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Critique de film
Le film
Affiche du film

Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été

(Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto)

L'histoire

Rafaella, femme d'un milliardaire, tyrannise son entourage sur le yacht qui l'emmène en croisière. Un incident sur un dinghy conduit Rafaella et Gennarino, un de ses marins, sur une petite ile où il leur faut survivre et se supporter. Une véritable lutte des classes les oppose avant de céder la place à un amour passionnel...

Analyse et critique

Lina Wertmüller signe son film le plus populaire et célébré avec ce magnifique Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto dont le titre aussi cocasse que poétique résume parfaitement la confusion de sentiments à venir. Lina Wertmüller s'était imposée comme une réalisatrice majeure au début des seventies avec une magistrale trilogie où se succédèrent Mimi métallo blessé dans son honneur (1972), Film d'amour et d'anarchie (1973) et Chacun à son poste et rien ne va (1974). Comédie, mélodrame, brûlot social et politique s'y mêlaient dans une fièvre démesurée sur un postulat creusant le même sillon : un provincial quittait sa campagne pour gagner la ville, animé de motifs aussi différents qu'échapper à la mafia (Mimi métallo), commettre un assassinant politique (Film d'amour et d'anarchie) ou tout simplement gagner sa vie (Chacun à son poste et rien ne va). Dans tous les cas, cette vie urbaine allait être source de désillusions et de souillures, révélant les pans les plus sombres de la personnalité des héros, que ce soit le machisme ou le matérialisme ordinaire.

La réalisatrice retrouve ces thèmes mais en renouvelant son inspiration, cette fois il ne s'agira pas de se perdre dans les tentations de la ville et de la civilisation mais au contraire de s'en détacher. Aux grandes fresques des films précédents, on oppose cette fois un cadre restreint mais tout aussi bouillonnant de passions contrariées. En croisière sur un yacht, Raffaella (Mariangela Melato) épouse d'un milliardaire, mène la vie dure au personnel de bord. Sa victime favorite : le marin Gennarino (Giancarlo Giannini), militant communiste à ses heures, qui a eu le malheur de la fusiller du regard lorsqu'elle déblatérait une de ses grandes tirades capitalistes. Aucune humiliation ordinaire et ou plainte futile ne sont épargnées par la perfide Raffaella à un Gennarino rageant en silence face à ces nantis hédonistes qu'il méprise. Comme à son habitude, Lina Wertmüller charge la mule à travers ces deux personnages dont la caractérisation condense toutes les oppositions morales, sociales et politiques qui déchirent la société d'alors, et italienne plus précisément. Gennarino est donc un homme et un militant communiste issu du Sud pauvre de l'Italie. Raffaella est, quant à elle, une femme, symbole de ce nord richissime et méprisant envers les plus pauvres.

Ces conflits jusque-là sournoisement exploités (Raffaella) ou contenus (Gennarino) vont pouvoir éclater avec force lorsque suite à un concours de circonstances, nos deux héros vont se trouver coincés ensemble sur une île déserte. Wertmüller laisse s'exprimer son gout de l'excès dans un hilarant sens de la farce. La milliardaire capricieuse va subir la terrible revanche de son ancienne victime bien plus débrouillarde dans cette contrée sauvage. Giancarlo Giannini en fait des tonnes en gros rustre qui va d'abord prendre un malin plaisir à narguer une Mariangela Melato affamée, les insultes fleuries et les coups volent dans ce théâtre sauvage prolongeant ce choc des cultures. Le jeu va pourtant prendre un tour plus pervers lorsque tout ce ressentiment va générer un rapport dominant/dominé, d'abord amusant puis assez dérangeant car nourrissant autant le mépris initial de Raffaella que le réel machisme de Gennarino. Gifles, corvées ménagères et servitude semblent ainsi répondre aux injustices de la première partie du film mais surtout punir la morgue de cette femme qui n'a pas su rester à sa place. Les deux protagonistes sont ainsi renvoyés dos à dos, Lina Wertmüller balaie ainsi toutes les idéologies d'un revers de la main, la malveillance bien humaine les rendant forcément utopiques. Tout cela était bien sûr déjà présent dans les précédents films : l'ouvrier syndicaliste devenait un impitoyable contremaître une fois au sommet dans Mimi métallo, l'anarchiste de Film d'amour et d'anarchie nourrissait finalement plus son ego que la cause et l'entraide des jeunes travailleurs de Chacun à son poste et rien ne va qui volait en éclat dès les premières sommes gagnées.

C'est en tirant cet affrontement vers l'abject (une tentative de viol) qu'à l'inverse la réalisatrice désinhibe définitivement ses deux héros - un procédé réutilisé plus tard dans D'amour et de sang (1978). Tout ce qui les oppose provient en fait du monde moderne, de la civilisation et des codes sociaux qui l'animent. Après avoir montré, dans les films précédents, tant de personnages se perdre dans cette ville tentatrice, Lina Wertmüller va enfin montrer deux êtres se trouver dans l'isolation purificatrice de la nature par une vraie logique rousseauiste. La réalisatrice filme les scènes les plus sensuelles de sa carrière où les amants s'abandonnent enfin après nous avoir fait rire de leurs caricatures depuis le début. Les silences dominent désormais dans les regards intenses qu'ils échangent et ce sentiment changeant s'exprime par la photogénie que leurs confère désormais Lina Wertmüller. Mariangela Melato (jamais aussi inspirée que chez Wertmüller, passant de la godiche à la vipère ou à la femme fatale avec un même brio) n'a jamais été aussi belle, le regard de Giancarlo Giannini plus ardent et le cadre de l'île jusque-là simple arrière-plan sans saveur prend des allures de jardin d'Eden à travers la photo somptueuse d'Ennio Guarnieri. Le score psyché-folk de Piero Pieccioni ajoute encore à ce sentiment de rêve éveillé dans lequel toutes les entraves morales s'estompent (exprimées par une demande très crue de Raffaella en pleine étreinte). D'ailleurs cette agressivité et cette tension ayant eu cours entre eux demeurent toujours vivaces dans leurs échanges corporels mais elles sont maintenant baignées d’une complicité charnelle qui change tout. Loin de la farce initiale, le déchirement final est typique de Lina Wertmüller avec un retour sur terre cruel auquel cet amour ne pourra survivre complètement. Un magnifique et bouleversant final pour un grand film.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : carlotta

DATE DE SORTIE : 21 juin 2017

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 20 juin 2017