Le Western américain : Parcours chronologique III 1955-1959

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Federico
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Re: Rio Bravo

Message par Federico »

Jeremy Fox a écrit :Rio Bravo (1959) de Howard Hawks

Walter Brennan avait déjà testé ce rôle de vieil homme bourru, cabochard, grincheux et truculent mais au cœur ‘gros comme ça’ dans le miraculeux Je suis un aventurier (The Far Country) d'Anthony Mann. Les relations qu’il entretient avec John Wayne sont assez similaires à celles qu’il avait avec James Stewart dans ce film, Stumpy (‘hors d’usage’) ne demandant que la reconnaissance pour son travail et un geste ou une parole d’amitié de temps en temps pour se sentir exister au sein du groupe. Le shérif lui donnera cette preuve d’affection quand, après que le vieil infirme ait fait un ‘caprice’, il lui déposera un baiser sur son front dégarni. Ne s’y attendant pas et n’ayant surtout pas l’habitude de telles démonstrations, Stumpy décontenancé et gêné ne trouve pas d’autre réflexe que de le chasser à coup de pieds. Du sympathique Stumpy, personne n’a du non plus oublier les gloussements et onomatopées qui peuvent déclencher quelques éclats de rires.
De ce film qui m'est très cher, Stumpy est le seul personnage qui peut parfois m'agacer au fil des revisions. Certes attachant, Brennan en fait tout de même des caisses en vieille mascotte édentée et claudicante. Plus ça va plus le seul film où je le supporte sans réserve c'est La poursuite infernale où Ford eut l'idée formidable de lui offrir un rôle antipathique et absolument pas drolatique.
Pour ses débuts à l’écran, Angie Dickinson éclate de talent et de sensualité.
Je pense que tu as voulu écrire : "Pour ses débuts dans une grande production" car celle qui avait déjà 28 ans et une quinzaine de films de moindre importance derrière avait même déjà tenu un rôle majeur - et remarqué - dans China gate de Fuller deux ans plus tôt. :wink:
La réputation qu’a eu l’actrice de posséder les plus belles jambes du cinéma avec Cyd Charisse vient d’ailleurs de cette séquence proprement jouissive.
Là, je suis obligé de ré-utiliser un cliché posté sur le topic de la divine à titre de (looooooongues) preuves à l'appui...
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Ceci dit, ce coquin de Fuller avait déjà introduit ses sublimes compas lors de la première apparition de la Miss dans China gate.
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Et puis enfin... avoir Angie Dickinson et ne pas cadrer ses jambes, c'est comme si John Stahl avait obligé Gene Tierney à porter durant tout Péché mortel les lunettes de soleil de la séquence dans la barque. :P
Enfin, John Wayne trouve ici l’un de ses très grands rôles, moins complexe et ambigu que celui de Ethan Edwards dans La prisonnière du désert, moins original que celui, haïssable une bonne partie du film, de Dunson dans La rivière rouge, moins émouvant que celui de Nathan Brittles dans La charge héroïque, mais aujourd’hui encore, le personnage qui restera et qui donne l’image la plus juste de ce que John Wayne aura voulu montrer tout au long de sa carrière : l’homme droit, valeureux, professionnel, d’apparence dure mais en réalité proche et affectueux avec ses hommes, maladroit et pataud avec les femmes, celui aussi qui par son charisme cimente un groupe.
Ce qu'il prouvera à nouveau trois ans plus tard mais en version beaucoup plus mélancolique et désabusée dans L'homme qui tua Liberty Valance.
A propos des ‘méchants’, il faut souligner le fait que, contrairement à beaucoup de westerns, Hawks ne leur a pas donné beaucoup d’importance, leur présence à l’écran étant très limitée et aucun d’entre eux ne possédant un charisme susceptible de donner à un acteur un rôle truculent, pittoresque ou sadique comme c’est souvent le cas dans le genre où le ‘bad guy’ a souvent ‘de la gueule’.
C'est vrai qu'on se souvient moins des villains de Rio Bravo que d'autres classiques du genre mais pourtant John Russell, l'interprète de Nathan Burdette avait déjà une sacrée gueule taillée à la dynamite dans le granit du Mt Rushmore (inquiétant intermédiaire entre Randolph Scott et Lee Van Cleef)... qui se patinera encore plus avec le temps et Eastwood qui connait ses classiques s'en souviendra pour le faire jouer dans trois de ses films dont le rôle du terrifiant et minéral Stockburn de Pale rider.
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Un film à la réputation méritée, symbole d’un cinéma dans le même temps classique et moderne, chef d’œuvre indémodable d’une liberté de ton qui procure un plaisir de presque tous les instants !
Bref, un film qui ne peut que rendre duko-dickinso-hawksien. :D
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
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Jeremy Fox
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Re: The Hangman

Message par Jeremy Fox »

100% d'accord sur le charme du film mais alors pas du tout pour la comparaison Parker/Forster. Et je n'écris pas ça parce que je place très très haut le joyau de Tarantino, enfin si un peu quand même... :wink: Il est bien sympa, cet échalas de Fess mais plus ça avance, plus il fait grand couillon façon poulet fermier de Tex Avery dans The hick chick. :mrgreen:
Et quel final à hurler avec ce grand zguègue trop facilement bon perdant (limite prêt à se proposer comme garçon d'honneur) et surtout l'insupportable air désolé et le gentil sourire gêné (surfaits et/ou très faux-derche) de Taylor...
Bien évidemment Fess Parker est un comédien limité et le final du Curtiz n'a pas ce pouvoir d'émotion que dégage celui de Jackie Brown, l'un des plus beaux finals de l'histoire du cinéma. Mais je reste sur ma position : l'acteur m'a fait très bonne impression ; si son personnage est un peu nonchalant, je ne le trouve pas couillon du tout ; disons naïf (mais j'aime les naïfs) et pas très doué avec les femmes. Et j'ai vraiment beaucoup aimé le final qui s'avère logique, en conformité avec ce qui a précédé ; mon côté fleur bleue :mrgreen:

