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Critique de film
Le film
Affiche du film

Vivre libre

(Born Free)

L'histoire

Milieu des années 50. Joy (Virgine Mc Kenna) et George Adamson (Bill Travers) sont deux Anglais installés au Kenya. Dans l'exercice de ses fonctions de garde-chasse, parti à la recherche d'une lionne qui dévaste les troupeaux de chèvres d'un village, George l’abat alors qu’elle est sur le point de l’attaquer. Il réalise juste après qu’elle protégeait ses petits désormais orphelins ; il ramène alors les lionceaux chez lui. Avec sa femme Joy, ils les élèvent jusqu’à ce qu’il soit temps de les envoyer dans un zoo. Mais Joy s’est attachée à la petite dernière, qu’elle a baptisé Elsa, et ils décident de la garder. Après un certain temps passé en sa compagnie, les Adamson décident de libérer Elsa plutôt que de l'envoyer en captivité ; ils passent de nombreux mois à l'entraîner à chasser et à survivre par elle-même. Elsa devient ainsi la première lionne "domestiquée" à être relâchée dans la nature.

Analyse et critique


Un peu d’appréhension avant de revoir ce film avec lequel j’ai une relation un peu particulière et toute personnelle étant donné que ce fut l’un de ceux qui passaient en boucle à la maison lorsque mes filles étaient encore jeunes enfants, celui devant lequel elles versaient toutes les larmes de leur corps à chaque vision, terrassées de désarroi lorsque Elsa, l'attachante bébé lionne, devait partir "vivre libre". L’émotion qui m’étreignait alors était plus due à celle que je partageais avec mes enfants qu’à ce qui se déroulait à l’écran. Qu'allait-il en rester une quinzaine d’années plus tard lorsque je me retrouverais à nouveau devant ce film britannique racontant la domestication d’une jeune lionne orpheline par un couple d’Anglais vivant au Kenya contraint de s’en séparer une fois que le félin eut atteint l’âge adulte, décidant de l’éduquer à la vie en liberté avant de la relâcher. Et devant la beauté toute simple de cette jolie histoire vraie, happé par la splendide photographie de Kenneth Talbot ainsi que par la majesté des paysages kényans parfaitement cadrés et mis en valeur, me revoici plongé dans cette œuvre certes mineure mais dont le charme opère toujours à condition de ne pas en attendre plus que ce qu’elle n’est, soit un récit animalier à la ligne claire et sans chichis que beaucoup trouveront peut-être mièvre et plein de bons sentiments mais qui se révèle tellement sincère et solidement réalisé qu’il devrait parfaitement bien fonctionner, tout au moins auprès de tous les enfants qui n’ont pas encore été atteints par le cynisme ambiant.


Le scénario est l’adaptation du livre autobiographique de Joy Adamson vendu à plus de 50 millions d’exemplaires et dans lequel elle racontait l’histoire au Kenya de son couple qui avait trouvé et adopté une jeune lionne fragile devenu orpheline qu’ils nommèrent Elsa. Forcés de s’en débarrasser à l’âge adulte, plutôt que de l’envoyer au zoo, ce qui aurait été un déchirement difficile à surmonter tellement ils s’y étaient attachés, ils réussirent à obtenir un délai et l'autorisation de leur patron pour la préparer au retour à la nature et à la liberté. Elsa aura été le premier lion domestiqué, relâché quelques années plus tard dans son milieu naturel et par la suite accouchant d'une portée. Le cinéaste James Hill et son scénariste blacklisté Lester Cole - auteur entre autres auparavant des très bons None Shall Escape d'André de Toth ou Aventures en Birmanie (Objective Burma) de Raoul Walsh - acceptent le challenge de monter un film ayant pour héros un fauve et nous délivrent un film émouvant sans jamais être larmoyant ni tomber dans le piège de l’anthropomorphisme. James Hill - dont on a souvent dit qu’il aurait inspiré pour son expérience de guerre le personnage interprété par Donald Pleasance dans La Grande évasion de John Sturges - était un cinéaste spécialisé dans le documentaire mais qui ne négligeait pas pour autant la fiction, témoin l’année précédant Born Free le très bon Sherlock Holmes contre Jack l’Eventreur (A Study in Terror), un thriller victorien avec John Neville, Anthony Quayle et une toute jeune Judi Dench, la future M des plus récentes aventures de l’agent 007. Le succès international de Vivre libre va néanmoins l’amener à se spécialiser dans le même genre, le film animalier ; ce qui donnera par exemple des oeuvres comme An Elephant Called Slowly (1970), Black Beauty (1971) - qui sera à l’origine d’une célèbre série de cette décennie 70, que tous les enfants de l’époque ont pu voir dans la fameuse et insurpassable émission pour la jeunesse Les Visiteurs du mercredi - ou encore The Belstone Fox (1973).


