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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un mauvais fils

L'histoire

Bruno Calgagni rentre en France. Toxicomane, parti six ans plus tôt pour les États-Unis, il y a purgé une peine de cinq ans de prison pour trafic d'héroïne. Pendant son absence, sa mère est morte. Il se rend chez son père qui l'accueille mais la situation devient vite invivable, son père l'accusant d'être responsable de la mort de sa mère. Bruno travaille comme manutentionnaire dans des conditions difficiles. Le contrat terminé, il trouve un emploi dans une librairie où officie également Catherine, une ancienne toxicomane...

Analyse et critique

Un mauvais fils marque une rupture et le début d’un nouveau cycle dans l’œuvre de Claude Sautet. Après une décennie passée à explorer sous toutes les formes les affres des hommes de sa génération dans une série de films désormais classiques du cinéma français - Les Choses de la vie (1969), Max et les ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul... et les autres (1974), Mado (1976), Une histoire simple (1978) -, le réalisateur souhaite sortir de ce confort, dépeindre d’autres milieux sociaux, d'autres tranches d’âges et par conséquent d'autres types de personnages et de situations. Cette réinvention passera notamment par un changement de scénaristes puisque les fidèles Jean-Loup Dabadie et Claude Neron ne seront pas cette fois de la partie. A leur place, le journaliste Daniel Biasini, alors époux d’une des égéries du cinéma de Sautet (Romy Schneider), et Jean-Paul Török, qui entre autres talents fut critique à Positif, revue qui n’eut de cesse de défendre Sautet à cette période. Au niveau du casting, le réalisateur va chercher Patrick Dewaere (après avoir hésité avec son acolyte des Valseuses, Gérard Depardieu, trop imposant et pas assez vulnérable pour le rôle) et son ami Yves Robert dans un magnifique contre-emploi de père taciturne.


Bruno Calgagni (Patrick Dewaere) est de retour en France après six années passées dans une prison américaine où il était condamné pour trafic d’héroïne. Le conflit paternel se devine dès les premières séquences, et avant même les retrouvailles, grâce au sens du détail de Sautet. Aux policiers qui l’accueillent et l’interrogent, il est capable de citer de mémoire la date de naissance de sa mère quand il n’a plus celle de son père (Yves Robert) en tête, preuve sous-jacente de la distance qui règne entre eux. Les retrouvailles seront effectivement froides et, si l’affection se devine dans les regards du père et du fils dans ce premier contact, le geste est maladroit et retenu. Un fantôme s’immisce, en effet, dans le renouement possible entre les deux hommes, celui de la mère disparue pendant la peine de Bruno. Peu à peu, cette retenue dévoilera une forme de rancœur du père pour Bruno, qu’il considère comme responsable de la dérive puis de la mort de son épouse dans ce que l’on devine être un suicide. Yves Robert est un prolongement des hommes durs et « vieille école » des films précédents de Sautet mais ce trait de caractère s’exprime différemment ici. Les protagonistes masculins de milieux bourgeois des œuvres antérieures étaient des êtres froids, distants et souvent antipathiques. Alors que le cinéaste aborde ici un milieu ouvrier et populaire, le sentiment n’est pas tout à fait le même, la difficulté à se dévoiler se révèle dans le geste incertain (Yves Robert cherchant toujours une occupation comme faire le café pour éviter un vrai tête-à-tête avec son fils), et plutôt qu’un silence glacial la détresse s’exprime dans des explosions de colère où les mots dépassent la pensée, où la rancœur se substitue à l’affection. Yves Robert, bougon et fier, se montre ainsi très attachant et vulnérable malgré la rigueur de son personnage.


Le salut ne peut donc venir que de la nouvelle génération, moins prête à s’insérer dans le monde mais aussi plus apte à se mettre à nu dans cette errance. On voit ainsi Bruno se chercher professionnellement et sentimentalement (entre relation tarifée et drague balourde) avant de trouver l’amour avec son pendant féminin aussi abimé que lui, la toxicomane repentie Catherine (Brigitte Fossey magnifique, notamment dans une scène d'aveux amoureux tout en retenue). L’équilibre ne peut cependant être atteint en dépit de ses efforts car il est rongé en son for intérieur par ce père qui le repousse. Ce manque se traduit chez Sautet par des corps traîtres - mais aussi des moments plus anodins comme lorsque Bruno insiste pour payer un verre à un quidam dans un bar - et le prolongement d’une psyché malade, que ce soit le malaise de Bruno dans le métro ou la chute d’Yves Robert sur son chantier. Les réactions de repli sur soi et d’autodestruction sont également les mêmes chez ces figures masculines, Bruno replongeant dans la drogue tandis que son père, diminué physiquement, s’isole du monde.

La fragilité révèle néanmoins un caractère plus fort chez Bruno quand les bravades de René montrent les carences de ces hommes mûrs pour qui s’ouvrir signifie perdre la face. Les trajectoires des deux protagonistes vont ainsi en parallèle, chaque chute précédant un redressement pour Bruno et au contraire un enlisement pour son père. L’ultime séquence exprime bien cela, avec un René seul et ayant chassé son amante (Claire Maurier) dont il refuse la pitié, quand Bruno rappelle Catherine avec laquelle il a partagé des démons communs. Cet élan est donc aux antipodes de la résignation désabusée qui accompagnait les derniers films du cycle précédent (Vincent, François, Paul... et les autres et Mado) - surtout ici l’énergie et la modernité du film l’éloigne de ces mélodrames figés - et s’inscrit plutôt dans la veine lumineuse d'Une histoire simple. Seulement, cette fois, Sautet semble enfin laisser pleurer ses hommes et ce sont les plus jeunes qui initieront cet abandon, le final sobre laissant une belle note d’espoir.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 11 septembre 2019