Là, par contre, je plussoie en tout... sauf sur la séquence que tu évoques car elle n'est pas qu'humoristique. Elle contient aussi une idée assez géniale. :wink:
Oui mais quand tu la racontes, tu imagines un dessin animé de Tex Avery ; et si elle est réussie c'est bien parce qu'elle n'est pas qu'humoristique ; ça aurait de toute manière été trop en contraste avec le reste.
Si son personnage est en lui-même intéressant, le beau Jack Lord ne m'a pas fait une impression fabuleuse (je le trouve bien plus raccord avec sa gentille petite épouse qu'avec la sublime Tina). Idem dans un autre film où il est cette fois son mari : le très moyen Petit arpent du Bon Dieu.
Je suis fan de l'acteur :oops:
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Re: Rio Bravo

Message par Jeremy Fox »

De ce film qui m'est très cher, Stumpy est le seul personnage qui peut parfois m'agacer au fil des revisions. Certes attachant, Brennan en fait tout de même des caisses en vieille mascotte édentée et claudicante.
Je le trouve encore meilleur dans le film de Mann.
Je pense que tu as voulu écrire : "Pour ses débuts dans une grande production" car celle qui avait déjà 28 ans et une quinzaine de films de moindre importance derrière avait même déjà tenu un rôle majeur - et remarqué - dans China gate de Fuller deux ans plus tôt. :wink:


Oui, j'édite :oops:

C'est vrai qu'on se souvient moins des villains de Rio Bravo que d'autres classiques du genre mais pourtant John Russell, l'interprète de Nathan Burdette
Très bon aussi dans La Belle aventurière aux côté de Yvonne de Carlo et dans l'excellent Frenchie de Louis King ; son rôle dans Rio Bravo reste néanmoins très limité. On ne doit le voir que 10 minutes en tout et pour tout. Mais j'aime aussi énormément son visage inquiétant en lame de couteau.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

Un oubli de ma part pour 1958 (d'autant qu'il est sorti chez Sidonis) : Le Tueur qui murmure de Gordon Douglas. Je rattrape ça au plus vite mais lors de ma découverte, je n'avais pas apprécié du tout.


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hellrick
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par hellrick »

Jeremy Fox a écrit :Image

Ah c'est cool quand même ces accroches d'époque "Don't be ashamed to scream" "X for adult only"...
Je suis sur que ça pourrait passer dans les émissions pour enfants aujourd'hui :uhuh:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par L'étranger... »

Jeremy Fox a écrit :Un oubli de ma part pour 1958 (d'autant qu'il est sorti chez Sidonis) : Le Tueur qui murmure de Gordon Douglas. Je rattrape ça au plus vite mais lors de ma découverte, je n'avais pas apprécié du tout.


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Moi je l'ai trouvé trés bien, une de mes plus belles découvertes d'il y deux ans. Ce n'est pas un western classique mais un mélange de thriller/western qui m'a rappelé La nuit du chasseur (pour le mélange époque/ambiance malsaine).
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Jeremy Fox
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Warlock

Message par Jeremy Fox »

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L'homme aux colts d'or (Warlock - 1959) de Edward Dmytryk
20TH CENTURY FOX



Avec Henry Fonda, Richard Widmark, Anthony Quinn, Dorothy Malone
Scénario : Robert Alan Aurthur d'après un roman de Oakley Hall
Musique : Leigh Harline
Photographie : Joseph MacDonald (DeLuxe 2.35)
Un film produit par Edward Dmytryk pour la 20th Century Fox


Sortie USA : 01 avril 1959


La petite ville minière de Warlock est terrorisée par les cow-boys d'Abe McQuown (Tom Drake), ce dernier faisant peser son joug sur la cité depuis un certain temps. A chaque venue des cow-boys du ranch San Pablo en ville, la violence éclate. Ce jour-là, ils font fuir le nouveau shérif après l’avoir humilié devant toute la population, terrée derrière ses fenêtres. En effet, la peur que ces hommes font naître aboutit à ce que personne n’intervient jamais, chacun étant trop soucieux de rester en vie. Pour que cela cesse, les habitants décident donc de faire appel à un célèbre as de la gâchette, Clay Blaisdell (Henry Fonda). Ce dernier arrive peu de temps après en compagnie de son ami et associé Tom Morgan (Anthony Quinn). Après que le comité des citoyens se soit réuni, il est décidé que Clay aura les mains libres pour mettre fin aux agissements de McQuown et de ses turbulents cow-boys. Blaisdell remet assez rapidement de l’ordre dans la petite bourgade mais les citoyens qui ont loué ses services commencent à ne plus beaucoup apprécier sa présence, les méthodes employées n’étant guère plus honorables que celles de ses ennemis et aayant peur qu'il prenne à son tour les rênes de leur ville. On espère désormais vite s’en débarrasser d’autant qu’un nouveau shérif a été entre temps recruté dans les règles, le jeune Johnny Gannon (Richard Widmark), ex-membre repenti de la bande du San Pablo. Gannon compte faire respecter la loi coûte que coûte, devant pour se faire s'opposer à la fois à ses anciens acolytes ainsi qu'au nouvel ordre instauré par le 'régulateur' Blaisdell…

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Au sein cette description de l’intrigue, n’ont été abordés ni les personnages féminins, ni les seconds rôles, ni même les relations complexes qui existent ou se tissent entre les différents protagonistes. Autant dire la richesse du scénario signé Robert Alan Aurthur, parait-il très fidèle au roman de Oakley Hall, traduit tout récemment pour la France. Doit-on utiliser les même procédés que des assassins pour faire régner le fameux ‘Law and Order’ ? Si une telle réflexion sur la loi, l’ordre et la justice a déjà été mise à l’honneur à de nombreuses reprises durant cette décennie et avec au moins autant d’intelligence (Wichita de Jacques Tourneur, The Proud Ones de Robert D. Webb…), le film de Dmytryk s’en démarque par la mise sur le devant de la scène de trois protagonistes principaux d’égal importance et les relations passionnantes qui les unissent. Aux États-Unis, nous ne sommes que le 1er avril le jour de la sortie du film dans les salles ; les passionnés de western devaient alors probablement se dire qu’ils assistaient à un cru 1959 exceptionnel en la matière. Si le nombre de western produit a légèrement baissé, qualitativement, le millésime1959 s’annonce donc brillant, bien plus gouteux en tout cas que le précédent. Jamais plus ensuite les aficionados n’auront la chance de voir autant de bons westerns en une seule année. Jugez plutôt après seulement un trimestre de westerns ! Après Good Day for a Hanging, le meilleur western de Nathan Juran (qui avait pourtant déjà deux ou trois très belles réussites à son actif), les amateurs allaient encore découvrir la dernière incursion de Delmer Daves dans le genre (l’intrigant La Colline des potences), un honnête cru Jack Arnold (Une Balle signée X), le fabuleux chef-d’œuvre de Budd Boetticher (La Chevauchée de la vengeance), un western d'Howard Hawks allant devenir l’un des plus grands classiques du genre avec Rio Bravo, et enfin allaient pouvoir constater que Michael Curtiz était encore capable de réaliser un western très attachant avec (Le Bourreau du Nevada). L’Homme aux colts d’or allait poursuivre cette excellente série ; il pourrait d’ailleurs s’agir du meilleur film de l’inégal Edward Dmytryk.

