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Critique de film
Le film

Tu seras mon mari

(Sun Valley Serenade)

L'histoire

Avec pour objectif d’attirer les feux sur le Big Band dirigé par Phil Corey (Glenn Miller), le manager du groupe (Milton Berle) annonce à la presse que Ted (John Payne), le pianiste de l’orchestre, a accepté de parrainer un réfugié européen, puisque de l’autre côté de l’océan la Seconde Guerre mondiale fait rage. Croyant que cet expatrié sera un petit enfant, quelle n'est pas la surprise de Ted quand à sa place il voit arriver une belle Norvégienne (Sonja Henie) ! Dès leur rencontre, la charmante nordique n'a plus qu'une idée en tête : se faire épouser de lui alors qu'il est déjà amoureux de la chanteuse du groupe (Lynn Bari). Pensant se défaire de l’encombrante jeune femme en partant jouer dans une station de ski durant la saison d'hiver, il la retrouve pourtant sur les pistes de Sun Valley, continuant de plus belle à le harceler...

Analyse et critique

Si le nom du réalisateur Bruce Humberstone ne dit certainement pas grand-chose à nombre d’entre vous, il fut pourtant l’un des cinéastes les plus prolifiques de la 20th Century Fox, homme à tout faire du studio, un "yes man" un peu équivalent à Richard Thorpe pour la MGM. Après avoir été l’assistant de King Vidor, Edmund Goulding ou Allan Dwan, aux côtés d’Irving Cummings, Walter Lang et Archie Mayo, c’est lui qui mettra en scène le plus grand nombre des comédies musicales de la Fox, celles avec en têtes d'affiches Betty Grable, Alice Faye, la patineuse Sonja Henie ou encore Carmen Miranda. Si certaines se révèleront très mauvaises (Pin-Up Girl), elles auront été le plus souvent extrêmes plaisantes (Hello Frisco, Hello) voire savoureuses comme celle qui nous concerne ici. Mais c’est pour un film noir que Humberstone est aujourd’hui surtout connu en France : I Wake Up Screaming dont l’acteur principal, aux côtés de Betty Grable, était Victor Mature, un comédien qu’il fera à nouveau tourner dans son deuxième et très sympathique western, Massacre à Furnace Creek (Fury at Furnace Creek), genre qu’il abordera à nouveau en 1955 avec le très bon Dix hommes à abattre (Ten Wanted Men) avec Randolph Scott. Vous aurez compris qu’il s’agit d’un réalisateur à redécouvrir, sans aucun génie mais doté d’un professionnalisme à toute épreuve.

Sun Valley Serenade est une comédie musicale représentative de ce que faisait le studio dans le domaine à cette époque. Autant dire que pour les cinéphiles français, il s’agit de tout un pan du cinéma hollywoodien tout à fait obscur si on le compare avec la comédie musicale de la MGM. Et pourtant, ce fut un des genres de prédilection du studio de Darryl F. Zanuck durant les années de guerre, la Fox en produisant presque tout autant que son concurrent direct. Mais, alors que le studio du lion avait sous contrat des noms aussi célèbres que Gene Kelly, Frank Sinatra, Fred Astaire ou Judy Garland, la 20th Century Fox mettait en avant John Payne, Don Ameche, Alice Faye, Betty Grable - la pin-up peinte sur les avions des membres de l’US Air Force - ou Carmen Miranda - la chanteuse aux "chapeaux fruitiers" surréalistes. Soit noms qui ne devraient plus dire grand-chose à la plupart des spectateurs actuels car ce sont très clairement des comédiens / danseurs / chanteurs ayant un niveau de notoriété aujourd’hui bien moindre que ceux de la Metro Goldwin Mayer. Mais la Fox se rattrapera par la suite grâce à de très gros budgets alloués aux adaptations des succès de Richard Rodgers & Oscar Hammerstein, qui furent pour la plupart mises en chantier durant les décennies suivantes et obtinrent des succès phénoménaux, la plus célèbre étant toujours à juste titre La Mélodie du bonheur (The Sound of Music) de Robert Wise.

