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Critique de film
Le film

The Family way

L'histoire

Après le mariage de Jenny Piper et d'Arthur Fitton, une réception se déroule dans un pub local. Le couple retourne à la maison des Fitton pour passer sa première nuit ensemble, avant de partir pour une lune de miel à Majorque. Mais ils trouvent le père d'Arthur, Ezra, ivre avec des invités de la fête dans le salon. Arthur se dispute avec Ezra, qui ne comprend pas le plaisir de la lecture et de la musique de son fils. Après une soirée tendue, les jeunes mariés se retirent finalement. Mais leur lit s'effondre à la suite d'une blague. Jenny en rit, mais Arthur imagine qu'elle rit de lui et n'est pas capable de consommer son mariage.

Analyse et critique

Les frères John et Roy Boulting figurent parmi les plus grands satiristes du cinéma anglais des années 50 et 60, période où ils fustigèrent les institutions avec un mordant certain : l’armée dans Ce sacré z'héros (1956), le syndicalisme dans Après moi le déluge (1959), la justice avec Ce sacré confrère (1957), la diplomatie sur Carlton-Browne of the F.O. (1959) ou encore la religion dans Le Ciel vous regarde (1960). Des films brillants mais où indéniablement s’installe une formule et une routine dans leur trame (un benêt s’immisce dans des institutions qu’il fait imploser par sa bêtise en révélant leurs failles) et le casting (Terry-Thomas, Peter Sellers, Richard Attenborough ou Ian Carmichael en grands habitués). The Family Way voit donc un renouvellement bienvenu, parallèlement à celui de sa star Hayley Mills dont ce sera le film de l’émancipation. Hayley Mills fut une enfant star et l’égérie de Disney dans nombre de charmantes productions comme Pollyana (1960), Les Enfants du Capitaine Grant (1962) ou L’Espion aux pattes de velours (1965). Elle avait su montrer une facette plus trouble de son jeu dès ses rôles d’enfance (l’excellent Les Yeux du témoin de Jack Lee Thompson (1959) qui la révèlera) mais, approchant la vingtaine, il était temps pour elle d’interpréter des personnages plus adultes. La mue se fera donc avec The Family Way, à l’écran dans un rôle qui joue habilement de la candeur et de l'innocence dégagées par son passif Disney, mais aussi en coulisse avec la romance nouée avec Roy Boulting de 30 ans son aîné, ce qui provoquera un scandale en Angleterre.

Le film débute comme un conte de fées avec une voix off en forme d'Il était une fois. Arthur (Hywel Bennett) et Jenny (Hayley Mills) sont beaux, jeunes et innocents, presque encore des enfants, mais ils s'aiment et ont décidé de se marier. Seulement, suite à une mauvaise plaisanterie, la nuit de noces tant attendue est un fiasco et une escroquerie fait tomber la lune de miel à l'eau. Cette frustration de départ va entraîner une terrible réaction en chaîne... Le scénario est adapté d'une pièce de Bill Naughton à qui l''on doit également celle qui inspirera Alfie (1966) de Lewis Gilbert avec Michael Caine. Comme dans ce dernier, on retrouve une critique féroce de la société anglaise, en particulier celle de la figure du mâle. L'affirmation constante de la virilité, que ce soit de la part des divers protagonistes masculins, des médias, de la religion (cette injonction à procréer dans le prêche de la cérémonie de mariage) ou même de la pression sociale ordinaire est un fardeau insurmontable pour le jeune Arthur littéralement paralysé après sa nuit de noces ratée. Tout comme dans Alfie, les hommes en prennent donc pour leur grade, et ce dès la séquence du mariage où en quelques moments le malaise ambiant est saisi à travers le personnage de père abusif incarné par John Mills buveur, fanfaron et brutal : un homme un vrai, en somme.

Les découvertes sur le passé des familles des deux mariés vont progressivement révéler les causes de leurs fêlures respectives, les milieux sociaux jouant également leur rôle puisque la personnalité rêveuse d’Arthur se prête mal à son cadre prolétaire très agressif, tout comme la naïveté de Jenny dans une bourgeoisie à la perfidie verbale acérée. Les mésaventures du couple vont d'ailleurs prouver que les retombées de ce mariage non consommé s'étalent bien au-delà du cercle familial lorsque la nouvelle se répand et devient sujet de raillerie dans le quartier. Les deux héros sont parfaits, notamment Hywel Bennett en Arthur dont le physique fluet et les traits fins accentuent l'innocence et l'expression différente de la masculinité - on n'est pas loin du message d'un film comme Thé et sympathie à travers son personnage. Roy Boulting filme cette jeunesse frustrée dans une belle ambiance sixties chargée d'authenticité, le film ayant été filmé à Bolton, et évite tous les lieux communs esthétique associés à l'Angleterre pop d'alors. Le couple est réellement touchant dans tous les obstacles traversés, la promiscuité de la famille brisant toute intimité, la lourdeur administrative anglaise empêchant d'obtenir un logement social (scène surréaliste où le conseiller exige qu'ils fassent des enfants avant d'être aidés, les renvoyant ainsi à leurs problèmes domestiques) ou un quotidien devenant de plus en plus terne.

Bien que très sombre et déprimant par instants, le film n'en oublie pas pour autant son début de conte de fées et résout toutes les problématiques de manière sans doute trop idéale au final. C'est cependant fait avec un tel brio (le devoir conjugal effectué dans l'attente curieuse de tout le voisinage) et une telle force émotionnelle qu'on marche sans se poser de questions. Ainsi l'ultime séquence est magnifiquement poignante, avec le personnage si dur de John Mills totalement bouleversé par l'échange sobre mais sincère qu'il a enfin pu avoir avec son fils reconnaissant. Une image saisissante qui conclut le film et laisse à entendre que, malgré les hauts et les bas, la famille a du bon. A noter un beau score signé Paul McCartney et produit par George Martin.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 18 mars 2020