Le cinéma japonais

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Et c'est reparti pour la Shintoho à la MCJP ! :)

Le mystère du cuirassé Mutsu (Kiyoshi Komori - 1960)
Image

Fleuron de la flotte japonaise et symbole de la puissance militaire du pays, le cuirassé Mutsu fut coulé par une explosion inexpliquée en 1943. Le scénario propose donc une explication totalement inventée pour raisons dramatiques.

Alors pour ceux qui me suivent avec fidélité, vous vous rappelez sans doute que Kiyoshi Komori (aussi connu sous le nom de Haku Komori) a réalisé L'enfer d'Okinawa, affligeant film de guerre patriotique.
Et bien ce n'est pas de Cuirassé Mutsu qui va venir réévaluer le cinéaste. Cela dit le film est mieux réalisé, bénéficiant sans doute d'un budget un peu plus confortable et d'une équipe technique mieux rôdée. On trouve par exemple des scènes de raids aériens qui mélangent habilement images d'archives et séquences tournés (stock-shots ?) dans un montage très nerveux et percutant.
La photo n'est pas trop mal non plus et le cinéaste livre quelques plans inspiré. Curieusement, ce n'est pas du tout dans le registre du film de guerre qu'ils se situent mais dans le polar. Il y a un stupéfiant plan de quelques secondes avec des pistolets surgissant en amorces des deux coins du cadre pour tirer sur des espions dans l'arrière plan. Mais pour quelques fulgurances (dues à un réalisateur de seconde équipe ?), il faut se farcir une réalisation très académique et frigide.
Pourtant le scénario aurait pu donner quelques choses de passionnant avec des espions occidentaux qui utilisent des pacifistes pour dynamiter le cuirassé. C'était sans compter des rebondissements répétitifs à la limite du cartoon (la chaussure explosive :lol: ), des personnages mal écrits (l'histoire d'amour ne fonctionne pas), sans profondeur (les méchants inexistants) et joués par des acteurs manquant de conviction malgré quelques officiers un peu plus nuancés comme Bunta Sugawara tout jeune.

Après, les 20 dernières minutes ne sont pas trop mal dans sa tentative de créer un suspens avec une bombe sur le point d'exploser tandis que les officiers comprennent doucement le drame à venir et lancent une course contre la mort. Mais là aussi, la réalisation est trop maladroite pour que a tension fonctionne pleinement.
Volontairement ou non, le cinéaste rappelle dans les dernières secondes du film que les vrais raisons de l'explosion sont toujours inconnues... Une manière de reconnaître l'inutilité de son œuvre ?


Lettre d'amour (Kinuyo Tanaka 1953)
Image

Dans le japon d'après-guerre, un ancien soldat essaye de trouver de quoi vivre. Maîtrisant l'anglais, il loue ses services à des japonaises qui désirent relancer leurs amants américains. Ironie d'un sort, il vit hanté par le souvenir d'une lettre que lui adressé une ancienne voisine, désormais veuve et qui lui déclare son amour.

Première réalisation de Kinuyo Tanaka qui fut longtemps l'égérie, pour ne pas dire la muse, de Kenji Mizoguchi. Pourtant ce dernier fut loin de la soutenir à passer derrière la caméra et lui mit même plusieurs bâtons dans les roues pour empêcher sa carrière de cinéaste de continuer (et ne lui confia presque plus de rôle dans ses films). Par chance, d'autres de ses confrères l'aidèrent comme Mikio Naruse qui en fit son assistante sur Frère et soeur et Keisuke Kinoshita qui lui écrivit son scénario (son second film fut également scénarisé par Yasujiro Ozu.
De plus on trouve en générique plusieurs guest-stars plus ou moins long comme Chisu Ryu qui fait vraiment de la figuration pour quelques secondes. Kinuyo Tanaka joue elle-même un petit rôle qui n'est pas sans avoir quelques échos autobiographiques (en évoquant son âge et quelques polémiques sur sa carrière).

Tout ça n'est pas très important au final. Ce qui compte, c'est que Lettre d'amour est un très bon film, très audacieux pour l'époque. En effet, en 1953 les Etats-Unis lèvent la censure qu'il imposait sur la production cinématographique et Tanaka en profite pour faire un film social, tournant en majeure partie en décors naturelles, directement dans les rues, captant un Japon encore en convalescence. Naruse ira bien-sûr plus loin avec Nuages flottants mais on peut se demander si son ancienne assistante ne l'aura pas inspiré en retour d'autant qu'il embauche le même acteur, Masayuki Mori.

Tanaka a en tout cas un vrai regard de cinéaste et sait avec talent intégrer ses personnages dans l'environnement et le décor, permettant de valoriser de nombreuses séquences : la dispute près d'une immense arche en bois, la conversation sur le bord d'une rive séparant, les petites ruelles commerçantes, l'héroïne en pleure contre un grillage délimitant des immeubles en construction (avec un effet de lumières expressionniste sur des phares de voiture éclairant son visage). La plus jolie scène met en scène les retrouvailles dans un métro surpeuplé qui introduit un flash-back avec une double idée géniale de réalisation : la caméra dans le wagon qui laisse les deux protagonistes à quai avant que les fenêtres ne permettent d'enchaîner les images du passé.
Le film ne cherche pas à être un mélodrame et on peut même regretter que l'approche un peu distante et pudique annihile un peu l'émotion mais ca vient en partie du choix scénaristique de mettre en avant Masayuki Mori dont la psychologie est très complexe, à la fois profondément amoureux mais écœuré d'avoir survécu à la guerre et dégouté par la prostitution des japonaises envers les américains, renforcé par l'occidentalisation des mœurs. Le script possède à ce titre de nombreuses idées originales qui ancrent parfaitement le film dans son époque : la collocation presque obligée, les lettres en anglais pour soutirer un peu d'argent aux GI's, la spéculation sur les revues américaines... C'est de plus très bien intégré au récit, comme les costumes du héros qui retranscrivent très bien son humeur (la cravate mal nouée, le col de chemise trop serré, un kimono remplaçant son costume de ville).

