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Critique de film
Le film
Affiche du film

Starship Troopers

L'histoire

Dans un régime futuriste régi par l’armée, Johnny Rico (Casper Van Dien), fraîchement diplômé, s’enrôle contre l’avis de ses parents dans celle-ci. Lui et ses camarades Carmen (Denise Richards), Dizzy (Dina Meyer) et Carl (Neil Patrick Harris) sont chacun formés, classés dans des régiments, selon leurs aptitudes respectives. La vie de caserne prend un autre tour quand une armée d’arachnides en provenance d’une planète lointaine venge la mise à sac de leur territoire en rasant Buenos Aires de la carte - et les parents de Johnny au passage.

Analyse et critique

« En fait l’idée de Starship Troopers remonte à 1986. Nous étions à Pittsburgh avec Paul, à la toute fin du tournage de Robocop, c’était un dimanche et on parlait de la Seconde Guerre mondiale et du fascisme mais aussi d’idées de film pour l’avenir. Paul a évoqué des adolescents allemands des années 30 qui, ne sachant pas du tout ce qui allait arriver, auraient pu se dire : "Hey ! Et si on s’inscrivait au parti nazi ? Ce serait trop cool !" Ce fut le point de départ de Starship Troopers, l’image de ces jeunes qui vont danser à la fête de promotion, l’horreur des uniformes et cette impression que la dictature militaire devient brusquement réelle. L’idée était de partir d’une dimension "positive" de cette horreur, c’est le concept même du film, mais on s’est dit aussitôt qu’on ne nous laisserait jamais faire ça à Hollywood. » (Ed Neumeier) (1)

Une décennie plus tard, Sony Pictures accordera son feu vert à cette grande fête de promo, Bowie repris sur scène et réarrangé dans le texte, où, pour le minois de Denise Richards, un Casper van Dien peigné au millimètre s’enrôle dans l’armée qui lui donne droit à une citoyenneté. L’action ne prendra toutefois pas place dans les années 30, mais dans le futur. Starship Troopers, adaptation très libre de Robert A. Heinlein, décrit un avenir dystopique où une jeunesse enthousiaste quant au régime dictatorial qui lui a lavé le cerveau, part "aux confins de la galaxie" tirer dans le tas et se faire massacrer pour la bonne cause... Encore plus prête à en découdre au final, en ce qui concerne les survivants du moins. Quant à Sony, et malgré une suite Direct-to-DVD, on ne les y reprendra pas - ni un autre grand studio, du reste. Le film incarne une parfaite anomalie, une bacchanale de la subversion où tous les curseurs à ne pas pousser l’auraient été un à un, un retour du refoulé pour les années 90, jeu de massacre euphorique renvoyant à l’Amérique les éclaboussures qui l’attendent encore (le XXIVème siècle n’est pas loin du XXIème qui s’annonce) si elle s’enferre dans l’arrogance in-questionnée. Que ce qui partait comme un projet sur l’embrigadement sous le Reich devienne un brûlot S-F sur une politique extérieure de pompier pyromane dont l’Occident s’est fait une spécialité en regard du Moyen-Orient (le film est réalisé entre la première guerre du Golfe et une réélection des Républicains) avec la désinformation qui l’accompagne, donne sa portée scandaleuse. Si la carrière de Paul Verhoeven ne s’est pas simplifiée depuis, peut-être faut-il aussi considérer les extrêmes atteints avec le diptyque Showgirls / Starship Troopers : pouvait-il (comprendre aussi, fallait-il, ou cela aurait-il même un sens) aller plus loin ?


