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Critique de film
Le film
Affiche du film

Song of Freedom

L'histoire

Docker londonien, John Zinga est doté d'une puissante voix qui émerveille ses collègues mais aussi un célèbre compositeur italien d'opéra. Grâce à ce dernier, John connaît rapidement le succès en interprétant L'Empreur Noir. Avec son épouse, il peut enfin gagner l'île africaine de ses aïeux et s'affirmer comme le descendant direct de la famille royale. Mais à son arrivée, il découvre une peuplade maintenue dans l'ignorance et l'esclavage, sous la domination d'un puissant sorcier.

Analyse et critique

Song of Freedom est l’un des quatre films produits par la jeune Hammer Production avant la  Seconde Guerre mondiale. S’il mérite aujourd’hui quelque attention, c’est autant pour le message progressiste et égalitaire qu’il entend énoncer (tout en véhiculant également l’idéologie coloniale de son temps) que pour la figure de Paul Robeson, qui avait obtenu le final cut sur ce film qui lui tenait particulièrement à cœur. Si bien que Song of Freedom peut-être abordé comme un objet schizophrène, divisé entre ses intentions et ce contre quoi il œuvre en vain. D’où l’impression de faire face à un film daté et un brin irresponsable, qui tente régulièrement, par le biais du montage, de charger son script conventionnel de sens et de symboles.

Mais si Song of Freedom détonne parfois, ce n’est pas tant par le brio artistique de son cinéaste, James Elder Willis, futur directeur artistique des productions de la Hammer des années 50, que parce que le projet de l’œuvre demeure paradoxal, ambigu, ambitieux et boiteux. Le film débute comme un plaidoyer anti-esclavagiste, s’oriente vers la classique success story urbaine très représentative d’un certain cinéma des années 30, alterne les séquences musicales avec plus ou moins de bonheur puis s’achève en film d’aventures exotique avec sorciers malfaisants, marabouts, transparences calamiteuses de studios et danses traditionnelles. Bref, Song of Freedom joue sur tous les tableaux en multipliant les clichés et l’adjonction des codes conventionnels à chaque genre usité. Le film repose sur les épaules de son héros, Paul Robeson, immense chanteur à la voix de stentor qui se fit notamment connaître pour ses engagements politiques. Mais nous y reviendrons, car Song of Freedom n’est pas tant un manifeste anti-esclavagiste qui se révèle in fine un plaidoyer colonial britannique qu’un film d’aventures qui ose, par moments, quelques analogies politiques vraiment étranges.

Quand le film débute donc, il s’agit d’un serial d’aventures exotiques assez minable avec des figurants tous plus mauvais les uns que les autres. Entre regards caméra, gros plans et plans d’ensemble qui se succèdent sans rythme, on a l’impression que le cinéma n’a pas évolué depuis ses balbutiements. Et puis s’ensuit un étonnant montage aux allures de scopitone avant l’heure, au cours duquel un siècle de l’histoire de la traite des Africains va être évoqué. En musique, on voit parquer les esclaves achetés sur la côte ouest africaine. Puis amenés en Angleterre où ils triment sous les fouets des esclavagistes. Sans aucun souci de réalisme, il s’agit de faire comprendre la situation par quelques procédés graphiques qui insistent sur la douleur et le temps qui passent. Inexorablement, les années défilent jusqu’à l’abolition de l’esclavage en Angleterre. La séquence est efficace et assez sidérante. En même temps, le cinéaste cherche à nous raconter la transmission, de générations en générations d’esclaves, de père en fils, d’un médaillon royal, mac guffin d’une intrigue abracadabrante. Et le réalisateur est incapable de mêler récit et exposition historique sans perdre le spectateur qui ne comprend plus ni de quoi il s’agit, ni à qui revient ce pendentif. Si bien que l'on s'interroge sur le sens de ce médaillon qui se superpose à un siècle d'histoire des esclaves. On peut ainsi l'interpréter comme le liant d'un individu à travers les époques à ses origines mais aussi comme son exact contraire:  le symbole d'un odieux commerce humain. Ainsi tout au long du film, Ellis ne parvient pas à mêler les intrigues secondaires entre elles sans perdre le spectateur, entre récit, symboles et intentions. Les séquences s’enchaînent sans cohérence. Le cinéaste use de fondus enchaînés qui ne veulent plus rien dire comme s’il cherchait sans cesse à suggérer plus d’idées que ce que le script énonce. Malheureusement, ces emplois répétés se révèlent souvent inopérants sinon, parfois, au mieux, saisissants d’un strict point de vue graphique.

