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Critique de film
Le film

Zatoichi 17 : Route sanglante

(Zatôichi chikemuri kaidô)

L'histoire

Ichi, alors qu’il partage une chambre d’auberge avec une femme malade et son enfant, assiste aux derniers moments de la mourante et recueille ses derniers vœux : emmener son fils Ryota à Maebara où se trouve son père, Shokichi. Après avoir pris en charge les funérailles de la défunte, Ichi et l’enfant prennent la route. Le bambin se révèle être une petite peste qui n’en finit pas de jouer des tours à un Ichi exaspéré. En chemin, une caravane de comédiens les convoie jusqu’à Minowa où le parrain local, Sobei, fait appel à eux comme chaque année pour organiser une fête. Mais Sobei est en fin de règne, évincé par le boss Gonzo et ce dernier veut obliger la troupe à jouer pour son compte. Ichi intervient et ridiculise le boss. Il poursuit son chemin et se rend à Maebara, où le clan local, les Manzu de Konai, alliés de Gonzo, sont de mèche avec les autorités et organisent un trafic d’estampes érotiques. Shokichi se trouve être un peintre de génie, et de ce fait, est retenu prisonnier pour réaliser ces dessins interdits. Dans l’ombre, un étrange samouraï, Akatsuka, rôde autour de tous ces protagonistes…

Analyse et critique

La chanson d’ouverture chantée par Katsu nous rappelle les affres de notre héros : « Tu dis que tu veux quitter le milieu , mais l’instant d’après ton sabre fend l’air ». Un laconique « Je ne m’en sortirai jamais » clôt cette introduction. Plus tard, une chanson à l’orchestration pop prendra le contre-pied de cette classique ritournelle. Tayu, la belle meneuse de la troupe d’acteurs, nous chante l’amour et le temps qui passe. Cette musique moderne offre un saisissant contraste et donne le ton de cet épisode très à part qui voit le retour de Kenji Misumi à la réalisation. Un épisode étrange, original, où les thèmes prennent constamment le pas sur l’action.

Comme dans l’épisode précédent, le film, s’il est toujours traversé des inévitables conflits de clans yakuzas, met en scène l’autorité Shogunale. Gangrenée, celle-ci voit des officiels corrompus s’allier aux yakuzas pour mettre en place un trafic illicite. De l’autre côté, un samouraï espion doit rétablir l’ordre en supprimant tous les protagonistes de l’affaire, bandits comme artistes innocents. Le Shogun est ainsi montré comme une entité malade qui réagit de manière inappropriée et inhumaine en appliquant une justice inique et sanglante. La confrontation entre Ichi et le samouraï Tajuro Akatsuka est le moment fort du film. Au-delà du duel final qui ne peut que survenir, c’est toute la tension entre les deux hommes, leur opposition et leurs discussions sur les codes du Bushido, qui nourrissent le suspense du film. Que va faire Akatsuka ? Jusqu’où est-il prêt à aller pour le bien de sa mission ? Ichi, yakuza, homme de la rue, s’il doit suivre certains codes n’est pas figé dans une attitude immuable. Il représente l’évolution, le changement, au contrario d’un Akatsuka qui voudrait incarner l’infini du Bushido. Ichi va-t-il réussir à faire évoluer son code moral en le confrontant à l’absurde auquel il mène ? Le fait même que Jushiro Konoe incarne ce samouraï est révélateur de la notion de passage entre l’ancien et le nouveau monde. Konoe est un acteur phare du japon d’avant-guerre, et sa présence auprès de Shintaro Katsu marque le relais entre deux visions, même si elles sont dans la continuité plutôt que dans la rupture brutale, du chambara.

