith, détective privé des chemins de fer à l'existence tumultueuse. Le personnage avait déjà connu deux transpositions à l'écran et aura même droit à une série télévisée de 26 épisodes où il sera incarné par Audie Murphy.

Les premières minutes montre d'ailleurs à travers deux scènes l'attrait du danger ainsi que l'aura mythique qui entoure la figure de Luke Smith. Froidement abattu par trois hors-la-loi qu'il poursuivait puis plus tard élogieusement évoqué par son ancien acolyte Murray (Robert Preston), Smith exprime dans la scène de descente de train cette dimension chaleureuse et menaçante ou après de truculente retrouvailles il retrouve ses réflexes de justicier pour froidement abattre ses proies. C'est précisément le sujet du film avec un Smith partagé entre ses liens avec Murray et son devoir qui l'incite à se méfier des dangereuses fréquentations de son ami. Leslie Fenton, ancien acteur passé à la réalisation, tisse avec patience et subtilité le contexte et les interactions entre les personnages. Tout ce qui rend truculent le personnage de Murray s'entoure ainsi d'une suspicion discrète (les cigares qu'il offre aux du chemin de fer), tout comme la détermination froide de Smith est atténuée par son affection pour Murray et l'ancienne romance avortée avec son épouse Marian (Brenda Marshall) - que nous comprenons dans un beau dialogue allant de l'allusif au regret sincère. Leslie Fenton développe ainsi la différence avec le bras de la justice impitoyable qu'incarne Smith et celui plus malléable et donc possiblement corruptible qu'est Murray. Entre eux se dessine des mentors purement bienveillants (Bill et Emmy en sorte de parent de substitution pour les deux "frères" ennemis) ou totalement maléfique avec un Donald Crisp vil tentateur et un glaçant Frank Faylen jouant le bien nommé Du Sang, inquiétant tueur blond.

Leslie Fenton développe ainsi une progression habile et logique avec tous ces éléments dont les rebondissements vont croissant et dans un parallèle dramatique inéluctable. Le petit arrangement sur des cigares donne un racket désinvolte puis une attaque de train pour un Murray dévoyé, la fusillade fulgurante d'ouverture conduit à un duel final cathartique entre les héros. Le réalisateur pose une atmosphère intimiste où le conflit intime prévaut sur l'action sèche et brutale (y compris par économie de moyen avec ces déraillements de train elliptiques), le clou étant moins la punition expédiée des infâmes Donald Crisp et Frank Faylen que la fratricide confrontation finale. On sera une nouvelle fois agréablement surpris de l'efficacité et concision (le tout dure 1h25 à peine) des grands westerns de l'époque pour mener à terme des intrigues aussi riche. Une belle réussite ! 5/6
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Jeremy Fox
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