Passée l’annonce préventive du carnage à venir, Starship Troopers commence en féérie perverse, dans une société apparemment guérie de ces maux, déjà traités par le cinéaste, que sont sexisme et racisme. Si son précédent film regardait vers l’intérieur, les inégalités qui bruissent sous le rêve américain (et soutiennent sa machinerie réelle), celui-ci efface d’abord toutes aspérités au-dedans pour déplacer le regard vers l’extérieur : l’impérialisme. Une société paisible dans ses frontières, mais qui reposerait sur la guerre perpétuelle avec son dehors, où l’ennemi n’est pour grossir la satire même plus humain mais insecte (« A good bug is a dead bug ! »). Tout cloche déjà. Les aînés admirés forment une génération d’estropiés (où les manchots sont tous fiers de louer l’armée pour avoir fait d’eux qui ils sont), la régurgitation s’invite à une table de dissection (boyaux et humeurs se chargeant rapidement chez Verhoeven de ramener de la réalité face à l’idéologie). L’élève le plus prometteur est aussi le plus louche (un futur Barney en mini-S.S. s’essayant à la télépathie). Rien ne va s’arranger par la suite. Buenos Aires est entièrement bombardée, mais le reportage qui nous en informe pleure surtout la mort injuste d’un chien sous les décombres. D’après une ironie typique de l’auteur, plus le degré de probabilité de décès au combat d’un  personnage augmente plus celui-ci se rapproche de critères de décence ordinaire (voir le sort réservé à Dizzy, la « brave fille »), les minorités sont les premières sacrifiées, quand un costume cuir célèbre la domination du cerveau ennemi (« It’s afraid ! ») les troupes en liesse semblent soudainement moins humaines en terme d’affect que la créature qu’ils encerclent. En partant flingues en main pour les étoiles, les soldats s’embarquent pour une aventure qui leur en coûtera, s’ils survivent, leur humanité. Ils sont revenus au niveau des insectes. Fuite-attaque-reproduction.



La survie est la grande affaire de Verhoeven... cela, y compris dans un film où le motif de conflit tient strictement de la revanche. Lui qui a grandi, durant la Seconde Guerre mondiale, sur un territoire occupé par les fascistes, bombardé par les Alliés, a vu celle-ci avec un regard d’enfant, aussi traumatisé qu’émerveillé. Le lapin pris dans les phares. Soldier of Orange (dont Starship Troopers peut en partie être considéré comme une reprise) traitait de ce rapport infantile aux images du conflit. Le côté David Lean de l’auteur, qu’il prolonge ici par un tournage épuisant et un sens des ellipses à la fois abruptes et grandioses. Seulement, en plus sale gosse. Une approche parfois dangereusement dissociée, salutairement récupérée par des éclats gore qui ramènent, par l’exagération même, au sens des réalités. Il n’est pas dur de voir que Verhoeven adore les uniformes, les spots propagandistes (cf. sa fascination de longue durée pour Leni Riefenstahl), que d’aligner Ken et Barbie issus de diverses bluettes et sitcoms, tout en soulignant le fascisme des corps à l’œuvre dans la production de masse, ne pose pas le moindre souci à son propre goût. Que s’il a lu Chomsky, il comprend plus vite Carl Schmitt.

Dans le désert, il réalise Starship Troopers tête baissée. A la base, il l’a au contraire trop haute. En petit réac trop zélé, qui aurait un peu trop bien appris la leçon, entonnant le refrain avec un entrain si mal placé que la droite dure ne peut que rougir, les médias inféodés se racler la gorge. Cette boussole géopolitique assez infaillible de ces trente-cinq dernières années est leur version Kindergarten. Même les petites classes manient l’arme à feu, la cour de récré écrase en liesse les cafards sous les regards d’une surveillante hystériquement transportée. L’image-miroir des enfants soldats embrigadés ne viendra qu’au dernier tiers. La réduction à l’absurde produit ici son effet de vérité : jusqu’où faudra-t-il descendre dans un cycle de la violence que nous (aucune ambiguïté ici) avons commencé ? Quand s’arrêtera la régression ?



