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Critique de film
Le film

The Moonlighter

L'histoire

Au début du XXème siècle. Wes Anderson (Fred MacMurray) est en prison pour moonlighting, un terme qu’utilisent les habitants de la région pour désigner le vol de chevaux s’opérant de nuit à la lumière de l’astre lunaire. Les ranchers spoliés, commandés par Alex Prince (Morris Ankrum), ne souhaitent pas attendre le procès et se préparent à lyncher leur voleur. Suite à un tragique quiproquo, c’est un innocent qui est pendu à la place de Wes, qui ne peut que constater l’effroyable erreur. Il en profite pour s’évader en se jurant de se venger des hommes qui avaient dans l’intention de le faire passer de vie à trépas. Après avoir fait sa propre oraison funèbre, il décide de se faire oublier quelques temps avant d’entamer sa chevauchée vengeresse. Quelques années ont passée. Rela (Barbara Stanwyck), la fiancée de Wes, croyant ce dernier mort, s’est entretemps amourachée de son jeune frère, honnête employé de banque. Alors que Wes massacre impitoyablement les lyncheurs, il est blessé et se réfugie chez sa mère où il espère prendre un peu de repos. Il essaie de renouer une romance avec Rela, mais celle-ci se refuse à lui puisqu’elle a promis à son frère de l’épouser. Lors d’une chasse aux pumas, Wes et Rela se retrouvent seuls tous les deux dans la montagne et peuvent avoir une sérieuse discussion à propos de leur avenir. Rela lui confirme à nouveau qu’entre eux tout est fini et lui fait promettre de ne pas contrarier ses plans de mariage ; elle le menace même de le donner à la police s’il entraîne son frère cadet avec lui sur la mauvaise pente...

Analyse et critique

... C’est pourtant ce qui va se passer. Pour éprouver les réels sentiments de sa promise, le frère de Wes va se joindre à lui pour piller la banque dans laquelle il est un employé modèle. Ses motivations sont à ce moment-là on ne peut plus obscures, et à vrai dire pas crédibles une seule seconde ! Et il en sera de même pour la plupart des réactions de tout ce petit monde. Voir lyncher un innocent va "éclairer" Wes sur la nature humaine ; il va alors se transformer en justicier... et tuer tous les ranchers qui ont participé à cette pendaison !! (sic) De débonnaire, Ward Bond va se transformer, d’une séquence à l’autre, en bête fauve sanguinaire. Le shérif accepte de faire de Rela son adjoint en un tournemain, la laissant partir à la poursuite d’un homme sur lequel elle aura le dessus en un rien de temps... Pour tout dire, les acteurs semblent parfois ne pas plus prendre leur personnage au sérieux que nous autres, spectateurs. Résultat : s'ils s'avèrent plutôt bons dans l'ensemble, ils donnent parfois l'impression de se poser des questions quant à la crédibilité de ceux qu’ils incarnent ; ce qui fait que certaines séquences sonnent effroyablement faux comme, par exemple, la crise de jalousie de Fred McMurray. Non seulement les situations et leurs enchainements ne sont guère cohérents, et encore moins fluides, mais l'écriture des personnages, en plus de toucher parfois à l’absurdité, n'est pas franchement fouillée non plus, ce qui a du mal à rendre les protagonistes attachants. On a connu le couple Stanwyck / MacMurray bien plus inspiré, et pour cause, les scénarios étaient ailleurs d’un tout autre niveau !

Le célèbre couple de Double Indemnity (Assurance sur la mort) de Billy Wilder ; le scénariste de Duel au soleil (Duel in the Sun) de King Vidor ainsi que, déjà avec Barbara Stanwyck, du très bon The Furies d’Anthony Mann ; Ward Bond en second rôle ; Bert Glennon (Wagon Master et Rio Grande de John Ford) à la photo ; de très beaux extérieurs sans aucune transparences... Il y avait vraiment de quoi saliver ! C’était sans compter sur la Warner, dont ça n’allait pas encore être l’année au cours de laquelle elle allait perdre sa place en queue de peloton des majors en matière de western. Non pas que The Moonlighter soit désagréable mais on pouvait s’attendre à beaucoup mieux au vu des noms prestigieux qui se trouvaient réunis à l’affiche. Je vous vois venir ; si vous pensiez en votre for intérieur que ce semi-ratage était dû au réalisateur Roy Rowland, vous auriez eu tort car sa mise en scène se révèle tout à fait correcte. Non, la faute en incombe bel et bien avant tout à ce scénario totalement absurde et incohérent, d’autant plus incompréhensible que Niven Busch est également l'auteur de l’histoire, et d’autant plus frustrant que le premier quart d’heure laissait augurer d'une formidable et puissante réussite !