Ca n'a pas la force émotionnelle de Mère éternelle mais la maitrise de la réalisation, la qualité de son interprétation et son scénario dénué de manichéisme en font un très beau film, surtout pour une première réalisation.
Si je rajoute http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... de femmes, j'ai vu la moitié des films réalisés par Tanaka (et j'en possède deux autres en fansub) :)
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Commissaire Juve
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Message par Commissaire Juve »

bruce randylan a écrit :Et c'est reparti pour la Shintoho à la MCJP ! :)

Le mystère du cuirassé Mutsu (Kiyoshi Komori - 1960)
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Fleuron de la flotte japonaise et symbole de la puissance militaire du pays, le cuirassé Mutsu fut coulé par une explosion inexpliquée en 1943. Le scénario propose donc une explication totalement inventée pour raisons dramatiques.

Alors pour ceux qui me suivent avec fidélité, vous vous rappelez sans doute que Kiyoshi Komori (aussi connu sous le nom de Haku Komori) a réalisé L'enfer d'Okinawa, affligeant film de guerre patriotique.
Et bien ce n'est pas de Cuirassé Mutsu qui va venir réévaluer le cinéaste. Cela dit le film est mieux réalisé, bénéficiant sans doute d'un budget un peu plus confortable et d'une équipe technique mieux rôdée. On trouve par exemple des scènes de raids aériens qui mélangent habilement images d'archives et séquences tournés (stock-shots ?) dans un montage très nerveux et percutant.
La photo n'est pas trop mal non plus et le cinéaste livre quelques plans inspiré. Curieusement, ce n'est pas du tout dans le registre du film de guerre qu'ils se situent mais dans le polar. Il y a un stupéfiant plan de quelques secondes avec des pistolets surgissant en amorces des deux coins du cadre pour tirer sur des espions dans l'arrière plan. Mais pour quelques fulgurances (dues à un réalisateur de seconde équipe ?), il faut se farcir une réalisation très académique et frigide.
Pourtant le scénario aurait pu donner quelques choses de passionnant avec des espions occidentaux qui utilisent des pacifistes pour dynamiter le cuirassé. C'était sans compter des rebondissements répétitifs à la limite du cartoon (la chaussure explosive :lol: ), des personnages mal écrits (l'histoire d'amour ne fonctionne pas), sans profondeur (les méchants inexistants) et joués par des acteurs manquant de conviction malgré quelques officiers un peu plus nuancés comme Bunta Sugawara tout jeune.

Après, les 20 dernières minutes ne sont pas trop mal dans sa tentative de créer un suspens avec une bombe sur le point d'exploser tandis que les officiers comprennent doucement le drame à venir et lancent une course contre la mort. Mais là aussi, la réalisation est trop maladroite pour que a tension fonctionne pleinement.
Volontairement ou non, le cinéaste rappelle dans les dernières secondes du film que les vrais raisons de l'explosion sont toujours inconnues... Une manière de reconnaître l'inutilité de son œuvre ?


Lettre d'amour (Kinuyo Tanaka 1953)
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Dans le japon d'après-guerre, un ancien soldat essaye de trouver de quoi vivre. Maîtrisant l'anglais, il loue ses services à des japonaises qui désirent relancer leurs amants américains. Ironie d'un sort, il vit hanté par le souvenir d'une lettre que lui adressé une ancienne voisine, désormais veuve et qui lui déclare son amour.

Première réalisation de Kinuyo Tanaka qui fut longtemps l'égérie, pour ne pas dire la muse, de Kenji Mizoguchi. Pourtant ce dernier fut loin de la soutenir à passer derrière la caméra et lui mit même plusieurs bâtons dans les roues pour empêcher sa carrière de cinéaste de continuer (et ne lui confia presque plus de rôle dans ses films). Par chance, d'autres de ses confrères l'aidèrent comme Mikio Naruse qui en fit son assistante sur Frère et soeur et Keisuke Kinoshita qui lui écrivit son scénario (son second film fut également scénarisé par Yasujiro Ozu.
De plus on trouve en générique plusieurs guest-stars plus ou moins long comme Chisu Ryu qui fait vraiment de la figuration pour quelques secondes. Kinuyo Tanaka joue elle-même un petit rôle qui n'est pas sans avoir quelques échos autobiographiques (en évoquant son âge et quelques polémiques sur sa carrière).

Tout ça n'est pas très important au final. Ce qui compte, c'est que Lettre d'amour est un très bon film, très audacieux pour l'époque. En effet, en 1953 les Etats-Unis lèvent la censure qu'il imposait sur la production cinématographique et Tanaka en profite pour faire un film social, tournant en majeure partie en décors naturelles, directement dans les rues, captant un Japon encore en convalescence. Naruse ira bien-sûr plus loin avec Nuages flottants mais on peut se demander si son ancienne assistante ne l'aura pas inspiré en retour d'autant qu'il embauche le même acteur, Masayuki Mori.

Tanaka a en tout cas un vrai regard de cinéaste et sait avec talent intégrer ses personnages dans l'environnement et le décor, permettant de valoriser de nombreuses séquences : la dispute près d'une immense arche en bois, la conversation sur le bord d'une rive séparant, les petites ruelles commerçantes, l'héroïne en pleure contre un grillage délimitant des immeubles en construction (avec un effet de lumières expressionniste sur des phares de voiture éclairant son visage). La plus jolie scène met en scène les retrouvailles dans un métro surpeuplé qui introduit un flash-back avec une double idée géniale de réalisation : la caméra dans le wagon qui laisse les deux protagonistes à quai avant que les fenêtres ne permettent d'enchaîner les images du passé.
Le film ne cherche pas à être un mélodrame et on peut même regretter que l'approche un peu distante et pudique annihile un peu l'émotion mais ca vient en partie du choix scénaristique de mettre en avant Masayuki Mori dont la psychologie est très complexe, à la fois profondément amoureux mais écœuré d'avoir survécu à la guerre et dégouté par la prostitution des japonaises envers les américains, renforcé par l'occidentalisation des mœurs. Le script possède à ce titre de nombreuses idées originales qui ancrent parfaitement le film dans son époque : la collocation presque obligée, les lettres en anglais pour soutirer un peu d'argent aux GI's, la spéculation sur les revues américaines... C'est de plus très bien intégré au récit, comme les costumes du héros qui retranscrivent très bien son humeur (la cravate mal nouée, le col de chemise trop serré, un kimono remplaçant son costume de ville).