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Après 20 années derrière la caméra et quelques 25 longs métrages à son actif, Edward Dmytryk réalise avec Warlock son deuxième western. Voilà un cinéaste dont l’évolution de carrière demeure assez étrange (et je ne parle pas ici - ou très rapidement pour m’en débarrasser - de son adhésion au Parti Communiste, de sa mise à l’index par la Commission des Activités Anti-américaines, de son exil en Angleterre ni de ses dénonciations après avoir fait partie de la ‘liste des dix’ ; comme pour Elia Kazan, il y a désormais prescription et ces ‘frasques’ extra-cinématographiques ne devraient pas nous concerner lorsque l’on parle de leurs œuvres). Artistiquement parlant donc (après une bonne dizaine de films totalement inconnus), révélé en 1944 par Adieu ma belle (Murder My Sweet), film noir d’un baroquisme plastique assez délirant, on aurait pu croire que le cinéaste allait devenir l'un des grands formalistes hollywoodiens ; ce qui ne sera en définitive pas du tout le cas, beaucoup de ses films suivants sombrant souvent au contraire dans un académisme un peu pesant et ennuyeux ; et notamment dans la période qui sépare ses deux premiers westerns, La Lance brisée et celui qui nous concerne ici. Dmytryk s'avèrera la plupart du temps un bon technicien et le faire-valoir de brillants interprètes (ici, non moins que Henry Fonda, Anthony Quinn, Dorothy Malone et Richard Widmark), sa direction d’acteur se révélant parfaite, mais pas un metteur en scène marquant. Ce qui donne pour résultat une filmographie pas forcément désagréable mais dont la plupart des titres ont du mal à nous passionner plus avant. Ses œuvres, souvent ambitieuses au départ, manquent pour une grande majorité d'entre elles d’ampleur, de rythme et plus globalement… de vie et de passion. Si j’ai longtemps fait la moue face également à L’Homme aux colts d’or, j’estime désormais qu’il fait exception à la règle, l’appréciant de plus en plus au fur et à mesure des visions.

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La richesse et la densité psychologique de l’écriture étant néanmoins le point fort du film, concentrons nous avant tout sur le scénario ainsi que sur ses trois protagonistes principaux. Attention donc aux spoilers ! Le film débute par l’arrivée d’une bande de cow-boys en ville, venant pour humilier son homme de loi et le faire fuir. Le patron de la bande, qui n’est autre qu’un rancher, s’est érigé en tyran local et ne supporte pas qu’un autre que lui domine la région ; chaque fois que sa totale liberté (qu’il estime légitime) est entravée par la nomination d’un nouveau shérif, il se charge de le faire déguerpir au plus vite. On devine dès les premiers plans que l’un des cow-boys se met un peu en retrait, ne supportant pas vraiment le comportement du groupe auquel il appartient ; il semble las de la dictature de son patron ainsi que des frasques de ses ‘collègues’ dont son frère cadet fait partie. Ce jeune homme, c’est Johnny Gannon, remarquablement interprété par Richard Widmark et qui, à partir du moment où débute le film (car son passé est extrêmement trouble), représente le seul protagoniste entièrement noble et positif du film, un personnage d’une extrême fragilité mais qui décide de dépasser ses peurs pour vaincre son sentiment de profonde culpabilité dû aux mauvaises actions commises durant ces dernières années. Après avoir assisté au meurtre de sang froid du barbier qui n’avait pourtant rien fait d’autre que d’érafler la joue d’un de ses clients, Gannon décide donc de ne plus rentrer au ranch ; le voilà qui erre dans les rues de la ville, témoin de tout ce qui va désormais s’y dérouler. Il se rend compte tout d’abord du ras-le-bol des citoyens qui, tenant avant tout à leur survie, plutôt que de s’insurger, préféraient jusque là rester cloitrés chez eux lorsque les cow-boys venaient ‘s’amuser’ en ville ; jusqu’au jour où, lassés par cette situation, par cette violence et cette insécurité, ils décident de faire appel à un justicier itinérant, célèbre pour avoir déjà nettoyé de nombreuses autres bourgades.

