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Critique de film
Le film
Affiche du film

Zatoichi 20 : Zatoichi contre Yojimbo

(Zatôichi to Yôjinbô)

L'histoire

Zatoichi se rend dans un village qu’il avait traversé il y a trois ans, espérant s’y reposer et échapper à des poursuivants qui le recherchent pour sa tête mise à prix. Hyoroku, qui auparavant dirigeait le village avec sagesse, a été démit de ses fonctions et passe désormais son temps à sculpter des Jizo. Masagoro du clan Kobotoké est devenu le parrain de la ville. Fils d’un riche marchand, il est persuadé que ce dernier, Eboshiya, cache une grand quantité d’or dérobée au Shogun par son frère cadet Goto qui a fait carrière à Edo. Il emploie un garde du corps qui ne tarde pas à s’intéresser à Ichi et à la récompense de 100 ryos. C’est dans l’auberge où il vit qu’Ichi rencontre Umeko, jeune fille qu’il avait jadis connue, et qui de son propre aveux vit désormais dans le mal. Elle souhaite voir la mort de Masagoro suite au déshonneur qu’elle a subi de ses mains. Le Yojimbo semble n’être intéressé par la prime que pour pouvoir payer les dettes d’Umeko dont il est amoureux. Ichi et Yojimbo vont ainsi essayer de tirer leur épingle du jeu dans une guerre sur le point d’éclater entre Eboyisha et Masagoro, alors même que des espions du Shogun enquêtent sur le trafic d’or.

Analyse et critique

Le film s’ouvre sur l’inévitable combat auquel se livre Ichi. « J’ai encore souillé mes mains » dit celui-ci alors qu’une pluie diluvienne ne parvient pas à effacer les traces de sang, « j’en ai assez de l’enfer ». Ichi se souvient alors d’un village paradisiaque qu’il avait arpenté il y a deux ou trois ans, et décide de s’y rendre. « Parfums de pruniers… gazouillis d’oiseaux, doux zéphyr », en répétant inlassablement cette litanie, Ichi arrive dans le village alors qu’à l’image ses paroles sont ponctuées de cadavres flottant à la surface de l’eau ou de traces de batailles. Ce second degré est le projet du film, car Ichi ne va bien sûr pas trouver un havre de paix, ses pas étant toujours destinés à le mener dans des lieux de mort, mais il va en quelque sorte trouver un instant de repos dans une histoire qui va le préserver des drames au profit d’un moment d’humour. Le repos par le rire en quelque sorte. Si au début le film semble dramatique, si la violence a gagné la ville (« Que forges-tu ? une bêche ? une faux » demande-t-il à Tomé le forgeron, avant de comprendre que celui-ci fabrique une arme), si des épisodes dramatiques sont toujours présents (un amour impossible entre une fille perdue et Yojimbo), cet épisode se refuse - ou ne parvient pas peut-être - à se faire mélodramatique ou sombre, mais multiplie l’humour et l’ironie, à l’image du décalage produit entre le poème et les visions morbides.

Ce décalage existe également entre le Yojimbo que Kurosawa a porté par deux fois à l’écran, et celui qui rencontre Ichi. Quand, chez Kurosawa, le ronin déguenillé fait monter les enchères, il ruse en fait jusqu’à ce que les clans yakuzas s’entre-tuent, véritable justicier qui ne veut pas en porter la panoplie. Ici, c’est Ichi qui intrigue afin d’arriver aux mêmes fins. Il n’y a pas véritablement de place pour deux personnages fonctionnant sur le même motif. On se rend rapidement compte que nous ne sommes pas face au vrai Yojimbo, Sanjuro, mais à Sasa, espion du shogun. Mifune ne porte même pas les habits de Sanjuro, tandis qu’Ichi est dans la droite ligne des dix-neuf épisodes précédents, arborant même le crâne rasé de ses débuts, comme pour marquer plus encore la continuité du personnage. Etrange glissement des caractères… Katsu, Mifune et Okamoto se sont ainsi refusés à faire un simple remake du film, même si l’on retrouve dans Zatoichi contre Yojimbo la trame et des scènes directement issues du film de Kurosawa (l’incendie d’une maison de tissu par exemple).