Ca n'a pas la force émotionnelle de Mère éternelle mais la maitrise de la réalisation, la qualité de son interprétation et son scénario dénué de manichéisme en font un très beau film, surtout pour une première réalisation.
Si je rajoute http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... de femmes, j'ai vu la moitié des films réalisés par Tanaka (et j'en possède deux autres en fansub) :)
bruce randylan a écrit :Et c'est reparti pour la Shintoho à la MCJP ! :)

Le mystère du cuirassé Mutsu (Kiyoshi Komori - 1960)

Fleuron de la flotte japonaise ...
Ça a eu beau me brancher quand j'étais ado, je ne le connaissais pas, celui-là. En "fleurons", j'en étais resté au Yamato et au Musashi.

bruce randylan a écrit :Lettre d'amour (Kinuyo Tanaka 1953)


Dans le japon d'après-guerre, un ancien soldat essaye de trouver de quoi vivre. Maîtrisant l'anglais, il loue ses services à des japonaises qui désirent relancer leurs amants américains. Ironie d'un sort, il vit hanté par le souvenir d'une lettre que lui adressé une ancienne voisine, désormais veuve et qui lui déclare son amour.

... un très bon film..
Ça fait envie.
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Commissaire Juve a écrit :
bruce randylan a écrit : Le mystère du cuirassé Mutsu (Kiyoshi Komori - 1960)
Ça a eu beau me brancher quand j'étais ado, je ne le connaissais pas, celui-là. En "fleurons", j'en étais resté au Yamato et au Musashi.
J'y connais absolument rien, je fais que reprendre ce que dit le film. :uhuh:
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Message par bruce randylan »

Une femme de Meiji (Daisuke Ito - 1955)
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Une geisha a pour amant un célèbre acteur plus jeune qu'elle. Pour célébrer son changement de nom qui l'inscrirait dans une longue lignée de prestigieux comédien, il a besoin d'une forte somme d'argent. Leur union étant impossible, la geisha se propose de couvrir une partie des frais en acceptant une proposition de mariage.

Même si Daisuke Ito coadapte un roman fameux, on ne le sent que partiellement à l'aise derrière la caméra. Le film est assez ampoulé, statique et académique lors des scènes de dialogues mais se réveillent à coup sûr dans des passages plus dynamiques de l'histoire ou lors de la mise en scène de certaines situations ou pour l'introduction de nouveaux décors. On retrouve alors quelques savants travellings et un réel talent pour mettre en valeur des décors (avec pas mal de trompes l'œil comme le plan introductif conduisant à la mansarde où trouvent refuge des parias). Il livre ainsi quelques moments assez forts tel le fiancé délaissé se faisant jeter d'un hotel (avec un jeu brillant sur la profondeur de champs) ou l'ensemble des scènes se déroulant dans un immense théâtre (un peu moins valorisé cela dit que dans Le trône du maître No tourné deux ans plus tôt).
Et surtout il y a une scène anthologique, la longue l'agression au couteau, découpée avec virtuosité pour une ambiance à la fois théâtrale et angoissante, remplie de trouvailles au niveau du cadre et des mouvements de caméra.

Cela dit, on attendait un peu une scène de ce niveau pour que le film décolle vraiment. Les 20-30 premières minutes assez problématiques d'ailleurs et on peine à s'intéresser aux personnages dont les motivations sont loin d'être toujours compréhensibles ou clairs. Ca s'arrange une fois que l'héroïne fuit avec l'argent mais ce n'est pas toujours palpitant pour autant. Le film passe clairement à côté d'un sujet en or et ne fait que caresser son potentiel qui aurait pu donner un dernier tiers intense pour un portrait de femmes original, doublé d'une belle déclaration d'amour au théâtre. On est loin de tout ça.

Je me demande du coup comment s'en est sorti Teinosuke Kinugasa qui en fit un remake en 1959 (pour la Daei cette fois)
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Message par bruce randylan »

Une image vivante (Yasuki Chiba - 1948)
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En 1892, le peintre d'inspiration occidentale Torao Makino mène une vie rangée entre ses œuvres, ses disciples et son rôle de sélectionneur pour des expositions. Parmi ses disciples, ce trouve Tanishi, 40 ans et éternel recalé qui émet bientôt le désir de se marier.

Première découverte pour le cinéaste Yasuki Chiba, auteur d'un peu plus de 70 films entre 1932 et 1969 et qui vient d'être remis au goût du jour au Japon grâce à une rétrospective, dévoilant une série de comédies pour la Toho dans les années 1950 parait-il brillantes (avec pas mal d'acteurs en contre-emplois).
Antérieur à cette période faste, Yasuki Chiba signe une comédie dramatique modeste et humble mais que j'ai trouvé très attachante. La réalisation de Chiba appartient au classicisme, privilégiant la valorisation de ses acteurs et une narration constituée de petites scénettes qui préfèrent la chronique à la dramaturgie "hollywoodienne".
La première moitié semble ainsi déambuler sans réelle but entre la maison du maître, le bar/restaurant qu'il fréquente et les comités de sélection. Il ne se passe pas grand chose de particulier et les personnages ne sont pas forcément développés scènes après scènes mais les petites touches d'humour, le plaisir de voir les comédiens et cet univers assez peu représenté dans le cinéma japonais font agréablement passé le temps.