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Cet homme aux méthodes expéditives, il s’agit de Blaisdell, interprété avec une très grande classe par Henry Fonda que l’on regrette de n’avoir pas croisé plus souvent dans le genre. Une espèce de tueur à gages froid et résolu qui ne correspond plus vraiment à son époque et qui en est conscient ; il sent qu’il s’agit d’une des dernières villes qu’il aura à épurer avant que l’avancée de la civilisation vienne faire d’elle-même place nette. Mais il n’a à vrai dire plus vraiment besoin de ‘travailler’, sa fortune étant désormais faite : un vrai prince de l’élégance vivant sans vergogne dans le luxe, prenant ainsi le risque que les simples citoyens en conçoivent une certaine jalousie. Accueilli néanmoins comme un héros, il prévient d’emblée l’ensemble des habitants qu’ils risquent de ne plus le considérer comme tel dans quelques jours : "d’abord, vous êtes content parce qu’il n’y a plus de bagarres. Ensuite une chose étrange se produit : vous commencez à me trouver trop puissant et à me craindre. Pas moi, mais ce que je représente. Quand cela arrivera, cela voudra dire que nous aurons trouvé satisfaction mutuelle, et il sera alors temps pour moi de partir". En gros, ayant vécu la même évolution partout où il est passé, le personnage nous raconte à l’avance ce qui va se dérouler par la suite dans le courant du film. Son cynisme de façade cache néanmoins une belle sensibilité, capable d’arrêter un lynchage, de concevoir une amitié très forte et d’éprouver des sentiments amoureux (ici pour la splendide Dorothy Michaels dont le rôle est malheureusement un peu trop sacrifié, tout comme celui de Dorothy Malone, les deux personnages féminins s’avérant néanmoins très beaux). Mais, n’obéissant qu’à ses propres règles en marge de la loi, tout comme ceux contre lesquels il lutte, il va se trouver confronté à un nouveau shérif qui lui, n’accomplit sa tâche que dans l’intérêt de ses concitoyens et de la justice, voyant d’un mauvais œil la mainmise de Blaisdell sur la ville après qu’il ait en partie réussi à rétablir l’ordre. Et ce nouvel homme de loi n’est autre que celui qui possède un sens moral plus développé que les autres, Johnny Gannon, le seul à s’être porté volontaire à ce poste dangereux. Se sentant toujours coupable d’une action atroce commise du temps où il suivait son gang (fait qu’il raconte dans la superbe scène du déjeuner avec Dorothy Malone), il décide d’accomplir sa propre rédemption en se donnant corps et âme à sa ville avec un courage quasiment suicidaire, mettant un point d’honneur à servir la ‘véritable’ loi, porté par une inextinguible soif de justice morale.

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Partout où il se rend 'faire son nettoyage', l’élégant et charismatique Blaisdell est accompagné par son ami et associé de toujours, un homme réputé (à tort ?) pour sa méchanceté et affaibli par un pied bot, Tom Morgan, fabuleux Anthony Quinn qui aura eu une sacré belle filmographie westernienne. Lui aussi est un homme qui s’est enrichi grâce à l’assainissement des villes polluées par ‘la racaille’ ; il a tellement d’argent qu’il n’hésite d’ailleurs pas à acheter le saloon à chacune de ses venues dans une ville nouvelle ; car si c’est Blaisdell qui prend les décisions quant à ce travail spécifique de nettoyeur, Tom, tout en gérant les établissements de jeu acquis en un tournemain, lui aussi très fine gâchette sans trop de scrupules, se fait un plaisir de l’aider à éradiquer les ‘bandits’, non par altruisme mais pour entretenir la légende de son ‘héros’. La relation entre les deux hommes est d'ailleurs captivante ; si certains (beaucoup même) ont parlé d’homosexualité, j’y vois plutôt une adoration qui ressemblera plus tard à celle des fans de telles ou telles stars du showbiz. Morgan fait tout pour que Blaisdell soit considéré comme un 'dieu' partout où il passe : il ne supporte pas que l’on s’interpose ou que l’on vienne lui prêter main forte si c’est pour que l’importun en sorte grandi au dépens de son idole qu’il considère comme une légende vivante. Il n’accepte pas plus qu’une femme vienne le lui enlever, risquant ainsi de mettre fin à leur association qui semble être la seule chose qui compte désormais pour lui. D’où vient cette idolâtrie ? Du fait, comme il le dit à plusieurs reprises, que Blaisdell est le seul à ne pas voir en lui un infirme ; ni plus ni moins ! Une homosexualité latente, pourquoi pas, sauf que je ne reviendrais pas dessus n’y croyant pour ma part pas une seule seconde. Quoiqu'il en soit, et comme nous le pressentons dès le départ au vu du caractère trop bouillonnant de ce personnage, Tom connaitra un destin tragique lors d’une séquence absolument splendide de tension et d’émotion.

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Outre ces trois personnages, on trouve donc deux femmes sous-employées mais loin d’être pour autant inintéressantes ; l’une (Dorothy Malone), ex-saloon gal, est venue en ville dans le but de mettre fin aux jours de Blaisdell pour avoir autrefois tué son fiancée et que l’on devine avoir été la maitresse de Tom Morgan ; l’autre (Dorothy Michaels) tombant amoureuse du régulateur sans pour autant apprécier sa manière illégale de faire régner l’ordre, et qui, contrairement à ce quoi nous aurions pu nous attendre, ne coulera pas ses jours dans les bras de son amant de cœur, ce qui donnera à nouveau naissance à une très belle séquence qui se situe juste après le coup de sang de Blaisdell. Tom Drake tient parfaitement bien le rôle du tyran local, Wallace Ford celui du juge incarnant la bonne conscience citoyenne en étant peu enclin à faire appel à un homme usant de moyens illégaux pour faire régner ‘la loi’, DeForrest Kelley (le docteur McCoy de Star Trek) celui d’un des cow-boys les plus dangereux (car des plus intelligents) du gang de McQuown… Des personnages tous très bien campés par un casting quatre étoiles parfaitement dirigé par Edward Dmytryk, personne n’en faisant jamais trop, tous aussi justes les uns que les autres.

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La mise en scène de Dmytryk, même si elle manque d’une certaine ampleur, n’en est pas moins cette fois assez remarquable, sobre mais parfois ponctuée de belles fulgurances. Le cinéaste maitrise parfaitement bien le cinémascope notamment lorsqu’il filme les majestueux paysages du Grand Canyon qu’il a à disposition, gère parfaitement la topographie de la petite ville qui nous semble rapidement familière, et chorégraphie les duels parmi les plus tendus et les plus beaux jamais filmés jusqu’ici. Il est parfaitement bien secondé par son monteur ainsi que par le chef-opérateur Joseph MacDonald qui signe peut-être l’une des plus belles photographies pour un western urbain ; ses éclairages nocturnes entre autres sont un véritable régal pour les yeux. Le cinéaste arrive également à donner une tonalité assez réaliste à son western par l’intermédiaire du travail sur les costumes et les décors. Dans le même ordre d’idées de recherche d'un certain réalisme, les accès de violence sont rares mais d’une grande brutalité ; on peut s’en rendre compte au travers de la séquence au cours de laquelle Gannon se fait enfoncer un couteau dans la main ou encore au travers de la crudité des scènes de meurtre et de la sécheresse des duels. A côté de ça, le réalisateur n’hésite pas à mettre en scène des séquences au contraire assez baroques comme la fameuse scène hallucinée de l’incendie du saloon par Blaisdell ; le plan nocturne de Henry Fonda devant les restes calcinés de l’établissement est d’une beauté glaçante à la limite du fantastique. D’autres séquences se révèlent moins grandiloquentes mais au contraire d’une grande douceur et d’une belle sensibilité comme les deux longues scènes qui mettent successivement et longuement en scène les deux personnages féminins, celle du diner entre Dorothy Malone et Richard Widmark suivie immédiatement par celle, surplombant le Grand Canyon, de l’entrainement au tir qui réunit Henry Fonda et Dorothy Michaels. Bref, quelque soit le ton et le rythme des scènes, une très belle réalisation de la part d'un cinéaste trop souvent méprisé.