Zatoichi contre Yojimbo prend ainsi un chemin de traverse, ne se contentant pas d’opposer les deux figures légendaires. Plus grand succès de la saga, dépassant même Le Voyage meurtrier, cette production des deux sociétés des stars, Katsu Pro et Mifune Pro, aurait pu être un simple épisode opportuniste. Mais le fait que le film ne traite que d’argent, de corruption et d’appât du gain, rend l’entreprise profondément ironique. La fin est à cet égard prodigieuse d’humour quand, après d’innombrables péripéties, Yojimbo et Ichi fouillent le sol à la recherche de la poussière d’or, démentant d’un coup leur prétendu altruisme. Un second degré salvateur, qui montre que les deux acteurs ne sont pas dupes et s’amusent de leur personnage et des circonstances pécuniaires qui ont mené à leur rencontre. La même année, Katsu rend la pareille à Mifune en jouant dans Ambush (Machibuse, 1970) sans endosser pour autant les habits de Zatoichi (Mifune joue lui Yojimbo). Le Yojimbo se moque constamment de l’appât du gain, quémandant à chaque occasion des primes pour ses actions, mais immédiatement ridiculise ses demandes avec un irrésistible « 500 ryos… ou cinq tout de suite… »

Kihachi Okamoto est un réalisateur très engagé, antimilitariste, travaillant dans le cadre de productions indépendantes, et qui a dirigé une dizaine de fois Toshiro Mifune. Ici, il ne brille guère par sa réalisation, l’épisode étant plutôt paresseux, surtout si on le compare aux indéniables réussites que seront Le Sabre du mal (Dai-bosatsu tôge, 1966) et Samurai Assassin (Samurai, 1965). Les séquences de combat sont peu rythmées, et le film (près de deux heures, une première dans la série) se répète et se traîne. Le tournage lui-même se passe très mal avec des désaccords entre Okamoto et Kazuo Miyagama, allant même jusqu’à l’arrêt du tournage par un réalisateur en conflit avec un directeur de la photo trop indépendant et qui entend être porteur de la continuité d’une saga qu’il a menée à des sommets esthétiques. Heureusement Mifune et Katsu sauvent le film, remportant immédiatement l’adhésion par leur charisme inébranlable. Mifune est en retrait, ne cabotine pas comme il sait si bien le faire tandis que Katsu, lui, va plus sur son terrain en jouant énormément sur le côté humoristique d’Ichi. Mifune, dont le personnage est ivre durant la quasi totalité du film, ne manque pas également de jouer sur la comédie, avec des gimmicks (les « 500 ryos ou 5 maintenant », un « Senseiiiii » grimaçant et moqueur lancé au chef Yakusa) particulièrement réussis. Le duo s’invective à coups de « Monstre » et de « brute », se mesure à l’aune des litres de saké vidés et d’une veulerie revendiquée avec second degré. La confrontation physique est repoussée, les deux hommes ne s’affrontent au final que par la parole.

Les accents mélodramatiques sont portés par le personnage d’Umeko, interprétée par la célèbre Ayako Wakao. Actrice chez Mizoguchi (Les Musiciens de Gion, La Rue de la honte), Ichikawa ou encore Masumura (L’Ange rouge, La Femme de Seisaku), elle fait ici une incursion dans le film de genre et donne immédiatement à Umeko une aura dramatique qui tranche singulièrement avec le reste du récit. Se considérant comme une crapule, tout comme Yojimbo, seuls personnes capables de vivre en ce monde, elle se sait damnée et espère seulement emporter dans sa chute l’homme qui l’a déshonorée. C’est elle qui pousse Ichi à agir en vue de la destruction mutuelle des deux clans, les yakuzas et marchands cupides devant disparaître pour que le village retrouve sa paix perdue. Ce paradis détruit par la cupidité est symbolisé à l’image par le vieil homme sculptant inlassablement ses Jinzos. Rassemblés à l’entrée du village, ils sont la vision mortuaire d’un bonheur perdu. La soif d’argent pervertira même leur signification religieuse. L’argent contamine vraiment tout et le combat final, qui voit une procession grimaçante de morts en sursis rampant vers un tas d’or, est une vision hallucinée et un constat sans appel. Katsu et Mifune, qui possèdent chacun entre leurs mains l’avenir du cinéma de genre au cinéma, jouent donc sur un double langage. Conscients de l’opportunisme de leur projet commun, ils en font dans un même élan la critique ironique. Réflexion intéressante qui permet à cet épisode au demeurant mal rythmé, de ne pas dénaturer la qualité d’ensemble de la saga Zatoichi. Une véritable curiosité.

Introduction et sommaire des épisodes

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 17 janvier 2006