Une image vivante justifie donc son titre à mi-chemin quand l'éternel recalé se marrie et prend pour modèle et pour muse son épouse, fille simple et chaleureuse, elle même fille d'un sculpteur de figurines bouddhiques jamais exposé. La scène du mariage est d'ailleurs très belle avec le couple se mettant à pleurer alors que leurs "entremetteurs" se lancent dans un spectacle potache.
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Les choses se mettent alors en place, mais toujours sans excès ni éclat, et les personnages se révèlent doucement mais sûrement. Ils se révèlent d'ailleurs plus complexes qu'on aurait pu croire, surtout la figure du maître Torao Makino (qui a vraiment existé) dont la vie est entièrement consacrée à la peinture, n'hésitant pas à user du sarcasme envers ses amis tout en soutenant un artiste alcoolique car sa vie dissolue lui inspire des tableaux avec du caractère, loin de ceux de Tanishi, bien trop appliqué pour être considéré comme un vrai peintre.
On croise ainsi quelques seconds rôles gentiment croqués mais jamais ridiculisé comme le patron du restaurant qui fait sa crise de la cinquantaine en voulant devenir peintre lui aussi. Il y a un respect dans les personnages qui devient de plus en plus touchant jusqu'à ce que ça devienne très émouvant lorsque
Spoiler (cliquez pour afficher)
la femme de Tanishi, déjà affaiblie par un optimisme de façade pour soutenir son époux dans la précarité, ne survit pas à son accouchement. Face à la beauté sereine de son épouse dans son ultime repos, Tanishi trouvera enfin la valeur de son dessin pour une peinture qui sublime avec candeur et pudeur son modèle dont il tâchera de se rappeler le visage rayonnant jour après jour
Le ressort dramatique est usité, voir prévisible, mais l'humilité de la réalisation et la délicatesse des comédiens décuplent l'émotion et il était bien dur de retenir les larmes durant les 10 dernières minutes qui possèdent ce lyrisme à dimension humaine qui me touche tant pour une sublime déclaration d'amour. Chisu Ryu dans le rôle de Tanishi trouve un rôle merveilleux pour un personnage plus "romantique" que chez Ozu/Naruse tandis que Ranko Hanai illumine par sa douceur frémissante.

Un petit film par un petit artisan certes mais le traitement, l'approche et l'émotion sont inestimables à mes yeux.

Avec de la chance, la MCJP parviendra à diffuser l'autre film que Yasuki Chiba tourna pour la Shintoho.
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Message par bruce randylan »

Bagatelle au printemps (Kajiro Yamamoto - 1949)
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Alors que le Japon commence à s'ouvrir aux étrangers, le fils d'un bistrotier rêve d'embarquer sur un navire et de parcourir le monde. Ce que ne voit pas d'un bon œil son père, ainsi que son amie d'enfance, amoureuse de lui et qui a été demandé en mariage par un riche marchand.

L'histoire vous rappelle un peu Marius signé par Marcel Pagnol ? C'est normal, il s'agit d'un remake qui regroupe en fait Marius et Fanny en un peu moins de 2 heures. D'ailleurs, les japonais devaient beaucoup aimé cette histoire car il existe une autre version datant de 1942 et signé par Yasuki Chiba (oui, le cinéaste d'une image vivanteque j'ai adoré il y a quelques jours ; j'aime bien ces petites coïncidences ! :) ).

Je n'ai pas revu Marius et Fanny depuis une petite dizaine d'année mais pour ce que je m'en souviens, cette (seconde) adaptation japonaise est plus que fidèle. Beaucoup trop car ça manque un peu de surprises et de variations. Cela-dit la transposition à cette période précise du Japon est très pertinente avec à la fois un mélange de conservatisme et désir de découverte qui justifie parfaitement la psychologie des personnages.
Par contre, il est vraiment très dur de passer après Pagnol, ses dialogues et ses interprètes. Malgré une ravissante Hideko Takamine, les comédiens ne peuvent rivaliser avec leurs modèles français, d'autant que les dialogues sont bien loin de sa saveur provinciale de Pagnol. Ils sont ici tout ce qu'il y a de plus basiques et conventionnels.
Enfin, la réalisation de Kajiro Yamamoto est ici d'un académisme dénué de passion (même si les versions françaises ne brillaient pas non plus par leur réalisation). La copie diffusée cela dit est assez sombre et peu définie. Peut-être qu'avec de meilleures conditions, le résultat aurait paru moins figé car il faut bien reconnaître que certaines séquences m'ont paru interminable telle celle où "Fanny" tente de retenir "Marius" alors qu'il est sur le point d'embarquer en pleine nuit. C'est là du mélodrame bavard tout ce qu'il y a de moins inspiré.
Il en va de même avec l'équivalent de "César" qui ne peut rivaliser avec Fernand Charpin pour une interprétation bien trop unilatérale, ne parvenant jamais à retrouver son humanité.
Après, en tant que tel, l'histoire se tient bien en 2 heures et mes amis qui ne connaissaient pas la version de Pagnol ont beaucoup apprécié le film (tout en lui reconnaissant quelques passages longuets).

Pour ma part double déception car j'attendais aussi beaucoup de la découverte de mon premier Kajiro Yamamoto, cinéaste assez réputé d'autant qu'Akira Kurosawa travailla majoritairement pour lui durant ses années d'apprentissage. :?


Une auberge à Osaka (Heinosuke Gosho - 1954)
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Muté à Osaka pour avoir frappé son supérieur, Takashi Mita trouve un logement dans une modeste auberge où travaille 3 servantes qui peinent à joindre les deux bouts.

Une très bonne chronique sociale comme je les affectionne avec des personnages attachants et fouillés, des petites touches d'humour bien placées, une réalisation sobre mais toujours précise, un scénario faussement nonchalant qui approfondi avec finesse son discours social pour une peinture assez pessimiste de l'époque.
Gosho tourne ce film dans la foulée des Quatre cheminées dont il reprend certaines idées comme la nécessité de s'adapter à la réalité économique du pays en élargissant l'hôtellerie aux chambres de passes. C'est un peu moins marquant puisqu'il lui manque certaines idées visuelles plus néo-réalistes mais on passe un excellent moment dans cette auberge à Osaka.
Certes quelques passages sont un peu moins inspirés et on aurait pu couper 10-15 minutes sur l'ensemble du récit ; pour autant on s'y ennuie jamais malgré un scénario assez peu narratif. C'est avant tout l'étude de caractère qui prime et, sur cet aspect, c'est subtil, sans pathos ni misérabilisme pour des personnages justes qui n'ont ni solutions ni réponses à leurs problèmes comme Takashi Mita écœuré par la prédominance de l'argent dans la société mais qui n'a pas d'autres idées que d'aider financièrement ceux qu'ils croisent. Il y a sentiment d'impuissance dans ce film qui évite cependant le fatalisme trop dépressif.
Le portrait que Gosho dresse n'est pourtant pas très reluisant mais son refus de juger ses protagonistes donne des séquences vivantes pour des comportements crédibles, loin des formules tout faîtes. Les femmes qui gravitent autour de Takashi Mita sont très bien construites, entre humanisme, solidarité et une certaine résignation dû à leur rang dans la société.
Il y a de très jolis moments, toujours dans la retenue et cherchant à éviter le mélodrame lacrymo, tel la tentative de vol (et la découverte d'argent subtilisé), Mita venant sermonner une ancienne employée qui pensait se suicider, une amie de Mita qui révèle son véritable caractère, une mère vivant loin de son enfant qui aimerait bien obtenir un congé pour le rejoindre et une jeune femme déjà usée par la vie qui doit faire face à la maladie de son père et des problèmes financiers, ce qui la contraint à la prostitution. L'absence de cette dernière dans la dernière séquence donne tout son poids à un moment qui aurait pu paraître trop naïf vu le contexte. Avec cette place vide qui plane comme menace, Gosho indique adroitement qu'il ne croit qu'à moitié à la bonne volonté de son héros et qu'il risque très vite de devoir lui aussi s'adapter et faire des compromis.