Corps étranger dans la société américaine, Verhoeven s’inscrit souvent en commentaire de ce qui s’y produit avant lui : comme Robocop profitait du succès de Terminator, son film de monstres semble vouloir concurrencer les dinosaures de Spielberg. Visuellement, un festin à déconseiller aux arachnophobes. Phil Tippett reprend du service. ILM s’occupe de digitaliser, sur Klendathu et autres planètes hostiles, des légions d’arachnides. La gestion de matte paintings, décors réels, créatures virtuelles ou animées selon des effets traditionnels, aboutit à un équilibre du touchable et du digitalisé. Le générique de fin convoque sur les airs martiaux de Basil Poledouris une autre armée - de techniciens enrôlés. La longueur du défilé confirme la mégalomanie des deux heures de vols spatiaux et de spectacle pyrotechnique que le spectateur vient béatement d’encaisser. D’un grand-huit où les gentils, soit meurent, soit deviennent méchants à leur tour. Agrémenté de pauses "infos / promos" dont la bêtise, la mauvaise foi, la malhonnêteté patentée ne sauraient tout à fait être qualifiées de spectaculaires - le cirque médiatique en période de conflit a au fond son côté habituel. Où seuls les plus aptes sont soignés. Où par réconciliation il faut entendre que l’officier afro, qui mourra dans quelques minutes bombe en main, accepte de danser sur un refrain sudiste. Où une fois bien expliqué aux troupes de terre les raisons pour lesquelles elles viennent d’être envoyées à une mort sûre (en gros, juste pour voir si ça réagirait), les survivants imprévus se rangent à la démonstration. « Faisons tout ce qu’il ne faut pas faire, mais faisons-le bien », ont dû se dire Verhoeven et son équipe. Que le degré de subversion exhibé, en principe inimaginable dans un blockbuster, soit passé sous les radars au tournage pourrait paradoxalement devoir à la grande échelle d’un projet long, morcelé en divers lieux, trop coûteux pour être arrêté une fois lancé.


Starship Troopers est d’autant plus scandaleux de par sa virtuosité léchée. Si le récit s’inspire des films de propagande produits par les Nazis en temps de guerre, la photographie ciselée de Jost Vacano sous des ciels bleu azur regarderait plutôt du côté des westerns où déboulent les Cheyennes. La composition hyper-ordonnée des cadres accomplit un équivalent bariolé, criard ("pop") de celle de Riefenstahl. Une société qui aurait pris trop à la lettre les principes régissant la République de Platon s’offre les atours d’un samedi soir à Beverly Hills. Grandeur de pacotille, kitsch remué par son envers - l’éclat des entrailles. Les films les plus justes sur l’engagement militaire des bannières de pays riches au désert sont des farces de mauvais goût (mention à cette autre pochade sur sujet brûlant, encore en attente, elle, de réhabilitation, qu’est Ishtar d’Elaine May). C’est trop con pour qu’on s’apitoie. Pourtant le tragique coule sous l’imagerie débilitante. Réel des corps estropiés, des vies perdues. A l’envolée vers les astres de Carmen répond le soupir paniqué de Dizzie, qui ne veut pas perdre conscience, retourner au néant. Bref sursaut de la sienne, que n’auront pas celles liquidées au profit de la formation de machines à tuer. Dialectique de la mort (inacceptable) et de la vie (irrépressible) au cœur du cinéma de Verhoeven... Complication que la vie porte en elle les éléments mortifères. Comme Showgirls renvoyait au public son incapacité à imaginer un spectacle qui ne contiendrait une certaine dose de sexisme, Starship Troopers constate que, laissée à elle-même, la guerre ne peut que finir par faire de ses participants des fascistes. Le fascisme n’est pas cet évènement circonscrit à une période historique liquidée, mais ce qui, sans les garde-fous que sont les droits élémentaires à être protégés de l’oppression politique, détruit la démocratie au nom de l’efficacité guerrière. Comme principe, ça devrait être simple et sympa. A force d’être bafoué, ça en inspire des films bêtes et méchants.



(1) Entretien réalisé par Vincent Malausa à Santa Monica en juin 2010. in Cahiers du Cinéma n° 175 (Octobre 2015)

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La fiche IMDb du film

Par Jean Gavril Sluka - le 5 février 2016