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Critique de film
Le film

Week-end

(Bank Holiday)

L'histoire

Un long week-end, c’est presque des vacances ! C’est en tout cas ce que pensent les anglais, prompts à profiter de leurs quelques jours de congés pour oublier leur quotidien en allant à la mer. Mais ce n’est pas le cas de Stephen Howard (John Lodge), qui vient de perdre sa femme en plein accouchement. Catherine (Margaret Lockwood), son infirmière, s’apprête elle aussi à partir en week-end et à rejoindre son fiancé sur le littoral. Mais, touchée par son chagrin, elle se demande rapidement si elle a bien fait de laisser le jeune veuf seul…

Analyse et critique

Sorti la même année qu’Une Femme disparait, Week-End contribue avec le film d’Hitchcock à asseoir la notoriété de celle qui sera la plus grande star anglaise de la décennie suivante, Margaret Lockwood. A la mise en scène on trouve un tout jeune Carol Reed (32 ans à l'époque) qui se situe ici aux antipodes des thrillers qui feront plus tard sa réputation mais qui accède néanmoins à une production plus cossue que les quotas quickies dans lesquels il débuta. Le film est plutôt là une chronique douce-amère oscillant entre mélodrame et comédie. Le titre original Bank Holiday désigne la tradition des quatre jours fériés en Angleterre (à l'époque du film en tout cas aujourd'hui ils sont plus nombreux) et le film s'ouvre sur l'imminence de l'un d'entre eux à travers différente saynètes comiques en ouverture où les ouvriers jettent soudain leur pelles au loin, les secrétaires tapent frénétiquement à la machine en surveillant l'horloge ou encore les maçons abandonnent sac de ciment dès que la cloche signalant la fin de leur labeur retentit...

L'intrigue adopte ainsi un ton contrasté en voguant d'un groupe à l'autre de personnages aux destins variés, de leur départ de Londres en train jusqu'à leur séjour au bord de la mer. Pour les plus anodins mais amusant on a un deux jeunes écervelées qui vont participer à un concours de beauté (René Ray et Merle Tottenham délicieusement jolies et superficielles) ou encore une mère de famille (très attachante Kathleen Harrison) qui a bien du mal à gérer sa marmaille turbulente puisque son rustre de mari goute aux divers plaisir locaux plutôt que de l'aider. La facette dramatique sera évidemment la plus intéressante. On y voit Margaret Lockwood, jeune infirmière assister impuissante à la mort d'une patiente en couche. Touchée par la détresse de l'époux (John Lodge), elle le quitte la mort dans l'âme et il ne quittera plus ses pensées durant son weekend de vacances. Loin des rôles de garces magnifiques à venir de The Wicked Lady ou The Man in Grey, Margaret Lockwood est ici très touchante en infirmière compatissante et amoureuse. Reed amène avec brio les sentiments naissant de cette jeune femme pour cet homme anxieux puis accablé par la perte de son épouse. Le dialogue entre eux avant le drame noue superbement le lien en captant l'étincelle dans le regard d'une Margaret Lockwood surprise d'être si troublée et John Lodge est l'homme idéal et passionné incarné avec sa prestation tout en fragilité.

C'est par leur relation que le film trouve tout son intérêt. En vacances avec son pressant et immature petit ami (Hugh Williams) elle ne songe qu'à cet homme qu'elle a laissé à Londres seul en détresse tout comme ce dernier se partage entre mélancolie et pensée pour celle qui sut si bien le réconforter de sa perte. Carol Reed use de belles idées visuelles pour tisser ce lien fragile. Parmi les plus marquantes on retiendra ce fondu au noir où le regard de Margaret Lockwood se perd dans les eaux de la Manche pour remonter les eaux de la Tamise dans la scène suivante et capturer le visage tout aussi abattu de John Lodge, illustrant magnifiquement leur pensée commune l'un pour l'autre. Il y a aussi les déambulations de John Lodge dans un Londres vidé de sa population le renvoyant à sa solitude, les souvenirs affluant en flashback refaisant apparaître les mêmes rues grouillantes d'une vie symbolisée par sa compagne encore à ses côtés. Les futurs élans expressionnistes de Reed peuvent déjà se deviner dans ces moments, bien aidés par la photo de Arthur Crabtree, futur grand réalisateur de mélodrame en costumes à la Gainsborough.


Le film aurait vraiment dû s'axer essentiellement sur cette facette dramatique et approfondir. Les apartés comiques sur les autres personnages sans être ratés font au mieux sourire mais on attend constamment de revenir à Margaret Lockwood et John Lodge malgré les interactions que le script tente entre les personnages secondaires. Du coup même si le film tente d'exprimer l'esprit léger et futile associé à cette période de détente, Reed se montre moins inspiré dans un humour bon enfant mais un peu lourd que dans le mélo et la pure émotion. Les tentatives de propos social sous-jacent avec ses vacanciers souches variées et forcément pas logés à la même enseigne ne fonctionnent guère non plus, si ce n'est de façon amusante avec nos concurrentes de beautés en quête d'un mari nanti. C'est dans le spleen que le film retient vraiment l'attention grâce à la maîtrise de Carol Reed et une Margaret Lockwood qui irradie l'écran de sa beauté et fragilité. Avec le succès d’Une Femme disparait, la Gainsborough comprendra qu’elle dispose d’une star en son sein et fondera ses triomphe des années 40 sur elle.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 22 août 2014