Aussi intelligent que discret :D

Il me tarde de découvrir les 3 derniers films de cette nouvelle session Shintoho puisqu'on y trouvera 3 Nobuo Nakagawa
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bruce randylan
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Message par bruce randylan »

bruce randylan a écrit :Un peu de documentaires pour changer grâce à un hommage organisé autour de la revue photographique Provoke (1968-1969) qui fit beaucoup pour la reconnaissance d'artistes japonais.
Sanrizuka, la guerre de trois jours (Shinsuke Ogawa - 1970) fait partie d'une série de 7 documentaires (étalés sur 10 ans) consacrés à la luttes de paysans exproprié, contraints de laisser leurs terrains au projet de construction de l'aéroport de Narita ; un conflit qui reste un combat emblématique du Japon de leur "mai 68" (petits exploitant contre capitalistes, projet en relation avec les bases militaires américaines, violences des forces de l'ordre...).
Ogawa reste au plus prêts des paysans qui tentent de faire face aux fonctionnaires du gouvernement et CRS tout en refusant la mobilisation étudiante car ils veulent que cela reste "leur" combats. Collés aux visages et bercés par les mouvements de foules, ce documentaire parvient à recréer la tension chaotique des confrontations parfois tumultueuses, tout en captant le charisme de certains intervenants. Par contre, il faut reconnaître qu'étalé sur 50 minutes, le film perd de sa force à cause d'un manque de point de vue dans sa construction qui capte surtout le direct. On regrette de ne pas avoir plus de moments aussi "réussis" qu'une des dernière séquence où un vient homme en gros plans et muni d'un megaphone questionne la moralité de hommes en face de lui (qu'on ne verra jamais) qui ont torturé et violé une manifestante avec leur matraque.

Un autre des documentaires de Ogawa dédié à Narita serait projeté dans l'exposition de photos qui prend place au Bal (vers Place de Clichy).
J'ai pu faire un tour à l'expo (assez intéressante en effet), j'ai pu voir Sanrizuka - les paysans de la deuxième forteresse (Shinsuke Ogawa - 1971), 4ème des 7 documentaires sur les conflits à Narita.
C'est très proche du précédent avec le même genre de réalisation et de traitement, donc uniquement centré sur les paysans en lutte contre les forces de l'ordre et les intérimaires de l'aéroport qui cherchent à déloger les propriétaires des terrains. Ceux se sont organisés en construisant plusieurs "forteresses" très difficiles à prendre d'assaut et créant tout un réseau de tunnels. Cette fois, ils n'hésitent pas à faire face à l'ennemis en se munissant de lances de bambou. Quelques travellings latéraux donnent pratiquement l'impression d'être chez Kurosawa avec une "armée" de paysans avançant vers les troupes adverses, lance en avant et avec quelques étendards flottant ! :o
Il y a des séquences assez marquantes (les CRS cherchant à faire tomber des manifestant perchés dans des arbres, des vieilles femme s'enchaînant à des troncs eux même entourés de barbelés, les tentatives de déloger les occupants de forteresse qui lancent des cocktails Molotov).
Après, le documentaire dure tout de même 2h20 et radote donc régulièrement, surtout la description interminable des tunnels qui s'éternise sur 30 minutes. Le documentaire impose ainsi une certaine lassitude, atténuant le charisme de ses intervenants et la force de ce combat acharné, digne de David contre Goliath.

A noter que l'expo propose aussi au niveau -1 une petite installation vidéo autour de Knock (1975), un grand happening de Shuji Terayama qui créa une pièce de rue s'étalant sur 30 heures et prenant place dans tout Tokyo. On peut voir 6 moniteurs diffusant en simultanés des images des différentes manifestations se déroulant lors de cet évènement où les spectateurs devenaient eux-mêmes des comédiens au milieu d'habitants pas prévenus et ne comprenant pas ce qu'il se passent autour d'eux.
Par exemple, ceux qui avaient acheter les places dans des sortes d'agence de voyages avaient droit à un catalogue expliquant quoi voir, quand et où ; d'autres avaient juste droit à un carte, certains volontaires se faisaient enfermer dans des boîtes en bois et étaient largués à des endroits différents de la ville (à eux de savoir où ils étaient et comment rentrer :mrgreen: ), des spectacles se déroulent dans des canalisations d'égouts, dans des bains publics (où les habitués gueulent sur les comédiens) etc...
C'est la première fois que ces images sortent du Japon (même si ce sont des extraits assez courts au final).

Pour les curieux, l'expo se finit le 11 décémbre. :wink:
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

En attendant la sortie d'une jeune fille à la dérive :

La ville des coupoles / Foundry Town (Kirirô Urayama - 1962)

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Au début des années 60, une famille est confrontée à la pauvreté quand le père perd son emploi dans la fonderie de la ville. Les enfants tentent de s'organiser pour gagner un peu d'argent.

Première réalisation pour cet ancien scénariste de Seijun Suzuki et surtout ancien-assistant pour Shohei Imamura qui soutient son protégé (et ami) en co-écrivant le scénario de ce drame social qui eut les honneurs d'une présentation remarquée au Festival de Cannes.