La partie success story des dockers aux planches de l’Opéra que raconte Song of Freedom est très étonnante. Un siècle et demi est passé. Dans les années 30, John Zinga, arrière-arrière-petit-fils de la reine despotique, travaille sur les docks. Le film n’est jamais insistant à ces instants mais plutôt léger dans son évocation d’une vie prolétaire joyeuse, laborieuse et égalitaire qui lorgne presque vers un humour boulevardier de théâtre anglais. Si bien que l’égalité prolétarienne ne suggère aucune dissemblance entre les dockers. Les hommes sont égaux, quelles que soient leurs couleurs, de par leurs conditions sociales. Quand retentit longuement la sirène, John entonne cette chanson africaine qui lui vient de loin, que ses parents se sont transmis depuis la traite deux siècles auparavant. Succédant à la longue séquence sur l’histoire de l’esclavagisme, le cinéaste prend le risque d’une analogie assez étonnante  par le biais du montage, et donc de l’enchaînement symbolique d’idées : les travailleurs sont les nouveaux esclaves non différenciés comme au temps de la traite.

C’est là que Song of Freedom garde une certaine saveur, construisant par montages alternés de séquences très dissemblables les oripeaux d’une pensée politique internationaliste. On sait d’ailleurs que Paul Robeson eut quelques affinités avec l’URSS au point de venir régulièrement y chanter et d’être interdit de sortir du territoire américain pendant le maccartysme. Il était également beaucoup plus adulé et adoré en URSS qu’aux Etats-Unis. Malheureusement, le film travaille trop peu ce discours pour que l’on puisse ne faire qu’oser ces quelques hypothèses idéologiques. Car le problème principal de Song of Freedom c’est de sans cesse s’éparpiller, d’oser sans prendre ses responsabilités et surtout de ne jamais parvenir à montrer quoi que ce soit à cause d’une mise en scène qui frôle l’amateurisme et se repose sur les chansons et le montage. Ainsi, malgré ces analogies, la société anglaise paraît ici béatement compartimentée et chacun de rester à sa place, sans déranger les autres. Si John parvient à sortir de son rang, il le fait grâce à un aristocrate blanc inspiré du compositeur Gaetano Donizetti. Il est donc repéré puis embauché par un célèbre compositeur italien. Là également, une ou deux idées sauvent encore le film de l’anonymat. Quand il répète pour la première fois, John ne supporte pas les invectives de son maître de chant et sent inconsciemment qu’en obéissant, il reprend les attitudes d’un esclave. Idée aussitôt évoquée, aussitôt refermée pour suivre la pente, ô combien programmatique, du scénario qui tarde à bivouaquer vers l’exotisme.

Ayant remporté un énorme succès, John et son épouse partent en Afrique pour connaître leurs origines. Le film s’engage à cet instant dans l’aventure exotique aux relents colonialistes, puisque John veut apporter la science à ses semblables pour les sortir de l‘arrièrisme dans lesquels ils végètent à cause d’un sorcier qui use des superstitions pour maintenir sa domination. Certaines scènes ont été tournées en Sierra Leone. Cela donne lieu à quelques échanges fleuris sur les vertus de la civilisation des pays lointains. Mais encore une fois, au lieu de sombrer dans ce discours strictement paternaliste de l’époque, le cinéaste l’adoucit par quelques belles idées de fraternité, suggérant que les Africains réussiront grâce à leur courage à conserver les acquis de la civilisation occidentale. Ce sont aussi la musique et les chants qui les rapprocheront et les aideront à s’entraider.

Au niveau musical, les chansons sont inégales, tout comme les intermèdes musicaux. Retenons surtout Joshua Fought the Battle of Jericho qu'entonne Robeson en arrêtant le travail après le retentissement de la sirène. C'est sans aucun doute le moment le plus fort du film puisque différentes idées se chevauchent grâce à cette chanson. Puis les deux morceaux phares, Stepping Stone et évidemment Song of Freedom. Malgré tout, l'utilisation de la musique est maladroite et paresseuse : le compositeur entend depuis sa voiture John chanter comme s’il répétait dans un studio. Les couples noirs et blancs, enfants et adultes se serrent les uns contre les autres à leurs fenêtres quand John chante le soir, selon des compositions académiques, pour entendre l'hymne de la liberté, l’espoir de jours meilleurs mais aussi la conscience d’appartenir à une classe unie et non différenciée. Malheureusement, à quelques exceptions prés, les séquences tombent raides, sans connecteurs. Les interprètes sont tout aussi raides, à commencer par Robeson lui-même qui gonfle le torse et se révèle parfois inapte à jouer au même moment. Son épouse est interprétée par la chanteuse et comédienne Elisabeth Welch, avec qui il tournera un an plus tard dans Big Fella.

Subsiste donc au final le souvenir d’un film maladroit mais ambitieux, très ancré dans son époque mais partagé entre une pensée colonialiste et des bribes de discours internationalistes, entre comédie musicale "vieillotte" et vieux film d’aventures exotique et fraternel, entre plaidoyer égalitaire et discours paternaliste. Et au milieu de ce fatras d’idées, d’intentions, de contradictions : la stature colossale et symbolique de Paul Robeson, artiste, athlète et écrivain engagé et longtemps répudié aux Etats-Unis, mais dont l’action influencera un grand nombre de comédiens et de chanteurs américains.

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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Mercier - le 10 février 2012