Le couple des époux Adamson interprété à l’écran par un autre véritable couple à la ville, les acteurs Virginia McKenna et Bill Travers, fonctionne à la perfection, l'alchimie palpable qui existait alors entre ces chaleureux comédiens les rendant tous deux très convaincant. D’autant plus que leur histoire d'amour s’était encore plus épanouie sur le plateau et grâce à ses conditions de tournage exceptionnelles, à tel point qu’ils freineront ensuite un tout petit peu leur carrière au cinéma pour s’engager eux aussi dans la sauvegarde d’animaux sauvages au sein d’une association caritative afin "qu’ils soient traités avec compassion et respect et puissent vivre leur vie selon leurs besoins dans le milieu auquel ils appartiennent". Bill Travers, on a pu ensuite par exemple le voir dans La Bataille de la Vallée du Diable (Duel at Diablo) de Ralph Nelson ou encore dans Boulevard du rhum de Robert Enrico. Quant à sa compagne, elle avait déjà à quelques reprises depuis 1958 - l’année de leur mariage - formé un couple à l’écran avec son époux ; son sourire et son évident plaisir à se retrouver au Kenya au milieu des bêtes sauvages font plaisir à voir et apportent encore plus de crédibilité à ce récit initiatique animalier. 


Tourné durant neuf mois avec des animaux pour la plupart non entraînés dans différentes réserves nationales du Kenya, notamment celle magnifique du Masaï-Mara, ce film est non seulement une prouesse technique (rien ne fait toc ni factice ; il faut dire que le conseiller technique n’était autre que George Adamson en personne) mais également une oeuvre cinématographique digne d'intérêt, correctement écrite, bien réalisée et surtout splendidement photographiée. Les majestueux paysages d’Afrique - notamment la plage de Kiunga - sont sublimés par une très belle et lyrique partition de l’immense John Barry, qui ne s’entendit malheureusement pas ni avec le réalisateur ni avec le producteur Carl Foreman : n'étant pas franchement convaincus par son travail, ils crurent bon de couper la chanson interprétée par Matt Monro lors des premières projections en Angleterre. Mais, ayant dû se rendre à l’évidence suite aux projections américaines triomphales où elle avait été gardée et suite à son interprétation par des vedettes de la musique, ils la réintégrèrent et aujourd’hui la bande originale dans son ensemble est peut-être encore plus connue que le film. C’est également la première fois qu’un citoyen britannique recevait la même année deux Oscars pour la musique et la chanson originale. Le triomphe public et critique du film fut tel que Vivre libre engendra par la suite quelques suites aussi bien documentaires (The Lions are Free) que fictionnelles (Living Free) avant d’engendrer une série télévisée qui débutera en 1974.


Si de nos jours, tout du moins dans l’Hexagone, le film de James Hill ne bénéficie pas vraiment d’une bonne cote de popularité, il faut relire ce qu’en disait avec une belle emphase le New York Times à sa sortie pour appréhender comment il avait pu être reçu à l’époque : "Presque dès le premier plan - une vaste étendue couleur maïs, où les lions se nourrissent de la carcasse d'un zèbre fraîchement tué - on sait que le best-seller de Joy Adamson a été confié à des cinéastes honnêtes et intelligents. Sans minimiser les faits de la vie animale et sans trop les sentimentaliser, ce film jette un enchantement irrésistible." Touchante dithyrambe pour ce film attachant, émouvant, sincère et parfois même très drôle ; à ce propos, on se souviendra longtemps de la première rencontre d''Elsa avec un phacochère. Quoi qu’il en soit, même si vous n’êtes pas spécialement portés vers les films animaliers, faites-en au moins profiter vos enfants : ils vous en remercieront !


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 mai 2019