C'est une oeuvre très ancrée dans le réel, le quotidien et les protagonistes modestes pour une narration qui refuse de dramatiser son récit, de tomber dans le misérabilisme, le chantage émotionnel, le pamphlet politique ou le manifeste esthétique "nouvelle vague" dont Urayama fut pourtant l'un des grands représentants aux premières heures de cette décennie.
Cette approche est à double tranchant et possède les qualités de ses faiblesses et vice-versa. Le traitement du contexte sociale est une grande réussite, toujours d'une admirable justesse, évitant les pièges du film trop engagé, pour se recentrer sur les personnages, filmés tel qu'ils sont, c'est à dire sans être romancé, ni glorifié : le père refuse l'aide des syndicats tant par orgueil que par craintes d'être considéré comme un "rouge", les garçons se lancent dans les petites magouilles sans se poser de question sur leurs conséquences, la mère ne parvient pas à enrayer les penchants pour le jeu et l'alcool de son mari, la grande sœur trouve un boulot dans un packinko tout en demeurant handicapé par sa candeur.

Le cinéaste aborde plusieurs thèmes avec beaucoup de sobriété sans jamais s'étaler dans le film à thèse comme l'évocation très subtile du sort des nord-coréens sur le point de retourner dans leur pays ou la manière dont les yakuzas gangrènent doucement ce Japon de l'après-guerre où le boom économique crée de nombreux laissés-pour-compte. De ce point de vue là, le travail d'intégration des personnages dans l'environnement (scénaristique et visuel via de vrais extérieurs) est remarquable.

Le problème, c'est que cette retenue et cette absence d'enjeux dramatiques définis finissent par tout de même affaiblir l'impact de l'oeuvre sur le public. J'avoue avoir senti à plusieurs reprises un détachement et une froideur assez contrariant qui m'empêchent d'adhérer totalement au film même si certaines séquences sont excellentes : lorsque les plus jeunes garçons volent le lait d'un livreur de leur âge avant de découvrir que celui-ci connaît les mêmes difficultés qu'eux et verra son salaire gelé ; le comportement du père face à une industrie qui s'automatise ; le mépris envers les coréens qui ressort spontanément, comme une insulte etc...

Sentiment mitigé donc bien que ça demeure un début de carrière prometteur, courageux et maîtrisé avec un réel regard sans complaisance ni paternalisme.
Le problème vient peut-être aussi de la récente découverte de Maman ! (sorti un an plus tôt) de Nubuo Nakagawa sur un sujet très proche qui m'avait totalement remué même si pour le coup le scénario est bien plus conventionnel et calibré.
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Message par bruce randylan »

Hiroshima Honor: Hostage Rescue Tactics aka The Yakuza Code Still Lives (Yuuji Makiguchi - 1976)

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Un yakuza sort de prison après plusieurs années. Cherchant un temps à éviter de retourner dans le milieu, il devient rapidement un Sokaiya, sorte de maître-chanteur sur des sociétés, gagnant sa vie entre pressions, chantages et autres extorsions.

Avec le succès fulgurant des Combat sans code d'honneur, il était évident que la saga culte de Kinji Fukasaku allait entraîner quantité d'ersatz. Ce qui est bien-sûr le cas de Hiroshima Honor: Hostage Rescue Tactics dont le début est un plagiat pur un simple avec présentation chaotique, arrête sur images, voix-off et autres coupures de presses en noir et blanc.
Mais on voit dès ces quelques minutes que la talent n'y est pas avec une réalisation qui est loin de retrouver la virtuosité toute en tension explosive de Fukasaku. La caméra est molle, le montage manque d'impact, les acteurs sont loin d'avoir la présence animale d'un Bunta Sugawara et les quelques armes à feux ont des déflagrations de pétards mouillés.
La suite sera à peu près de cet acabit pour une narration tout autant bordélique que dans sa source d'inspiration avec des guerres de clans rapidement obscurs et labyrinthiques.
Quelques passages un peu plus mélancoliques avec l'épouse du héros (bien trop effacée malheureusement) permettent de trouver quelques touches d'émotions bienvenues. L'accent est bien évidement mis sur un certain nombres de règlements de compte, ce qui fait qu'on ne s'ennuie pas nécessairement même s'il n'y a que très peu d'action au final. Elle est surtout cantonnée aux vingt dernières minutes qui retrouvent presque l'innocence des sérials muets de Feuillade tant la mise en scène est improvisée. On croirait vraiment voir des enfants jouer dans un terrain vague par moment et il n'est pas impensable que cela soit voulu puisque plusieurs scènes ridiculises l'incompétence des plus jeunes recrues qui se retrouvent littéralement avec des pistolets en jouets (ou presque) pour leur premier contrat.
Du coup, le final qui montre le héros, muni d'un fusil à pompe scié, affronter une horde d'adversaires est loin d'être grisant ou spectaculaire. On a plutôt l'impression d'être devant Peter Sellers dans l'ouverture de The Party que dans une lutte violente, désespérée et épique.
Par contre, on trouve 2-3 moments à la violence plus froide et plus réussie comme un homme de main sur le point d'être exécuté qui se broye un doigt au marteau pour tenter de sauver sa vie.

Il y avait pourtant matière à faire une oeuvre plus original en se recentrant plus ces Sokaiaya, activité typiquement japonaise, qui mériterait un film à part entière. Les quelques séquences de la première moitié qui mettent en scène leur activité et leurs actions sont de loin ce que le film a de plus intéressant à proposer.
Découvert via une VHS Rip fan-subbé (qualité correct mais recadré en 1.85)
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Yakuza Hooligans / The 893 gang (Sadao Nakajima - 1966)

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Des petits truants croisent par hasard un de leur anciens amis qui sort tout juste de prison. Peu enclin à renouer avec les yakuzas, il s'associe avec ses vielles connaissances pour vivre d'arnaques et de débrouilles. Mais certains de leurs méfait empiètent sur les terrains des yakuzas qui n'apprécient pas trop de voir leurs revenus diminués.

