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Critique de film
Le film

Zatoichi 10 : Zatoichi's Revenge

(Zatôichi nidan-kiri)


L'histoire

Dix années après leur séparation, Ichi rend visite à Hikonoichi, le professeur qui lui apprît l’art du massage. Arrivé en ville, il apprend que ce dernier a été assassiné et que sa fille, Sayo, a été contrainte de se prostituer pour le compte du parrain local, Tatsugoro, afin de payer les dettes de son père. En fait Tatsugoro a trouvé un moyen efficace d’amasser fortune en prêtant de l’argent puis en faisant tuer l’emprunteur, reportant ainsi le remboursement de la dette sur les filles qui vont grossir les rangs des prostituées de ses maisons de passe. Ichi, en fréquentant une maison du jeu du clan yakuza, démasque la tricherie opérée par les croupiers. L’un d’eux, Denroku, est désigné comme bouc émissaire par le parrain avant d’être expulsé du village, devant laisser sa fille Tsuru aux mains du gang. Ichi décide de sauver Tsuru et de régler son compte au boss félon et à l’intendant qui mouille dans la combine…

Analyse et critique

Le film s’ouvre sur le visage d’Ichi baigné de soleil, « Ah ! what a nice sunshine », introduction qui donne suite à la conclusion du précédent épisode. Notre sabreur aveugle va devoir une fois de plus rendre justice pour continuer à se tenir droit devant les feux du soleil levant.

Zatoichi's Revenge explore une facette peu reluisante d’un Japon déjà bien mis à mal depuis le début de la saga. Akira Inoue décrit l’univers des maisons closes, véritable esclavage sexuel officialisé, avec une précision qui en démontre toutes les horreurs. Enfermées dans des cages, à peine nourries, battues, réduites à des objets sexuels, les femmes sont les victimes de cet épisode où le machisme de la société nippone est farouchement dénoncé. Les hommes s’endettent, jouent, tuent, n’hésitent pas à se mettre à trois pour battre à mort une femme jetée à terre. La peinture est réaliste et cruelle, même si l’on est à mille lieues des films de prisons de femmes qui vont fleurir sur les écrans japonais ou philippins. Le film se concentre sur les drames des jeunes filles et non sur les sévices qu’elles subissent. Si les scènes sont violentes, il n’y a aucune tentation voyeuriste, et c’est le drame humain qui prime et non une esthétique du sadisme. Ce dixième épisode est très sombre dans son évocation d’une humanité corrompue, tyrannique, où les dignitaires font fortune sur la vente des corps et leur avilissement. Minoru Inuzuka, scénariste phare de la saga, qui après cet épisode va prendre sept ans de repos avant de revenir pour La Blessure en 1972, est toujours l’explorateur des zones d’ombre, que ce soit celle de son personnage ou de son milieu. Si le fond est passionnant, malheureusement l’intrigue demeure des plus classique, nouvelle occasion pour Ichi d’être confronté à un monde sans scrupule, ignominieux, terrain rêvé pour faire entendre une fois de plus la voix de la justice. Le film se déroule sans surprise : Ichi se jette goulûment sur la nourriture, démasque des tricheurs dans une salle de jeu, stupéfie son monde par ses talents de sabreur, puis massacre allègrement tous les malfrats dans un final apocalyptique. Les personnages secondaires n’ont que peu d’épaisseur. Seul Denroku, qu’Ichi tente de remettre dans le droit chemin, voit son histoire quelque peu développée. Il travaille pour les yakuzas afin d’élever dignement sa fille, et ce monde commence à faire sentir sa perversité sur un homme droit et intègre, ainsi que sur sa fille qui va être amenée à trahir Ichi pour sauver son père. Mais Ichi sera tellement persuasif que Denroku en viendra à imiter ses postures durant le combat final !

Un épisode très classique, plus commercial et qui joue souvent la carte de la facilité, notamment par l’humour qui vient alléger le propos. Shintaro Katsu ne s’intéressait que peu aux scénarios qui lui étaient proposés, concentrant toute son attention à se glisser dans la peau de son personnage. Ainsi lorsque Kazuo Mori ou Kenji Misumi cèdent la place à des réalisateurs à la vision moins personnelle, les films ont tendance à se répéter, sans véritablement trouver matière à rebondir sur de nouvelles voies. Akira Inoue, assistant réalisateur de Misumi sur Bouddha (Shaka, 1961) et de Kon Ichikawa sur La Vengeance d’un acteur (Yukinojo henge, 1963), dont c’est ici la deuxième réalisation, propose un véritable style qui tranche avec le déroulement linéaire du récit, s’amusant avec les outils cinématographiques, certes sans réelle vision d’ensemble mais avec un plaisir sincère. Flash-back, passages en noir et blanc, vues subjectives, couleurs flamboyantes, ralentis, très gros plans et cadrages jouant sur les lignes de fuite et les perspectives sont tour à tour convoqués dans le seul but de dynamiser le récit. Le film renoue également avec un esthétisme de la violence, vision outrancière qui rapproche cet épisode du western spaghetti qui au même moment commence à prendre son envol. Le chambara et le western classique sont soumis à la même évolution au sein de leur genre : formalisme de plus en plus poussé et radicalisation de la représentation de la violence. Ces deux genres populaires ont grandi conjointement, et si Kurosawa a certainement influencé Leone avec son Yojimbo, il ne faut pas oublier que le réalisateur japonais décalquait lui un roman de Dashiell Hammett qui avait déjà servi de matrice à nombre de westerns. L’histoire de la culture populaire n’est qu’échange, constants aller-retour, influences réciproques. Elle évolue par rapprochement et contamination d’un genre par un autre, d’un code formel par un autre, d’un médium par un autre et il est logique que de part et d’autre du monde deux genres frères se répondent et avancent conjointement.

L’affrontement final tant attendu est une véritable réussite, un massacre dantesque où Ichi va faire tomber les cadavres de ses ennemis comme la pluie. Rien ne semble pouvoir s’interposer entre sa colère et les deux associés diaboliques. Figure toute puissante de la justice, il ressemble à un dieu vengeur, armé de deux lames avec lesquelles il se fraye un chemin au milieu des corps, comme s’ils n’étaient qu’une jungle de mauvaises herbes.

On est alors au milieu des années 60 et la crise du cinéma japonais se fait ressentir. Face à la concurrence de la télé, les studios périclitent. Seule la Daiei semble garder la tête hors de l’eau, et c’est en grande partie grâce à la saga Zatoichi dont le succès ne se démentit pas. Shintaro Katsu devient le comédien le mieux payé de l’histoire du cinéma japonais. La série patine depuis deux épisodes, depuis Le Voyage meurtrier de Misumi, et il est temps qu’une véritable personnalité reprenne le flambeau. Ce sera Kazuo Mori qui réalisera la même année Zatoichi and the Doomed Man.

Introduction et sommaire des épisodes

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 22 novembre 2005