Si l’écriture est le gros point faible du film, la musique de Heinz Roemheld semble avoir attrapé le même virus d’incohérence totale. L’air guilleret qui souligne les tueries de Wes lors de sa vengeance, tout comme les accords de guitare hawaïenne lors de la rencontre des ex-amants, s’avèrent totalement incongrus. Ceci étant dit, le film ne se révèle pas aussi mauvais qu’on aurait pu le croire ; et ce donc avant tout grâce à Roy Rowland et aux équipes techniques de la Warner. A propos du Convoi maudit (The Outriders), le précédent western du réalisateur, j’écrivais : "Même si la mise en scène de Rowland manque de souffle et d’idées, c’est celle d’un homme respectueux de son public ; nous nous étonnons même de pouvoir contempler dans ce western mineur des plans aussi beaux que celui des quatre cavaliers en contrejour en haut d’une colline." On aurait pu consigner la même chose à propos de la mise en scène de Rowland pour The Moonlighter sorti dans la foulée de son film le plus célèbre (à juste titre), le fameux Les 5 000 doigts du Dr T. Grâce à elle et au choix du réalisateur de ne pas utiliser de transparences, le film est loin d’être désagréable à visionner d’autant que Rowland arrive à bien mettre en valeur les superbes décors naturels qu’il a à sa disposition ; que ce soient la petite ville du début, le lieu rocailleux où se déroule le duel entre Ward Bond et Barbara Stanwyck, la maison familiale de Fred MacMurray, le chemin passant sous la cascade ou encore le surplomb du canyon où se retrouvent Stanwyck et MacMurray à la suite de la chasse au puma, tous splendidement photographiés par Bert Glennon, ils font de ce western un film plaisant à voir. Les scènes d’action sont d’ailleurs toutes efficacement menées (celles du duel évoqué ci-dessus ou de la séquence de la cascade) et les éléments nouveaux ou cocasses ne manquent pas, témoin, après leur hold-up, la fuite des bandits en voiture ou encore le personnage joué par Fred MacMurray qui déclame sa propre oraison funèbre alors qu’il est censé être mort, inquiétant l’assemblée par l’annonce probable de la résurrection de son fantôme ! Il dira même un peu plus tard : « Je dois être le seul type vivant à avoir échappé à sa pendaison. »

Il est vraiment dommage qu’au bout du premier tiers, le film devienne ensuite totalement incohérent, passant du coq à l’âne sans prévenir, partant dans toutes les directions dans un désordre et un manque de logique le plus total. Parce que le tout le début était excellent, d’une puissance assez étonnante quant au thème du lynchage ; en cette fin d'année 1953, il ne me semble pas avoir vu mieux sur le sujet depuis L’Etrange incident (The Ox-Bow Incident) de William Wellman dix ans plus tôt. Avant même cette virulente critique de cette "vilaine" habitude qu'avaient les habitants du Far West, le film débutait par la voix-off de Wes établissant une rapide description de la loi dans l’Ouest à cette époque et le film semblait devoir être une sacrée réussite ; la suite le démentira hélas, le scénario dégénérant jusqu’à ce retournement final totalement ridicule. Quand au tournage en 3D, on se demande bien la raison de son existence tellement l’intrigue ne s’y prêtait vraiment pas. Malgré tous ces gros défauts, au vu du nombre de westerns Warner bien plus mauvais que celui-ci vus, je serais tenté d'être bien indulgent avec The Moonlighter pour la simple et bonne raison qu'il ne m'a jamais ennuyé une seule seconde. C'est déjà ça de pris et ce n'était pas gagné d'avance. On peut donc le voir en y prenant un certain plaisir ; en revanche, pour ceux qui auraient imaginé tomber sur une pépite, ils peuvent passer leur chemin !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 décembre 2019