Première rencontre avec Sadao Nakajima qui signait là l'un de ses premiers titres, un sympathique film de gangsters qui s'inscrit à la fois dans une démarche "nouvelle vague" et dans des codes conventionnels du genre. C'est plutôt le premier point qui attire l'attention au début pour son tournage en pleine rue, dans les quartiers nocturnes animés avec un peu de caméra à l'épaule et une photographie contrastée, parfois joliment saturée, le tout dans un scope assez classe. Pour autant on est tout de même plusieurs crans en dessous des grands auteurs de cette période. Il n'empêche que quelques séquences sont emballés avec style, décontraction, nonchalance qui collent bien à l'atmosphère et aux caractères des intervennants. Les techniciens bien rodés de la Toie permet quelques plans inspirés.

Mais la modestie artisanale de son approche donne envie d'être indulgence d'autant qu'on suit avec un certaine plaisir cette bande de malfrats trouver quelques plans assez astucieux (le vol des tissus stockés dans une voiture garée). Le scénario met d'ailleurs en avant un métisse avec une réelle sincérité tout en montrant que certains des membres du gang sont aussi peu reluisant, violant des filles rabattues par l'un des leurs. C'est donc surtout le duo formé par le repris de justice et le métisse qui accroche surtout la pellicule avec une certaine mélancolie.
Par contre, il faut avouer que ça manque un peu d'enjeux concrets au bout d'un moment pour un scénario un brin redondant et une réalisation qui sort finalement assez peu de ses gimmicks initiaux.
L'histoire essaie donc de greffer dans sa seconde moitié un conflit avec de vrais yakuza. Sauf que comme les "gentils" sont assez peu reluisant au final, l'empathie qu'on peut éprouver pour eux ne garantit pas un réel suspens (que Nakajima ne sait d'ailleurs pas vraiment monter en épingle). Reste un fin à l'ironie, certes prévisible, mais qui fonctionne toujours efficacement.

Bon casting en revanche, composé d'acteurs rarement croisés qui confirme la fraîcheur de ce petit polar estimable mais pas incontournable.
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Message par bruce randylan »

Jail Breakers (Kôsaku Yamashita - 1976)

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Un prisonnier profite d'une tentative d'évasion raté pour s'échapper en utilisant le plan du malchanceux. Ce dernier passait en fait par une société spécialisé dans les évasion. Un business lucratif qui lui donne envie de rejoindre l'équipe mais l'appât du gain appelle les trahisons.

Un sympathique petit film d'action avec Sonny Chiba dans le premier rôle pour un thriller décontracté qui repose avant tout sur une grande quantité de séquences d'évasion avec la petite originalité que le scénario impose rapidement de faire le chemin inverse, à savoir s'infiltrer dans la prison pour en exfiltrer divers clients. Les plans sont assez simples, parfois astucieux, parfois bâclés (la prison pour femme), régulièrement prenant même si un peu trop facile en général. En tout cas, on ne s'ennuie pas avec un rythme assez soutenu. Ca rappelle un peu Quatre Malfrats de Peter Yates dans son enchaînement de plans à concevoir.
Par contre, et contre tout-attente, le film ne vire jamais dans l'exploitation. Sonny Chiba ne s'y bat jamais vraiment et la réalisation évite le grand guignol ou les fautes de goûts. Yamashita (que je connais pour ses épisodes de Lady Yakuza) m'a agréablement surpris avec sa réalisation. Non pas qu'elle soit dynamique ou palpitante, elle est au contraire assez lente avec beaucoup de longs plans fixes. Par contre, la composition des plans est souvent habile et permet de comprendre immédiatement les enjeux souvent géographiques et spatiaux inhérents aux films d'évasions. On comprend ainsi immédiatement où se situe les protagonistes, où ils doivent aller et comment ils vont s'y rendre. Une économie de moyen assez rigoureuse et plutôt payante puisqu'on profite au passages des cascades de Sonny Chiba qui sont souvent en plan-séquences : gravir une haute échelle, s'accrocher à une grue, sauter d'un camion à une décapotable ou changer de vêtement alors qu'il est sur une échelle suspendue à un hélicoptère :o

C'est pas nécessairement spectaculaire ou même vraiment virtuose mais cette approche fonctionne assez bien et donne un peu de caractère à ce divertissement qui rempli son objectif tout en ayant un réel discours sur le capitalisme d'un Japon sans foi ni loi, obsédé par ses mutations économiques.
Oui, et Sonny Chiba a la classe accessoirement. :)
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Red diamond (Michio Konishi - 1964)

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Un éternel looser maladroit et malchanceux est sur le point de se suicider à la suite d'une désillusion amoureuse et de nombreuses dettes. Mais il rencontre un homme d'affaire qui le prend en sympathie et lui fait rencontrer une voyante qui lui promet des succès à venir. Le hasard arrive en effet in extremis et il fait rapidement fortune à la bourse.

Une comédie éminemment sympathique et rafraîchissante qui repose avant tout sur ses comédiens, tous excellents. Le contexte est assez original pour son p'tit côté pré-Un fauteuil pour deux avec ses magouilles autour de la spéculation sur les haricots rouges.
Si on oublie un petit passage à vide avant le dernier tiers, où le scénario se répète un peu, l'histoire est assez bien ficelée et rythmée. J'avoue de ne pas avoir vraiment compris à quoi faisaient vraiment références les "retention card" à l'origine de la richesse du héros (titres aux porteurs ? actions ? Stock options ?) mais, à part ça, ne suit agréablement. La réalisation n'est pas forcément excessivement dynamique et on a déjà vu un scope mieux utilisé, en revanche la narration et le montage sont bien tenus avec pas mal de scènes assez courtes et des ellipses bien utilisés.
C'est donc sur la direction d'acteurs que Red Diamond sort surtout du lot. Il y a un vrai plaisir communicatif à voir les acteurs évoluer grâce à un excellent timing et un casting savoureux (comme lors de la rencontre entre la mère et la prostituée - personnage un peu sous-exploitée malheureusement). La relative longueur des plans est l'occasion d'interactions entre les personnages parfaitement millimétrée d'autant qu'il est difficile de ne pas s'attacher à la candeur et à la maladresse de Fujita Makoto, génial dans ce rôle de gaffeur pugnace et plein de bonne volonté.
Sans être la comédie du siècle, il y a quelques moments qui font vraiment rire (rien que l'ouverture !) et on a le sourire pratiquement du début à la fin.