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Après le bon mélodrame familial westernien qu'était La Lance brisée, Dmytryk nous refait un western 'en chambre' (peu d'action, intrigue resserrée dans le temps et dans l'espace, beaucoup de dialogues) au superbe scénario sans manichéisme opposant trois personnages riches et attachants, amenant des réflexions assez poussées sur les différentes conceptions de la justice, de la loi et de l'ordre, et enfin critiquant le comportement timoré, opportuniste et hypocrite de la société qui se met en place, tiraillée entre le besoin d’ordre et la peur de se retrouver sous le joug un nouveau tyran, celui-là même qui les aura débarrassé du précédent. Warlock s’avère une belle réussite, non dénuée d’intensité dramatique l’amenant parfois proche de la tragédie, sans baisse de rythme, magnifiquement dialogué et superbement interprété. Lui manque une certaine ampleur et un score musical qui aurait pu le faire décoller, mais en l'état il demeure un classique dont la réputation n'est pas usurpée. Son final plein de noblesse achève d’en faire un western fortement recommandé.
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Jeremy Fox
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Thunder in the Sun

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Caravane vers le soleil (Thunder in the Sun - 1959) de Russell Rouse
PARAMOUNT


Avec Jeff Chandler, Susan Hayward, Jacques Bergerac, Blanche Yurka
Scénario : James Hill, Guy Trosper, Russell Rouse & Stewart Stern
Musique : Cyril J. Mockridge
Photographie : Stanley Cortez (Eastman color 1.85)
Un film produit par Clarence Green pour Seven Arts Production


Sortie USA : 08 avril 1959


1847. Une cinquantaine d'immigrants basques ayant fuit les Pyrénées suite aux conditions de vie devenues difficiles après la fin des guerres napoléoniennes sont en route pour la Californie où ils souhaitent s’établir avec leurs pieds de vigne qui ont fait aussi la traversée de l’Atlantique. Arrivé à Independence dans le Missouri, ils doivent retrouver le guide qu’on leur a proposé pour traverser l’Ouest américain, le rustre Lon Bennett (Jeff Chandler). Bien plus motivé à boire et à courir les filles, estimant qu’un tel petit convoi n’arrivera jamais à bon port, il finit néanmoins par accepter lorsqu’il croise le regard de Gabrielle (Susan Hayward), l’épouse du chef de l’expédition. Il n’a plus qu’une idée en tête, l’amener dans son lit ! La caravane démarre pour un long et dangereux périple ; Gabrielle repousse ardemment les avances de leur guide qui va de mauvaises surprises en mauvaises surprises en apprenant les us et coutumes archaïques du peuple qu’il escorte…

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Au vu du pitch (antihéros rustre, mélange des cultures, postulat inhabituel...), ça aurait pu le faire ! Si beaucoup virent dans le précédent western de Russell Rouse, La première balle tue (The Fastest Gun Alive), l'un des très bons westerns adultes des années 50, quelques-uns dont je fais partie auront eu au contraire l'impression de se trouver devant du mauvais et plutôt indigeste théâtre filmé. Quoi qu'il en soit, ce western fut l'un des plus gros et inattendus succès de l'année 1956 pour la MGM, et il pourrait faire office de chef-d’œuvre comparativement à sa deuxième et dernière incursion dans le genre, à savoir le film qui nous préoccupe ici, qui partait donc pourtant d’un postulat intéressant et inédit, celui de décrire un convoi de colons droit venus du Pays Basque et se rendant en Californie y implanter leurs pieds de vigne. "C'est le roi du gimmick, des astuces dramatiques, des idées insolites, le tout développé avec sérieux dans un cadre réaliste" pouvait-on lire à propos du cinéaste sous la plume de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans leur 50 ans de cinéma américain. Si la première partie de cette affirmation peut se vérifier dans Caravane vers le soleil, il n’en est rien de la seconde, le manque de sérieux de l’ensemble pouvant s’apparenter à du véritable je-m’en-foutisme à tous les niveaux, aussi bien dans l’écriture que dans la mise en scène d’une rare indigence ou encore dans la direction d’acteurs qui laisse pantois ; si Jeff Chandler a rarement été aussi mauvais (il faut dire que son personnage est gratiné, véritable ‘macho des cavernes’), son amie d’enfance, la magnifique Susan Hayward, fait peine à voir ou plutôt à entendre, affublée qu’elle est d’un horrible accent ‘français’.

