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Critique de film
Le film
Affiche du film

Six femmes pour l'assassin

(Sei donne per l'assassino)

L'histoire

Dans une maison de haute couture romaine, un jeune modèle est assassiné par un tueur masqué et aux mains gantés. Cet événement va inquiéter tous les autres employés, et marquer le coup d’envoi d’une série de meurtres que les forces de police sont incapables d’expliquer.

Analyse et critique

Après le large succès public et critique du Masque du démon, Mario Bava, déjà reconnu et respecté comme un directeur de la photographie majeur, va trouver l’opportunité de réaliser des films de tout genre. Entre westerns, films de science-fiction et reconstitutions historiques, il va en toute simplicité et en trois films seulement créer un genre à lui seul : le giallo. A l’origine et comme souvent lorsqu’il s’agit de cinéma de genre en Italie, il y a un succès international qui attise l’intérêt des producteurs. Ici, c’est bien sur le triomphe de Psychose, et plus généralement les succès au box-office signés Alfred Hitchcock, le maître du suspense, qui fait briller les yeux des grands argentiers du cinéma transalpin. C’est ainsi que Mario Bava tourne en 1963 La Fille qui en savait trop, qui lui est commandé comme un pastiche de Hitchcock, et dont le titre ne trompe en rien sur l’intention commerciale. Avec ce film, Bava développe pour la première ce que seront les codes du giallo, avec un tueur mystérieux s’en prenant à de jolies femmes et une atmosphère perverse. Le film est tourné en noir et blanc, il manque donc encore la couleur parmi les signatures du genre et comme vecteur de l’expression artistique du cinéaste. Ce sera réparé avec Le Téléphone, un sketch du film Les Trois visages de la peur, avant que Bava ne tourne Six femmes pour l’assassin qui définit absolument et totalement le genre, et qui servira de modèle à Dario Argento lorsqu’il réalisera ses propres giallos, en commençant par L’Oiseau au plumage de cristal qui donnera le coup d’envoi d’une exploitation frénétique du genre durant les années 70. Malgré les centaines de giallos alors tournés, dont de nombreux excellents films, peu arriveront à la hauteur de Six femmes pour l’assassin qui définit absolument le genre et le transcende par son ambition formelle et grâce au formidable voyage sensoriel proposé par Bava.


Le générique du film illustre immédiatement cette ambition et le ton particulier du film. La caméra se fraie un parcours parmi des mannequins d’osier auxquels sont mêlés des acteurs de chair et d’os, immobiles comme s’ils étaient eux-mêmes des mannequins inertes, des pantins dont le destin sera manipulé par le cinéaste démiurge Mario Bava. Ils sont aussi identifiés à des représentations de l’humanité que la caméra va ausculter, proposant au spectateur un regard d’entomologiste, comme si nous allions observer au microscope pendant une heure et demi une colonie de fourmis pour en identifier les comportements et les travers. La lumière choisie par Bava, donnant aux corps une couleur étrange, crée une sensation bizarre, surréaliste. La musique qui accompagne la séquence, un sublime tango signé Carlo Rustichelli, nous invite à une danse mortifère, dans laquelle les personnages sont assimilés à des objets. Bava va nous proposer un regard distancié sur l’humanité, baigné dans une atmosphère à la fois sensuelle et macabre. Un programme que Six femmes pour l’assassin va respecter jusqu’à la fin en déroulant le récit d’un thriller apparemment traditionnel mais transcendé par une mise en scène ambitieuse, moderne et parfois déstabilisante.

Bénéficiant d’un excellent scénario signé Mario Fondato, le récit de Six femmes pour l’assassin est celui d’un thriller efficace qui propose tous les codes du giallo. Un tueur masqué et ganté s’en prend, à l’arme blanche ou à mains nues, à de jeunes et belles femmes. Une dose de fétichisme, un soupçon d’érotisme, un peu d’angoisse, le tout emballé dans un univers coloré, voici les ingrédients de la recette giallo, qui restera inchangée quelques années plus tard lorsque le genre sera essoré par les producteurs italiens. Tout est déjà présent, Bava invente tout, y compris dans la vision de forces de l’ordre présentes mais bien peu utiles lorsqu’il s’agit de mettre un terme aux agissements du meurtrier et de protéger de potentiels futures victimes. Ce qui distingue Six femmes pour l’assassin, et qui a probablement déstabilisé le public populaire lors de la sortie du film, c’est l’absence d’un personnage extérieur menant l’enquête et portant le regard du spectateur. Il n’y a pas d’intrus dans le film qui fonctionne comme un monde clos, dans lequel tout le monde semble avoir quelque chose à se reprocher. Bava propose une approche plutôt misanthropique du monde, proche de celle qu’on lui connaissait personnellement. Chacun est compromis, ou paraît avoir quelque chose à se reprocher. C’est flagrant lors de l’apparition du journal intime d’Isabella, la première victime, qui inquiète tous les protagonistes, ou dans l’urgence que mettent les protagonistes à se forger un alibi dès qu’une victime est découverte. Chez Bava, c’est ainsi l’humanité toute entière qui se livre à un jeu de massacre, chacun expiant ses mauvaises actions.


C’est ce jeu pervers qui intéresse le plus Bava, au-delà de la mécanique du récit qu’il ne semble utiliser que pour maintenir l’attention du spectateur. C’est dans cette logique qu’il utilise les nombreux effets de couleurs du film, qui en sont la signature la plus mémorable. Loin d’être utilisées à de simples fins esthétiques, les couleurs de Six femmes pour l’assassin ont une utilité précise, qu’elles proviennent d’éclairage ou d’objets choisis pour leur coloration vive. Le film devient ainsi l’un des premiers thrillers à inclure les jeux de couleurs dans sa mécanique propre, avec notamment le choix d’un rouge vif pour tous les objets qui permettent de se raccrocher au pur récit, comme le téléphone ou le carnet intime d’Isabella. Les éclairages, quant à eux, appartiennent au registre du fantasme. C’est évidemment le cas flagrant de l’éclairage de la peau des personnage féminins, que Bava désignait lui-même comme l’« effet Madone », une lumière rose chair donnant une aura à chaque personnage féminin, renforçant la dimension érotique du film. Subtilité supplémentaire, Bava utilise le même effet pour les cadavres, créant un rapprochement étrange entre le désir et la mort, véritable sujet du film.

Le résultat est étonnant. Bava s’est emparé d’une structure populaire, le thriller, pour créer en trois films un autre genre populaire, le giallo. Mais il a également réussi à transcender ce genre par une forme étonnante, et parfois très moderne. Pas étonnant qu’il ait dérouté les spectateurs de son temps, avant que qu’une petite décennie plus tard, sa création donne lieu à une impressionnante série de films. Il y a avec Six femmes pour l’assassin la volonté de créer un pur divertissement tout en étant inventif, profond, en secouant l’âme du spectateur par une forme troublante. Le pari est particulièrement réussi et nous prenons plus de cinquante ans plus tard un plaisir immense à voyager dans le rêve pervers de Bava, d’une modernité confondante.

DANS LES SALLES

Six femmes pour l'assassin
 UN FILm de mario Bava (1964)

DISTRIBUTEUR : THEÂTRE DU TEMPLE
DATE DE SORTIE : 03 JUILLET 2019

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 8 juillet 2019