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Critique de film
Le film
Affiche du film

Tendre est la nuit

(Tender Is the Night)

L'histoire

Nicole est une jeune femme très riche internée en hôpital psychiatrique dans les années 20 en Suisse. Son docteur Dick Diver la soigne et parvient à la guérir. Mais il est tombé amoureux d'elle et l'épouse. Son train de vie désormais aisé le plonge dans l'oisiveté. Il délaisse son travail à la clinique...

Analyse et critique

Jennifer Jones retrouvait sur Tender Is the Night celui qui sut tirer d'elle deux de ses prestations les plus envoûtantes dans les magnifiques La Colline de l'adieu et Le Chant des Bernadette (ce dernier ayant valu son seul Oscar à l'actrice), le réalisateur Henry King. Ce serait également un sorte de chant du cygne pour ces emblèmes de l'âge d'or hollywoodien puisque Jennifer Jones (qui effectuait là son grand retour après l'échec cuisant du remake de L'Adieu aux armes produit par David O'Selznick) allait se faire bien rare sur les écrans par la suite tandis qu'il s'agit tout simplement du dernier film de Henry King. Tender Is the Night s'inscrit dans la veine des adaptations littéraires prestigieuses que signa King dans les années 50 et notamment tirées de Hemingway (Le Soleil se lève aussi, Les Neiges du Kilimandjaro), et c'est à un autre auteur de la "Génération perdue" qu'il s'attaque ici avec l'un des plus fameux romans de F. Scott Fitzgerald. L'auteur y mêlait brillamment ce regard désabusé sur l'existence oisive et sans but de ces Américains perdus dans les délices de l'Europe (notamment la Riviera où se déroule une grande partie de l'action) tout en y incluant une facette plus personnelle avec le personnage déséquilibré de Nicole Diver inspiré de sa propre épouse Zelda en proie à des troubles psychologiques et internée.


Dick (Jason Robards) et Nicole Diver (Jennifer Jones) sont donc les principales attractions de la prestigieuse communauté américaine de la Riviera, beaux, riches et heureux en famille. Henry King déploie sa maestria visuelle la plus flamboyante pour magnifier cette Riviera paradisiaque, la prestance de Jason Robards et la beauté de Jennifer Jones bien aidée par la photo superbe de Leon Shamroy. C'est une forme de poudre aux yeux servant à masquer le réel malaise qui ronge le couple et qui se révèlera le temps d'une énième soirée mondaine où Nicole entrera dans une terrible crise nerveuse éveillée par le rapprochement de Dick avec la jeune actrice Rosemary Hoyt (Jill St John). Après avoir ainsi fissuré cette belle image idéalisée, la narration entame un flash-back où nous découvrons quelques années plus tôt la première rencontre entre Dick et Nicole lorsqu'elle était internée et lui son psychanalyste. Bien que très fidèle au livre, King fait le choix de concentrer toute son attention sur son couple autodestructeur et laisse volontairement de côté tous les personnages secondaires. Alors que dans le livre on avait un réel triangle amoureux entre Dick, Nicole et Rosemary, cela est oublié ici ou largement atténué par la prestation de Jill St. John qui fait de l'innocence touchante du personnage de papier vivant ses premier émois amoureux une véritable cruche à l'écran (elle confirmera son "talent" quelques années plus tard en campant la plus gourde des James Bond Girls dans Les Diamants sont éternels, pourtant la concurrence était rude).


Les plus beaux moments du film sont donc ces instants de romantisme fragile où Dick et Nicole se rapprochent mais signent aussi leur perte par l'ambiguïté de leur relation. Subjuguée par la beauté et la candeur de sa patiente, Dick s'égare entre ses devoirs de praticien et ses sentiments (la sortie de l'hôpital qui prend une drôle de tournure, les retrouvailles durant lesquelles il ne peut se résoudre à la repousser) et Jason Robards délivre une prestation très subtile. Jennifer Jones était, quant à elle, la seule à pouvoir incarner Nicole Diver à travers ce mélange de fièvre et de fragilité qu'elle sait si bien exprimer. On sent d'ailleurs une maîtrise accrue dans l'expression de cette folie par rapport aux personnages incandescents qui l'ont fait connaître (Duel au soleil, La Renarde, Ruby Gentry) dans la manière d'amorcer ce trouble mental de manière plus progressive et moins démonstrative, tel ce regard qui se fait de plus en plus incertain lors du dîner mondain alors que son attitude ne laisse pas supposer la crise qui va suivre.


King dépeint avec une grande justesse le lien qui unit mais sépare également ses héros. Dès le départ, le rapport est biaisé avec le manque de repères de Nicole (on est d'ailleurs étonné que le script reprenne tel quel l'origine de ses maux, à savoir un inceste...) qui nécessite un être fort et un soutien de tous les instants qui saura la raccrocher au monde réel. Dick sera celui-là en étant un père, un mari, un amant et un psychanalyste pour elle mais au prix de ses propres aspirations personnelles (le tourbillon de voyages en Europe où sous la joie se profile le renoncement progressif) et de son ambition. Lorsque usé par toutes ses années vouées à une seule et même personne il perdra pied, il tombera du piédestal où Nicole l'avait placé, perdant ainsi son amour en étant redevenu un être humain avec ses failles à ses yeux. King et le scénariste Ivan Moffat pêchent simplement par excès de fidélité au livre dans la dernière partie alors qu'ils avaient si bien su élaguer au départ (Tom Ewell étant un peu sacrifié malgré une bonne prestation en Abe North, Joan Fontaine teinte en blonde s'en sort mieux en superficielle Baby Warren). L'épilogue est donc très longuet dans sa description de la déchéance de Dick et de l'enlisement du couple à travers de poussives scènes d'alcoolisme.

Cela passait à l'écrit mais lasse grandement à l'image. Heureusement une poignante scène finale conclut l'ensemble dans une paisible et inéluctable résignation où l'amour toujours présent ne suffira pas aux chemins différents empruntés. Si Henry King n'égale pas ses grandes réussites d'antan avec ce chant du cygne, la faute à un côté un peu figé et daté (même par rapport à des mélodrames de cette même période), il signe néanmoins un joli film et une belle adaptation.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 28 mai 2019