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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un choix d'assassins

L'histoire

Depuis l’accident de voiture qui a provoqué la mort de sa femme, l’auteur de bandes dessinées Stéphane Destouches a sombré dans l’alcool. Il erre sur les routes du Maroc jusqu’au jour où, à Tanger, il fait d’étranges rencontres. D’abord, sur la plage, une petite fille qui pourrait lui redonner foi en la vie. Ensuite, dans un bar, une bande menée par un certain Domenico qui va voir en cet homme désespéré et prêt à tout le tueur à gages idéal. Stéphane s’installe avec la bande.

Analyse et critique

Lorsque le spectateur pose son regard sur l’affiche d’Un choix d’assassins, il trouve bien peu de noms pour retenir son attention. C’est peut-être le patronyme de l’auteur du roman qui inspira le film qui évoquera finalement le plus de souvenirs au cinéphile puisqu’il s’agit de William P. McGivern dont l’œuvre fut notamment adaptée pour le Le Coup de l’escalier réalisé par Robert Wise et l’inoubliable Règlement de comptes de Fritz Lang. Le casting, lui, est essentiellement constitué d’habitué des seconds rôles du cinéma français ou italien sans véritable star pour le porter. Quant au réalisateur, Philippe Fourastié, il faut reconnaître qu’il est resté très méconnu, la faute à une filmographie réduite à seulement deux longs métrages. Le second, La Bande à Bonnot, est une tentative audacieuse et plutôt réussie de tourner un polar avec une sobriété maximale et dans une atmosphère quasi mystérieuse. Un choix d’assassins peut être vu comme une sorte de brouillon de ce film, construit sur des idées brillantes mais aussi plombé par plusieurs défauts.


Les idées brillantes sont visibles dès les premiers instants. L’ouverture d’Un choix d’assassins est brillante. On observe, pendant une vingtaine de minutes, l’errance d’un homme mystérieux qui semble privé de passé ou d’avenir et même de prénom. Ivre, il échoue sur une plage où il croise une petite fille dont l’innocence semble être l’image inversée du personnage que l’on suit. Puis, quelques temps plus tard, il rencontre dans un bar une bande louche menée par un certain Domenico, qui va lui proposer de se suicider pour un verre de Cognac. Un défi qu’il accepte et qui va le faire entrer dans le groupe. La séquence est fascinante, aussi aride que semble l’être l’âme de Stéphane, le personnage principal, et véhiculant une aura de mystère renforcée par la rareté des dialogues. Fourastié installe le ton de son film et son personnage principal. Le réalisateur ne versera pas dans la psychologie, expliquant très peu les motivations de ses protagonistes, ce qui renforce la fascination qu’exerce le film sur le spectateur et permet de faire de Stéphane, comme il le dit lui-même, un personnage « déjà mort ». Fait insolite, le seul lien reliant l’intrigue d’Un choix d’assassins à la réalité se fait par l’intermédiaire de bulles de bandes dessinées. Stéphane nous est présenté comme le dessinateur de Lucky Luke, dont certaines images, dessinées par Morris, parcourent le film. On retrouve également la bande dessinée à la une des journaux, comme une couverture de L’Express mettant en scène Astérix. Ce sont les seuls éléments concrets permettant de situer temporellement les évènements qui seront proposés au spectateur. Une idée amusante, sinon totalement géniale, qui sert aussi à définir le personnage de Stéphane, le cow-boy qui tire plus vite que son ombre étant évidemment un reflet presque grossier de son destin de justicier solitaire.


S’il est intéressant de voir Fourastié tenter de créer une atmosphère prenante avec des éléments originaux, c’est aussi une prise de risque importante pour le cinéaste. Malheureusement, il est loin de triompher totalement. Au fur et à mesure que le film s’écoule, il se fait de moins en moins passionnant, de moins en moins fascinant. Au cinéma la frontière est ténue entre contemplation et ennui, et c'est vers cette seconde option que nous basculons une fois les 20 premières minutes passées. Après l'étonnante ouverture, l’intrigue se fait plus concrète mais l’action n’arrive pas. L’effet de surprise est passé, le mystère se dissipe malheureusement, sans que rien ne vienne relancer la machine. Fourastié semble se perdre dans la mécanique qu’il a lui-même construite et il perd peu à peu l’intérêt du spectateur, jusqu'à une conclusion qui semble très naïve à l’aune des promesses de l’ouverture du film. Seule la relation qui se construit entre Stéphane et la petite fille redonne parfois un souffle poétique au film, même si son exploitation nous semble limitée, voire parfois contradictoire avec l'atmosphère noire des premières minutes. Si Un choix d’assassins semble s’essouffler au fil des minutes, son réalisateur n'en est pas entièrement responsable, et pour nous la cause s'en trouve aussi dans son casting. S’il ne faut évidemment pas rejeter d’emblée une distribution constituée presque exclusivement d’inconnus, à l’exception de Robert Dalban qui fait une courte apparition, force est de constater que les interprètes du film ne sont pas à la hauteur des ambitions de Fourastié. En premier lieu, nous regrettons le choix de Bernard Noël pour le rôle de Stéphane. L’acteur ne véhicule rien et propose une prestation particulièrement insipide. L'inverse aurait été nécessaire pour magnifier un tel rôle. Privé d'élément biographique par le script, Stéphane n'existe que par ce qu'il exprime à l'écran. Un acteur capable d'emporter l'empathie du spectateur par sa seule présence, à l'image d'un Lino Ventura par exemple, aurait certainement pu créer un personnage d'un tout autre calibre. Malheureusement Bernard Noël n'est pas de cette trempe, et nous restons presque totalement indifférents au destin de Stéphane. Face à lui, la bande de Domenico, essentiellement interprétée par des acteurs italiens, n’est pas mieux lotie. Le jeu est caricatural, comme si l'on cherchait à nous faire croire à de vrais gangsters, mais tout semble forcé et les personnages ne prennent jamais l’épaisseur nécessaire à de véritables antagonistes. L’histoire qui donne naissance à Un choix d’assassins est porteuse d’un potentiel extrêmement prometteur, avec son personnage principal en victime absolue du destin. Quel dommage que le film n’ait pas pu être à la hauteur de ces enjeux. Un casting plus expérimenté et un réalisateur maîtrisant mieux son ambition auraient sans aucun doute pu nous offrir un film bien plus passionnant.


Si Un choix d’assassins est largement imparfait, il se révèle néanmoins intéressant. Son étrangeté et sa sécheresse annoncent La Bande à Bonnot, second et dernier film de Fourastié qui sera bien plus réussi. Nous sommes ici dans la veine de ces quelques films inclassables qu’a produit le cinéma français dans le courant des années soixante, comme le sont Un homme à abattre, de Philippe Condroyer ou Un homme est mort, de Jacques Deray. Ces deux derniers titres constituent justement des réussites majeures, ce qui n’est pas le cas d’Un choix d’assassins. Mais, malgré ses défauts, le film de Philippe Fourastié est suffisamment insolite pour attirer l’attention des amateurs de polars noirs.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 3 mai 2016