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Critique de film
Le film

The Opening of Misty Beethoven

L'histoire


Le Docteur Seymour Love, sexologue de son état, découvre dans un cinéma de Pigalle, une prostituée surnommée Misty Beethoven. Décidé à en faire son égérie, il la convainc de le suivre à New York afin de l‘introduire dans son carré de connaissances. La jeune femme d’abord indécise, accepte, et entame peu à peu une métamorphose qui va la faire apparaître sous un nouveau jour.

Analyse et critique

The Opening of Misty Beethoven est aujourd’hui considéré comme un film culte, un classique. Il faut imaginer l’impact sur les spectateurs d’une telle œuvre à sa sortie, davantage encore que ne le furent les premières œuvres pornographiques issues de la vague d’exploitation commerciale lancée par Gérard Damiano en 1972, laquelle marqua la naissance d’une décennie filmique d’une qualité sans précédent. Le film de Henry Paris contribue à l’évolution voire à l’aboutissement d’un genre qui sera moins de dix ans après relayé au second plan puis confiné dans des codes répétitifs. Il n’existe d’ailleurs, et ce quel que soit le pays, aucun autre genre qui ne soit né et mort au sens cinématographique du terme au cours d’une seule et même décennie. Une mort annoncée par l’arrivée de la vidéo qui en 1983 annonce la fin de l’utilisation de la pellicule au profit de la cassette. Le cinéma pornographique n’a depuis plus retenté l’expérience du cinéma au sens traditionnel du terme, à quelques très rares exceptions.

Revoir ce film, avec le recul dont nous disposons par rapport à sa date de réalisation, revient quasiment à regarder un film venu d’une autre planète, projetés que nous sommes dans une ère différente, tant il est, non pas "unique" (puisqu’il n’est pas une exception en soit) mais l’antithèse parfaite, synchrone à son époque, de ce que nous pouvons regarder aujourd’hui en terme de vidéos classées X. La stupéfaction qui nous frappe devant le soin apporté à la mise en scène, aux décors (certains d’entres eux ne démériteraient pas dans une galerie d’art, d’autres sont dotés d’une architecture abstraite collant parfaitement à l’ambiance du film) et à l’interprétation, est au moins égale à l‘inintérêt croissant d‘une très grande partie des vidéos actuelles. Elle se comprend d’autant plus quand on sait que le tournage fut étalé sur plus d’une année et sur deux continents (Europe et Amérique du Nord), chose devenue quasi impensable aujourd’hui. Ce que raconte The Opening of Misty Beethoven n’est en soi pas d’une originalité folle, mais à l’inverse des simili de scénarios contés de nos jours, l’histoire a son importance au même titre que les scènes explicites ; elle n‘est du moins pas sacrifiée en tant que simple faire-valoir. Les scènes de sexe arrivent après l’exposition d’une situation et de ses dialogues, les interprètes jouent des séquences de comédie et l’ensemble relève d‘un véritable processus de création pensé en terme de direction d‘acteurs et de narration.

Le regarder avec un œil critique revient à visionner un film à des années-lumière de la répétitivité et de la standardisation des vidéos contemporaines, exceptées celles du génial John Leslie, fondamentalement différentes puisque reposant sur une façon de filmer ne ressemblant à aucune autre. On pense d’ailleurs souvent en regardant ce Henry Paris à une comédie italienne des années 70. Henry Paris qui signe ici sous ce pseudonyme, tout en utilisant en alternance ce dernier et son vrai nom, Radley Metzger. Metteur en scène reconnu, il tourne des films depuis le début des années 60, en 16 mm, mais Camille 2000 (1969), The Score (1972) ou le très prisé The Image (1973) sont trois exemples de la richesse et de la variété de son univers. Le film qui nous intéresse commence à Paris, dans le quartier de Pigalle, dont le héros - charismatique Jamie Gillis - arpente les rues. Les cinémas pornos mettent en avant les derniers films à l’affiche en 35mm. Tout un "Age d‘Or"’ en somme. Au hasard le Docteur Seymour Love (ça ne s’invente pas), s’aventure dans un cinéma projetant Le Sexe qui parle de Frédéric Lansac (1975) énorme clin d’œil à ce long qui avait remporté le Grand Prix du Premier Festival International du Film Pornographique la même année. Un festival mort-né à l’image d’un cinéma dont l’interdiction de projection dans les salles annonça la naissance de la VHS et une seconde vie.

C’est durant l’une de ces séances que Seymour fait la connaissance de Misty Beethoven, jeune prostituée familière du lieu, mâchouillant son chewing-gum et apparaissant dans une scène mémorable aux yeux des spectateurs, le visage peinturlulé d’un maquillage vulgaire. On aperçoit dans la salle des personnes de tous âges, classes sociales et sexes. Une femme assistant à la projection exprime sa surprise en regardant le film : "Unbelievable ! Fantastic !" alors qu’un homme lit le France-Soir du jour derrière elle. Misty Beethoven s’affaire, elle, à soulager un homme d’un certain âge, arborant avec fierté une tenue Napoléonienne. L’esprit humoristique ne quittera plus le film et en sera même une des marques de fabrique, oscillant entre causticité et ton pince-sans-rire réjouissant. Radley Metzger n’en est pas à son coup d’essai puisqu‘il avait déjà mis en scène The Private Afternoons of Pamela Mann (1974). Mais ce film-ci représente un tournant dans sa carrière, puisqu’il va enchaîner avec un autre classique un an plus tard, Barbara Broadcast (1977) avec une des stars en vogue, au visage de mannequin, la fabuleuse Annette Haven, dont on peut s’accorder à dire qu’elle fut l’une des plus belles aux côtés de Veronica Hart, Barbara Bourbon ou Leslie Bovée. Au casting, on retrouve un jeune Jamie Gillis, véritable légende vivante, qui a commencé sa carrière au théâtre, avant de répondre en 1971 à une annonce du Village Voice et d’enchaîner les tournages dans le genre ici traité. Il était alors âgé d’une vingtaine d’années, et hormis Herschel Savage, véritable dinosaure de la profession lui aussi, il est l’acteur qui est resté le plus longtemps dans le circuit. Constance Money qui joue Misty Beethoven fera ensuite quelques autres films avant d’arrêter précipitamment sa carrière.

