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Critique de film
Le film
Affiche du film

Sinbad et l'oeil du tigre

(Sinbad and the Eye of the Tiger)

L'histoire

Une odieuse magicienne a transformé le jeune prince héritier en babouin afin de placer son fils sur le trône. Sinbad, héros des mers, part à la recherche d'un mage capable de rompre l'enchantement. Il devra affronter mille dangers.

Analyse et critique

Presque vingt ans après Le Septième voyage de Sinbad (1958), Ray Harryhausen conclut la trilogie Sinbad avec ce Sinbad et l’œil du tigre. Le second volet, Le Voyage fantastique de Sinbad, avait montré Ray Harryhausen et Charles Schneer coincés entre des envies de modernité et une poursuite sur les acquis pour un film bancal qui s’était néanmoins avéré un succès commercial. Sinbad et l’œil du tigre semble, quant à lui, clairement désuet d’autant qu’il a le malheur de sortir en salles le même été qu’une proposition de divertissement grand public autrement plus novatrice, La Guerre des Etoiles de George Lucas.


On retrouve au début, mais dans une moindre mesure, la schizophrénie du précédent volet. La photo de Ted Moore et la reconstitution du monde oriental en Espagne apportent une patine « réaliste » qui détache le film du Technicolor et de l’ambiance féérique des classiques de Harryhausen. La lassitude gagne avec une énième histoire d’adepte de la magie (cette fois au féminin avec Margaret Whiting) dont Sinbad doit dénouer un sortilège à travers un périlleux voyage. Il est certes un peu facile de considérer avec le recul une œuvre comme dépassée en son temps, mais à la redite narrative et aux défauts récurrents (toujours ces mises en place laborieuses avant que l’aventure se lance) viennent en plus s’ajouter une facture technique absolument pas à la hauteur des travaux précédents de Harryhausen. Les incrustations des personnages filmés en studio sur des décors naturels sont particulièrement visibles, la faute à des contours grossiers et une photo peu ou pas travaillée pour un semblant de continuité visuelle. Harryhausen fait également preuve de facilité en rejouant ses scènes emblématiques en intervertissant simplement les créatures, ici avec des goules hargneuses qui remplacent lors d’un duel les squelettes de Jason et les Argonautes (1963). On peut ajouter à cela un Sam Wanamaker en grande difficulté pour filmer l’action, notamment le découpage lors du combat face à la goule.

Pourtant, passé une première heure poussive, le charme finit progressivement par opérer. La raison tient au choix de miser sur un récit d’aventures se basant plus sur l’émerveillement et la découverte ; l’affrontement Bien/Mal devient alors assez secondaire avec la magicienne Zénobie suivant plus que traquant nos héros. Le côté bricolé et désuet se dote ainsi d’un vrai charme naïf par lequel Harryhausen parvient notamment à renouveler son bestiaire et ses environnements. La face maritime déjà largement exploitée dans Jason et les Argonautes et les Sinbad est atténuée, et les créatures mythologiques s’estompent pour libérer une inspiration plus préhistorique. Les voyages nous emmènent ainsi aux confins voire aux origines du monde (le titre de travail était d’ailleurs Sinbad at the World's End) où les personnages se confrontent à une sauvagerie primitive avec un morse géant ou un troglodyte finalement bienveillant. Malgré un Antarctique en studio de pacotille, l’imagination de Harryhausen parvient par intermittence à créer une vraie et belle sidération devant certains décors, comme le plan d’ensemble qui laisse voir la pyramide d’Arimaspi par un superbe matte-painting. L’intérieur de glace tout en gigantisme de givre épuré fait également son petit effet.


Dans l’ensemble, le film, en assumant son côté dépassé, affirme une volonté de retour aux sources qui remonte avant Harryhausen et rend hommage à ses influences. L’entrée dans la cité d’Arimaspi reprend ainsi le design de l’entrée dans l’autel de King Kong (1933), dont le combat mythique face au T-Rex est repris ici entre le troglodyte et le tigre gardien du temple d’Apollon avec une férocité réjouissante. Sorti du contexte oriental/antique, le récit possède d’ailleurs une structure rappelant She (l’antre d’Apollon s’inspire d’ailleurs du design de la version de 1935). Ce dépaysement fait donc tout le plaisir du film malgré une interprétation inégale (Patrick Wayne assez fade et qui redonnera dans l’aventure dépaysante l’année suivante avec Le Continent oublié, Jane Seymour et Taryn Power (fille de Tyrone) tout en séduction languide et naïve). La formule est essoufflée mais plaisante dans ses défauts, avant la tentative d’entrer dans l’ère du blockbuster avec le plus nanti Choc des titans (1981).

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 21 avril 2019