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Fils d'un pionnier du cinéma, Edwin Russell, Russell Rouse a commencé sa carrière comme écrivain et (ou) scénariste à la Paramount. Il aura été par exemple l'auteur de l'histoire de Mort à l'arrivée (D.O.A.) de Rudolph Maté ou de celle de la célèbre et hilarante comédie de Michael Gordon, Confidences sur l'oreiller (Pillow Talk) avec le couple Doris Day/Rock Hudson. Tout en passant derrière la caméra en 1951 pour une courte filmographie de seulement onze films, Rouse n'arrêtera donc cependant jamais ce premier métier, continuant de participer à l'écriture de ses propres films et écrivant aussi pour les autres. L'ayant tout à la fois réalisé et participé à l’écriture du scénario, on peut donc affirmer que Russell Rouse est bel et bien la première personne à blâmer quant à la profonde nullité de ce Thunder in the Sun. Certains allant peut-être estimer que je jette encore le bébé avec l’eau du bain se feront l’avocat du diable en mettant en avant l’originalité des idées et des situations qui auraient dues me pousser à l’indulgence ; à ceux-ci je rétorquerais qu’un scénario totalement conventionnel mais à l’écriture implacable pourra donner une œuvre autrement plus satisfaisante qu’un script original sans aucune rigueur, alignant sans discontinuer bêtises, grossières erreurs historique et situations aussi improbables que ridicules. En l’occurrence des coutumes n’ayant absolument rien de véridiques (le transport des braises qui ne doivent jamais s'éteindre au risque de mécontenter les dieux, les promesses de mariage faites dès l’âge de 8 ans…), des danses basques… qui n’ont rien de basques, la risible mort accidentelle du rival en amour de Jeff Chandler dès la 30ème minute, le cri ‘irrintzina’ (boules Quies fortement préconisées) utilisé comme suppléant au télégraphe (sic !) dès la première ahurissante séquence pré-générique, le fait de décrire des colons assoiffés préférer se sacrifier pour pouvoir arroser leurs pieds de vigne, ou encore l’hallucinante bataille finale voyant les Basques mettre la pâtée aux indiens -pourtant ‘à domicile’- en sautant de roches en roches comme des kangourous (au propre, les trampolines invisibles faisant littéralement voler dans tous sens les guerriers pyrénéens), en utilisant les instruments de la pelote basque comme armes... Du grand et continuel n'importe quoi !

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Nous pourrions également aborder l'humour au ras des pâquerettes (l’apprentissage tout le film durant du mot ‘The’ par le patriarche du convoi), les décors, transparences, effets spéciaux et toiles peintes plus que ‘cheap’, la pauvreté des dialogues, l'idiotie de l’histoire, les personnages caricaturaux au possible, le rythme anémié… j’en passe et des ‘meilleurs’… Pas la peine de s’appesantir plus longuement sur un film qui à mon avis ne le mérite pas (hormis éventuellement pour le sublime dos nu de Miss Hayward) et pour ne pas non plus peiner ses éventuels admirateurs qui s'avèreront probablement soit des fans de curiosités soit d'humour involontaire ; c’est vrai que de ce côté-là, ils seront abondamment servis !
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par daniel gregg »

Jeremy Fox a écrit :Petit retour d'une année en arrière pour un western signé Gordon Douglas, le remake westernien de Kiss of Death de Henry Hathaway. Les admirateurs du film peuvent s'abstenir de s'y rendre :oops:


Le Tueur qui murmure



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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

daniel gregg a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Petit retour d'une année en arrière pour un western signé Gordon Douglas, le remake westernien de Kiss of Death de Henry Hathaway. Les admirateurs du film peuvent s'abstenir de s'y rendre :oops:


Le Tueur qui murmure



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Pourquoi pas ; mais du film aussi ; car ils sont nombreux. Je parlais de s'abstenir de lire mon avis sous peine d'être déçu :wink:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

7ème Boetticher dans mon top 50 : je suis conscient des faiblesses de Westbound mais je pourrais le revoir une fois par semaine sans m'en lasser.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par feb »

L'effet Mayo sans doute. :fiou:
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Message par Jeremy Fox »

feb a écrit :L'effet Mayo sans doute. :fiou:
Ah non, pas du tout ; la Mayo m'indiffère assez je dois avouer ; je préfère de loin Karen Steele. Mais les deux personnages féminins sont effectivement très sympas.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par feb »

Ah tiens je pensais tout le contraire.
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Westbound

Message par Jeremy Fox »

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Le Courrier de l'or (Westbound - 1959) de Budd Boetticher
WARNER



Avec Randolph Scott, Virginia Mayo, Karen Steele, Michael Dante, Andrew Duggan
Scénario : Berne Giler
Musique : David Buttolph
Photographie : J. Peverell Marley (Warnercolor 1.85)
Un film produit par Henry Blanke pour la Warner


Sortie USA : 25 avril 1959


1864, en pleine Guerre de Sécession. Le Capitaine John Hayes (Randolph Scott), officier nordiste, se voit détaché de l'armée avec pour mission de reprendre son poste en tant que patron d'un réseau de diligence dans le Colorado, état non encore engagé dans le conflit mais acquis à la cause sudiste. Il devra s'assurer de la bonne marche des relais puisque les 'voitures' seront chargées d'or devant être acheminé jusque dans le camp de l'Union. Comprenant qu’il est le seul capable de mettre sur pied une telle organisation, il se rend dans sa petite ville de Julesburg où il compte établir son quartier général. Seulement, il ne reste rien de la compagnie Overland qu’il avait mis sur pied avant la Guerre Civile, son associé Clay Putnam (Andrew Duggan) ayant tout revendu. Confédéré dans l’âme, ce dernier ne compte surtout pas aider Hayes dans sa nouvelle mission pour renflouer les caisses de l’ennemi. Il a d’ailleurs désormais un autre motif de conflit avec son ex-collaborateur puisqu’il a épousé Norma (Virginia Mayo), anciennement fiancée à John avant que ce dernier ne devienne soldat. Quoiqu’il en soit, John ne pense désormais qu’à relancer le réseau de diligence et construit des relais un peu partout. Il fait diriger l’un d’entre eux par Rod Miller (Michael Dante), un soldat manchot qu’il a rencontré durant son voyage de retour et duquel il s’est pris d’amitié. Rod, ne pouvant plus s'occuper de tout avec un seul bras, sera secondé par sa jeune épouse, Jeannie (Karen Steele). Toute cette organisation ne se fera pas sans mal, les confédérés, avec à leur tête Clay Putnam (Andrew Duggan) et son inquiétant tueur à gages Mace (Michael Pate), faisant tout pour leur mettre des bâtons dans les roues...

