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Critique de film
Le film

Ultimatum

(Seven Days to noon)

L'histoire

Un scientifique anglais s'échappe d'un centre de recherche en emportant une bombe atomique. Dans une lettre qu'il envoie au Premier ministre britannique, il menace de réduire à néant le centre de Londres si, dans un délai d'une semaine, le gouvernement n'annonce pas la fin des recherches dans le domaine. Des agents spéciaux de Scotland Yard essayent de dénicher et d'arrêter le savant fou, avec l'aide du futur beau-fils de l'assistant de ce dernier.

Analyse et critique

« Notre monde est menacé par une crise dont l'ampleur semble échapper à ceux qui ont le pouvoir de prendre de grandes décisions pour le bien ou pour le mal. La puissance déchaînée de l'homme a tout changé, sauf nos modes de pensées, et nous glissons vers une catastrophe sans précédent. Une nouvelle façon de penser est essentielle si l'humanité veut vivre. Détourner cette menace est le problème le plus urgent de notre temps. »

« J’ai fait une grande erreur dans ma vie, quand j’ai signé cette lettre. »

Ces deux phrases que l’on doit à Albert Einstein - la seconde évoquant la lettre qu’il envoya à Roosevelt et qui déclencha le Projet Manhattan, débouchant sur la première arme atomique avec les conséquences que l’on sait - s’inscrivent parmi les nombreuses sorties pacifistes qu’il fit durant l’après-guerre, regrettant amèrement le climat de menace sourde dans lequel ses travaux avaient plongé le monde. Cela résume parfaitement le postulat de cet Ultimatum qui s'inscrit encore dans la veine sérieuse des frères Boulting (qui contrairement à d’autres films où ils se répartissent les rôles co-réalisent réellement ici) mais annonce déjà la virulence caustique des œuvres à venir des années 50. Imaginons donc si Albert Einstein, plutôt que par la parole pacifiste, avait carrément menacé les autorités pour stopper l’usage de l’arme nucléaire. C’est ce qui se déroule ici lorsque le professeur Willington (Barry Jones) disparait avec une bombe atomique tout en adressant une lettre d’ultimatum au Premier ministre dans laquelle il menace de faire exploser l’engin au centre de Londres si le gouvernement ne renonce pas à ses recherches dans le domaine.

Le traumatisme de Hiroshima aura vu fleurir nombre de fables alarmistes durant les années 50, particulièrement du côté de la science-fiction mais aussi du mélodrame avec Le Dernier rivage de Stanley Kramer (1959), avant que Kubrick n’emmène le constat du côté de la farce avec son Docteur Folamour lors de la décennie suivante. Point d’éléments d’anticipation, de velléités spectaculaires ou même de grands message pacifistes dans Ultimatum où les Boulting dresse un état du monde en scrutant celui qu’ils connaissent le mieux, l’Angleterre. Ultimatum est un grand film sur la peur et les différentes formes qu’elle peut emprunter. Il y a d’abord la peur d’un homme - se considérant responsable de cet état du monde en raison de ses recherches - qui sombre peu à peu dans la dépression et l’aversion de son travail. Barry Jones, mine frêle et regard apeuré, exprime à merveille cette anxiété latente d’un Willington perdant pied avec la réalité et sombrant dans la paranoïa. C’est d’ailleurs en fait lui le personnage le plus humain et fouillé dans une œuvre finalement assez froide où chaque protagoniste est restreint à sa fonction (militaire, policier) dans le récit. On adopte ainsi réellement le point de vue d’un homme à l’équilibre mental vacillant et qui menace le monde, tout en se montrant paradoxalement peut-être le plus clairvoyant même si sa peur le pousse à une solution trop extrême.

A partir de Brighton Rock (1947), les frères Boulting sauront toujours regarder avec lucidité les travers de leurs pays. Cela était sous-jacent dans Brighton Rock où le héros était un monstre individualiste contredisant toute l’atmosphère d’entraide supposée animer la nation. Plus tard sous couvert d’humour des valeurs telles que l’impérialisme britannique - Carlton-Browne of the F.O. (1959) -, l’armée - Private Progress (1956) - et le syndicalisme - I'm Alright Jack (1959) - seront  fustigées avec une rare virulence. En 1950, le pays se reconstruit encore des suites de six années de conflit mondial et cette époque de privations est encore dans tous les esprits. La crainte d’une guerre qui se prolongeait vainement avait incité les Américains à commettre l’irréparable en larguant la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki. Un acte marquant qui éveilla diverses réactions : la peur d’une arme à la puissance dévastatrice dans les mains de quelques illuminés au moindre conflit pour le personnage du professeur Willington ; à l’inverse, une solution radicale à toute forme de menace pour une frange moins réfléchie de la population. C’est à elle que se confronte Willington lors de sa cavale, notamment lors de cet échange dans un pub où un consommateur aviné regrette de ne pas avoir eu l’arme en 1939 sans quoi l’Allemagne nazie aurait été rasée aussi sec. Ce climat de suspicion s’exprime également  par des comportements individuels et quotidiens tel que cette logeuse dénonçant Willington à la police non pas parce qu’elle a reconnu le fugitif mais car elle le prend pour un tueur. C’est cette même peur sourde rongeant un soldat qui le fera abattre un Willington désarmé lors du final.

Les échanges d’une population traumatisée et l’imagerie de l’évacuation londonienne lors de la dernière partie renvoient constamment à la douloureuse période du Blitz où la ville était en état de siège permanent sous les bombardements allemands. La mise en scène se fait tout à la fois étouffante et spectaculaire avec ces vues impressionnantes d’un Londres désert et fantomatique, comme si l’apocalypse était effectivement déjà passée. Cette atmosphère lourde et désespérée estompe progressivement la tonalité de thriller et l’urgence du compte à rebours que définit l’intrigue de départ. Les Boulting montrent une Angleterre populaire lasse et usée qui n’est plus prête à faire les sacrifices d’autrefois. La frange sociale plus élevée représentée par le professeur Willington plus consciente de la réalité du monde n’a finalement que ce même recours à la bombe pour éveiller les esprits et éteindre son angoisse. Le passé semble un fardeau rendant le présent intenable et le futur incertain pour toute ces personnes, justifiant les idées et les solutions extrêmes. C’est un constat fort pessimiste uniquement tempéré par l’insouciance du coquet et truculent personnage de l'actrice incarnée par Olive Sloane. Cette peur de l’autre et de l’avenir lui semblent étrangère (elle tendra la main à Willington et l’hébergera avant de découvrir ses sinistres projets) et son comportement lors de la scène finale est tout un symbole. Sa silhouette se perd dans le paysage urbain désert tandis que les troupes de l’armée quitte la ville sans un regard. Soudain tonne la sirène annonçant la fin du cauchemar. Goldie empoigne alors son chien et fait demi-tour, toute heureuse de pouvoir rentrer « à la maison ». Les frères Boulting semblent exprimer ce qu’ils attendent du pays à travers elle, oublier les douleurs passées et enfin aller de l’avant. Pas dans l’Angleterre craintive et recroquevillée représentée par tous les autres protagonistes du film, mais dans celle simple et fière qu’illustre la pétillante Goldie.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 1 octobre 2013