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Critique de film
Le film
Affiche du film

Symphonie magique

(Stormy Weather)

L'histoire

Alors qu’on lui amène un magazine où il figure en couverture, Bill Williamson (Bill 'Bojangles’ Robinson) se remémore sa légendaire ascension au firmament des danseurs de claquettes et, sur le perron de sa confortable demeure californienne, la conte aux enfants de ses voisins venus lui rendre visite… Après la Première Guerre mondiale, il fait la connaissance et tombe sous le charme de Selina Rogers (Lena Horne), une chanteuse à succès de l’orchestre de Chick Bailey. Celle-ci l’encourage à développer ses talents de danseur. Il se retrouve donc à Memphis où, en attendant mieux, il devient serveur au Beale Street Café ; ici se produisent non moins que Fats Waller et Ada Brown. Il y retrouve aussi Selina qui persuade Chick Bailey de l’engager. Mais Chick, amouraché lui aussi de Selina et jaloux de son rival, reproche à Bill de vouloir lui voler la vedette et finit par le renvoyer. Plus tard, dans la rue, Bill retrouve Gabe (Dooley Wilson), son compagnon d’armes, devenu cireur de chaussures. Il lui raconte comment il a réussi à monter un spectacle mais lui avoue aussi qu’il n’a pas d’argent pour payer ses acteurs. Gabe lui propose de tout arranger...

Analyse et critique

En ce début des années 40, seuls deux studios continuent à avoir une véritable politique de production dans le domaine de la comédie musicale alors que leurs concurrents ont peu à peu délaissé le genre sans pour autant tout stopper. En effet, la RKO a du mal à se relever de la séparation du couple Fred Astaire / Ginger Rogers après La Grande Farandole (The Story of Vernon and Irene Castle). La Warner a perdu Busby Berkeley, ses chorégraphies délirantes et avant-gardistes, et ne s’aventure désormais qu’avec parcimonie dans le domaine ; elle ne s’y remettra vraiment qu’avec la découverte de Doris Day à la fin des années 40. Universal suit à peu près le même chemin ; sa star maison, Deanna Durbin, ayant décidé de se retirer de la circulation, le studio ne cherchera pas forcément à la remplacer. Quant à la Paramount, excepté Bing Crosby, elle ne possède pas vraiment d’autres vedettes pouvant rivaliser avec celles, innombrables, des deux Majors évoqués plus haut. Tout le monde aura deviné pour la première qu’il s’agit de la MGM, reine incontestée de la comédie musicale, avec à la tête de son département des producteurs aussi prestigieux qu’Arthur Freed, Joe Pasternak et Jack Cummings. Mais, souvent oublié à tort car éclipsé par son écrasante rivale, la 20th Century Fox n’est pas à négliger dans son apport au genre qui nous intéresse ici. Ses vedettes maisons sont moins célèbres mais n’en possèdent pas moins beaucoup de talent pour le chant, la danse et la bonne humeur ; ce sont Betty Grable (célèbre pin-up adulée par les G.I. américains), Alice Faye, Sonja Henie (qui était sur une patinoire ce qu’était Esther Williams dans une piscine), June Haver, Don Ameche, John Payne...

En 1943, les deux compagnies ont l’idée de lancer chacune une comédie musicale entièrement interprétée par des artistes noirs. C’est ainsi que pour la firme du lion (qu’il ne quittera quasiment plus jamais), Vincente Minnelli fait ses premiers pas dans la mise en scène avec le délicieux Un Petit coin aux cieux (Cabin in the Sky). A la Fox, quelques mois plus tard, Andrew L. Stone met en boîte le célèbre Stormy Weather dont le titre en France s’est transformé en Symphonie Magique. Le réalisateur avait auparavant travaillé dans les laboratoires Universal avant de diriger des courts métrages pour la Paramount. Son plus grand titre de gloire se révèle être le film qui nous intéresse ici puis, à partir de 1946, il tournera surtout en association avec son épouse Virginia, monteuse et coproductrice, des thrillers à petits budgets. Début des années 60, il se lance dans le film catastrophe avec entre autres, le très efficace Panique à bord (The Last Voyage) qui préfigure au niveau du suspense les grosses machineries de la décennie suivante tels L’Aventure du Poséidon ou La Tour infernale. Sans énormes moyens financiers, utilisant son savoir-faire, un excellent casting, et avec un maximum de roublardise bienvenue, il arrive à nous tenir en haleine. Que nous aurions voulu pouvoir en dire autant de Stormy Weather, parti de très bonnes intentions en voulant rendre hommage aux musiciens, chanteurs et danseurs noirs, mais visiblement réalisé sans grande conviction !