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"In 1864 the War Between the States was at a stalemate. Gold, the lifeblood of both armies was running dangerously low: gold to buy guns, ammunition and equipment. For the North it meant increasing the flow of bullion from California, across three thousand miles of hazardous country . . . . For the South it meant stopping these gold shipments at all costs. Victory hung in the balance" voit-on défiler au générique de ce sixième western de l’association entre Randolph Scott et Budd Boeticher. Le postulat historique de départ est donc assez intéressant : alors que le Nord a besoin d’or pour continuer à se fournir en armes, munitions et équipements divers, le Sud doit au contraire empêcher les cargaisons d’arriver à destination afin que le camp ennemi ne soit pas suréquipé face aux Confédérés qui commencent à être sacrément démunis. L’or provenant de Californie, son parcours pour arriver jusqu’aux Yankees devant passer à travers des états du Sud, son acheminement et son convoyage jusqu’à destination vont s’avérer plein de dangers ; en effet les Sudistes vont mettre tout en œuvre pour saboter la compagnie de diligence mise en place à cet effet ; ils vont incendier les différents relais, voler les chevaux, attaquer les voitures… Tout celà s'annonçait sacrément trépidant et effectivement le spectateur en aura eu pour son argent niveau action. Ceci étant, Sudistes contre Nordistes dans un État pas encore engagé dans la Guerre Civile, mise en place d’une ligne de diligence… rien de très novateur ni de très original mais, contrairement à ce qu’on a souvent dit, un scénario parfaitement bien agencé et efficacement écrit, réussissant en seulement 66 minutes à faire vivre tout un panel de personnages assez denses.

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Car Le Courrier de l’or est loin d’être un mauvais film même si Budd Boetticher lui-même n’en était pas très satisfait, loin de là même, parlant à son propos de désastre ! "As far as my films with Randolph Scott are concerned, I have never included Westbound, which in my opinion could have continued right on into the Pacific Ocean. Westbound was a mission of rescue, nothing more. It wasn't until after the third picture with Randy that I was told he had one more contractual obligation at Warner Brothers, and I considered that a disaster” écrira t’il. Effectivement Le Courrier de l'or ne fait pas partie du cycle Ranow financé par Harry Joe Brown pour la Columbia mais a été produit pour la Warner qui, comme je l’ai déjà répété à maintes reprises, aussi génial le studio fût, aura néanmoins été le vilain petit canard dans le domaine du western (à quelques exceptions près bien évidemment, à commencer par les célébrissimes The Searchers – La Prisonnière du désert de John Ford ou Rio Bravo de Howard Hawks). "Vous n'aimez pas Westbound à cause du script" disait le cinéaste à Bertrand Tavernier (entretien repris dans le superbe pavé de ce dernier, le passionnant ‘Amis américains’) ? "Moi non plus. Ce n'était pas un bon scénario, un des rares qui n'ait pas été écrit par Burt Kennedy. Mais j'avais un contrat avec la Warner et je devais faire ce film pour pouvoir faire Legs Diamond. Michael Pate était bien, mais il ne pouvait être comparé à Lee Marvin, Richard Boone ou Claude Akins". Burt Kennedy fût certes le complice idéal de Boetticher, mais il ne faudrait pas non plus oublier aussi vite que Charles Lang ou Louis Stevens lui écrivirent des scénarios tout aussi aboutis, celui absolument génial de Decision at Sundown (Le vengeur agit au crépuscule) pour le premier ainsi que du Traitre du Texas (Horizons West) pour le second.

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Ce n'est donc pas l'absence de Burt Kennedy qui devrait pousser le travail de Berne Giler à être voué aux gémonies. Il avait déjà quelques années auparavant écrit celui de l’intéressant Showdown at Abilene (Les Dernières heures d’un bandit) de Charles Haas avec Jock Mahoney, avant de faire se dérouler le reste de sa carrière quasi-exclusivement pour la petite lucarne. Le fait d’arriver à nous tenir en haleine sans aucun coups de mou et de réussir à brosser le portrait de plus de cinq personnages intéressants en moins de 70 minutes me prouve que le script qu’il écrivit pour Westbound est loin d’être médiocre. Randolph Scott, avec sa classe habituelle et son charisme coutumier, incarne un officier de cavalerie à qui l’on demande de reprendre son métier civil afin de remettre en route une ligne de diligence destinée à acheminer de l’or aux troupes Nordistes. D’abord réticent, il s’acquitte de sa mission, comprenant qu’il aiderait mieux son camp de la sorte qu’en se trouvant au milieu des combats. Homme droit, loyal et profondément humain, John Hayes est un personnage bien plus monolithique et donc bien moins ambigu que les autres protagonistes interprétés par le comédien pour le cinéaste au sein des cinq westerns ayant précédés ; c’est une des probables raisons pour laquelle le scénario a été critiqué en comparaison de ceux de Charles Lang ou Burt Kennedy. Ce n’est franchement pas vraiment dérangeant ici, n’étant pas désagréable de temps en temps de tomber sur un héros pur et dur, d’autant que Randolph Scott est toujours très à l'aise dans la peau de personnages de ce style. Laconique, peu avare de punchlines bien senties, habile au maniement des armes (sa façon de recharger un fusil d’une main est jubilatoire), mais également capable d’affection et de sourires, John Hayes est typique du genre d’homme courageux et intrépide pour lequel les aficionados du genre dès leur plus jeune âge ont dû avoir un jour ou l'autre envie de ressembler. Son amitié pour le manchot et son épouse, ses relations avec son ex-fiancée sont assez touchantes et parfaitement bien décrites, avec toujours des dialogues et réparties qui font mouche par leur concision.

Norma Putnam (Virginia Mayo) : “Why didn't you write to me?”
Capt. John Hayes (Randolph Scott) : “Would it have made any difference?”
Norma Putnam : “Might have”
Capt. John Hayes : “My bad luck”