Ancien assistant, notamment de Fukasaku, Shigehiro Ozawa ou Tadashi Imai, Michio Konishi est passé à la réalisation en 1962 pour signer une dizaine de films avant de faire une longue carrière dans la télévision à partir de 1968 et jusqu'à la fin des années 80 où il a beaucoup bossé sur différents Sentaï. Je suis curieux de découvrir ses longs métrages pour le cinéma s'ils sont aussi plaisant que ce Red Diamond (uniquement sorti au DVD au Japon, faut donc passer par des fan-sub).



Sinon quelques mots sur le film Genocide (Kazui Nihonmatsu - 1968), médiocre film plus catastrophique que catastrophe qui essaie de se donner une stature internationale avec son casting à moitié US qui lui a justement permis d'être un peu distribué à l'étranger.

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Dans un scénario bordélique et à la limite du compréhensible, on croise insectes tueurs et menaces nucléaires. Pourquoi pas à la rigueur mais tout le film se déroule dans des îles reculées loin de la tension et des pression diplomatique. Il faut donc se farcir des acteurs fadasses, une réalisation mollassonne, des trucages rudimentaires et surtout une absence d'enjeux rapidement plombant. Comme d'hab, ça se réveille uniquement dans les 10-15 dernières. Bien trop tard.

Curieusement, ce quasi-navet a eu droit à une sorti chez Criterion via le coffret Eclipse When horror came to Shochiku. J'espère que les 3 autres films sont d'un meilleur niveau. Pas gagné puisqu'on y trouve un autre film de Kazui Nihonmatsu, réalisateur d'uniquement 4 films :|
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Message par Commissaire Juve »

bruce randylan a écrit :
Red diamond (Michio Konishi - 1964)

Un éternel looser maladroit et malchanceux...
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Loser ! Un seul "o".

En voyant la définition proposée par le wiktionnaire -- "une personne ayant particulièrement échoué socialement et/ou professionnellement" -- j'ai eu l'impression de me regarder dans un miroir. :mrgreen:
Le loser serait ... tout sauf en prise avec son époque. Mme Rivoal [ethnologue] tente un raccourci : « Quelque part, le loser n’est pas revenu des Trente Glorieuses. »
Faut dire que les "Quarante merdeuses" font tellement rêver. :mrgreen:
bruce randylan a écrit :... (uniquement sorti au DVD au Japon, faut donc passer par des fan-sub).
Je ne connaissais pas l'expression (quel loser ! :mrgreen: ). Mais le mot "sub" m'a plutôt fait penser à l'abréviation de "submarine" !
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Commissaire Juve a écrit :
bruce randylan a écrit :
Red diamond (Michio Konishi - 1964)

Un éternel looser maladroit et malchanceux...
Spoiler (cliquez pour afficher)
Loser ! Un seul "o".
Spoiler (cliquez pour afficher)
Oui, on m'a déjà fait la remarque mais j'arrive pas à la corriger. Avec un seul "o", j'ai toujours l'impression qu'il manque quelque chose. Que la loose n'est pas complète (qui elle en prend deux on dirait) :mrgreen:
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Noble Tasuke (Tadashi Sawashima - 1958)
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Un jeune homme candide, débonnaire et à la droiture d'esprit inaltérable attire l'attention du bras droit d'un jeune seigneur qui le prend sous son aile. Peu à l'aise dans la cour, et surtout face aux femmes du palais, il demande à devenir un simple poissonnier.

Personnage extrêmement populaire du Japon, Isshin Tasuke a connu plusieurs romans, pièces, séries télés ainsi qu'une bonne douzaine de films (dont pas mal de muets et un opus écrit par Akira Kurosawa en 1945).
Cette incarnation de 1958 est sans doute la plus célèbre grâce à la présence du toujours excellent Kinnosuke Nakamura dans le rôle principal pour 5 films (un 6ème se fera sans lui). L'autre point récurent de cette série est le réalisateur Tadashi Sawashima aux manettes, un artisan réputé pour avoir apporter une approche légère, influencée par les comédies musicales américaines. Je n'ai vu qu'un film de lui, le premier épisode de Theater of life, un Ninkyo-eiga pour le coup très mélancolique à la réalisation millimétrée et virtuose qui culmine dans un climax en suspens totalement dingue. Je croyais avoir posté un avis mais je ne le retrouve pas. :?

Ce premier épisode est une comédie assez sympathique mais loin d'être inoubliable. On comprend cela dit les raisons de son succès avec en premier lieu le casting et l'interprétation générale. Ensuite les personnages sont très attachants, entre le héros timide et plein de bonne volonté, son maître spirituel, pragmatique et bienveillant, ainsi que l'amoureuse patiente de Tasuke qui ne manque pas non plus de persévérance... Sans oublier quantité de seconds rôles assez réussis, bien que présent sur une poignée de séquences.
L'autre qualité est sa légèreté et sa décontraction. Sans qu'on rit forcément aux éclats, il y a quelques situations décalées et cocasses avec un running gag savoureux (It's a national crisis !), un solution absurde à un conflit entre clans et surtout un combat très drôle où Tasuke manie des poissons à la façon des deux sabres de Miyamoto Musashi. C'est d'ailleurs la seule scène d'action du film et, même décalée, elle se révèle excellente avec une belle énergie avec sa foule de figurants, ses longs travellings latéraux et un décor bien exploité. La photo en scope noir et blanc réserve quelques bons moments également mais sans esbroufe.

Après, il faut reconnaître que les enjeux ne sont pas démentiels, que la réalisation comme le scénario n'exploitent pas ses potentiels pleinement et ce Noble Tasuke ne reste que "sympathique" au final. Son vent de fraîcheur est indéniable malgré tout et je reste curieux de voir comment évoluent les suites. Il y a par exemple d'ailleurs un gros élément qui n'est jamais évoqué et qui devrait être au cœur d'au moins un prochain film puisque Kinnosuke Nakamura joue un double rôle : Tasuke mais aussi le seigneur. De quoi imaginer que leur ressemblance va annoncer un échange d'identité comme dans le Prince et le pauvre.
Il semble en tout cas que le second épisode (Isshin Tasuke : un monde en danger) est encore meilleur.
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