Pour en revenir à Tu seras mon mari - un titre a priori idiot mais qui résume néanmoins assez bien le pitch, celui d’une réfugiée qui n’a qu’une idée en tête et qui va tout mettre en œuvre pour y parvenir : se faire épouser de l’homme qui a accepté de l’adopter -, il s’agit d’une comédie musicale totalement méconnue dans l’Hexagone mais qui devrait dérider les plus dépressifs, une sorte de film idéal pour les fêtes de fin d’année d’autant qu’il se déroule au sein de splendides paysages neigeux. Le film est avant tout un véritable festival Glenn Miller puisqu’il s’agira du premier des deux musicals dans lesquels il jouera en prenant un autre nom ; le second, Orchestra Wives d'Archie Mayo, sera en revanche bien médiocre. Ici, nous avons donc la chance de voir Glenn Miller diriger et jouer ses plus grands tubes de Moonlight Serenade à In the Mood en passant par Chattanooga Choo Choo que chantent une première fois The Modernaires, avant qu'il soit repris par Dorothy Dandridge dans un numéro au cours duquel les étonnants Nicholas Brothers nous gratifient d'un spectaculaire et acrobatique numéro de claquettes comme seuls ils en ont le secret. Autrement, le reste de l'arrière-plan musical instaure une ambiance swinguante et chaleureuse avec surtout au programme le merveilleux It Happened in Sun Valley de Harry Warren et Mack Gordon qui revient en leitmotiv, ou encore l’amusant The Kiss Polka. Le duo John Payne/  Sonja Henie entonnera également le plaisant I Know Why (and So Do You).

John Payne s’avère ici parfait en pianiste d’orchestre, sorte de mélange de personnage à la Cary Grant et à la James Stewart, tout aussi convaincant dans la romance que dans le splastick (la séquence des chaises au chalet). Après avoir été l'un des principaux jeunes premiers de ces dizaines de comédies musicales de la Fox auprès de Betty Grable ou Alice Faye, il entamera une sorte de seconde partie de carrière dès la fin des années 40. Cette fois aux côtés de Rhonda Fleming, Gail Russel ou d'autres aussi belles jeunes femmes, il tournera des dizaines de films d'aventures ou de westerns de série B dont de nombreux réalisés par Lewis R. Foster et Edward Ludwig. L’acteur, dont le nom est aujourd’hui quasiment tombé dans l’oubli, aura pourtant toujours une place de choix dans le cœur des cinéphiles pour avoir été le comédien de prédilection d’Allan Dwan durant les années 50, dans les films que ce dernier tourna avec le producteur Benedict Bogeaus (Silver Lode, Tennessee's Partner...). A cause d’un physique assez neutre et d'un visage quasiment immuable, beaucoup le jugeront fade mais, à l’instar de Randolph Scott, je lui trouve au contraire une certaine élégance de dandy et un jeu à la sobriété exemplaire, ne tablant jamais sur une mimique ou une grimace, ne cherchant jamais à trop en faire. Certains prendront cette forme d'underplaying pour un manque de talent ; pour ma part, elle me convient et me convainc tout à fait. A ses côtés ici, on trouve un Milton Berle assez drôle mais surtout la "Esther Williams de la patinoire", Sonja Henie, triple championne olympique de patinage artistique en 1928, 1932 et 1936, virtuose de la discipline comme nous le prouvent ses deux numéros. Même si meilleure patineuse que comédienne, elle est loin d’être aussi mauvaise qu’on a bien voulu le dire ; en tout cas elle ne manque pas d'énergie, possède un charmant sourire et sa bonne humeur est assez contagieuse.

Alors certes, les séquences à ski sont un peu trop longuement étirées, les transparences assez grossières et enfin l'intrigue loin d'être ni révolutionnaire ni très subtile. Il n’en demeure pas moins que cette comédie musicale se révèle très plaisante, surtout qu'elle se déroule dans des endroits montagneux vraiment dépaysants et bien mis en valeur par Bruce Humberstone qui nous régale l’œil en faisant de cette célèbre station de ski américaine de l’Idaho un véritable décor de carte postale. Le film finit un peu abruptement mais c'est à cause d'un petit accident que la patineuse eut lors de son dernier jour de tournage et qui l'empêcha de finir son fameux numéro final sur un lac de glace noircie ; une séquence réglée et chorégraphiée par Hermes Pan, plastiquement très belle. Sans surprises, pas spécialement mémorable ni pour la mise en scène ni pour le scénario, Sun Valley Serenade est néanmoins un feel good movie et l’une des meilleures comédies musicales du studio - également l’un des plus gros hits de l’année 1941 -, idéale par son atmosphère et son lieu de tournage pour ces périodes de fêtes de Noël. Pour l'anecdote, Chattanooga Choo Choo, écrit spécialement pour le film, fut le premier disque à être vendu à plus d’un million d’exemplaires et donc peut se targuer d'avoir été le premier disque d’or de l’histoire de l’industrie musicale.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 21 décembre 2017