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Le soldat revenu du front avec un seul bras, c’est Michael Dante, comédien un peu fade mais néanmoins ici assez convaincant. Répétant à maintes reprises qu’il n’est plus qu’un demi-homme, il sera soutenu par son aimante compagne interprétée par la femme du réalisateur à l’époque, déjà à l’affiche du sublime Ride Lonesome (La Chevauchée de la vengeance), la blonde Karen Steele dont la première apparition au milieu de ses champs, labourant la terre et voyant revenir son mari du front est inoubliable. Un couple très attachant en tout cas comme celui constitué par Virginia Mayo et l’excellent Andrew Duggan, comédien déjà à l’affiche de Decision at Sundown. Clay Putnam est le principal ennemi de Hayes ; ancien associé, il ne souhaite plus désormais travailler à ses côtés. Ses sincères penchants politiques l'ayant porté à soutenir la cause des Sudistes, il est non seulement opposé à son ancien 'collègue' du fait de se trouver dans le camp adverse au sein du conflit meurtrier qui se déroule, mais également par le fait d’avoir épousé la femme que Hayes aimait avant de s’enrôler dans l’armée. Putnam est très certainement le personnage le plus riche du film. Non seulement en conflit avec son ex-associé, il s'oppose également à son homme de main à propos des méthodes à employer pour réussir à déstabiliser les transports d’or destinés à l’Union. Il aura d'intenses problèmes de conscience en apprenant qu’il y a eu des morts pour se faire, y compris une mère et sa petite fille, s’enivrera de dépit pour avoir perdu toute dignité, obsédé par le mal qu’il a causé malgré lui, et tentera vainement de s’en expliquer à son épouse qui continue à l’aimer malgré le fait qu’elle soit elle aussi en total désaccord avec la tournure que prennent les choses. Cela donnera lieu à une séquence vraiment très puissante et poignante entre les deux époux qui aura pour conclusion une envie très forte de repentance, à tel point que Clay pourrait y sacrifier sa vie : le fera t’il ou non ? Je ne vais quand même pas éventer toutes les surprises du scénario !

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Virginia Mayo n’a qu’un temps de présence limité à l’écran mais toutes ses séquences sont formidablement réussies. Les deux personnages féminins auront d'ailleurs tous deux été extrêmement intéressants et attachants au sein de ce film d’hommes. Reste Michael Pate qui, à l’instar de Randolph Scott mais dans le camp opposé, se sera vu attribuer un rôle très basique sur le papier mais sacrément réjouissant, celui de Mace, un de ses ‘Bad Guy’ que l’on se plait à haïr. Il tenait déjà un rôle tout à fait similaire, toujours face à Randolph Scott, dans la bon western urbain réalisé par Joseph H. Lewis, Ville sans loi (A Lawless Street). Tout de noir et de cuir vêtu, il est ici aussi inoubliable qu’impitoyable, se fichant comme d’une guigne de la cause défendue par son patron, l’argent étant sa seule motivation au point de n’avoir aucun scrupules à tuer tout ceux qui l'empêcheront d’en amasser encore plus.

Clay Putnam (choqué que ses hommes aient tué une petite fille et sa mère) : “And to think this happened in the name of the Confederacy!”

Mace : “Whether the South wins or loses means nothing to me - never has!”

A part ça concernant le casting, assez peu de seconds rôles à se mettre sous la dent (à l'exception du tenancier du relais anti-unioniste et du pittoresque conducteur de diligence), le réalisateur, comme à son habitude, se contentant de s'appesantir que sur une petite poignée de personnages.

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Sur la forme, le film est tout aussi (voire même bien plus) réjouissant. L’habituellement médiocre David Buttolph signe peut-être son thème le plus entêtant, celui qui revient très régulièrement à chaque fois que l’on assiste à une séquence d'une diligence caracolant et qui rappelle par certains côtés la mélodie guillerette devenue très célèbre de Stagecoach (La Chevauchée fantastique) ; un ton très folâtre qui contraste avec la noirceur de l’ensemble qui arrive surtout à mi-parcours à partir du moment où l’un des personnages principaux se fait tuer (son agonie se déroulant intégralement en hors-champ, ce qui n’est pas banal). J.Peverell Marley nous délivre une photographie magnifique, témoin cette longue séquence au cours de laquelle Randolph Scott et Michael Dante, sous une pluie battante, partent délivrer des chevaux. Quant à la mise en scène de Budd Boetticher, rien à en redire une fois de plus, mais au contraire de multiples raisons de s'extasier devant sa perfection et son évidence ; c’est carré, simple et efficace à l’exemple de la scène de l’attaque de la diligence qui se terminera tragiquement pour ses occupants et qui débutait par un plan de la voiture reprenant la route alors qu’un groupe de cavaliers se détachait d'une façon très menaçante en haut de la colline. Ce qui est encore plus étonnant, c'est que malgré la très courte durée de son western, le réalisateur prend malgré tout son temps pour laisser durer certains plans sans que ça ne casse jamais le rythme de son film, lui donnant au contraire une respiration très agréable : comme pour tous ses films, il n'hésite pas à intégrer des plans assez longs sur des cavaliers chevauchant au sein des magnifiques paysages qu'il a à sa disposition ; et ceci est très plaisant d'autant que sa science du cadrage n'est plus un secret pour personne.

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Pour résumer, même s’il est évident que son scénario est bien plus conventionnel et moins original que ceux que Burt Kennedy et Charles Lang ont écrit à la Columbia, Westbound est pourtant donc très loin d'être un film médiocre comme on l'a souvent qualifié. Au contraire ! Boetticher, en à peine 66 minutes, nous prouve qu'il est toujours au top avec seulement 20 jours de tournage et un ridicule budget d’un demi million de dollars. Ca file à 100 à l'heure sans pourtant oublier la romance, l'humour et la réflexion sur l'éthique et l'honneur. Les personnages sont tous plus ou moins intéressants, que ce soient les protagonistes féminins (Virginia Mayo et surtout Karen Steele, épouse du cinéaste à l'époque, et formidable actrice) ou masculins (notamment Andrew Duggan) et Randolph Scott possède toujours autant de classe. Pas une seconde de répit, des séquences mouvementées particulièrement spectaculaires qui devraient faire rougir beaucoup de cinéastes cantonnés dans le film d'action, d'abruptes éclairs de violence, des décors naturels toujours aussi bien mis en valeur par les cadrages et la photographie, cette attention toute particulière aux chevaux et toujours aussi ce lot de petits détails inhabituels qui renforcent la richesse et le statut unique des westerns de Budd Boetticher. Effectivement mineur au sein de son exceptionnelle filmographie mais un autre exemple de sa redoutable efficacité, de son génie de la concision et, n'ayons pas peur d'être dithyrambique, de son génie tout court. Pour l’anecdote, c’est dans une salle de cinéma diffusant ce western que Jean-Paul Belmondo se rend dans A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Il s'agit certes du moins bon Scott/Boetticher ; mais vu les sommets qu'a atteint ce corpus, est-ce que ça veut dire grand chose ?!
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