Car, comment parler du « chef-d’œuvre de la comédie musicale noire », quand, primo, le nombre de ces dernières ne doit pas s’élever à bien plus d’une dizaine (sans évidemment parler des bandes tournées pour des studios "Poverty Row") et quand deuzio, la même année, même si leurs styles diffèrent du tout au tout, Un petit coin aux cieux le surclasse à tous les niveaux. Là ou Minnelli, dès son premier essai, impose un style, Andrew L. Stone peine à se dégager du simple champ/contre champ, filmage plat et frontal sans aucune envergure ni enthousiasme. Là ou Minnelli nous offre une intrigue drôle, légère et pétillante, Stone nous offre un show sans vraiment de colonne vertébrale. Car qui s’indigne habituellement de la minceur d’ensemble de la plupart des scripts des comédies musicales, risque de piquer une colère devant celui totalement inexistant (quand il n’est pas poussif) de Stormy Weather ! Résultat, les personnages mal écrits et sans consistance ne possèdent aucune âme et ce qui peut leur arriver nous laisse totalement indifférents. Ce n’est pas le plus important, me direz-vous, dans le genre de la comédie musicale avant tout axé sur les numéros ? Certes ! Mais nous aurons beau avoir au menu un plateau extraordinaire, il sera assez vite lassant s’il ne se révèle être qu’accumulation sans que le spectateur n’ait rien d’autre à quoi se rattacher, pas même un prétexte un peu moins ténu. Même Vincente Minnelli en a fait la triste expérience avec son pénible Ziegfeld Follies qui, aussi indigeste soit-il, comporte plus de numéros mémorables que Stormy Weather. Alors quand on clame de partout l’indigence de l’un, n’ayons pas peur d’être aussi intransigeant pour l’autre, peut-être trop souvent excusé par le fait de la présence de ses artistes noirs à une époque où il était nécessaire de les reconnaître comme étant l’égal des autres. Aujourd’hui que cette ‘’ghettoisation’’ est heureusement loin derrière nous, ne soyons pas plus indulgent pour Stormy Weather par le fait qu’il se révèle plus important historiquement, qui plus est plus d’un point de vue social que cinématographique. Car c’est là que le bat blesse : quitte à entendre et voir Cab Calloway, Lena Horne ou Fats Waller, autant les regarder lors de concerts filmés plutôt qu’aussi platement mis en scène ou au milieu de chorégraphies aussi peu recherchées. Car oui, Stormy Weather, inconsistant techniquement, n’arrive jamais non plus, à cause de cette incompétence, à être kitsch ; ce qui arrange parfois pourtant bien les choses en rendant certains films presque surréalistes, souvent drôles et sympathiquement "osés" à défaut d’autre chose (et dans le genre, nous pourrions en établir une liste interminable).

Une grosse déception rattrapée ci et là néanmoins par quelques superbes moments, certainement plus appréciables pris hors contexte qu’au milieu de ce fadasse pot-pourri, chose rendue aisée grâce au DVD qui nous permet de nous repasser à satiété ces quelques séquences marquantes. L’intrigue, s’inspirant de la vie du célèbre danseur, acteur et chorégraphe Bill 'Bojangles" Robinson (auquel Fred Astaire a rendu hommage lors d’un sympathique numéro dans Swing Time), ce dernier (qui avait alors 65 ans mais qui ne les faisait absolument pas) nous octroie lui même quelques jolis pas de claquettes sur le pont d’un bateau à roue et plus tard sautant d’un tambour à un autre. Fats Waller nous convie à apprécier son talent avec son tube Ain't Misbehavin'et Lena Horne de nous ravir avec I Can’t Give You Anything But Love Baby et la chanson-titre, véritable standard du jazz, Stormy Weather. Mais, s'il s’agit d’une chanteuse accomplie, on ne peut pas dire qu’elle soit très douée pour la comédie et seul Vincente Minnelli réussira à la rendre mémorable dans son Cabin in the Sky. Sont aussi de la partie le saxophoniste Benny Carter, le trompettiste Jonah Jones, Cab Calloway et son orchestre, ainsi que la chanteuse Ada Brown. Une mention spéciale et hors musicale à Dooley Wilson, la touche d’humour non désagréable du film et un immense bravo à l’époustouflant Jumpin Jive, numéro acrobatique des Nicholas Brothers, deux danseurs en "caoutchouc", Harold et Fayard, que l‘on reverra presque tout aussi bondissants dans Le Pirate de Minnelli. Une souplesse et une vigueur dont nous aurions aimé qu’elles soient l’une des constantes du film. En conclusion, malgré tout le mal que j’ai pu écrire sur Stormy Weather, le capital sympathie du film en touchera certainement beaucoup, surtout parmi les amateurs de jazz si ce ne sont les fans de Musicals. Donc n’en restez pas forcément sur cette mauvaise impression d’autant plus que le DVD est de grande qualité et que, pour les collectionneurs, le film demeure une date dans l’histoire du cinéma.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 15 novembre 2007