La particularité du style de Metzger est de savoir, outre filmer avec rigueur et esthétisme les corps et le désir, capter chez ses actrices une dose de sensualité et un tempérament volcanique lors des scènes hard. Sur le plateau, sa caméra épouse les silhouettes, sculpte leur image, et en recourant à un technicien de talent, qui obtiendra l’Oscar l’année suivante pour un documentaire, il parvient à donner autant de sens à l’intensité érotique d’une scène qu’à l’implication psychologique d’un personnage qui la joue. Comme dans la plupart des productions dites classiques des années 70, le film possède un jeu d’acteurs convaincant et réaliste.

The Opening of Misty Beethoven est avant tout une comédie légère, presque insouciante, et surtout dotée d’un second degré tout à fait à propos. Une comédie de mœurs dont le thème central est la figure du Pygmalion et de l’Egérie, à travers l’initiation d’une jeune femme aux plaisirs de la chair dans le but de la rendre encore plus désirable, voire exceptionnelle. La référence principale du film est bien sûr My Fair Lady de George Cukor (1964). C’en est même un remake avoué. Les scènes drôlissimes ne manquent pas : toutes celles se déroulant dans l’avion, la vanne sur la coupe de cheveux de l‘éditeur, le t-shirt avec les cartes Master Card de Misty, etc.…L’aisance technique de Metzger est indéniable quand il utilise les travellings circulaires ou horizontaux pour suivre une personne dans l’espace, ou s’appuie sur la profondeur de champ dans les séquences de la propriété. Le film est de plus joliment photographié, avec un grain de pellicule marqué. C’est un film qui utilise non seulement la grammaire cinématographique mise à sa disposition (le cadrage, le découpage, la variation des plans, champ/contre champ, raccord dans l’image, montage parallèle, etc..) mais aussi des techniques de filmage peu utilisées jusque là telles que la caméra à l’épaule et son aspect "brut" et les longs mouvements de caméra. Une certaine sophistication au service d’une image travaillée, mais aussi (et c’est son charme marquée du sceau d’une nostalgie toute 70’s), les costumes et coupes de cheveux, l’apparente pilosité, les moustaches, le cadre même de l‘action. Le film a une incontestable identité, et réussit à être souvent très excitant (l’utilisation systématique du zoom n’est à ce titre pas étrangère à cette sensation), de même que montrer les fausses interviews et coupures de presse relatant l‘arrivée de Misty Beethoven dans la propriété est un parallèle audacieux avec sa propre évolution au sein du microcosme fabriqué autour de Seymour.

Le scénario peaufiné permet au réalisateur de soigner la plupart des scènes de comédie qui s’avèrent très crédibles. Jamie Gillis en sexologue se démenant pour faire de sa promise une femme sensuelle et désirable, ou se voulant cultivé en citant des auteurs dont il ignore tout, donne lieu à quelques fous rires. Il ne connaît les choses que par théories, sa façon de jouer à l’homme qui sait tout perd en comique grinçant ce qu’elle gagne en authenticité : au contact de Misty il perd petit à petit son air suffisant et lui aussi peu à peu "‘se transformer". Metzger, quant à lui, pose un regard complice sur ce personnage et parvient à faire jaillir une vérité et une émotion étonnantes quand les deux corps se rapprochent et qu’il filme le couple en gros plan, qu’il saisit ce qu’il a de plus beau, sa simplicité. Le film fourmille par ailleurs d’idées constantes, qui peuvent ne paraître pas si géniales que cela mais rajoutent du piment, telle que celle de l’arrivée de la Rolls Royce dans la propriété au début du film, et la galerie de personnages qu’il croise à ce moment-là, s’adonnant à des fantaisies sexuelles débridées au gré de leurs envies.

Mais The Opening of Misty Beethoven ne serait pas le film qu’il est sans la musique originale qui l‘accompagne. Une véritable collection de classiques, dont les thèmes instrumentaux comptent parmi les meilleurs qu’un film X n’ait jamais comporté, sans oublier la chanson toujours utilisée à bon escient. Inventive, jouant sur différents registres, elle culmine lors de la scène finale. Elle participe derechef à la très grande réussite d’un long-métrage qui est déjà à la base une œuvre singulière et aboutie. Un vrai travail d’auteur. En écoutant cette BO, on pense sans problèmes qu’elle pourrait se trouver dans un long-métrage traditionnel. Bien loin en somme des bandes-son actuelles, qui souvent, provoquent soit l’hilarité soit la consternation. Aujourd’hui encore, le film de Radley Metzger reste un sommet. Film charnière, que peu de cinéastes ont réussi à égaler, il marque l’apogée d’un style et d’un genre, une sorte d’adieu prématuré à un circuit d’exploitation qui n’aura duré que le temps d’une décennie - le cinéma X en salle - et prouve si besoin est, qu’il existait des auteurs dans les années 70. Il raconte, en définitive, l’histoire la plus universelle qui puisse être racontée, une histoire d’amour. Avec un irrésistible talent.

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La fiche IMDb du film

Par Jordan White - le 18 août 2004