L’autre grand thème de cet épisode est le rapport à l’art, la servitude de l’artiste face aux autorités marchandes, ses rapports à la censure. Ichi rencontre deux genres d’artiste durant son périple, des acteurs et des peintres, et ils sont tous prisonniers d’une société qui ne les voit que comme des vaches à lait. La troupe essaie de lutter pour son indépendance, tandis que Shokichi essaie de s’enfuir de sa prison créatrice. La valeur marchande de l’art est confirmée par la venue à Maebara de copieurs venus d’Edo, « artistes » de renom qui doivent dupliquer à l’envie les œuvres du peintre. C’est bien la marchandisation qui est visée à travers ces parasites qui n’apportent rien à l’art et n’usent que de leur habilité sans y mettre de cœur. Si ces parrains peu scrupuleux représentent des producteurs qui ne jurent que par l’argent, Akatsuka pourrait lui être l’image d’un comité de censure étatique, autre danger qui guette l’artiste.

Plus encore, c’est le thème de la filiation de l’art qui semble prépondérant. A travers le personnage de Ryota, qui a des talents innés d’artiste, et ses relations avec Ichi puis avec ce père qu’il n’a jamais connu, c’est la notion d’apprentissage qui est en jeu. Si ce n’est pas la première fois qu’Ichi doit prendre en charge un enfant (Voyage meurtrier et Voyage en enfer traitaient de la paternité), le changement radical est qu’Ichi ne se voit pas comme un père potentiel pour cet enfant. Ils se tirent constamment dans les pattes et l’amour qu’ils vont mutuellement se porter mettra du temps à naître. C’est qu’Ichi se doit tout d’abord d’apprendre que les talents de Ryota ne sont pas là pour servir sa vision du monde, mais pour exprimer sa propre sensibilité. Lorsqu’Ichi demande à l’enfant de lui dessiner dans le sable le visage de Tayu, la chef des acteurs dont il imagine le visage parfait, il se fâche contre lui quand il se rend compte que l’enfant ne retranscrit pas la réalité mais la transforme pour exprimer alors sa colère contre le masseur aveugle. Cette scène splendide marque le début d’un mouvement d’Ichi vers l’art, alors qu’il est convaincu que celui-ci doit servir ses intérêts et non celui de l’artiste, tout comme les trafiquants d’estampes. Ichi est doublement aveuglé dans ce film, par son handicap et par cette vision tronquée. Jamais dans aucun film on avait autant insisté sur son statut d’aveugle. Rares sont ceux qui l’appellent Ichi, c’est bien le terme Zato qui revient à longueur de phrases. Ichi est constamment moqué, ramené à ces yeux qui ne voient plus.

Force est de constater que malgré un sous texte particulièrement passionnant, original dans un film de genre, Misumi ne fait pas preuve d’une grande créativité visuelle ou narrative, contrairement à ses réalisations habituelles. Comme si le réalisateur voulait se mettre en retrait, se refusait à toute ostentation pour laisser parler son sujet. Il faut donc attendre les combats finaux pour que le cinéaste nous éblouisse de nouveau. Une mine sert de décor à une joute de masse où Katsu est au sommet de sa forme, magistral dans ses mouvements superbement captés en plans séquences par Misumi. Le duel final est une autre splendeur. Noyée de neige, une ruelle est l’unique décor de cet affrontement, cadre restreint que Misumi parvient à rendre opératique en quelques plans savamment cadrés. Tout l’art de Misumi est là, dans la suspension du temps qui immobilise les adversaires. Par des inserts sur les mains s’approchant de la garde du sabre, sur la position des pieds, le réalisateur capte l’attente qui précède l’action. C’est la première collaboration de Misumi avec Toshio Taniguchi, qui devient dès lors son monteur attitré et l’un de ses plus proches collaborateurs.Kenji Misumi trouve au sein de la Katsu Prod. un havre de paix, où malgré les rapports parfois conflictuels avec Katsu, il pourra continuer à créer jusqu’à la fin de sa vie. Bref, un Misumi, même en retrait, vaudra toujours mieux que le remake débile réalisé par Philip Noyce en 1989, Blind Fury, qui bien sûr ne garde que l’intrigue en oubliant tout discours. Quand les marchands rattrapent les œuvres…

Introduction et sommaire des épisodes

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 22 novembre 2005